25 ans au service de l’internet citoyen
Un rapport sur l’histoire et l’activité de Vecam
par Anne Bellon
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Le développement des réseaux de télécommunication est antérieur aux années 1990 en France. Mais le milieu de la décennie constitue un véritable tournant avec l’émergence du web (1993) et la diffusion de l’informatique personnelle. L’internet franchit alors les frontières du monde universitaire ; une expansion favorisée par l’apparition de fournisseurs d’accès associatifs ou commerciaux. En France, ce tournant s’inscrit néanmoins dans une bataille technologique entre l’internet et le Minitel, réseau de services télématiques mis en place dans les années 1980 (Schafer, Thierry, 2012). L’administration française accueille en effet l’internet avec timidité, si ce n’est réticence. Ce nouveau réseau est parfois considéré comme un « coup de bluff » des Américains et son développement envisagé comme une menace pour la souveraineté des télécommunications françaises. Plusieurs membres de Vecam, qui constituent à cette époque des utilisateurs pionniers de l’internet en France, témoignent de ces freins opposés au développement d’un réseau ouvert et décentré. Pascal Renaud [ 13 ], qui a créé en 1992 un réseau adossé à l’internet au sein de l’ORSTOM [ 14 ], se souvient ainsi que, en dépit du soutien de sa direction, la connexion à l’internet était vue d’un mauvais œil dans bon nombre d’administrations, notamment celles liées aux affaires étrangères et à la défense.
À ces freins politiques s’ajoute un équipement informatique modique des ménages français qui contribue à la faible diffusion des usages sociaux de l’internet en France. Vecam est bien l’une des premières associations françaises à défendre l’intérêt politique et social des nouvelles technologies dans le contexte du développement de l’internet. Certes, les cas de militantisme en réseau lui préexistent, symbolisés par des expériences fortes comme le Fidonet [ 15 ], le Samizdat.net (Mounier, 2006) ou la liste biblio-fr [ 16 ], animée par Hervé le Crosnier, mais Vecam est la première organisation à formaliser l’appropriation de l’internet comme un véritable enjeu public. À sa suite, de nombreux collectifs voient le jour pour défendre le nouveau réseau et promouvoir le développement d’usages sociaux des nouvelles technologies : le chapitre français de l’Internet society (Isoc France), l’Association des Utilisateurs de l’internet (AUI), Admiroutes, Mélusine, ou encore le Club de l’Arche, collectif lancé par Jean-Michel Billaut qui anime des séminaires sur les nouvelles technologies dans les sous-sols de la BNP Paribas. À une époque où l’accès à internet et la culture technologique sont rares, les convergences l’emportent sur la concurrence entre ces associations. Les liens entre ces pionniers de l’internet sont par ailleurs renforcés par la fréquentation de lieux communs : Rencontres de l’internet à Autrans en hiver ; université de la Communication à Hourtin (Encadré 7), en été ; rencontres de Parthenay (Encadré 2) ; Atelier de la Banque BNP, etc.
À la fin des années 1990, ces différentes organisations se retrouvent ainsi autour de projets collectifs pour favoriser la diffusion de l’internet en France. La « fête de l’internet », une initiative lancée par le Club de l’Arche sur le modèle des Net Days de l’administration Clinton, est un exemple emblématique de ces projets rassembleurs, gommant momentanément les divergences entre organisations. Soutenue par le ministère de la Culture, l’initiative réunit pêle‑mêle des élus, des entreprises, des militants du logiciel libre et des représentants des médias citoyens. Vecam joue un rôle actif dans l’organisation de cet événement et Florence Durand devient même secrétaire générale de l’Association pour la fête de l’internet. L’événement se déroule sur un ou plusieurs jours autour de démonstrations, d’ateliers, de conférences ou même de performances. En 1999, un procès fictif de l’internet se tient par exemple au Palais de la Justice afin de défendre l’internet face aux principaux maux dont il est accusé : la privation des libertés, le creusement de la fracture sociale ou la diffusion des contenus illicites. Comme le rappelle Florence Durand : « l’idée était que ceux qui savaient que l’internet existait aillent montrer ce qu’ils faisaient ». La fête de l’internet se diffuse aussi dans les villes, qui n’ont pas attendu l’aval du gouvernement pour lancer des expérimentations d’usages citoyens des réseaux. À Brest par exemple, Michel Briand, élu en charge de l’internet et du multimédia depuis 1995, a développé des « PAPI », des points d’accès publics à internet dans les lieux fréquentés de la ville – bibliothèques, maisons de retraite, établissements scolaires, etc.
Afin de formaliser et de renforcer les liens entre ces associations françaises, mais aussi de repolitiser la promotion des technologies dans cet espace militant, Vecam propose en 2001 la création d’une fédération : l’I3C pour Internet Citoyen, Coopératif et Créatif [ 19 ]. Plusieurs organisations et individus signent une charte collective pour défendre des pratiques alternatives et un usage plus créatif et social des outils numériques : Media-Cités, Place Publique [ 20 ], et des individus comme Denis Pansu de la Fing et Michel Briand figurent ainsi parmi les premiers adhérents. Le collectif entend favoriser la mutualisation des expériences et des réflexions, ainsi que promouvoir l’organisation d’actions communes en France.
Les premières « Rencontres européennes du multimédia, de l’internet citoyen et solidaire » (REMICS) se tiennent ainsi en 2001 au Haillan et réunissent une cinquantaine de participants autour de pratiques créatives, de débats citoyens et d’outils participatifs mobilisant les réseaux [ 21 ]. Vecam propose également la construction d’un site collaboratif pour mettre en commun des ressources de manière plus collégiale : l’espace Métis [ 22 ] (Mutualisation et échanges autour des Techniques de l’information et de la solidarité). La construction de Métis entend mettre en œuvre une gouvernance partagée qui demande une implication active des membres parties prenantes. Cette gestion collective aboutit difficilement et le projet Métis sera abandonné en 2005. Plus généralement, l’I3C périclite doucement jusqu’en 2004. Ses fondateurs annoncent la fin de l’association dans une lettre commune publiée en ligne, pointant du doigt un travail collectif devenu difficile, notamment face au manque de moyens.
Si les coopérations de Vecam avec les autres associations françaises restent nombreuses autour des appropriations citoyennes des technologies (cf. partie 2.2), la saillance publique des enjeux numériques contribue aussi à renforcer les concurrences entre organisations de l’internet citoyen et non-marchand. Surtout, dans les années 2000, la défense des libertés publiques sur internet entraîne l’affirmation d’un pôle de mobilisation autour de la contestation des lois de régulation – loi pour la confiance en l’économie numérique, loi DADVSI, Hadopi, etc. Enracinés dans le mouvement du logiciel libre, des collectifs comme l’IRIS, l’APRIL ou plus tard la Quadrature du Net, revendiquent un positionnement plus technique et contestataire, bien que loin d’être homogène [ 23 ]. Ces évolutions favorisent le recentrage de Vecam vers d’autres espaces de mobilisations : les réseaux communautaires transnationaux ou encore les arènes onusiennes autour d’une promotion des enjeux sociaux de la société de l’information.