2. Passeurs des réseaux

« Vecam c’est vraiment une association qui fonctionne en réseau. Pour moi, ça n’est pas vraiment un collectif très structuré, ou plutôt c’est une structure en réseau ; et du coup les emprunts et les apports que peut avoir une structure comme celle-ci, c’est un peu le glanage, en tout cas c’est l’image que je donnerais ».

Michel Briand.

Au cours de l’enquête, plusieurs membres de l’association m’ont décrit la structure spécifique en utilisant ce modèle du réseau. Que signifie en pratique un tel mode d’organisation et comment positionne-t-il Vecam et ses membres dans un espace plus large de mobilisation pour l’internet citoyen ?

Tout d’abord, Vecam est loin de constituer l’unique structure d’engagement de ceux qui en ont partagé la route. La multipositionnalité des adhérents, les trajectoires des anciens salariés, l’autonomisation de certains projets – comme « Villes internet » ou « Remix the commons » – contribuent autant à l’essaimage d’un « esprit Vecam » qu’à la création de liens entre l’association et les autres lieux fréquentés par ses membres. Pour donner à voir les connexions de Vecam, on a ainsi recensé pour chacun des membres et compagnons de route les plus actifs les institutions et collectifs auxquels ils avaient participé [ 54 ]. Le graphe réalisé ci-dessous s’appuie sur une visualisation du réseau d’associations résultant de ces co-appartenances. Ainsi les liens renvoient moins à des coopérations réelles, difficiles à quantifier, qu’à des investissements croisés entre leurs membres, le plus souvent autour de projets communs.

Le réseau de Vecam
Graphe 1 – Le réseau de Vecam

Vecam, par construction, se situe ainsi au centre d’un dense réseau de structures d’engagements entre lesquels les mobilités et partenariats construisent de nombreux liens.

Pour faciliter la lecture de ce graphe, nous avons distingué sept catégories parmi les associations. Tout d’abord un ensemble de structures en vert qui comme Vecam, se rattachent à la promotion d’un internet citoyen. On y retrouve des partenaires proches, notamment les réseaux communautaires tels que Communities online au Royaume-Uni ou Communautique au Canada. Parmi les associations citoyennes, on retrouve également en violet les collectifs dédiés à la défense des libertés, du logiciel libre ou des communs, telles que la Quadrature du Net, ou SavoirsCom1. En marge des thématiques de l’internet et du numérique, on retrouve diverses associations ou think tanks en orange comme Europe 99, Vivagora ou Attac dont plusieurs membres ont participé à l’aventure Vecam, et inversement. Ces différentes associations sont également rattachées à des réseaux d’acteurs en bleu, souvent créés par Vecam pour rassembler les efforts mais aussi les personnes, telles que le GCNP, le Réseau francophone des biens communs ou encore I3C. Autour de ces associations, on retrouve également d’autres structures d’appui à l’action de Vecam. D’abord en rose, des instituts de recherche dont la présence marque l’ancrage scientifique d’une partie de Vecam, comme rappelé plus haut. En vert d’eau, des structures plus institutionnelles comme le CNNum ou la Fondation pour le Progrès de l’Homme qui a financé une partie des projets de Vecam. Enfin en gris, les revues ou projets d’édition qui ont permis la diffusion des idées développées par ou pour les réseaux d’internet citoyen.

Au-delà de ces catégories, le réseau permet également de dégager la structure plus générale d’un espace de mobilisation pour l’usage social et citoyen des technologies.

Vecam apparaît d’abord comme un pont entre des structures locales, à gauche du graphe et des projets plus globaux que l’on retrouve à droite du graphe, avec un ensemble de projets européens réunis au sein du Global Community Networks Partnership (GCNP) par exemple. Ainsi Vecam favorise autant l’internationalisation du projet d’internet citoyen que les liens entre initiatives communautaires dans différents pays. Marquée par l’expérience de la maison Grenelle, l’association a conservé, par le biais d’appartenances multiples, des liens avec d’autres structures de cet espace. Par ailleurs, différents sous-groupes et pôles se dégagent au sein du graphe. À droite, un pôle composite regroupe des structures diverses caractérisées par une action au sein ou en direction des administrations publiques. À l’opposé le groupe « Libertés et technique » composé des associations comme SavoirsCom1, la Quadrature du Net ou l’April se distingue par une stratégie plus contestataire envers les pouvoirs publics. À nouveau, Vecam constitue un lien précieux entre ces deux pôles qui dialoguent relativement peu.

Le graphe donne ainsi à voir la diversité des lieux d’engagement auxquels Vecam est rattachée. Il confirme à nouveau l’ouverture politique et militante de l’association capable de dialoguer aussi bien avec des membres d’Attac que des représentants institutionnels. Mais ce que révèle davantage ce réseau, c’est la capacité de Vecam à créer des ponts entre ces structures qui portent à la fois des enjeux divers – la défense des libertés en ligne et la démocratie locale – mais aussi des modes d’actions très différents – la contestation, le plaidoyer ou la création.

Parce que Vecam a su collaborer aussi bien avec les militants contestataires que des consultants politiques, des associations locales que des grands réseaux transnationaux, elle a ainsi contribué à structurer cet espace de mobilisation, à y faire circuler les personnes et les idées, à y impulser de nouveaux projets. Ainsi c’est sans doute un tel graphe qui donne le mieux à voir l’action originale mais aussi l’héritage de Vecam pour ce milieu : si l’on retire le « nœud » Vecam, le réseau « tient » toujours, par la dissémination des membres de cette « petite affaire » dans la grande affaire que demeure la défense d’une technologie au service de l’humain