retour au sommaire Représentations et usages d'Internet
1- Enquête sur l'usage des technologies de la communication et de l'information par les associations

Plan de l'étude


Introduction : Contexte, questions et méthode de travail

    1-- Les associations et leur équipement informatique : une satisfaction d'ensemble, un accès relativement bien maîtrisé
      1.1. Diversité de l'équipement, non corrélée à la taille ni au secteur de l'association
      1.2. La satisfaction généralement affichée tient moins aux caractéristiques techniques des machines, qu'au sentiment d'en maîtriser l'usage


    2-- La connexion à Internet : un pas supplémentaire, paraissant obligé mais difficile à faire
      2.1. "Le printemps de la connexion"
      2.2. Appréhension des néophytes, modestie des initiés
      2.3. Freins et facilitateurs de la connexion
      2.4. Des demandes de soutien, inversement proportionnelles aux réalisations

    3-- Des usages solidaires et coopératifs des nouvelles technologies par les associations
      3.1. Libre-accès et projet d'insertion : des lieux "animés" pour un usage solidaire d'Internet
      3.2. Structuration du monde associatif par l'usage coopératif d'Internet et d'Intranet : des expériences limitées et prometteuses de liens transversaux plus forts entre associations


Introduction : Contexte, questions et méthode de travail


    A/ Contexte : la demande d'un état des lieux, avant la définition d'un programme de la Fondation de France De plus en plus d'associations demandent le soutien de la Fondation de France pour des projets mettant en oeuvre des nouvelles technologies, en particulier Internet. De ce fait, il paraît utile de positionner la Fondation vis-à-vis des nouvelles technologies, de leur usage, pour préciser la place qu'elle peut y prendre, conformément à ses missions.

    Deux constats et deux principes d'action ont été posés par la Fondation de France qui serviront de "fil rouge" pour la définition d'un programme d'action, après l'examen des initiatives de terrain.
      . Deux constats :

      • 1- d'abord le fait que "la révolution technologique" - ses traductions dans le monde du travail, la dérégulation qu'elle produit - renforce le processus d'exclusion : il y a moins de travail, et l'accès au travail existant se trouve de plus en plus conditionné par la maîtrise d'outils (informatiques, de connaissance)... qu'on apprend à maîtriser surtout dans un cadre professionnel. Dans le même temps, l'outil nouveau (les nouvelles technologies de la communication) est, potentiellement, vecteur d'un projet social collectif : parce qu'il est mobilisateur (les gens s'y intéressent, ont le désir de s'en servir), et parce qu'il multiplie les connexions (accès à l'information, à d'autres personnes, etc.). Ce premier constat fait naître une question : les nouvelles technologies de la communication, outils de la dérégulation du travail, sont-elles aussi un outil pour contrarier les effets de cette dérégulation - en multipliant les liens sociaux, en renforçant l'autonomie des personnes, etc.?

      • 2- Second constat, les associations, qui paraissent les plus à même de porter un tel usage "compensateur", sont encore marginales dans la sphère des politiques publiques, et sont faiblement structurées : les institutions les soutiennent peu - l'Etat, les collectivités locales, l'Union européenne -, et leur propre organisation - l'autonomie, la dispersion - les rend peu efficaces sur le plan général. D'où ces questions, posées dans la note d'intention de la Fondation de France : quels sont les modes d'organisation utiles à l'émergence d'un usage " solidaire " des nouvelles technologies? Les associations participent-elle de ces modes? A quelles conditions peuvent-elles être les médiateurs d'un usage solidaire des nouvelles technologies?

      . Deux principes d'action posés par la Fondation de France :

      • d'abord "aider ceux qui veulent aider", c'est-à-dire soutenir les projets visant à faire accéder aux nouvelles technologies les personnes défavorisées pour qui cet accès est difficile.
      • Ensuite, "agir ensemble", c'est-à-dire relier les initiatives, faire prendre conscience de l'existence d'une communauté de sens (de signification, de direction) entre une diversité d'acteurs, soutenir les projets unissant les initiatives... puis passer d'une communauté de sens à une communauté d'action.

    Sur ces bases, la Fondation de France a confié à l'association VECAM une mission en deux volets :

    • Une enquête pour dresser un état des lieux des initiatives reliant nouvelles technologies et "insertion"
    • L'organisation d'une réflexion, sous forme de séminaire, pour préciser ce que pourrait être un programme de la Fondation.

    Trois groupes de questions ont été posées :

      1/ Quels sont les besoins en matière de nouvelles technologies ? Pour quels publics, sur quels types de projets intervenir en priorité?

      La note d'intentions communiquée par VECAM à la Fondation de France constate la diversité des besoins et fait l'hypothèse d'un soutien utile dans deux directions : les micro-projets, qui demandent le moins de moyens pour être réalisés, mais aussi certains projets plus larges, qui peuvent avoir une force d'entraînement.


      2/ Sur quels critères peut-on apprécier les projets liés aux nouvelles technologies - quels sont les "bons" projets, compte tenu des spécificités de l'outil "nouvelles technologies", et des objectifs de la Fondation de France?

      Ici, la note d'intentions avance plusieurs critères : l'innovation, la reproductibilité, l'implication d'un public défavorisé, des effets visibles à court terme, directement utiles aux publics... ces critères pouvant nous servir de grille d'analyse des projets.

      3/ Quel soutien la Fondation de France peut-elle apporter, selon quelles modalités, et avec quelles conséquences pour sa propre organisation?

      Ici, la note d'intentions, - passé le préalable de ne pas saupoudrer ses moyens, et d'ancrer le soutien sur la réalité du terrain -, est très ouverte à l'examen : est-il préférable de faire des appels à projet? des concours d'idées? de développer une compétence d'observatoire? de constituer un groupe d'experts, mis à la disposition des projets? d'agir d'abord par les têtes de réseau (ou surtout vers les micro-projets)? Pour chacune de ces options, quelles sont les conséquences matérielles pour la Fondation de France (nombre de postes, enveloppe budgétaire, répartition des moyens interne/externe)? Comment les autres institutions - Etat, collectivités locales, Union européenne, Fondations, etc.- répondent-elles à ces questions?


    B/ Présentation de l'enquête auprès des associations : deux niveaux d'investigation:

    L'enquête auprès des associations vise à dresser un état des lieux des initiatives, à connaître les usages des nouvelles technologies (par les publics " en insertion ", par les associations elles-mêmes), ainsi que les soutiens utiles apportés (ou défaillants) par les institutions.

    Nous avons interrogé les opérateurs sur quatre axes :

      1/ les matériels informatiques et connectiques : de quel équipement disposent les associations? Quelle est la satisfaction, quels sont les projets?

      2/ la décision de se connecter à Internet (pour les associations non connectées, la connaissance d'opérateurs connectés) : quand et comment a été décidée la connexion? Avec quels soutiens pratiques? Quels ont été les catalyseurs de la connexion?

      3/ les usages d'Internet (pour les associations non connectées, la perception des usages) : qui utilise Internet au sein de l'association? Pour faire quoi?

      4/ les besoins et les pistes pour le soutien aux projets : quelle est la place d'Internet dans les projets de l'association pour l'année 1998? Quel besoin serait utile à l'association?
    L'exhaustivité ou l'enquête représentative (au sens de l'échantillonnage statistique) ayant peu de chances d'être atteintes dans les délais impartis (deux mois), VECAM a conduit son enquête par deux moyens :

    • Une enquête par questionnaire, auprès d'environ 200 associations travaillant notamment dans le domaine de l'insertion (voir questionnaire et liste des associations en annexe). L'objectif est de repérer des projets, et des fréquences dans les réponses à quelques questions génériques : nature de l'équipement informatique, usage de cet équipement, idem pour Internet, perception de l'environnement institutionnel pertinent pour la réalisation de projets utilisant des nouvelles technologies, satisfaction d'ensemble vis-à-vis de ces équipements, nature des besoins et des demandes de soutien.

    • Une enquête par entretiens auprès d'une vingtaine de structures - et autant de projets. L'objectif est ici de décrire plus finement l'usage et le positionnement vis-à-vis des nouvelles technologies et en particulier d'Internet. L'entretien permet de saisir la genèse du projet, d'expliciter les intentions, les étapes de la réalisation, et de faire décrire certains usages. Cette perception concerne autant les machines, les nouvelles technologies en elles-mêmes, que l'évolution des "métiers de l'insertion" et de l'insertion eux-mêmes avec l'introduction de ces technologies. Ajoutons que, pour certaines structures, des observations ont pu être faites sur place.

    A défaut de pouvoir construire, avec une vingtaine d'expériences, un échantillon représentatif du champ des usages des nouvelles technologies par les associations travaillant dans le domaine de l'insertion, nous avons tâché de constituer un échantillon " significatif ".

    Une première typologie "significative" du champ de l'insertion aurait pu envisager trois entrées : 1/ une entrée thématique (alphabétisation, soutien scolaire, insertion économique, accès à l'emploi, santé, logement, etc.), 2/ une entrée par publics (jeunes, chômeurs longue durée, RMIstes, etc.), et 3/ une entrée par territoire (quartier, ville, bassin, région, France entière).

    A la réflexion, il est apparu qu'une telle typologie, pour être classique, soulèverait plus de problèmes qu'elle n'en résoudrait. Aussi avons-nous choisi d'explorer quatre " positions " des associations, réparties sur deux axes : un axe de la relation au public et au territoire (plus ou moins proche), un axe de la relation aux nouvelles technologies (engagement/retrait) :

    • Position 1 : des associations de proximité, travaillant à l'échelle du quartier, connaissant principalement des situations de face-à-face avec le public, et coïncidant le plus souvent avec des micro-structures (quoique certaines puissent être affiliées à des réseaux d'envergure nationale). Par exemple, les régies de quartier, les réseaux d'échange de savoirs, les centres d'accueil femmes. Cette position nous a paru intéressante pour examiner l'accès et l'usage des nouvelles technologies par les publics en insertion, mais aussi la structuration des associations qui sont en position de "porter le terrain".

    • Position 2 : des associations en position de "tête de réseau", qui ne connaissent pas principalement les situations de face-à-face avec un public en insertion, et dont le territoire d'intervention est toujours plus large que le quartier. Par exemple, les fédérations nationales - FNARS, CNLRQ, etc. Cette seconde position nous a paru intéressante pour examiner les politiques des "têtes de réseau" vis-à-vis... des nouveaux réseaux, en particulier les mesures visant l'équipement, le rôle d'Internet dans l'information, la décision, et les fonctions de "veille", de promotion des initiatives, de mutualisation des besoins communs, etc.

    • Position 3 : des associations éloignées des nouvelles technologies, qui ne disposent pas ou peu d'équipement informatique, et qui n'envisagent pas un usage d'Internet. Cette position nous a paru intéressante, pour décrypter l'éloignement aux nouvelles technologies : question de moyens? de culture? de distance professionnelle? d'absence d'expérience? autant de critère qu'on imagine combinés, et dont l'analyse doit permettre de situer des facteurs d'engagement dans le champ des nouvelles technologies. Cette troisième position donne aussi un contrepoint, notamment professionnel, aux zélateurs des nouvelles technologies.

    • Position 4 : des associations fortement impliquées dans les nouvelles technologies, soit qu'elles aient inscrit cet axe en complément de leur activité antérieure (par exemple des régies de quartier, des Centres sociaux, des pôles emploi-formation poursuivant un projet Internet), soit qu'elles se soient constituées principalement sur cet objet (des associations " cyber-quelque chose ", créées pour promouvoir le développement d'Internet). Cette position nous a paru intéressante pour l'examen des réalisations, des accélérateurs et des freins, des usages, et pour recueillir "le fruit de l'expérience" du montage de projets liés aux nouvelles technologies.
    Précisons qu'à travers ces quatre positions, nous cherchons des figures significatives de l'engagement, et non des "étapes" sur une ligne qui conduirait inéluctablement à la connexion.

 


1/ LES ASSOCIATIONS ET LEUR EQUIPEMENT INFORMATIQUE :
Une satisfaction d'ensemble, un accès relativement bien maîtrisé
    1.1. Diversité de l'équipement, non corrélée à la taille ni au secteur de l'association

    La lecture des tableaux de l'enquête par questionnaire illustre que la disparité de l'équipement informatique des associations interrogées n'est pas corrélée à leur taille. Certaines "grandes associations" (ex la Fonda) sont faiblement équipées, leurs ordinateurs ne sont pas en réseau, les logiciels utilisés paraissent peu nombreux; d'autres, de taille bien plus modeste (ex la régie de quartier Réservoir), sont bien équipées, leurs ordinateurs sont en réseau, des logiciels de mise en page sont utilisés, etc.
    Par les entretiens avec des responsables associatifs, on se rend compte de l'extrême diversité des moyens utilisés pour s'équiper en informatique... et aussi d'un phénomène qu'on retrouvera pour toute l'enquête : dans le secteur associatif de l'insertion, l'acquisition des machines n'est pas le principal problème, sauf dans deux cas : lorsqu'il s'agit de toutes petites structures, lorsque les opérateurs sont dénués de toute compétence et de toute source d'information. En effet, les opérateurs les mieux informés arrivent avec un peu de " débrouille " à " récupérer " des machines à très bas prix, voire gratuites, vendues (déjà amorties) ou données par des fabricants, ou par des entreprises locales.

      Le Centre social de Belleville s'est ainsi équipé de 7 ordinateurs... pour 3000 francs. Le directeur souligne que l'équipement informatique n'est pas véritablement un problème, qu'avec un peu de patience on trouve la solution gratuite ou très économique, et que les machines ainsi acquises remplissent parfaitement leurs fonctions, même si elles ne sont pas de la dernière génération. Le Centre social a d'abord acheté sur ses propres fonds 2 ordinateurs avec imprimante, pour 3000 francs, à une entreprise qui renouvelait sont matériel; ces deux machines ont permis d'initier l'atelier Internet, crédibilisant le projet Internet et facilitant la dévolution de 5 nouvelles machines par le réseau des Centres sociaux...

      Toujours à Paris, un atelier de graphisme, créé par un chômeur, s'est fait une spécialité de récupérer et d'installer des matériels informatiques, service qui est proposé à des prix hors marché.


    1.2. La satisfaction généralement affichée tient moins aux caractéristiques techniques des machines, qu'au sentiment d'en maîtriser l'usage

    La lecture des tableaux de l'enquête par questionnaire révèle que la satisfaction vis-à-vis de l'équipement informatique est quasi-générale.

    Un paradoxe, cependant : la satisfaction vis-à-vis de l'équipement informatique paraît peu liée au nombre et aux caractéristiques techniques des machines... dans certaines limites cependant (obsolescence des ordinateurs, insuffisance numérique évidente). Des associations avec peu de machines se déclarent satisfaites, même si "rien n'est jamais parfait"; d'autres, apparemment bien équipées, semblent moins satisfaites, et envisagent de s'équiper davantage.

    En fait, l'enquête par entretiens et certaines réponses au questionnaire indiquent que la satisfaction déclarée vis-à-vis du matériel informatique tient essentiellement au sentiment qu'on en maîtrise l'usage, et cette maîtrise en interne est assez largement diffusée. En quelques années, les associations se sont (très variablement) équipé en matériel informatique, et les responsables ont intégré cet outil devenu nécessaire à la gestion quotidienne de la structure.



    Plusieurs réponses au questionnaire illustrent cette position :

      Satisfaction vis-à-vis du matériel informatique (3 ordinateurs) car "ceux qui se servent des machines savent le faire", et "il y a peu de bêtises" (Maison de quartier, Brest) : on devine que des errements passés ont été supprimés avec l'apprentissage, qu'il y a désormais des personnes dans l'équipe sachant se servir des machines, et qu'on peut toujours compter sur elles pour débloquer des situations.

      Autre satisfaction d'une entreprise d'insertion pour un petit matériel informatique (1 ordinateur), du fait que celui-ci "suffit à faire ce qu'on lui demande" (traitement de texte, comptabilité) : cette position ("mon verre est petit mais je bois dans mon verre") illustre une certaine relation à l'informatique, où l'on est content d'en maîtriser le minimum, sans chercher plus loin, au-delà du nécessaire à son métier... qui, finalement, paraît n'avoir pas grand chose à apprendre de l'outil informatique.

      Exemple inverse confirmant le propos, l'insatisfaction de telle Maison de quartier brestoise tient visiblement à l'insuffisante maîtrise des logiciels, et non au manque de machines ou de logiciels. La réponse indique un "manque de temps", la formation à l'informatique étant interne.

    Les associations et leur équipement informatique : l'idée générale est donc bien la maîtrise de l'outil informatique de base, sauf exceptions; l'ordinateur est devenu l'outil incontournable de la gestion courante d'une association, qui n'a pas besoin d'être de la dernière génération pour suffire à cette gestion; ce qui distingue les associations, c'est en fait l'accès à l'information en matière d'équipement : une minorité d'associations savent dépenser très peu pour s'équiper (de 0 à 2-3000 francs par machine), la majorité se contentant de dépenser peu (prix du marché) pour des machines qui n'ont pas besoin d'être très performantes.

    Notons aussi que les décisions d'équipement sont décentralisées, les têtes de réseau n'ayant pas ou très peu d'incidence sur la nature et le rythme de l'équipement informatique.

2/ LA CONNEXION A INTERNET : UN PAS SUPPLEMENTAIRE, PARAISSANT OBLIGÉ MAIS DIFFICILE A FAIRE
    L'examen des motivations et des résistances face à "l'événement-connexion" met en avant une généralité, et singularise deux positions bien tranchées. La généralité, c'est que la connexion à Internet se diffuse très rapidement, depuis peu : 1998 est situé " au printemps de la connexion ". Les deux positions singulières se distinguent, quant à elles, sur l'axe de l'expérience (qui n'a pas grande relation avec celui de l'équipement informatique) : d'un côté, les néophytes, où tout paraît très compliqué, voire insurmontable; d'un autre côté, pour les initiés, l'utilité de la connexion paraît aller de soi, et les problèmes viennent alors de l'environnement (nombre trop réduit de connectés, problèmes techniques de connexion, faible soutien institutionnel à la diffusion du nouveau réseau). Cette polarité nous a conduit à interroger les néophytes plutôt sur leurs appréhensions et leurs demandes de soutien, et les initiés sur l'expérience de la connexion; précisons aussi que nous avons interrogé davantage d'initiés que de néophytes.

    Nous examinons d'abord la généralité (1) et les deux positions (2), avant de dégager certains des freins et des facteurs facilitateurs à la connexion (3).

    2.1 " Le printemps de la connexion "

    L'enquête met en avant une certaine " décrispation " vis-à-vis d'Internet, augurant, sinon un mouvement généralisé de connexion, du moins l'arrêt d'une certaine " guerre culturelle " telle qu'elle a pu être vécue ces trois dernières années. Précisons : les zélateurs de la connexion soulignent le plus souvent qu'il faudrait qu'une " révolution culturelle " se produise pour lever les réticences (centralisées, hiérarchiques) à une diffusion généralisée de l'outil nouveau; des opposants continuent d'invectiver le " virtuel ", l'accusant de n'avoir rien à apporter, de déformer la représentation du réel, etc.. Mais, de plus en plus, une voie relativement pragmatique met en avant les qualités de l'outil, son potentiel - en termes d'accès à l'information, d'échange de données, de gratuité et de rapidité.

    Sans entrer dans le détail des motivations à la connexion, signalons donc que le mouvement est à la connexion. De plus en plus, celle-ci apparaît comme un pas obligé - d'une manière un peu comparable à l'outil informatique ou au fax, il y a quelques années. L'intérêt pour Internet se diffuse à l'ensemble du champ.

    Notons, cependant, que les motifs mis en avant pour refuser la connexion peuvent varier selon la distance au terrain :

      Pour les têtes de réseau, c'est surtout le sentiment d'une insuffisante maturité (lié au manque d'organisation interne) justifie le report de la connexion.

      Pour les associations de proximité, on trouve en revanche des justifications d'ordre professionnel, de la part des néophytes.

      Des associations (non connectées) répondent qu'Internet est inutile à leur activité, notamment parce que leur travail est "relationnel"; elles sont peu nombreuses, et coïncident très souvent avec des structures faiblement équipées en informatique (à ce niveau, il y a une certaine corrélation).

      D'autres associations (non connectées) répondent qu'Internet n'est pas dans leurs priorités, indiquant parfois des éléments faisant penser que la connexion n'est pas projetée à court terme parce qu'elle paraît compliquée et coûteuse.

      D'autres associations (non connectées) répondent qu'Internet les intéresserait (voire, pour des associations connectées, qu'un site WEB les intéresserait), mais qu'elles n'en ont pas les moyens... sans qu'elles semblent connaître en fait les moyens nécessaires à la connexion.



    2.2. Appréhensions des néophytes, modestie des initiés

    • Le "monde d'Internet", "l'univers virtuel", apparaissent très complexes aux néophytes, paraissant demander de fortes compétences pour la maîtrise de l'outil informatique lui-même, voire des langages utilisés sur la Toile, voire encore des facultés pour se repérer dans l'espace virtuel. De fait, le premier abord d'Internet n'est pas simple, et les expériences réussies sont toutes liées à l'engagement d'individus connaissant déjà l'outil - qui ont su montrer que cet outil n'était pas si compliqué que cela.


    Il est intéressant de pousser les entretiens avec les néophytes en leur faisant exprimer leurs appréhensions sur l'espace virtuel. On s'aperçoit alors qu'il existe bien une "résistance méthodologique", qui tend à "refuser avant de connaître", et qui s'accompagne souvent d'une appréhension engageant toute l'identité professionnelle, ou la position dans la société. Beaucoup de stéréotypes circulent : Internet pour les privilégiés, qui n'a jamais permis de trouver un emploi, qui détache de la réalité, qui n'est pas relationnel, qui ne sert qu'à dériver ou à se débaucher, etc. En fait, la plupart du temps, c'est plutôt une déclaration d'incompétence face à la machine : on ne s'assoit pas à la table dont on ne connaît rien du menu, et l'on préfère continuer son chemin avec des méthodes éprouvées.

    • A un autre pôle, celui des expériences déjà réalisées, on constate le caractère essentiel de l'engagement d'un individu déjà initié, qui a su prendre sur lui de démontrer la facilité d'accès au réseau. Tel responsable de régie de quartier (Réservoir, Nevers) était déjà connecté et utilisait déjà régulièrement le WEB quand il a initié le projet d'ouvrir des lieux multimédia dans deux quartiers difficiles. Idem pour le Centre social de Belleville. Les personnes "déclencheurs" ne sont pas toujours, loin s'en faut, les responsables de structures, mais bien souvent des membres de l'association, ou tel salarié, ou encore très fréquemment tel stagiaire, tel jeune sous contrat précaire.



    2.3. Freins et facilitateurs de la connexion

    Tout en gardant à l'esprit les deux points précédents, nous voulons isoler certains des freins et des facteurs facilitateurs dans les expériences analysées.

      a/ Deux freins méritent qu'on s'y attarde :

      • Méconnaissance de l'outil et configuration institutionnelle peuvent se combiner pour rendre difficile la connexion.


      Dans plusieurs cas, une certaine résistance des hiérarchies institutionnelles est présentée comme une source de difficultés - qu'il s'agisse de projets réalisés ou non. Dans ces cas, les hiérarchies sont présentées comme éloignées des réalisations qui peuvent se faire avec Internet... selon le schéma assez classique de "l'éloignement au terrain". En fait, les hiérarchies sont, soit dans une position de "promoteur" des nouvelles technologies, ce qui semble assez rare, soit dans une position de résistance : ce n'est pas une priorité, parce qu'Internet n'est qu'un outil, qui paraît très coûteux et dont on ne perçoit pas l'utilité directe dans le contexte professionnel.

      L'enquête auprès des structures en position de tête de réseau confirme les difficultés de certaines hiérarchies à promouvoir la connexion. Ces difficultés sont, cette fois-ci, " culturelles ", liées au rapport au pouvoir. Sur le fond, il faut que la tête de réseau soit suffisamment assurée de son réseau, pour encourager la connexion; le réseau technique d'Internet sera plus facilement accepté qu'il vient servir un réseau humain préexistant.

        La FNARS illustre parfaitement ce point : alors que la Fédération nationale est tout à fait une " cible " pour Internet, la connexion c'est pas vécue comme une priorité, du fait du manque d'organisation au siège : à quoi servirait un réseau dernier cri, si les éléments qui le composent ne se connaissent pas - en particulier si la tête n'entretient pas, au préalable, des relations suivies avec les structures locales?

        Le CNLRQ confirme ce point, par un exemple inverse : c'est parce que le Comité de liaison est suffisamment conforté dans sa mission d'animation de structures autonomes, que l'utilité d'Internet apparaît clairement. LE CNLRQ, comme tête de réseau, n'est pas en position hiérarchique, mais bien en position d'animation de réseau. C'est pourquoi le Comité national est très favorable aussi au développement des liens entre régies de quartier elles-mêmes.


      • La connexion à Internet oblige les structures à s'interroger sur leur environnement physique et social.


      Formulé comme tel, on ne voit pas où est le frein. Pourtant, c'est bien la nature ouverte d'Internet qui pose un problème aux institutions, et ce, jusqu'aux associations. La comparaison avec l'outil informatique est utile : si l'ordinateur est très généralement perçu comme un outil intérieur des structures (on s'en sert pour la gestion, plus occasionnellement le met-on à disposition des habitants pour les aider dans leurs démarches), la connexion à Internet, et plus encore le site WEB, conduisent à poser le problème de l'ouverture des structures sur leur environnement. Le problème est généralement posé dans une double dimension : 1/ le contenu -> sur quoi s'informe-t-on et informe-t-on via le Net? que met-on sur le WEB?, et 2/ l'accès, la mise à disposition du matériel : dans quelle mesure doit-on mettre à disposition cette ressource rare et riche?

      Ces interrogations prennent un sens différents selon la proximité au terrain : si, pour les têtes de réseau, Internet oblige à s'interroger sur l'organisation du réseau (en particulier, e partage des information et du pouvoir), pour les associations de proximité, c'est la relation au quartier qui est en jeu.



      b/ Parmi les facilitateurs à la connexion, signalons :

      • L'engagement préalable de membres de l'association. La quasi-totalité des expériences analysées sont parties d'un engagement personnel d'un membre de l'association, qui a montré aux autres que la connexion n'était pas complexe, et que le réseau avant des avantages. Les opérateurs soulignent très généralement qu'il faut montrer Internet pour dépassionner le débat, et désinhiber les personnes, et qu'il est très utile de "vulgariser" les nouvelles technologies, qui sont, malgré les apparences, d'un accès facile.
      • L'encouragement financier, en particulier pour l'équipement initial. Matériellement, la plupart des expériences dont nous avons eu connaissance sont parties d'un premier investissement sur des fonds propres, par autofinancement. Cette volonté de faire, qui l'a emporté, ne doit pas faire perdre de vue que certaines associations butent sur la question de l'investissement initial, incluant les machines mais aussi la formation de base.


    2.4/ Des demandes de soutien inversement proportionnelles aux réalisations.

    Nous exagérons un peu le trait pour se faire comprendre : la méconnaissance d'Internet, faisant croire au caractère très compliqué et très coûteux de la connexion et de l'usage, conduit à formuler des besoins très importants - les néophytes demandent tout à la fois des matériels, de la formation, de la maintenance, des postes de fonctionnement, d'informaticiens. Inversement, ceux qui ont monté un projet insistent sur le faible investissement initial, et, en fait, sur le caractère incontournable de la "débrouille", du tâtonnement, de la pratique. L'apprentissage d'Internet fonctionnerait comme celui d'une danse : il n'est pas nécessaire de prendre beaucoup de cours, avant de pratiquer, mais il faut pratiquer au plus vite, pour s'enrichir des cours.

    Dans les propos des responsables d'associations non connectées, sauf désintérêt affiché pour la connexion, on trouve donc surtout une gêne, du fait de la méconnaissance : la connexion coûtera-t-elle cher ? Faut-il renouveler le matériel informatique? Faut-il maîtriser très bien des logiciels nouveaux? Faudra-t-il former toute l'équipe, régulièrement?... autant de questions auxquelles les néophytes s'effraient de répondre positivement.

    Les initiés ont tendance, pour leur part, à mieux cibler leurs demandes de soutien, tout en connaissant le faible engagement des institutions. Trois types de demandes se présentent, dont nous verrons plus bas les contenus :

    • une demande d'aide à l'équipement, certes, mais ciblée sur des éléments peu négociables par les associations, en particulier les serveurs locaux (un responsable associatif lance le mot d'ordre : "offrez-nous un serveur local, nous vous offrons un contenu d'utilité publique").

    • une demande "d'événementiel" (type Fête de l'Internet), et plus généralement d'une politique plus large de promotion d'Internet. Les "événements" permettent en effet de mobiliser, et de montrer en pratique l'utilité de la Toile.

    • une demande de soutien au fonctionnement des projets, par la mutualisation de fonctions telles que les postes techniques d'informaticien-réseau, et ceux de "médiateur".