Par son travail d'observation et de capitalisation
d'expériences, Vecam a pu dresser une première typologie
des étapes d'appropriation de l'internet et plus largement
des NTIC par les villes. L'enquête a permis de tirer certains
enseignements tant sur l'importance d'un choix politique municipal,
sur l'existence de freins culturels et structurels que sur le développement
spécifique et inégal des projets.
Typologie
Etape 1 : la création d'un site internet
de la ville
Le plus souvent pour répondre à une
image de modernité, la ville va utiliser le réseau
comme outil de communication, soit pour valoriser le travail de
l'équipe municipale et du maire en particulier, soit pour
promouvoir la ville en général et très souvent,
son potentiel touristique ou économique.
Etape 2 : l'accès à l'internet
et l'offre de services
La deuxième étape consiste pour les
villes à " faire descendre internet dans la rue " ;
la ville va financer et multiplier les points d'accès publics
en particulier dans les lieux publics : bibliothèques,
mairies, centres culturels, écoles - et fournir une offre
de services tant pratiques qu'administratifs. C'est également
à ce stade que sont développés des intranets
au sein de l'administration communale.
Etape 3 : évaluation et définition
d'une politique
La ville procède à des évaluations
ou des enquêtes sur les usages des infrastructures et services
proposés et constate trop souvent une sous-utilisation des
postes connectés ou des bornes d'information et de services.
Elle peut alors entreprendre une démarche active pour identifier
les attentes de la population et les besoins non satisfaits.
A ce stade, deux orientations semblent le plus
souvent être prises :
Soit une orientation sectorielle de la politique
municipale dans l'usage de ces technologies au service de l'emploi,
des scolaires ou des entreprises ;
Soit une démarche beaucoup plus globale
d'implication des habitants dans l'appropriation de ces technologies
par la collectivité.
On peut imaginer une quatrième étape :
celle d'un réel débat politique au sein de la ville
entre pouvoir local et habitants donnant naissance à une nouvelle
organisation et pratique du pouvoir local. Aucune des villes observées
et, à notre connaissance, aucune ville française n'a
atteint la quatrième étape. Ce qui s'explique principalement,
non par l'absence de volonté politique ou citoyenne, mais par
le caractère encore trop récent de l'appropriation des
ntic par les villes françaises et ses habitants. Si la réelle
maîtrise d'un nouvel outil de communication nécessite
plusieurs mois, la transformation de nos pratiques politiques et de
l'exercice même du pouvoir s'étalera sur plusieurs générations.
1 Le reflet d'un choix politique municipal
1a / La nécessité d'une volonté
politique
Dans tous les cas, seule la volonté politique
a permis de mener à bien le développement des ntic
dans les villes même si les initiateurs des différents
projets ne sont pas nécessairement des élus. Ainsi,
outre Amiens, Strasbourg et Hérouville, villes où
le maire a été déterminant dans la mise en
place d'un site, de points d'accès, etc., l'impulsion peut
émaner d'un adjoint au maire (Brest), d'un attaché
territorial chargé de la culture (Faches-Thumesnil) ou même
d'un prestataire extérieur (Les Andelys). Mais, sans vote
de budget spécifique entériné par le conseil
municipal, et sans partenaires extérieurs à la ville
(Etat, Régions, Département) aucun des projets n'auraient
vu le jour. A noter, cependant, que tous les interlocuteurs ont
mis en avant leur conviction de l'aspect incontournable du développement
des ntic dans leur ville. La motivation et la conviction des maîtres
d'ouvrage est complémentaire de la volonté politique
des élus.
1b / la multiplicité des approches
Concernant les cinq villes " pionnières "
inscrites dans notre premier groupe d'étude, les objectifs
prioritaires sont très divers : Strasbourg insiste sur l'accès
à internet et son utilisation notamment dans la création
de contenu ; Brest et Faches-Thumesnil mettent en avant la réflexion
et le dialogue ; Amiens a développé, à travers
son site, le dialogue en direct entre habitants et élus.
Enfin, Hérouville développe la mise en ligne des activités
des associations de la ville.
Malgré une prise de conscience récente
- les actions décrites ont entre trois et un an - les ntic
sont considérées comme partie prenante de la politique
municipale même si la concrétisation de cette politique
prend des formes différentes. Ainsi, à Amiens et Hérouville,
c'est l'image de marque de la ville qui est mis en exergue ; à
Strasbourg, les ntic sont considérées comme l'un des
outils d'action en faveur des jeunes des quartiers populaires aussi
bien dans le développement des accès à internet
que sur le plan de la création d'emplois ; à Brest
ou à Montreuil, les nouvelles technologies sont employées
comme un outil de dialogue rendant possible une meilleure communication
entre la municipalité et les habitants ; à Colmar,
Faches-Thumesnil ou Joinville-le-Pont, les ntic sont mises au service
de la vie économique en direction des chefs d'entreprises
désireux de s'installer dans les villes concernées
et des demandeurs d'emplois. Enfin, tous nos interlocuteurs ont,
dans leurs discours, mis l'accent sur la nécessaire démocratisation
de l'accès à internet : c'est l'enjeu social des ntic
qui est alors mis en avant.
1c / La diversité des publics ciblés
A Caen ou Hérouville, ce sont les habitants
dans leur ensemble qui sont ciblés. A Strasbourg, ce sont
les jeunes des quartiers populaires. A Schiltigheim, le développement
des ntic s'inscrit dans une volonté de dialogue permanent
entre élus et jeunes de la ville. A Amiens, l'accent est
également mis sur les enfants, considérés comme
de bons vecteurs pour intéresser les adultes au ntic. A Brest
et Joinville-le-Pont, les demandeurs d'emploi constituent une cible
prioritaire. Enfin, à Colmar et Les Andelys, ce sont les
chefs d'entreprise. Pour faire passer le message au sein de la population,
les villes utilisent le journal municipal, des campagnes de communication
dans les lieux d'accès, sur le site internet, par voie d'affiche
ou, encore, à l'occasion de manifestations ponctuelles (Fête
de l'internet, Net days, etc.). Dans certains cas (à Hérouville
notamment), le milieu associatif se fait le relais auprès
des habitants de la politique municipale. L'importance des relais
d'informations (acteurs locaux, travailleurs sociaux, animateurs,
etc.) est donc avérée même si le bouche à
oreille semble également bien fonctionner.
2 L'existence de freins culturels et structurels
2a / La réticence des élus
Tous nos interlocuteurs ont constaté une
certaine réticence de la plupart des élus à
s'intéresser et surtout à utiliser les ntic. Le poids
des habitudes, le manque de formation ou de perception de l'intérêt
pour la ville à développer leur usage peuvent expliquer
cette attitude. Dans certains cas (Amiens ou Strasbourg) les élus
n'ont pas de messagerie à disposition alors que la plupart
des agents municipaux commencent à utiliser ce nouveau mode
de communication. Cette réticence est considéré
comme un frein important par l'ensemble des interrogés.
2b / Un processus lent et empirique
Même dans les villes les plus en pointe en
matière de développement des ntic, nous constatons
un décalage entre le discours et la pratique : il semble
que la définition des priorités (le public ciblé,
le mode d'utilisation des ntic, etc.) freine le développement
"tout azimut" des ntic.
Les cadres traditionnels de la décision
politique et l'organisation des services municipaux, les règles
des marchés et de la comptabilité publique rendent
les procédures longues et sont difficilement compatibles
avec la nécessaire réactivité, adaptabilité
et souplesse du réseau internet qui évolue en permanence
tant sur l'aspect technique que dans les usages.
Le processus est échelonné, hiérarchisé
mais également souvent très empirique : à Brest
et à Strasbourg par exemple, le développement (ou
l'abandon) de certaines pratiques ne se décident qu'après
un constat effectif d'un certain type de demandes, de besoins ou
de l'absence de besoins. En revanche, à Amiens, cette demande
est anticipée : la municipalité ne se préoccupe
pas de vérifier auprès de la population si ses choix
correspondent à une attente réelle. Par ailleurs,
certaines villes comme Colmar qui ont été très
en avance dans l'installation du câble et la mise en place
d'un intranet reliant les collectivités locales et territoriales
de la région, n'ont pas encore de site ni d'accès
publics à internet. A l'inverse, à Strasbourg, la
ville multiplie les points d'accès mais une certaine lenteur
dans le processus d'appropriation des ntic dans le travail quotidien
des agents municipaux est constatée.
3• Des orientations spécifiques et des
réalisations inégales
3a / Les points d'accès à
internet
Si l'on en juge par leur nombre, les trois villes
les plus en pointe en matière de points d'accès sont
Brest, Strasbourg et Amiens qui ont toutes trois mis en place des
lieux d'accès spécifiques (PAPI, cybercentre, espaces
multimédia) et engagé des emplois-jeunes pour les
animer. Leur accès est gratuit ou payant selon les cas. Il
est intéressant de noter que les villes ont mis en place
ces structures de façon autonome le plus souvent sans l'aide
d'opérateurs de télécommunications notamment.
Si l'on en juge par le ratio nombre d'espaces multimédia
par habitants ce sont les petites villes de Faches-Thumesnil et
d'Hérouville qui offrent le service le plus intéressant
puisqu'elles proposent un lieu d'accueil pour 4000 habitants. Ce
ratio est de 1 pour 7300 à Strasbourg, 1 pour 7000 à
Amiens et 1 pour 8500 à Brest. Le ratio nombre d'ordinateurs
connectés par habitants est également intéressant
(cf. tableau comparatif ci-après). A noter que la majorité
des villes mettent en place des accès dans les lieux publics
(bibliothèques, missions locales, médiathèques,
etc) et souhaitent développer ces pratiques. Le choix des
lieux est souvent fonction du public ciblé (mission locale
pour les demandeurs d'emploi, maisons des association pour les associations,
etc.). A noter que les écoles font l'objet d'une attention
particulière : la plupart sont équipées ou
sur le point de l'être en matériel informatique et
connectées à internet. A Hérouville, c'est
une mise en réseau de toutes les écoles de la ville
qui est préconisée.
3b / Les sites internet : élément
majeur dans le développement des ntic
Sur les 11 villes observées, 9 disposent
d'un site internet. Leur mise en place est relativement récente.
Par ailleurs, toutes ne disposent pas d'un site municipal : à
Brest, il s'agit d'un site "patchwork" qui abrite des mini-sites
sur la ville : sur les évènements locaux ou encore
sur le groupe de travail nouvelles technologies et citoyenneté
; aux Andelys, il s'agit d'un site départemental. Les deux
villes (Colmar et Schiltigheim) qui ne disposent d'aucun site prévoient
son ouverture avant la fin de l'année. Si la plupart des
sites ont d'abord été des sites vitrines, ils évoluent
tous vers des sites à vocation pratique car tel semble être
le souhait des habitants. Outre des informations sur les services
municipaux, certaines villes proposent de télécharger
des fiches d'état civil et prévoient de mettre en
place un système de pré-paiement de places de spectacles,
de tickets de cantine scolaire, etc. A Faches-Thumesnil, l'objectif
affiché est de mettre en place un système de "Mairie
à domicile" via le site. A Hérouville, l'aspect pratique
du site se développe surtout en direction des associations
qui peuvent présenter leurs activités sur des sites
reliés au site municipal par des liens hypertexte. Dans la
plupart des cas, la vocation des sites municipaux semble s'orienter
vers le développement d'un site portail : porte d'entrée
des différents sites concernant la ville (musée, communauté
urbaine, associations, etc.). En général, les mises
à jour du site (quotidiennes ou hebdomadaires) sont confiées
à un webmaster.
3c / Les infrastructures réseaux
Toutes les villes étudiées ont opté
pour le câble : situation préalable à leurs
yeux au développement de l'usage des ntic dans la ville en
direction des habitants ou des agents municipaux. Deux raisons à
cela : d'une part, le coût des connexions est beaucoup plus
faible (200 Frs par mois environ pour une connexion illimitée)
sans frais de communications téléphoniques supplémentaires
et, d'autre part, un débit beaucoup plus rapide. Le système
Numéris qui propose également un débit important
est peu adopté par les villes à l'exception de Strasbourg
qui l'a installé dans ses cybercentres en parallèle
au câble. A noter que le câble est préconisé
en raison également de la possibilité qu'il offre
d'ouvrir une chaîne de télévision locale diffusant
des informations de proximité. La plupart des villes étudiées
développent ce mode de communication. Certaines s'orientent
même vers une retransmission des programmes de la chaîne
locale sur internet. Le développement de la télévision
numérique intégrant l'accès à internet
sera une évolution majeure dans les années à
venir et doit être totalement intégré dans une
politique d'appropriation des ntic par les habitants.
Enfin, les logiques de marché qui peuvent
orienter les choix municipaux en matière d'infrastructures
réseaux ne doivent pas être sous estimées. Elles
peuvent s'avérer contraire à une politique publique
qui entend favoriser l'accès aux réseaux pour des
publics non solvables.
3d / L'intranet, un moyen de sensibiliser
les agents municipaux
La mise en place d'un intranet (système
existant dans la plupart des villes étudiées ou en
projet) semble le moyen le plus simple pour sensibiliser les agents
à ces pratiques. Même si le processus est lent notamment
quand l'utilisation s'apprend "sur le tas", il semble peu à
peu rentrer dans les moeurs. Ses différentes utilisations
sont la messagerie, le partage de fichiers, l'accès rapide
à l'ensemble des documents présents sur le serveur,
un annuaire des agents municipaux, etc. Une session de formation
des agents municipaux a été organisée à
Brest et Hérouville ; elle est en projet à Amiens.
3e / Le dialogue mairie/habitants en ligne
A Strasbourg, Brest et Faches-Thumesnil, les habitants
peuvent poser des questions aux agents municipaux par mail : celles-ci
ne sont pas toujours traitées. Quand elles le sont, le temps
de réponse est parfois très lent. Des dialogues en
direct (chats) et des forums de discussion ont parfois été
mis en place, soit de façon permanente (Brest, Amiens) soit
à l'occasion de manifestations particulières (Assises
de la citoyenneté à Montreuil ; forum de la démocratie
à Strasbourg ; fête de l'internet à Faches-Thumesnil)
ou d'évènements majeurs pour la vie municipale (vote
du projet d'agglomération à Strasbourg). Selon nos
interlocuteurs, ces forums ne semblent pas, pour l'instant, remporter
un grand succès. Cependant, pour certains (Faches-Thumesnil
notamment), le manque de recul par rapport à l'instauration
de ces pratiques rend l'évaluation difficile. D'autres (Strasbourg
notamment) jugent que ce manque de succès est une indication
quant à la politique à mener en matière des
ntic : privilégier une culture de la participation avant
d'y intégrer comme une priorité le processus de développement
des ntic. A noter, enfin, qu'Amiens est la ville qui a le plus développé
le dialogue élus/habitants ou plus exactement maire/habitants
: la participation des habitants passe par une relation très
personnelle avec le maire.
3f / Evaluation et débats publics
Outre le dialogue en ligne, les réunions
publiques où les habitants, les agents, les acteurs locaux,
etc. peuvent débattre de la vie municipale en général
et des ntic en particulier ne sont pas négligées :
c'est notamment le cas à Strasbourg, Montreuil, Hérouville,
Brest et Faches-Thumesnil qui a organisé des ateliers de
réflexion avec les habitants avant de mettre en place sa
politique de développement des ntic. Cela permet parfois
de mesurer la demande ou les besoins des habitants et, parfois,
de les prendre en compte dans l'orientation de la politique municipale
à l'égard des ntic. Il en va de même pour les
enquêtes réalisées auprès des utilisateurs
des points d'accès notamment : Brest et Faches-Thumesnil
sont particulièrement en pointe dans ce domaine. Cependant,
d'une façon générale, la plupart des interlocuteurs
jugent la mise en place du dispositif trop récente pour pouvoir
procéder à une évaluation intéressante.
TABLEAU RÉCAPITULATIF DES CINQ VILLES PIONNIÈRES
*
|
|
Strasbourg
|
Amiens
|
Hérouville
Saint Clair
|
Faches-Thumesnil
|
Brest
|
Population
|
|
263 000
|
140 000
|
24 000
|
16 000
|
153 000
|
|
Nbre d'espaces multimédia
Espaces /hab
|
36
1/7300
|
20
1/7000
|
6
1/4000
|
12
1/1300
|
18
1/8500
|
Moyens techniques
|
Câble
|
oui
|
oui
|
oui
|
oui
|
oui
|
Nbre de postes
|
|
en accès libre
Postes/hab
|
100
1/2630
|
300
1/467
|
10
1/2400
|
28
1/571
|
22
1/6955
|
Site internet
|
Date de création
|
mars 96
|
1997
|
octobre 98
|
mars 99
|
nov-97
|
|
Nbre de connexions
|
900/jour
|
7500/mois
|
NC
|
100/jour
|
2800/mois
|
Intranet municipal
|
|
ethernet
|
oui
|
oui
|
en projet
|
en projet
|
|
Municipal
|
2,3 milliards
|
1,2 milliards
|
218 MF
|
1,1 MF
|
1,3 milliards F
|
Budget
|
Multimédia
|
2 MF/an
|
4,5 MF
|
NC
|
560 KF
|
400 KF
|
|
Site internet
|
130 KF
|
NC
|
300 KF
|
25 KF
|
NC
|
Nombre d'emplois créés
|
|
45 emplois-jeunes
|
40 emplois jeunes |
1 emploi-jeune
|
5 emplois-jeunes
|
22 emplois-jeunes
|
*ces données, parfois approximatives, nous
ont été communiquées par nos interlocuteurs et
doivent être appréciées avec la prudence qui s'impose.
|