Préparer l'entrée de la France dans la société de l'inform@tion
 

Notes et commentaires sur le programme d'action gouvernemental
Synthèse des débats au sein de VECAM  


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Rapporteur : Alain His

Fondation Charles Leopold MAYER

pour le progrès de l'homme - FPH

http://sente.epfl.ch/

Préambule


VECAM - Veille Européenne et Citoyenne sur les Autoroutes de l'information et le Multimédia - est une association loi 1901. S'appuyant sur un large réseau international d'échange d'expériences sur les utilisations citoyennes des technologies de la communication et sur un conseil scientifique de forte notoriété, VECAM mobilise toutes ses ressources pour faciliter l'appropriation sociale de ces technologies par la compréhension des enjeux qui y sont liés et par la maîtrise de leurs usages.

Cette note est la synthèse du débat ouvert en son sein sur le rapport gouvernemental "préparer l'entrée de la France dans la société de l'Information". Son ambition est d'apporter une contribution à ce débat national. Par conséquent elle n'est pas une critique du rapport lui-même. Elle s'en tient surtout aux questions relevant du centre d'intérêt privilégié qui est le nôtre, l'appropriation sociale et personnelle des technologies du traitement de l'information, du multimédia et des communications, au profit de la construction d'une société solidaire et responsable, et du développement d'une citoyenneté participative.


L'intérêt du rapport. "Construire une société de l'information solidaire." C'est avec ce titre prometteur que le rapport introduit le sujet : "un enjeu décisif pour l'avenir... la technologie au service de la société, ... ouverture au débat public." Des idées qui progressent.


Six chantiers prioritaires ont été retenus par les auteurs du rapport.

1. Les NTIC offrent d'heureuses perspectives pour tout ce qui concerne le chantier des enseignements et de la recherche. La dimension européenne et francophone du projet de réseau «EDUCNET» mérite un certain développement. Les réseaux de communication permettent de mettre en oeuvre des politiques de coopération et d'échanges ambitieux en développant, en profitant des apports des NTIC, ceux existant et qui portent déjà des fruits. Par ailleurs tout ce qui touche à la diffusion des ressources nous parait de première importance. Il n'est cependant pas sur qu'une politique de location de matériels soit bien à recommander vus les prix pratiqués sur ce marché.

2. On apprécie les ambitions du chantier sur la politique culturelle. En particulier les perspectives offertes par la numérisation des patrimoines culturels et leur diffusion sont prometteuses. Sensibiliser le public, tous les publics et particulièrement les plus démunis et les minorités culturelles, à ces nouveaux moyens d'expression et d'accès à la culture est une tache prioritaire qui doit trouver à l'école son point d'ancrage. Ce chapitre est celui qui nous apparaît le plus dynamique et chargé de contenu. En particulier les ouvertures transdisciplinaires de recherche sur l'art, la science et la technologie ainsi que les projets francophones, dans le respect des diversités culturelles et linguistiques (au terme de « Mel » pour la messagerie électronique, on préférera sans doute le terme québécois "adel" ou adresse électronique). On pourrait étendre à ce chantier le projet d'édition des "littératures grises" que sont les thèses de l'université dont on commence à percevoir la richesse.

3. Le chantier de modernisation des services. Développer une politique d'équipement des services en relation avec le public est une tache prioritaire qui s'accompagne obligatoirement par la mise en place d'hommes et de femmes pour la formation du public, médiateurs indispensables entre ces systèmes et les machines. Ainsi est-il de première nécessité de former le personnel de l'état, l'appropriation étant le meilleur vecteur de l'expansion intelligente. Il sera de première importance de prendre soin de développer des systèmes à l'ergonomie simple et attrayante.

4. NTIC et entreprises. Le commerce électronique y tient une large place, rapport Lorentz oblige. On apprécie l'humour de la litote : "La fragmentation des discussions internationales sur le commerce électronique s'explique par la multiplicité des domaines concernés". Il nous semble, cependant, que ce chantier devrait montrer une dynamique dans la durée et s'inscrire dans le phénomène d'informatisation de la vie économique mondiale dont l'origine est plus que trentenaire.

Il importe, en outre aux citoyens et contribuables qu'une totale transparence soit donnée aux accords et engagements passés les grandes entreprises (Lotus, France-Télécom, Bull etc ...) et les puissances publiques.

5. Innovation industrielle et technologique. Ce chantier est ambitieux mais trop franco-français c'est à dire probablement inefficace dans sa dimension. La taille de l'enjeu dépasse largement les possibilités française. A notre sens la totalité du chantier doit s'inscrire dans un contexte européen.

6. Le chantier du domaine réglementaire. Il a le souci tout à la fois de prôner une autorégulation sans s'en cacher les limites et les difficultés de mise en oeuvre, et de proposer des solutions pour régler les importants problèmes qui se posent sur les plans juridiques, de protection sociale etc. .

Les remarques et suggestions

Le pragmatisme

Manifestement les auteurs du rapport se sont fait une obligation de pragmatisme dans leurs propositions. Cela donne au rapport un sens du réel qui provoque l'adhésion. Mais dans le même temps on sort de cette lecture avec une impression besogneuse. En schématisant cela fait un peu catalogue de mesures et d'actions où tout le monde doit trouver son bonheur. Il y manque sans doute un souffle, une vision, une dynamique stratégique.

 

Les limites du libéralisme à tout va

On constate curieusement de la part d'un gouvernement qui appartient à une dynamique politique "de gauche", la confiance totale qui est faite à l'industrie privée pour investir dans les NTIC et apporter une réponse aux besoins non exprimés des utilisateurs. C'est ce qu'on appelle "les forces du marché". Notons que les dites forces, souvent source de dynamisme créatif et innovant, ont parfois été des tueuses d'innovations. Il est certain que l'on ne peut faire confiance aux "seuls mécanismes du marché pour nous faire rentrer dans l'ère de l'information" au profit de tous les besoins sociétaux, y compris ceux des minorités.

 

Service universel et société duale

Garantir l'accès à tous les membres de nos sociétés aux «autoroutes de l'information» est une nécessité pour leur durabilité. C'est devenu une évidence. Ce principe n'implique pas seulement des obligations de service universel aux opérateurs de télécommunication. Il implique aussi que les systèmes offerts à tous soient utilisables par tous. Une obligation de simplicité et de qualité de ces systèmes en découle.

 

Investir dans l'avancée des techniques

Tous les industriels, les ingénieurs et les technologues le savent bien : toutes les technologies nécessaires sont là. Rien de fondamental ne reste à inventer pour rendre les NTIC abordables à tous - indépendamment des questions de prix. Ce que le rapport ne souligne pas, ce sont les insuffisances techniques d'Internet et de ses logiciels associés. Ces insuffisances rendent les applications des NTIC difficiles, peu agréables et de faible qualité, avec une mauvaise fiabilité. Ces caractéristiques rendent l'accès aux NTIC élitistes et par conséquent creusent l'écart entre ceux qui y accèdent et «les autres».

· Le protocole TCP/IP est, tous les gens des communications le savent, insuffisant et même inadéquat pour répondre aux ambitions des «autoroutes de l'information». Le protocole ATM ( Asynchroneous Tranfert Mode. Il s'agit d'un protocole de communication, dont les études initiales ont été menées par ne CNET. Il avait pour ambition de remplacer le protocole TCP/IP), dont les objectifs initiaux étaient de combler certaines lacunes, n'embrasse pas la totalité du problème. Faire coexister plusieurs protocoles sur les mêmes supports physiques, comme pis aller, limite très sérieusement les potentialités d'usage des NTIC. Il y a là un domaine nécessaire d'investissement à renforcer.

· L'interactivité sur la maquette de réseau des «autoroutes de l'information» qu'est Internet est de très mauvaise qualité. Tous les ergonomes le savent, mais aussi tous les utilisateurs d'Internet, pour qu'un système, et tout particulièrement un système informatique soit adapté à l'esprit humain qui est assez vif, les temps de réponse doivent être inférieurs au quart de seconde. On en est loin et même très loin. Les réseaux saturent, les «commutateurs» manquent de puissance. Quelle politique industrielle mettre en oeuvre afin de rendre l'interactivité des réseaux aptes à l'emploi ? Voilà une ambition raisonnable et nécessaire pour assurer le passage du royaume des idées à la démocratie de l'usage.

· Les outils mis à la disposition des utilisateurs et mis en oeuvre sur Internet sont informatiques. Vive l'informatique sans informaticiens. Les Ordinateurs Personnels et leurs logiciels associés, en particulier les systèmes d'exploitation et les logiciels de réseaux sont de mauvaise qualité. Peu fiables, ils nécessitent en outre des connaissances techniques inacceptables si l'on veut faire des NTIC des outils grands public. La question est alors la mise en oeuvre publique d'une politique réaliste mondiale, à défaut européenne, de contrôle et d'obligations industrielles. En France, le service des mines interdit la mise sur le marché de véhicules peu fiables et insuffisamment ergonomiques et donc impropres au transport des personnes et des biens. Un tel service existe dans tous les pays. Assurer une dynamique mondiale sur un tel thème, comme sur d'autres évoqués dans cette note, est une responsabilité de politique publique. Les fameuses «lois du marché» se sont montrées incapables de maîtriser ce problème, bien au contraire vu la concentration industrielle constatée. Aucun indice ne laisse penser que cela va changer à moyen terme.

Pour une appropriation sociale des technologies

Tel qu'il est le rapport, malgré sa pertinence et sa détermination à s'ancrer dans le réel, ne provoque pas l'enthousiasme. Destiné au débat public et à une large diffusion, il y manque le souffle qui provoque adhésion et pousse à l'action. La dimension stratégique qui inscrit le plan dans la durée ne nous est pas parue convaincante. Il faut que se manifeste une forte volonté publique nationale de faire progresser « l'entrée de la France dans la société de l'information » avec une implication européenne là où elle est indispensable et pour une appropriation sociale réelle.

Le pragmatisme dont s'inspire le rapport dans sa rédaction actuelle doit aussi s'étendre à la prise de conscience des limites du monde industriel dont les objectifs sont, par destination, le profit, le développement et la pérennité. Et là s'arrête sa mission.

Il est indispensable que la puissance publique s'engage là où s'arrêtent les responsabilités industrielles. La société dans sa généralité doit pouvoir s'approprier ces technologies avec la perspective d'un développement durable par une coopération internationale avec le monde développé et celui en développement. Là, un chantier spécifique mérite d'être ouvert pour une appropriation sociale des technologies. Ses chapitres devront s'intéresser par priorité et sans exclusive aux thèmes suivants :

· Apports des NTIC pour dynamiser le monde associatif et le rendre plus efficace. (45 % de la population française de plus de 15 ans appartient à une association)

. Ce monde qui appartient à l'économie sociale touche une frange très importante de la population et brasse une économie très importante. Il est un ciment du lien social là où le travail salarié s'éloigne. Il représente une «courroie de transmission» et un levier d'une grande efficacité.

· Le renouveau de la démocratie, en particulier au sein des collectivités locales, mérite toutes les attentions. Toutes les expériences actuelles, montrent le large potentiel de renouveau démocratique que contient la dynamique des «villes numériques».

· Le service universel, le service public, doit prendre corps vigoureusement. Il en est décrit quelques actions dans le rapport. Ces actions demandent à être développées.

· La coopération Nord Sud mérite un développement spécifique. Il existe en Europe - mais aussi au Canada et en d'autres pays - nombre d'expériences et d'initiatives diverses ayant pour but de favoriser les opportunités offertes par les NTIC en faveur d'une utilisation pour un développement durable, en particulier dans les domaines de la santé, de la formation et de l'éducation, du développement de la démocratie locale par les médias, en sus, bien sur, des applications en faveur du développement économique. Il y a lieu d'en favoriser l'action au travers des ONG et associations agissantes via les programmes européens et plus près de nous des structures de la francophonie et de la coopération.

VECAM recommande

Afin de soutenir une dynamique dans notre société de l'information

· d'organiser des conférences d'évaluation réunissant tous ceux qui ont une expérience de l'utilisation de ces outils dans les différents secteurs concernés.

· de s'appuyer sur les bassins régionaux de compétences, d'utiliser tous les savoirs accumulés dans les universités ou dans les associations.

· d'organiser des forums électronique publics permanents pour construire collectivement et se servir de l'outil pour ce faire.

· de mettre en place des procédures qui empèchent les structures intermédiaires de bloquer les expériences et propositions innovantes du terrain.


Pour rendre l'outil accessible à tous

· de favoriser, par des incitations fiscales analogues à la taxe d'apprentissage, le matériel informatique des entreprises pour le mettre à la disposition des acteurs sociaux de formation et de l'éducation

· de mettre en place sur quelques années des incitations et exonérations fiscales facilitant l'acquisition d'ordinateurs par les particuliers (proposition de taxer les matériels informatiques et logiciels comme produits culturels par exemple).

Pour ce qui concerne l'enseignement :

· de faire le lien dans la formation entre les organismes de recherche et la pédagogie sur le terrain;

· d' utiliser les resssources regionales et de faciliter la coopération entre les associations, les collectivités locales et les établissements de l'education nationale;

Et pour finaliser un plan d'action efficace nous tenons à préconiser

· l'organisation d'un large débat public pour la mise en oeuvre de ce rapport;

· l'élargissement du débat aux non connectés;

· la création de forums sur les sites des ministères concernés pour préparer les contributions administratives;

· une large publicité aux travaux du comité interministériel