Constats et perspectives

Les points suivants sont inspirées d'une part des usages observés sur le terrain et des analyses qui en sont faites et, d'autre part, des réflexions de vecam en la matière depuis la rencontre sur la démocratie et les réseaux multimédia , organisée à Parthenay en septembre 97.

En préalable, on peut affirmer que la réussite d'un projet d'usage de l'internet au service de la démocratie locale à l'initiative d'une collectivité locale dépend d'une série de facteurs essentiels tels :

  • l'existence d'une demande sociale vis à vis de tels outils 
  • l'ambition et le volontarisme des acteurs politiques locaux ;
  • un lien social ancré dans un tissu associatif local " dynamique et réactif " et l'implication de médiateurs ;
  • des partenariats financiers tant locaux que régionaux et nationaux.

Les 12 constats :

  • Privilégier une approche socio culturelle des technologies de la communication ;
  • S'appuyer sur une culture de la participation ;
  • Valoriser le relais associatif ;
  • Privilégier les jeunes publics ;
  • Favoriser les logiques de réseaux ;
  • Multiplier les points d'accès à l'internet ;
  • Assurer une égalité d'usage ;
  • Permettre l'accessibilité de l'information
  • Garantir des services publics performants
  • Sensibiliser, former et équiper les élus
  • Analyser les besoins de la population et leur satisfaction
  • Valoriser les expérimentations et stimuler les acteurs locaux

A/Constats

1 - Privilégier une approche socio-culturelle des technologies de la communication

° L'entrée des citoyens dans l'ère informationnelle ne pourra se faire que par une prise en compte simultanée de l'ensemble des phénomènes économiques, sociaux, politiques et culturels qui interagissent avec l'évolution technologique.

En ce sens, toute fascination technologique doit être repoussée : l'illusion selon laquelle la technologie peut à elle seule résoudre les enjeux complexes auxquels les décideurs locaux sont confrontés (création de lien social, génération d'activités…) doit être combattue. On ne répétera jamais assez que les ntic sont d'abord des outils au service d'une politique.

° " Traditionnellement les innovations techniques sont guidées par le double jeu des découvertes qui sont faites dans les laboratoires de recherche et par les perspectives économiques attendues des marchés. Dans une telle perspective, les utilisateurs sont des consommateurs régis par des lois individuelles de besoins, les besoins reconnus n'étant que ceux immédiatement solvables.

Il convient de prendre le contre pied de cette approche dominante, en engageant les utilisateurs dans un processus de définition de leurs besoins pour traduire ces besoins en terme de fonctionnalité correspondant à des " cahiers des charges " pour les équipements techniques, associés à des expérimentations en vraie grandeur. Il s'agit de faire passer l'utilisateur d'une position passive " d'usager/client " à une position active de " réalisateur/citoyen "dans une perspective de demandes et d'actions beaucoup plus collectives : l'innovation sociale l'emporte alors sur l'innovation technologique, tout en lui étant intimement liée.

Ceci plaide pour une approche socioculturelle de l'internet s'appuyant sur des démarches de " co-conception " basées sur de la demande sociale et de la conduite de politique publique, à partir d'une conception de citoyenneté élargie et de processus expérimentaux "

 

2 - S'appuyer sur une culture de la participation

Une politique locale d'usage des ntic au service de la démocratie ne peut intervenir que dans le prolongement ou d'une manière concomitante à une politique de citoyenneté active, au terme d'un travail de long terme, visant à former à la participation et à accompagner les initiatives de terrain.

Plus qu'une politique, il s'agit d'une culture de la participation qui peut reposer tout à la fois sur :

° une évolution du rôle des élus et des services municipaux. Les premiers interviennent moins systématiquement comme " décideurs " que comme " catalyseurs " des énergies locales, comme " médiateurs " des acteurs locaux en en dernier regard comme arbitre. Les seconds doivent privilégier leur rôle d'accompagnateur et de facilitateur ;

° l'encouragement d'outils et de structures susceptibles de faciliter tout à la fois l'investissement des habitants dans la vie de la cité et l'éducation à la citoyenneté (conseil des jeunes, comité de quartiers, enveloppes participatives etc.) ;

° la synergie avec les acteurs associatifs et le tiers secteur.

 

3 - Valoriser le relais associatif

Il s'agit de considérer les associations comme les relais naturels d'une politique active de sensibilisation de la population aux ntic. En effet, elles présentent un triple avantage

  • De part leur position de proximité, elles sont mieux à même de jouer un rôle de détecteur de l'innovation. La meilleure stratégie de développement local possible est de miser sur la créativité et l'innovation sociale dans tous les domaines de la vie économique, culturelle, sociale et politique. Il faut donc aider les citoyens à être autonomes et créateurs de projets et faciliter la mise en inter relations des acteurs. Cela passe tant par le tissu associatif que par l'appropriation de l' internet. En partant du terrain social existant, les citoyens peuvent devenir des concepteurs/créateurs de nouveaux services et de nouvelles techniques.
  • On trouve souvent au sein des associations des acteurs qui peuvent être considérés comme des innovateurs sociaux, en position d'intermédiaires entre concepteurs et usagers et susceptibles de jouer un rôle de " traducteurs " vers la population car ils sont à l'interface entre logique technique et logique sociale.
  • Les associations constituent des cadres familiers, où l'on pourra expliquer de façon privilégiée au plus grand nombre, avec le temps nécessaire, ce qu'est internet, comment on utilise un ordinateur, comment on peut consulter un site et trouver l'information que l'on recherche.

Aussi la municipalité doit-elle être particulièrement réceptive aux demandes des associations, tant en équipement qu'en ressources humaines.


4 - Privilégier les jeunes publics

Dans le cadre des objectifs de la politique de la ville qui entend éviter l'apparition de nouvelles exclusions sociales, l'appropriation des ntic par de jeunes publics, en particulier en situation d'échec scolaire ou de difficulté d'insertion, doit être privilégiée. Les expériences démontrent que la motivation de ces jeunes est plus profonde que celles de publics plus favorisés. La facilité d'apprentissage liée à leur jeune âge, la reconnaissance sociale de nouvelles compétences, l'image de modernité liée à ces nouveaux outils, permettent à ces jeunes d'enclencher un travail de construction individuelle et de retrouver une confiance et une bonne image de soi.

La réception de lettres et de réponses à leur courrier électronique, la correction automatique d'orthographe et de grammaire, l'anonymat du net sont autant de facilitateurs à la prise de parole et à la participation pour ces jeunes publics.

Il est également intéressant de noter que l'apprentissage de ces nouveaux médias transforme le rapport enseignant/apprenant. En particulier dans la relation adulte/enfant où ce dernier se retrouve dans la position de formateur et acquière par là même une certaine responsabilisation.


5 - Favoriser les logiques de réseaux

Il est important de susciter l'émergence de communautés virtuelles locales d'information et d'échanges de proximité pour initier à la logique du fonctionnement en réseau. Il ne s'agit pas seulement d'apprendre à surfer sur internet et à y trouver l'information recherchée. L'apprentissage de l'échange, de la confrontation, du débat et de la construction collective que permettent ces outils renforcent les identités locales et facilitent la participation. Les réseaux électroniques locaux s'appuyant sur des réseaux humains préexistants sont complémentaires d'internet. Cela peut se traduire par la mise en réseau des écoles, des centres culturels, des espaces multimédia par le biais de forum ou de listes de discussion, de dialogue en direct, d'intranet. Ceci doit se faire parallèlement à une implantation rapide d'équipements multimédia interactifs, de façon à permettre aux habitants de s'en saisir, de se familiariser avec leur usage et d'exprimer à travers eux tant leur esprit critique que leur créativité.


6 - Multiplier les points d'accès à l'internet dans des lieux existants

Au regard du nombre très faible d'ordinateurs connectés à la disposition du public, il est indispensable de poursuivre la politique d'offre d'accès qui est aujourd'hui celle des municipalités. Le nombre d'utilisateurs est appelé à croître rapidement. L'offre parallèle que pourra constituer la télévision numérique connectée au réseau internet ne verra le jour que dans quelques années, sera vraisemblablement payante et n'offrira aucun cadre d'apprentissage et d'accompagnement humain.

Par ailleurs, la mise en place des points d'accès à internet doit être privilégiée dans des lieux existants; la création de nouvelles structures d'accueil est à éviter. Il s'agit d'installer des ordinateurs connectés dans des lieux publics ou semi publics de proximité déjà utilisés et visités par les habitants. Ceci permet également aux publics d'associer l'usage d'internet à un projet et de percevoir ainsi plus facilement l'utilité de l'outil.


7 - Assurer une égalité d'usage

La promotion d'une égalité d'accès est nécessaire mais insuffisante. Il convient d'assurer parallèlement une égalité d'usage par la mise en place d'un dispositif humain d'accompagnement et de formations.

Le rapport " Associations et internet "réalisé par Vecam à la demande de la Fondation de France a démontré que les individus, indépendamment de leur statut économique et social, étaient totalement inégaux devant l'outil tant dans leurs capacités d'apprentissage que dans leurs représentations et leurs dispositions d'abstraction et d'interactivité. Sans un accompagnement personnalisé et adapté à chacun des publics, voir des personnes, l'usage d'internet restera trop souvent limité aux individus déjà doté d'un " quotient informatique " supérieur à la moyenne.


8 - Permettre l'accessibilité de l'information

L'évolution des comportements politiques porte d'abord et essentiellement sur une démocratisation de l'information. Pour participer activement à la vie politique, il faut d'abord en connaître les enjeux et identifier les décisionnaires, et c'est en ça qu'internet peut devenir un formidable outil de citoyenneté. Le fait que les citoyens peuvent consulter à tout moment une information mise à jour régulièrement est déjà un énorme progrès.

Dans le cadre de l'accessibilité à l'information, la municipalité ne doit pas se considérer comme seule détentrice et diffuseur de l'information sur la ville. Les logiques de site internet dit portails, développées par certaines municipalités, permettent de relier et de réunir diverses sources d'information et de donner une visibilité à la diversité des acteurs qui font la ville. C'est un premier pas vers une égalité de pouvoir, celle de diffuser une information, entre les acteurs locaux.

Il est intéressant de noter que dans certains pays européens, les habitants dénient à la municipalité le droit de s'approprier le nom de la ville comme nom de domaine. Si l'exemple était suivi, les municipalités françaises ne pourraient plus donner à leur site internet, l'adresse www. amiens.com, mais devrait préciser www. mairie-amiens. com


9 - Garantir des services publics performants

Le renouveau de la démocratie locale passe par le rétablissement de la confiance dans les institutions publiques. La modernisation des services municipaux et leur capacité à répondre aux attentes des habitants en constituent un des piliers.

Dans cette optique, les ntic en favorisant la rapidité de traitement, la simplification des procédures et les économies d'échelle, doivent être pleinement intégrées au fonctionnement des services publics municipaux.

La sensibilisation et la formation des agents administratifs est un préalable indispensable.


10 - Sensibiliser, former et équiper les élus

Les élus ne sont pas préparés culturellement au bouleversement engendré par ces technologies. Il ne s'agit pas seulement d'un moyen pour transformer la communication politique mais d'un outil pour " faire de la politique autrement " ; la révolution informationnelle est une révolution politique et démocratique. Elle déstructure la centralisation de l'Etat français entamée il y a deux cents ans en reformulant les cases politiques, économiques et sociales. De verticales, les relations entre détenteurs de pouvoir et leurs électeurs deviennent horizontales.

Les élus doivent être à même de mesurer ce que ces nouveaux médias peuvent apporter aux villes notamment en terme de démocratie, de proximité, d'animation de l'espace public, de simplification administrative et de définir les meilleures conditions possibles de leur mise en place.

En effet, " les effets économiques et sociaux des ntic dépendront strictement des formes sociales que chaque ville sera capable de créer et de faire fructifier en son sein pour les développer et pour les utiliser. Ils dépendront donc en premier lieu d'options politiques locales.

Dans ce cadre, il ne suffit pas pour une ville de se limiter à financer des équipements, il ne suffit pas de donner libre accès à l'Internet, pour qu'il y ait accès effectif. Il faut mener des politiques actives pour créer " les capacités à utiliser l'information ". Il y a nécessité de faire en sorte que les citoyens soient à même d'avoir le contrôle de l'information.

Mais encore ne suffit-il pas de dire. Il faut faire, ce qui est beaucoup plus difficile, car cela suppose la possession d'un savoir faire qui n'existe pratiquement pas. Comme toutes innovations majeure le difficile est en effet d'inventer les cadres de pensée et d'actions qui permettront d'utiliser pleinement les potentialités " politiquement attendues " de ces technologies ".

Cette compréhension des enjeux passe également par l'usage et la maîtrise des outils et de leurs potentialités. Des modules de formation adaptés doivent pouvoir être accessibles aux élus.

Enfin, l'équipement des élus doit aussi être favorisé. Les budgets municipaux en sous estiment aujourd'hui l'importance.


11 - Analyser de manière approfondie les besoins de la population et leur satisfaction

Il s'agit ici de faire émerger une demande réelle en services des citoyens et voir comment les ntic peuvent satisfaire cette demande ; cela passe par la réalisation d'enquêtes sur les attentes et les besoins de toute la population.

Cette démarche semble indispensable même si elle est peu spectaculaire car elle garantit que l'ensemble de la population soit partie prenante du processus.

La politique de l'équipe municipale doit s'appuyer sur des analyses approfondies des besoins en informations et en communications ressentis par les populations en relations avec les aspects économiques et les modes de vie, de façon à dégager les types de services qui paraîtraient les mieux adaptés à une satisfaction optimale de ces besoins en relation avec des développements télématiques interactifs.

De même, il est primordial d'accompagner l'implantation des équipements et l'évolution des usages par des enquêtes régulières auprès de la population. Trop souvent, les municipalités négligent l'évaluation ou la limite à une approche quantitative.


12 - Valoriser les expérimentations et stimuler les acteurs locaux

Les expériences et les savoirs des villes françaises les plus avancées sur l'appropriation des réseaux électroniques au service de la démocratie locale devrait être activement soutenue et valorisée par le ministère de la ville.

Pour susciter les initiatives et inciter les acteurs locaux à s'engager dans une politique municipale active de développement des ntic, l'Etat pourrait optimiser le contenu et l'interactivité du site internet du ministère de la ville :

  • par la création d'une banque d'usages de l'internet au service de la politique de la ville
  • par l'animation du forum de discussion, lieux d'échanges d'expériences
  • par la mise en réseau des initiatives et structures municipales

Pour répondre à la demande d'expertise des acteurs locaux, la constitution d'un réseau d'antennes locales organisé sur tout le territoire pourrait être proposée. Une association d'élus et/ou d'agents municipaux " connectés " pourrait jouer également un rôle moteur et incitateur.

Pour valoriser les initiatives et stimuler par l'exemple, la mise en place d'un label officiel "ville internet" visible par panneau dès l'entrée de la ville pourrait être conçu. La remise d'arobases aux villes - de une à cinq arobases selon le degré d'implication des villes dans l'usage des ntic au service des habitants - par le ministre de la ville lors de l'opération places Net dans le cadre de la fête de l'internet 99 a suscité l'émulation parmi les élus et les acteurs de la ville.

Enfin, la reconnaissance d'espaces multimédia de proximité permettrait aux structures qui font la ville (centres sociaux, centres culturels, maisons pour tous, maisons de quartier, associations de parents d'élèves) d'être valorisées et stimulées dans leurs initiatives multimédia. A cet égard, les enseignements tirés de la mise en réseau des espaces culture multimédia, à l'initiative du ministère de la culture, sont positifs. Une estampille officielle pourrait être affichée et revendiquée par ces lieux.


B/ Perspectives

Cette étude liminaire, si elle permet de dresser une première série de constats, pose surtout de nouvelles interrogations qui appellent un travail d'enquêtes qualitatives approfondi.

Parmi les nombreuses questions soulevées :

  • Quels sont les mécanismes de montage des projets, tant du point de vue des méthodes que des acteurs, les difficultés ou facilitateurs rencontrés ? comment s'organisent et s'agencent les relations entre la municipalité et les divers acteurs locaux dans ces processus de conception et de mise en œuvre ? en particulier, quels sont la place et le rôle des associations ?
  • A un stade suffisant d'appropriation des ntic par la population, comment l'élu peut-il susciter le dialogue avec les citoyens de la ville via les ntic sans se trouver submerger par une demande qu'il serait dans l'incapacité de traiter, créant ainsi de la frustration et de la défiance, là où il s'agissait de rétablir le dialogue et la confiance ?
  • Quels outils d'évaluation permanente peut-on concevoir et mettre en place, susceptibles d'apporter des informations sur les choix de contenus et de services ainsi que sur le type d'enrichissement retiré par l'habitant ?
  • Peut-on imaginer construire des indicateurs qualitatifs des usages des ntic au service de la participation des citoyens (appropriation, participation, intégration, socialisation..)
  • Dans quelle mesure, les usages de l'internet favorisant la participation des citoyens ont-ils ou vont-ils amener les élus et les agents municipaux à repenser leur rôle ?
  • Quels types de partenariats publics et privés les villes ont-elles su mobiliser pour la mise en place de leur politique en matière de ntic ? quelles sont les parts respectives de chacun de ces partenaires ?
  • Dans quelle mesure, les choix technologiques (câble, fournisseurs d'accès, ordinateurs et logiciels…) déjà effectués par les villes étudiées ont-ils été orientés par une offre commerciale et/ou par la demande sociale ?

Autant de questions auxquelles pourrait s'ajouter beaucoup d'autres ! Et c'est sous l'impulsion de responsables politiques précurseurs , à travers les savoirs faire des acteurs locaux et grâce à la mobilisation d'un tissu associatif inventif que les réponses seront trouvées et que se révèlera l'aptitude de nos sociétés à intégrer le changement sous toutes ses formes : sociales, culturelles, économiques, démocratiques... C'est dans ce cadre éminemment politique que s'inscrit l'action qu'il faut entreprendre.