La Fabrique Numérique de Gonesse : cartographier pour exister

A Gonesse (95), comme Google ne s’intéresse pas aux habitants, un groupe de jeunes issus de "la fabrique numérique" a décidé d’y organiser des cartoparties, pour enfin disposer d’une carte utilisable et à jour de leur quartier !

La Fabrique Numérique de Gonesse

La Fabrique numérique de Gonesse, c’est un espace municipal de fabrication numérique et de création multimédia dédié à la remobilisation de jeunes de 16 à 25 ans.

Ce n’est surtout pas une école, mais plutôt un espace au sein duquel on peut s’engager pendant cinq mois et demi pour monter en compétences et prendre confiance en menant à bien des projets concrets au service de la ville, des associations locales ou des habitants.

Signalétique autocollante pour les collectivités, dentier pédagogique imprimé en 3D, contenus audiovisuels de promotion pour les associations locales… les projets y sont diversifiés et semblent permettre à chacun de creuser les sujets qui l’intéresse au contact de professionnels, mais aussi en auto-apprentissage.

Nous y avons passé une demi-journée avec Laurence, une contributrice Tourangelle à OpenStreetMap dans le cadre de leur projet de cartographie participative et ouverte de leur quartier.

Une cartographie erratique qui handicape les habitants

Témoignages d’habitants et enquête terrain à l’appui, le groupe de jeunes et leurs personnes ressources (issues d’Ensemble communications participatives) nous expliquent alors en quoi les cartographies de leur quartier excluent à l’heure actuelle les habitants de la vie de leur ville.

Il suffit de toute manière de se rendre sur place pour comprendre le problème. Au-delà du fait de s’être perdus pour nous y rendre, on constate une fois arrivés les nombreux escaliers, paliers et autres obstacles urbains laissant présager d’une cartographie GoogleMaps lacunaire. En effet, les « GoogleCar » ne montent pas encore les marches, et les humains sont encore trop cher pour être payés à arpenter ces quartiers sans grand intérêt économique pour la multinationale.

L’expérience des habitants y est donc assez logiquement très négative : impossible de se faire livrer correctement, que ce soit de la nourriture ou des colis par transporteurs privés, cheminements piétons non indiqués et donc difficultés à se déplacer quand on arrive sur le quartier,etc. Au delà ce sont l’ensemble des services de GPS qui ne sont pas fonctionnels, et les commerçants invisibilisés ou les équipements publics ne sont pas en reste sur le sujet (piscine, école, DOJO,…).

Un habitant :

“Lorsque je commande sur internet, je me fais livrer directement en point colis, cela évite les renvois de colis par les livreurs faute de trouver l’adresse indiquée”

Un stagiaire :

« Je devais aller chercher un par un mes amis pour venir à ma fête d’anniversaire chez moi”

Les cartopartie comme outil de contre-pouvoir

Pour répondre à ces problématiques sources de fortes inégalités territoriales sur Gonesse, l’équipe de la Fabrique Numérique a imaginé une solution inspirée des communautés de « mappeurs OpenStreetMap » : les cartoparties. Puisque les multinationales n’ambitionnent pas de s’intéresser à leur espace de vie et que la future ZAD du triangle de Gonesse risque de ne pas changer la donne, ils vont s’en charger eux même et rectifier à la mano les inexactitudes qui jonchent leurs cartes.

Utilisées depuis toujours par les contributeurs d’OpenstreetMap (une carte collaborative, mondiale et libre, faite par les gens et pour les gens), les cartopaties consistent en des moments conviviaux de repérage sur le terrain aboutissant à un enrichissement de la base de donnée cartographique d’OpenStreetMap. Ce Commun peut ensuite être exploité pour créer des cartes thématiques, naviguer via gps, ou simplement disposer d’un fond de carte qui pourra être imprimé et affiché dans l’espace public.

Tout aussi démunis que les habitants sur le sujet, les services techniques de la ville se sont montrés très intéressés par le projet et comptent bien se servir des données récoltées. Informations à jour pour les équipes municipales, cartes intégrées aux sites web, actualisation en autonomie par les services… les possibilités offertes par OpenStreetMap sont immenses. Ils contribueront donc autant qu’ils le pourront en mettant à disposition expertise technique et matériel disponible.

Un appel à la communauté de contributeurs

Le groupe s’est déjà essayé une première fois en autonomie à la contribution cartographique à travers une sortie et de premières mises à jour de la carte ont été intégrées. Ils se sont aperçu à ce moment-là qu’organiser un événement avec du public allait nécessiter de bien maîtriser l’outil en amont et ont donc lancé un appel sur le forum d’OpenStreetMap France.

C’est à cette occasion que nous sommes passé les voir avec Laurence pour leur donner quelques ficelles sur la manière dont ils pouvaient contribuer, et surtout partager nos trucs et astuces pour une cartopartie réussie [1]. Nous en avons aussi profité pour leur raconter quelques projets menés par chez nous afin qu’ils prennent conscience des enjeux entourant la mise à disposition de ces données et des réutilisations possibles par la suite (expérience de cartographie vélo sur la métropole de Tours, cartopartie à Orléans notamment). Nous avons aussi pu leur proposer un petit tour d’horizon des services clés-en-main mobilisables ensuite pour faire usage des données collectées au quotidien (cartes thématiques personnalisées avec Umap, applications mobiles pour la navigation, requêtes sur les données avec overpassturbo, visualisation 3D avec osmbuilding,…).

Nous avons fini par lister avec eux leurs prochaines étapes pour organiser la cartopartie, la prochaine étant de mettre à jour certaines données indispensables en amont de l’événement public (le bâti et les emplacements de rue).

A l’issu de la rencontre, nous les avons mis en lien avec quelques contributeurs que nous connaissions, mais nous en profitons pour repasser ici un appel à mobilisation : vous êtes un contributeur OpenStreetMap disponible le 10 mars 2018 ? Soutenez-les lors de leur première cartopartie !

Suite à cette opération, il y a de fortes chances qu’ils renouvellent l’expérience avec géovélo et cartocité, deux structures qui ont en charge la cartographie OpenStreetMap des infrastructures vélo sur La Région île de France et qui doivent justement passer par Gonesse (plus d’infos sur leur projet).

GoogleMaps : un monopole des usages qui contraint l’équipe à nourrir le monstre

Demandez à un membre du groupe si les habitants trouvent GoogleMaps efficace pour s’orienter à Gonesse, la réponse sera certainement « NON ». Demandez à un membre du groupe quelle application les habitants utilisent pour s’orienter dans le quartier, la réponse est tout aussi certaine : GoogleMaps.

C’est en partant de ce constat que l’équipe a pris un décision aberrante de prime abord : toutes les données renseignées sur OpenStreetMap le seront également sur GoogleMaps. Les citoyens mobilisés pour la cartoparties vont donc indirectement contribuer à nourrir Google qui les privera immédiatement de tout droit de réutilisation des informations qu’ils auront eux même collectées.

Cet élément nous a beaucoup posé question, mais c’est en pleine conscience que le choix est fait. S’il est pour eux impensable de demander à des bénévoles de contribuer à Google (ils contribueront à OpenStreetMap), il est tout aussi impensable de dépenser autant d’énergie locale pour que le quotidien des vrais gens n’y change pas (ils dupliqueront les données sur GoogleMaps). Mobiliser les habitants pour qu’ils ne voient aucune différence dans leurs usages habituels serait même contre-productif.

En effet, tout le monde a d’entrée de jeu des applications fonctionnant à partir de données issues de Google, et n’ont pas la littératie numérique nécessaire à opérer des choix d’usage différents. La décision peut donc choquer mais est pour le moins pragmatique : tant que les usages seront ceux-là, contribuer à GoogleMaps fera malheureusement œuvre d’utilité publique. Les initiateurs vont même plus loin en considérant que redevenir visible sur GooleMaps c’est faire acte de résistance, comme une manière de montrer au géant que des citoyens organisés peuvent récupérer du pouvoir d’agir sur leur quotidien en mettant à jour la carte eux-même.

Cet acte peut autant être perçu comme un pied de nez à Google que comme une preuve de son emprise et de sa toute puissance qui fait que, même lorsqu’il ignore carrément une partie de ses utilisateur, ceux là n’ont plus d’autres moyens de défense que de le nourrir. C’est alors un acte de soumission révélateur de l’échec de la société civile et des collectivité à se doter de données cartographiques ouvertes et à jour et à s’autonomiser sur le sujet face aux géants du Web.

Le changement de posture opéré par une contribution citoyenne à OpenStreetMap (quand bien même elle soit dupliquée chez Google) est toutefois une évolution forcément positive de la relation qu’entretiennent ces habitants au numérique. Une fois ceux là passés de la consommation à la contribution, charge aux militants que nous sommes de continuer à promouvoir les solutions alternatives de navigation plus conviviales, plus vertueuses et plus saines pour finalement les rendre incontournables à leur tour.

[1] En parallèle de cet article, nous préparons un tutoriel « Comment organiser une cartopartie » qui viendra compléter les ressources existantes dont nous nous sommes inspiré sur Movilab. Le groupe racontera également son expérience à travers des billets de blogs afin de partager leur propre retour d’expérience !

Relecture et harmonisation : Laurence

Sources et plus d’infos sur le projet de la Fabrique Numérique disponibles à travers leur présentation du projet :

Illustrations : tous droits réservés La Fabrique Numérique de Gonesse sauf : carte OpenStreetMap et dernière illustration (cc by sa Jason Grote)