Vecam http://www.vecam.org/ Réflexion et action pour l'internet citoyen fr SPIP - www.spip.net Vecam http://vecam.org/local/cache-vignettes/L144xH41/siteon0-dd267.png http://www.vecam.org/ 41 144 Economie informelle dans les secteurs des technologies de pointe http://vecam.org/article1214.html http://vecam.org/article1214.html 2011-03-27T08:18:08Z text/html fr Hervé Le Crosnier Creative Commons Afrique vecam-F Revue-reseau-TIC Conférence avec Abdoulaye Niang, sociologue de l'Université de Saint-Louis (Sénégal) sur la place du travail informel dans l'économie des télécoms en Afrique. Abdoulaye Niang, présentera le compte-rendu d'une étude menée sur trois pays de l'Afrique francophone sur l'économie informelle dans le secteur des telecom. Cette étude interdisciplinaire aide à mieux identifier le potentiel du secteur informel, les éléments portant à son dynamisme, les risques, les opportunités et défis de celui-ci. Le projet (...) - <a href="http://vecam.org/rubrique57.html" rel="directory">Actualités</a> / <a href="http://vecam.org/mot17.html" rel="tag">Creative Commons</a>, <a href="http://vecam.org/mot42.html" rel="tag">Afrique</a>, <a href="http://vecam.org/mot49.html" rel="tag">vecam-F</a>, <a href="http://vecam.org/mot68.html" rel="tag">Revue-reseau-TIC</a> <div class='rss_chapo'><p>Conférence avec Abdoulaye Niang, sociologue de l'Université de Saint-Louis (Sénégal) sur la place du travail informel dans l'économie des télécoms en Afrique.</p></div> <div class='rss_texte'><p>Abdoulaye Niang, présentera le compte-rendu d'une étude menée sur trois pays de l'Afrique francophone sur l'économie informelle dans le secteur des telecom. Cette étude interdisciplinaire aide à mieux identifier le potentiel du secteur informel, les éléments portant à son dynamisme, les risques, les opportunités et défis de celui-ci. Le projet découvre le rôle social et économique du secteur informel des TIC comme le rapport changeant au travail, la contribution à la richesse nationale, la création d'emploi, les activités portant à la génération de revenu, et la relation avec les autres secteurs nationaux et locaux. De plus, en analysant les cadres réglementaires et les politiques qui existent actuellement, ce projet met à la disposition des décideurs politiques et des acteurs économiques et sociaux l'information propice à une meilleure exploitation du potentiel du secteur informel et au passage au secteur formel.</p> <p>Ces travaux rejoignent les questions des chômeurs en France, du précariat généralisé, et de la demande des acteurs pour des situations informelles, pour des raisons d'équilibre social qui portent sur d'autres critères et situations que le travail individuel salarié et garanti.</p> <p>Et en face de voir comment les multinationales on su mobiliser ces volontés à leur profit... mais aussi comment la grève de deux jours des vendeurs de rue de cartes téléphoniques de Côte d'Ivoire a réussi à faire plier l'opérateur téléphonique.</p> <p>Bref, au travers de l'exemple africain, ce sont les enjeux mêmes du travail dans les secteurs technologiques de pointe qui sont abordées... avec un regard international.</p> <p>Télécharger le programme :</p> <dl class='spip_document_468 spip_documents spip_documents_center' style=''> <dt><a href="http://www.nord-internet-solidaire.org/IMG/jpg/2.jpg" title='JPEG - 91.2 ko' type="image/jpeg"><img src='http://vecam.org/local/cache-vignettes/L52xH52/jpg-2e71e.png' width='52' height='52' alt='JPEG - 91.2 ko' style='height:52px;width:52px;' /></a></dt> </dl></div> Les télécentres privés du Sénégal http://vecam.org/article1126.html http://vecam.org/article1126.html 2009-11-15T08:11:38Z text/html fr Olivier Sagna, Maitre de conférences, Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD) Creative Commons Acces aux technologies de l'information et de la communication Afrique vecam-F Revue-reseau-TIC Depuis son accession à l'indépendance en 1960, le Sénégal est confronté à la lancinante question de l'accès universel au téléphone. En effet, historiquement introduite pour satisfaire les besoins de l'administration coloniale (Sagna 2001), géographiquement concentrée dans les villes1 et socialement réservée à une minorité, la téléphonie fixe ne compte guère que 240 324 abonnés plus d'un siècle après son introduction, soit un taux de pénétration de 1,97 %2. Au cours de ces vingt dernières années, des progrès (...) - <a href="http://vecam.org/rubrique2.html" rel="directory">Articles / Publications</a> / <a href="http://vecam.org/mot17.html" rel="tag">Creative Commons</a>, <a href="http://vecam.org/mot27.html" rel="tag">Acces aux technologies de l'information et de la communication</a>, <a href="http://vecam.org/mot42.html" rel="tag">Afrique</a>, <a href="http://vecam.org/mot49.html" rel="tag">vecam-F</a>, <a href="http://vecam.org/mot68.html" rel="tag">Revue-reseau-TIC</a> <div class='rss_texte'><p>Depuis son accession à l'indépendance en 1960, le Sénégal est confronté à la lancinante question de l'accès universel au téléphone. En effet, historiquement introduite pour satisfaire les besoins de l'administration coloniale (Sagna 2001), géographiquement concentrée dans les villes1 et socialement réservée à une minorité, la téléphonie fixe ne compte guère que 240 324 abonnés plus d'un siècle après son introduction, soit un taux de pénétration de 1,97 %2. Au cours de ces vingt dernières années, des progrès considérables ont cependant été réalisés puisque la télédensité n'était que de 0,33 ligne pour 100 habitants en 1987. Pour ce faire, l'opérateur historique, s'appuyant sur le constat que le téléphone faisait souvent l'objet d'une utilisation collective, a encouragé la création de dispositifs d'accès collectif connus sous l'appellation de « télécentres ». Constituant un modèle original, par rapport aux autres types de télécentres existant dans le monde, ils ont fortement contribué à la démocratisation de l'accès au téléphone, créant par ailleurs des dizaines de milliers d'emplois et générant d'importants revenus pour l'opérateur, les exploitants et l'État. Cependant, le développement de la téléphonie mobile a entraîné une baisse de leur chiffre d'affaires et une diminution de leur rentabilité qui les a plongés dans une crise profonde qui s'est traduite par la cessation d'activités de nombre d'entre eux. Outre les conséquences économiques et sociales qui en découlent, la disparition progressive des télécentres est un sujet de préoccupation pour les pouvoirs publics et les acteurs du développement local dans la mesure où pendant longtemps ils ont été considérés comme le socle sur lequel il était possible de se baser pour lutter contre la fracture numérique. Nous appuyant d'une part, sur l'exploitation d'informations recueillies auprès des principaux acteurs du secteur pendant de nombreuses années et d'autre part, sur des données secondaires provenant d'articles de presse, de rapports annuels publiés par les opérateurs de télécommunications, de statistiques élaborées par l'Agence de régulation des télécommunications et des postes (ARTP), de travaux académiques, etc. nous nous proposons, à travers cette étude, de retracer l'évolution des télécentres privés au Sénégal au cours de la période 1992-2008 afin d'expliquer comment ce secteur qui était florissant, il y a encore peu de temps, est devenu fortement sinistré en l'espace de deux années tout en explorant les pistes qui pourraient éviter leur disparition totale à plus ou moins brève échéance.</p> <h3 class="spip"> Un concept venu du Nord mais devenu emblématique du Sud</h3> <p>Pour nombre de personnes, les télécentres évoquent un dispositif d'accès collectif aux services de télécommunications qui est emblématique des pays en voie de développement. Cependant, le concept de « télécentre » a vu le jour dans les pays développés et plus particulièrement en Scandinavie où le premier « télécottage » été expérimenté, en 1985, dans le village de Vemdalen (Suède). Leur mise en place avait pour objectif de faciliter l'accès à l'emploi, à la formation et à une série de services, dans une zone reculée comportant moins d'un habitant au kilomètre carré, via l'utilisation de moyens de télécommunications (téléphone, télécopieur, ordinateur, etc.). Centre de services offrant des services d'information et de communication, le télécottage se voulait à la fois une structure de formation, une bibliothèque, un bureau de poste et une boutique de télécommunications (Bullain et Toftisova 2004 : 11 ). Des télécottages ont par la suite été implantés en Grande-Bretagne afin de servir de support au développement du télétravail3 et du travail indépendant, avant de se répandre sous l'appellation de télécentres au Canada, aux États-Unis, en Australie, en Hongrie (UNDP 2006), etc. Aujourd'hui, les télécentres existant dans le monde, oscillent entre deux pôles non exclusifs, à savoir d'une part la fourniture de ressources, dans une optique sociale à des communautés ou à des personnes isolées, défavorisées ou handicapées et d'autre part la fourniture de services, dans une optique commerciale, à des particuliers ou à des entreprises. Au-delà de leurs différences, les télécentres ont en commun d'être des espaces équipés, proposant des ressources partagées et permettant d'accéder à des services de télécommunications (téléphonie, télécopie et accès à Internet) voire d'offrir des services bureautiques (photocopie, traitement de texte, numérisation, etc.).</p> <p>Les télécentres ayant connu un certain succès dans les pays développés, les institutions d'aide au développement ont tenté d'exporter le concept dans les pays du tiers-monde afin de promouvoir l'accès aux technologies de l'information et de la communication (TIC) et plus particulièrement à Internet. C'est ainsi qu'à partir du milieu des années 1990, l'Unesco, l'Union internationale des télécommunications (UIT) et le Centre de recherches pour le développement international (CRDI) ont favorisé la création de Télécentres communautaires polyvalents (TCP). Destinés à fournir des services de téléphonie, de télécopie, de photocopie, de traitement de texte, d'impression, de numérisation de documents et d'accès à Internet, ces TCP ont notamment été expérimentés en Afrique (Rose 1999). Au fil des années, la multiplication des initiatives de ce genre a donné naissance à un large éventail de télécentres, parfois très différents les uns des autres, mais décrits sous des vocables proches (télécentre, télécentre communautaire, télécentre communautaire polyvalent, télécentre privé, télécentre multiservices, téléboutique, etc.) rendant les comparaisons difficiles et créant des malentendus.</p> <p>S'agissant des télécentres privés sénégalais, ce sont des dispositifs d'accès collectif (Scopsi 2004)4 à vocation commerciale, offrant des services de téléphonie et plus rarement de télécopie, résultant d'une initiative locale ayant débouché sur la création de petites entreprises, souvent à caractère familial, faisant l'objet d'une gestion privée et évoluant principalement dans le secteur informel même si certains ont pris la forme de groupements d'intérêt économique (GIE).</p> <h3 class="spip"> Quand le secteur privé vient à la rescousse de l'État</h3> <p>En 1987, la situation de l'accès au téléphone au Sénégal était particulièrement mauvaise avec une télédensité de 0,33 ligne pour 100 habitants. Afin de remédier à cette situation, la Société nationale des télécommunications du Sénégal (Sonatel) se lança alors dans l'installation de cabines publiques. En théorie, elles étaient un excellent moyen d'améliorer l'accès au téléphone mais dans la pratique, leur mise en œuvre révéla de nombreuses limites parmi lesquelles : <br /><img src="http://vecam.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-1d287.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> un nombre restreint de cabines installées à l'échelle du pays ; <br /><img src="http://vecam.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-1d287.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> une répartition géographique déséquilibrée au détriment des zones rurales ; <br /><img src="http://vecam.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-1d287.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> l'obligation pour les usagers de disposer des pièces de monnaie appropriées ; <br /><img src="http://vecam.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-1d287.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> le faible maillage du réseau de distribution des cartes prépayées ; <br /><img src="http://vecam.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-1d287.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> la cherté relative des cartes prépayées pour les usagers occasionnels ; <br /><img src="http://vecam.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-1d287.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> la chaleur régnant dans les cabines exposées au soleil ; <br /><img src="http://vecam.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-1d287.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> l'inconfort de la position debout pour les communications de longue durée ; <br /><img src="http://vecam.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-1d287.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> l'absence d'interface humaine susceptible d'assister les usagers ; <br /><img src="http://vecam.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-1d287.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> la lourdeur de l'investissement qui était de 6 millions de Francs CFA par cabine (Zongo 2000 : 211-223) ; <br /><img src="http://vecam.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-1d287.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> un fort taux d'indisponibilité dû aux actes de vandalisme ; <br /><img src="http://vecam.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-1d287.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> une maintenance complexe à assurer.</p> <p>L'installation de plusieurs centaines de cabines, menée en parallèle avec un important effort de modernisation et d'extension du réseau de télécommunications, eut pour résultat de porter la télédensité à une ligne publique pour 100 habitants en 1992, permettant ainsi au Sénégal de réaliser, avec huit années d'avance, l'objectif fixé par l'UIT aux pays africains. Cependant, l'accès universel au téléphone restait encore un rêve pour la majorité de la population et téléphoner était souvent une gageure. Afin de remédier à cette situation, l'État fixe alors comme objectif à la Sonatel de mettre un téléphone à la disposition de chaque citoyen dans un rayon de cinq kilomètres (Sagna 2006). Les solutions classiques ayant fait long feu, la Sonatel décide d'innover en expérimentant quatre télécentres à Dakar via sa filiale Télécom Plus5. Structures multifonctionnelles, ils offrent l'accès au téléphone, à la télécopie et à des services de photocopies, le tout dans des espaces agréablement aménagés. La formule rencontre un certain succès mais ne s'avère pas reproductible à grande échelle compte tenu du montant de l'investissement nécessaire à l'aménagement et à l'équipement des locaux sans parler des coûts salariaux.</p> <p>En 1993, la Sonatel change alors de stratégie et décide d'autoriser la revente au détail de services de télécommunications dans le cadre de ce qu'elle décide d'appeler les « télécentres privés ». Ces derniers n'ont rien à voir avec les modèles connus jusqu'alors dans le monde ni avec celui expérimenté depuis 1992. Il s'agit en effet d'un simple agrément liant la Sonatel à une personne physique ou morale en vue de l'exploitation d'un télécentre consistant en un local d'une superficie minimale de 12 m2, comprenant un dispositif de taxation et spécialement aménagé pour la vente de services de télécommunications. L'exploitant doit s'acquitter d'une caution d'un montant de 250 000 Francs CFA6 par ligne à Dakar et de 150 000 Francs CFA dans les régions7, payer des frais de raccordement de 67 200 Francs CFA par ligne et acheter un compteur de taxes téléphoniques coûtant 100 000 Francs CFA soit un investissement minimum de 367 200 Francs CFA, sans parler des coûts d'aménagement et d'équipement du télécentre auxquels viennent s'ajouter les factures d'électricité et éventuellement les frais de loyer et les salaires. En contrepartie, l'exploitant est autorisé à revendre des unités téléphoniques dans une limite maximale de 75 % par rapport au tarif de la taxe de base qui est de 60 Francs CFA soit un prix plafond de 105 Francs CFA8. Afin de réguler leur développement, une des dispositions du contrat impose une distance minimale de cent mètres entre deux télécentres. Ce modèle, dans lequel la commercialisation des services de télécommunications est sous-traitée à des privés, préfigure la privatisation de la Sonatel qui surviendra en 1997 avec la vente de 33 % de son capital à France Télécom dans le cadre de la politique de libéralisation imposée par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI).</p> <p>Dans le Sénégal du milieu des années 1990, confronté à une grave crise économique et dans lequel 67,9 % de la population vit en situation de pauvreté (Ministère de l'Économie et des finances 2004), ces télécentres privés constituent une formidable opportunité pour les jeunes sans emploi, les agents de l'État ayant quitté volontairement la Fonction publique ou encore les retraités vivant difficilement de leurs pensions. Ces groupes investissent massivement le créneau et dès 1995 le nombre de télécentres privés s'élève à 2 042, dont 65 % situés à Dakar (Barbier 1998), et totalisent 4 084 emplois soit deux fois plus que l'effectif du personnel de la Sonatel. L'opération s'avère également être une aubaine pour l'opérateur historique puisque les télécentres privés réalisent 5,5 % de son chiffre d'affaires alors qu'ils ne représentent que 2,5 % des lignes téléphoniques (Zongo 2000). Devant un tel succès, les règles d'établissement des télécentres sont assouplies et l'obligation de respecter une distance minimale entre deux installations est supprimée. Cette mesure provoque une explosion des demandes d'agrément et fin 1997, on dénombre 6 796 télécentres dans l'ensemble du pays. Au fil des années, leur nombre ne cessera d'augmenter atteignant un maximum de 24 284 télécentres en 2005. Un bilan établi l'année suivante faisait état de 18 500 télécentres totalisant 23 000 lignes téléphoniques, employant 30 000 personnes et générant un chiffre d'affaires de 50 milliards de Francs CFA, représentant 33 % du chiffre d'affaires de la Sonatel9, sans parler de l'important bénéfice social apporté à des milliers de citoyens qui virent ainsi leur accès au téléphone facilité.</p> <p>Le succès rencontré par les télécentres privés auprès du public s'explique par le fait que ce dispositif d'accès collectif aux télécommunications : propose une interface humaine susceptible d'assister les personnes âgées, les non voyants, les analphabètes et tous ceux ne savent pas utiliser un téléphone (Benjamin 2000 : 8)10 ; repose sur une installation surveillée en permanence d'où une grande disponibilité ; constitue un cadre permettant de téléphoner avec un relatif confort ; permet de passer des appels téléphoniques mais aussi d'en recevoir ; n'implique pas d'avoir de la monnaie ni de prépayer ses communications ; facilite l'accès aux communications nationales voire internationales pour ceux qui disposent d'un abonnement avec accès restreint.</p> <p>Les télécentres étant principalement localisés dans les zones à forte densité de population, ce sont entre 60 et 70 %11 de la population qui a pu bénéficier d'un accès indirect au téléphone (Chéneau-Loquay 2001 : 126) permettant ainsi à l'accès universel de faire des progrès considérables12. Le modèle des télécentres privés sénégalais a montré que, dans certaines conditions, la privatisation de la revente de services de télécommunications pouvait accroître l'accès universel au téléphone là où les mécanismes mis en œuvre par la puissance publique montraient certaines limites. Cependant, ce constat doit être tempéré par le fait que l'analyse de leur répartition géographique révèle, qu'avec plus de 50 % de télécentres situés dans l'agglomération dakaroise, les télécentres privés ont épousé les distorsions du marché plus qu'ils ne les ont corrigées puisqu'ils se sont concentrés dans les zones les plus rentables. Contrairement à la plupart des modèles de télécentres expérimentés par les organismes d'aide au développement et même par les organisations non gouvernementales (ONG), ils ont offert une solution relativement pérenne permettant à nombre de citoyens d'accéder au téléphone. Enfin, bien que ne revendiquant aucune vocation sociale, ils ont joué un rôle clé dans l'appropriation du téléphone par de larges franges de la population, sans parler de la création de dizaines de milliers d'emplois, certes précaires et peu payés13, mais constituant un filet de sécurité sociale appréciable pour des milliers de familles.</p> <h3 class="spip">Un secteur organisé et en quête de régulation</h3> <p>À la fois clients de la Sonatel et revendeurs de services, les exploitants de télécentres ont très tôt ressenti la nécessité de s'organiser. C'est ainsi que l'Union nationale des exploitants de télécentres (Unetel) verra le jour dès 1995 même si son existence sera plutôt éphémère (Barbier 1998). Après un vide de quelques années, l'Association pour la redynamisation des télécentres (Arts) prend la relève à partir de 1998 mais doit rapidement s'accommoder de l'existence d'une organisation concurrente, le Syndicat national des télécentres privés du Sénégal (Synts), créé en 1999. Ce dernier finira par s'imposer et sous la pression « amicale » de la Sonatel, qui n'apprécie guère le terme « syndicat », il changera d'appellation en 2001 pour devenir l'Union nationale des exploitants de télécentres et téléservices du Sénégal (UNETTS). Une des premières batailles menée par l'UNETTS fut d'exiger une meilleure qualité de service de la part de la Sonatel car pour ces clients particuliers, tirant l'intégralité de leurs revenus du téléphone, les lignes en dérangement et les longs délais de rétablissement étaient synonymes de perte de clientèle et donc de baisse de leur chiffre d'affaires. De plus, ils demandèrent à l'opérateur de faire preuve de tolérance en cas de retard de paiement afin de ne pas voir leurs lignes téléphoniques suspendues comme n'importe quel abonné ordinaire. Enfin, ils réclamèrent que les unités téléphoniques leur soient vendues en gros et non au de détail comme pour les autres abonnés. Autant la Sonatel consentira des efforts sur les deux premiers points, autant elle n'acceptera jamais de pratiquer des prix de gros, trop heureuse de disposer de milliers de lignes fortement rentables, notamment dans les zones rurales où les télécentres privés polarisaient l'essentiel du trafic14. Elle préféra pratiquer des ristournes, en fonction du volume d'unités vendues, récompensant ainsi les télécentres les plus rentables15. Au fil des années, la rentabilité des télécentres privés diminuera régulièrement du fait de leur multiplication notamment suite à la suppression de la distance minimale obligatoire. En effet, si dans un premier temps la mesure avait été appréciée car facilitant le développement du secteur, ses contrecoups se firent rapidement sentir. L'augmentation du nombre de télécentres privés dans les zones les plus rentables entraîna une guerre des prix qui fit passer progressivement le prix l'unité téléphonique de 105 Francs CFA à 65 Francs CFA, avec pour conséquence une marge bénéficiaire réduite à 6 Francs CFA par unité en lieu et place des 46 Francs CFA de naguère. L'UNETTS se mobilisera afin d'obtenir le rétablissement de cette clause, mais en vain, la Sonatel se contentant de geler la délivrance de nouveaux agréments dans les zones urbaines pour de courtes périodes16. Cette mesure s'avérera cependant sans effet de même que les actions de sensibilisation organisées par l'UNETTS auprès de ses membres en vue de tenter d'organiser une sorte de contrôle des prix17.</p> <p>L'UNETTS se tourna alors vers l'Agence de régulation des télécommunications (ART)18 qui en réponse présenta, en octobre 2002, un projet de cahier des charges qui restera sans suite. Relancée par l'UNETTS, l'ART remania le projet initial afin de prendre en compte l'activité de la société Digital Net, commercialisant des terminaux GSM destinés aux télécentres, ainsi que l'arrivée d'un troisième opérateur. Lors d'un atelier de validation du nouveau projet de cahier des charges, organisé en septembre 200419, deux positions s'affrontèrent qui bloquèrent son adoption. Pour l'UNETTS, le télécentre devait être défini comme une activité de distribution de services de télécommunications, quelle que soit la technologie utilisée, dans un local aménagé disposant d'une superficie minimale et dans le cadre duquel il devait être vendu uniquement des services de télécommunications. Elle réclamait également à ce que soient définis les droits respectifs des exploitants de télécentres privés et des opérateurs de télécommunications. L'UNETTS souhaitait également que soient institués des prix de gros et revendiquait l'établissement d'une fourchette de prix encadrant la revente des unités téléphoniques20. Enfin, elle demandait la création d'un fond de consignation destiné à recueillir les milliards de Francs CFA déposés en caution par les exploitants de télécentres auprès de la Sonatel21. De son côté, Digital Net souhaitait que l'activité télécentre soit définie comme une activité de distribution de services de télécommunications, quelle que soit la technologie utilisée et quel que soit le lieu de vente (local fermé, lieux ouverts au public, voie publique, etc.)22. Prétextant le manque de consensus entre les acteurs, arguant du fait que le Code des télécommunications ne prévoyait pas de régime juridique spécifique pour la revente des services téléphoniques et s'interrogeant sur l'opportunité de réguler et/ou de réglementer cette activité compte tenu des options libérales de l'État, l'ART décida finalement de geler le processus. Ces réticences à établir un cahier des charges furent encore renforcées lorsque la Sonatel l'informa qu'elle avait déposé la marque « Télécentre », auprès de l'Organisation africaine de la propriété intellectuelle (OAPI) depuis le 14 juillet 2004, et en détenait désormais le droit d'utilisation exclusif23. Rejetant ces arguments, l'UNETTS poursuivit cependant son combat en faveur de la régulation des télécentres privés, estimant que c'était le meilleur moyen de stabiliser le secteur.</p> <h3 class="spip">Téléphonie mobile qui rit, télécentres qui pleurent</h3> <p>Outre la concurrence exacerbée s'exerçant entre les télécentres, le développement de la téléphonie mobile est peu à peu devenu la principale cause de leurs problèmes. Apparue en septembre 1996, avec le lancement du réseau Alizé24 par la Sonatel, sa croissance a été stimulée à partir d'avril 1999 avec l'arrivée de Sentel et l'est encore un peu plus depuis la venue d'Expresso sur le marché en janvier 2009. À ses débuts, la téléphonie mobile a fonctionné sur un modèle économique, reposant sur la réalisation d'une marge importante résultant de prix élevés imposés à un faible nombre d'abonnés, qui ne constituait pas une menace sérieuse pour les télécentres privés. À partir des années 2000, les téléphones portables de seconde main et les terminaux bon marché ont fait leur apparition en même temps que la concurrence entre les opérateurs faisait baisser le prix des abonnements et des communications. Dès lors, un nouveau modèle économique, basé sur la réalisation d'une faible marge sur un nombre élevé d'abonnés, s'est imposé dans le cadre duquel la téléphonie mobile s'est développée à un rythme que même les opérateurs n'avaient pas prévu. Elle a ainsi franchi le cap des 500 000 abonnés en 2002, celui du million d'abonnés en 2004 pour atteindre 5 983 639 abonnés en mars 2009 soit un taux de pénétration de 49,16%25. En une dizaine d'années, la téléphonie mobile est donc passée du statut de produit de luxe réservé aux plus aisés à celui de produit de consommation courante à la portée d'un grand nombre de Sénégalais au point qu'en 2007, avec un chiffre d'affaires de 282 milliards Francs CFA et une croissance annuelle de 39,6 %, elle générait 53 % des revenus des télécommunications26.</p> <dl class='spip_document_880 spip_documents spip_documents_center' style=''> <dt><a href="http://vecam.org/IMG/pdf/volution_du_nombre_de_lignes_publiques-2.pdf" title='PDF - 650.1 ko' type="application/pdf"><img src='http://vecam.org/local/cache-vignettes/L52xH52/pdf-eb697.png' width='52' height='52' alt='PDF - 650.1 ko' style='height:52px;width:52px;' /></a></dt> <dt class='spip_doc_titre' style='width:120px;'><strong>Évolution du nombre de lignes publiques</strong></dt> </dl> <p>Chiffres reconstitués par l'auteur d'après diverses sources : ARTP, Sonatel, etc.</p> <p>Outre la baisse des tarifs d'abonnements et des communications, la téléphonie mobile s'est appuyée sur l'accroissement de la couverture de ses réseaux ainsi que sur des innovations techniques et des opérations commerciales pour conquérir la clientèle des télécentres privés. Ainsi, l'introduction par Sentel, en novembre 2005, puis par la Sonatel, novembre 2006, de la taxation à la seconde (TAS) et des systèmes de recharge de crédit à partir de 100 Francs CFA, combinés à la possibilité de transférer du crédit à un tiers, ainsi que le lancement de cartes prépayées ayant une valeur faciale de 1 000 Francs CFA ont porté un rude coup aux télécentres. En effet, nombre de possesseurs de téléphones portables qui se rabattaient sur les télécentres privés lorsque leur crédit était épuisé se sont alors massivement détournés de cette option puisqu'il leur était désormais possible de recharger du crédit avec une somme dérisoire où de s'en faire envoyer par un tiers. À ces nouveautés, sont venues s'ajouter les nombreuses opérations de promotion commerciales offrant des bonus de 50 % lors de l'achat d'une carte prépayée qui ont contribué à fidéliser, voire à étendre, la clientèle de la téléphonie mobile. Par ailleurs, l'introduction de la téléphonie fixe prépayée, le lancement des cartes internationales prépayées, la baisse des tarifs des communications internationales et mobiles, l'harmonisation des tarifs de communications entre le fixe et le mobile et, dans une moindre mesure, le développement de la téléphonie sur Internet (VoIP) ont également contribué à détourner le public des télécentres privés d'autant plus que, durant toute cette période, ces derniers n'ont bénéficié d'aucune innovation technologique ni de promotion commerciale. Enfin, les progrès réalisés en matière de téléphonie rurale, avec la couverture téléphonique de 13 000 des 14 000 villages du pays par la Sonatel, a étendu la couverture des réseaux de téléphonie mobile et grignoté les parts de marché détenues par les télécentres dans ces zones. La baisse de rentabilité qui a découlé de cet ensemble de facteur a poussé certains télécentres à réduire le nombre de lignes qu'ils exploitaient voire à cesser leurs activités. Conséquence directe de cette situation, le nombre de lignes de téléphonie publique, essentiellement constitué par les lignes de télécentres a chuté de 68,71% passant de 19 261 en mars 2005 à 6 027 en mars 2009.</p> <dl class='spip_document_881 spip_documents spip_documents_center' style=''> <dt><a href="http://vecam.org/IMG/pdf/volution_diu_nombre_de_telecentres_au_Senegal.pdf" title='PDF - 234.7 ko' type="application/pdf"><img src='http://vecam.org/local/cache-vignettes/L52xH52/pdf-eb697.png' width='52' height='52' alt='PDF - 234.7 ko' style='height:52px;width:52px;' /></a></dt> <dt class='spip_doc_titre' style='width:120px;'><strong>Evolution du nombre de télécentres au Sénégal</strong></dt> </dl> <p>Source : Agence nationale de la statistique et de la démographie et SONATEL</p> <p>Parallèlement, après avoir atteint un maximum de 24 285 en 2005, le nombre de télécentres a rapidement diminué à partir de 2006 pour atteindre 4 246 télécentres en décembre 2008. D'aucuns estimeront que la disparition des télécentres est un phénomène inéluctable dans la mesure où ils ont rempli le rôle historique qui était le leur jusqu'au moment où les conséquences des changements intervenus dans le secteur des télécommunications (Sagna 2008) leur ont fait perdre toute raison d'être. Cela étant, le développement de la téléphonie mobile n'est pas forcément synonyme de disparition des télécentres puisque dans certains pays, tels le Maroc où l'Afrique du Sud, où son taux de pénétration est beaucoup plus élevé qu'au Sénégal, ceux-ci continuent à prospérer (Ndao 2008 : 8). Par ailleurs, il faut bien voir que les télécentres ne peuvent être considérés comme un simple dispositif d'accès collectif aux télécommunications comme pouvaient l'être les cabines publiques dans la mesure où ils assument une fonction économique et sociale vitale pour des milliers de familles. Dès lors, l'État peut difficilement laisser ce secteur s'effondrer et voir disparaître des milliers d'emplois sans tenter de lui venir en aide au nom de la cohésion sociale. De plus, la disparition progressive des télécentres ne signifie pas que la question de l'accès universel au téléphone soit devenue une question caduque.</p> <table class="spip" summary=""> <caption>Évolution de l'environnement des télécentres privés au Sénégal (1992-2009)</caption> <tr class='row_even'> <td class='numeric '>1992</td> <td>Télécom-Plus, filiale de la Sonatel expérimente quatre télécentres multifonctionnels</td></tr> <tr class='row_odd'> <td class='numeric '>1993</td> <td>La Sonatel autorise la revente de services téléphoniques par des télécentres privés</td></tr> <tr class='row_even'> <td class='numeric '>1995</td> <td>Création de l'Union nationale des exploitants de télécentres (UNETELS)</td></tr> <tr class='row_odd'> <td class='numeric '>1996</td> <td>Lancement du réseau de téléphonie mobile Alizé, devenu Orange, par la Sonatel</td></tr> <tr class='row_even'> <td class='numeric '>1997</td> <td>Privatisation de la Sonatel</td></tr> <tr class='row_odd'> <td class='numeric '>1998</td> <td>Création de l'Association pour la redynamisation des télécentres du Sénégal (ARTS)</td></tr> <tr class='row_even'> <td class='numeric '>1999</td> <td>Lancement du réseau de téléphonie mobile de Sentel devenu Tigo Création du Syndicat national des télécentres privés du Sénégal (SYNTS)</td></tr> <tr class='row_odd'> <td class='numeric '>2000</td> <td>Le nombre d'abonnés à la téléphonie mobile franchit le seuil des 200 000 abonnés et dépasse celui des abonnés à la téléphonie fixe</td></tr> <tr class='row_even'> <td class='numeric '>2001</td> <td>Le Synts devient l'Union nationale des exploitants de télécentres et téléservices du Sénégal (UNETTS)</td></tr> <tr class='row_odd'> <td class='numeric '>2002</td> <td>La téléphonie mobile franchit le cap des 500 000 abonnés</td></tr> <tr class='row_even'> <td class='numeric '>2004</td> <td>La téléphonie mobile atteint le million d'abonnés Digital Net introduit les télécentres GSM fixes et mobiles</td></tr> <tr class='row_odd'> <td class='numeric '>2005</td> <td>Sentel lance la taxation à la seconde ainsi qu'une formule de recharge et de transfert de crédit. La Sonatel lance la téléphonie fixe prépayée et les cartes internationales prépayées</td></tr> <tr class='row_even'> <td class='numeric '>2006</td> <td>La téléphonie mobile atteint le seuil des trois millions d'abonnés La Sonatel introduit la taxation à la seconde et une formule de transfert de crédit</td></tr> <tr class='row_odd'> <td class='numeric '>2007</td> <td>La téléphonie mobile atteint le seuil des quatre millions d'abonnés Une licence fixe, mobile et Internet est attribuée à Sudatel</td></tr> <tr class='row_even'> <td class='numeric '>2008</td> <td>La téléphonie mobile atteint les cinq millions d'abonnés</td></tr> <tr class='row_odd'> <td class='numeric '>2009</td> <td>La téléphonie mobile atteint le seuil des six millions d'abonnés Lancement du réseau de téléphonie mobile 3G de Sudatel sous le label Expresso</td></tr> </table> <p>Source : Agence nationale de la statistique et de la démographie et SONATEL</p> <p>En effet, les chiffres officiels publiés par l'ARTP sur le taux de pénétration de la téléphonie sont quelque peu surestimés du fait de biais liés à son mode de calcul. Tout d'abord les chiffres rendus publics par l'ARTP correspondent au nombre cumulé de cartes SIM vendues et non au nombre de puces effectivement actives. Ils incluent notamment les puces achetées par des personnes de passage au Sénégal ainsi que celles devenues inactives pour être restées trop longtemps sans avoir été rechargées. Enfin, ils comptabilisent les détenteurs de téléphones portables qui, pour des raisons personnelles ou professionnelles, possèdent plusieurs puces. L'ARTP est d'ailleurs consciente de ces phénomènes puisqu'en septembre 2008, elle estimait le nombre réel de puces actives à 4 135 000 sur les 5 000 960 officiellement déclarées par les opérateurs27 soit une différence de 17%. Si l'on ajoute à ces considérations le fait que la plupart des abonnés à la téléphonie fixe possède au moins un abonnement à la téléphonie mobile, il apparaît clairement que le taux de pénétration globale de la téléphonie est bien loin des 51,13%28 résultant de l'addition des taux de pénétration de la téléphonie fixe et mobile. Ces chiffres prouvent ainsi que la question de l'accès universel au téléphone reste d'actualité malgré les progrès considérables réalisés grâce à la téléphonie mobile. Dès lors, il apparaît qu'il existe toujours un rôle à jouer pour les télécentres à conditions que ceux-ci s'adaptent au nouvel environnement.</p> <h3 class="spip">Les télécentres privés à la croisée des chemins </h3> <p>Anticipant ou non la nécessaire mutation des télécentres privés, de nombreuses actions de renforcement de capacité ont été organisées à leur intention dans le cadre de projets financés par la coopération internationale29. Cela étant, bien peu ont réussi à faire le saut qualitatif leur permettant de passer du statut de télécentre monofonctionnel à celui de télécentre multifonctionnel et ce pour diverses raisons. Tout d'abord, la majorité des télécentres privés étant des entreprises familiales, gérées par des personnes ayant peu voire pas de formation professionnelle (Barbier 1998) ni les compétences techniques et managériales nécessaires, il n'a pas été possible de dépasser certaines limites objectives. S'agissant du cadre d'accueil, la plupart des télécentres privés évoluant dans des locaux répondant strictement à la norme des 12 m2 édictée par la Sonatel, il n'était guère réaliste de vouloir les transformer en des structures multifonctionnelles possédant des équipements bureautiques et informatiques destinés à être utilisés par une clientèle nombreuse (Candelier et Lemoine 2001)30. Enfin, l'acquisition de nouveaux équipements, leur maintenance, leur alimentation électrique et leur fonctionnement, sans parler de l'aménagement des locaux ni des coûts récurrents additionnels (personnel supplémentaire et/ou plus qualifié, frais d'abonnement à l'ADSL, facture électrique, etc.) nécessitaient un investissement et des disponibilités financières hors de portée de la majorité des exploitants de télécentres privés. Dès lors, la mutation souhaitée des télécentres monofonctionnels en des télécentres multifonctionnels s'est trouvée hypothéquée par le profil même de leurs exploitants. À cela s'est ajouté le fait que durant des années, les exploitants de télécentres privés ont mené un combat auprès de la Sonatel afin d'interdire le couplage de l'activité télécentre avec toute autre activité commerciale (salon de coiffure, vente de produits cosmétiques, boutique, etc.). Ils ont certes obtenu gain de cause mais avec pour résultat l'émergence d'un modèle de télécentre reposant sur la « monoculture » de la téléphonie fixe avec les terribles conséquences qui en ont découlé suite au développement exponentiel de la téléphonie mobile. Confirmant cette difficulté à évoluer vers un autre modèle, il est significatif de constater que les cybercentres, apparus à partir de 1996, ont généralement été créés par de nouveaux entrepreneurs et non par les exploitants de télécentres privés.</p> <p>La gravité de la situation a amené l'UNETTS à tirer la sonnette d'alarme en vue de faire prendre conscience, aux autorités gouvernementales et à l'opinion publique, de l'ampleur du phénomène ainsi que de ses conséquences économiques sociales. Elle a notamment organisé, en juillet 2007, une journée de réflexion sur le thème « Les télécentres et les innovations TIC : Quels enjeux pour le Sénégal ? » à laquelle ont participé des représentants de l'État (ADIE, ARTP, etc.), du mouvement consumériste (SOS consommateurs), de la société civile (OSIRIS) et des professionnels du secteur des TIC. Les différents intervenants ont été unanimes à reconnaître que la survie des télécentres privés dépendait essentiellement de leur capacité à s'adapter au nouveau contexte, à travers une diversification de l'offre de services et une nouvelle organisation du secteur. La nécessité de diversifier leurs partenariats afin de réduire leur dépendance vis-à-vis de l'opérateur historique a également été mise en exergue compte tenu de la présence de Sentel sur le créneau de la téléphonie mobile et de l'arrivée de Sudatel dans le cadre de l'attribution de la licence globale lui permettant de fournir des services de téléphonie fixe, mobile et Internet (FMI)31. La professionnalisation du secteur, avec ses corollaires que sont la mise à niveau des acteurs et le recrutement de nouvelles compétences, a également été identifiée comme une priorité sans parler de l'amélioration des conditions d'accueil de la clientèle. La prise de mesures isolées ne saurait cependant suffire à résorber la crise que vivent les télécentres privés tant les problèmes posés sont nombreux et complexes et leurs limites intrinsèques importantes. Dès lors, il est nécessaire d'envisager une véritable stratégie de sauvetage du secteur adossée à une vigoureuse intervention de l'État.</p> <p>Compte tenu du rôle économique et social joué par les télécentres privés et des potentialités qu'ils recèlent en matière de vulgarisation des TIC, la puissance publique se doit d'aider ce secteur en difficulté. D'ailleurs, à l'heure où le gouvernement sénégalais vient d'élaborer la Stratégie de croissance accélérée (SCA), dont l'une des grappes porteuses est celle des TIC et des Téléservices32, il ne serait guère cohérent qu'il assiste passivement à la disparition des télécentres privés identifiés comme un des leviers essentiels de toute politique en la matière. En effet, les télécentres constituent un réseau pouvant être utilisé pour le développement de l'accès à Internet ainsi que le déploiement de toute une série de services liés au développement de la société de l'information (téléprocédures, paiement en ligne, etc.). Or, les dispositifs d'accès collectif à Internet ont de beaux jours devant eux car il est tout à fait illusoire de penser que la connexion individuelle à Internet fera des progrès majeurs dans les prochaines années comme en témoigne son faible taux de pénétration qui est de 0,45 %33 après douze années d'existence ! À ce niveau, la barrière principale reste le coût de l'équipement (ordinateurs comme téléphones permettant d'utiliser l'Internet mobile) et celui des services qui restent hors de portée de la majorité des Sénégalais. Dès lors, il est légitime de penser qu'il existe des perspectives de survie pour les télécentres privés dans la mesure où ils seront capables de se transformer radicalement pour s'adapter au nouvel environnement. L'État, en concertation avec les exploitants télécentres privés et les opérateurs de télécommunications devrait donc s'impliquer dans la conception d'une stratégie de sauvetage du secteur. Les discussions qui ont déjà eu lieu en diverses occasions indiquent que la transformation des activités des télécentres privés pourrait s'organiser autour de quatre grandes directions à savoir : <br /><img src="http://vecam.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-1d287.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> la vente de produits et services de téléphonie (cartes SIM, recharges téléphoniques, accessoires de téléphonie, etc.) ; <br /><img src="http://vecam.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-1d287.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> la transformation des télécentre actuels en des télécentres multifonctionnels offrant connexion à Internet, services de traitement de texte, impression de documents, photocopie de documents, numérisation de documents, services de recherche d'information sur Internet, gravure de cédérom et de DVD, l'initiation à la bureautique et à la navigation sur Internet, etc. <br /><img src="http://vecam.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-1d287.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> l'encaissement des factures des sociétés concessionnaires (eau, électricité, téléphone) et de certains impôts et taxes, la vente de timbres postaux et fiscaux, l'exécution partielle ou totale de procédures administratives dématérialisées, la prise de rendez-vous médicaux dans les hôpitaux, l'organisation d'évaluations dans le cadre de certaines formations à distance, l'intermédiation pour les activités de commerce électronique, la fourniture de divers services aux entreprises du secteur informel, etc. ; <br /><img src="http://vecam.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-1d287.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> le couplage de l'activité télécentre avec d'autres activités commerciales.</p> <p>D'autres mesures, certes plus difficiles à mettre en œuvre compte tenu de la nature des entreprises du secteur, ont également été envisagées telles : <br /><img src="http://vecam.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-1d287.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> La création d'une centrale d'achat pour l'acquisition du mobilier, de l'équipement bureautique et informatique ainsi que des consommables ; <br /><img src="http://vecam.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-1d287.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> L'utilisation systématique des logiciels libres pour supprimer les frais récurrents liés au paiement des licences ; <br /><img src="http://vecam.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-1d287.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> Le regroupement des télécentres au sein d'enseignes franchisées en vue de mutualiser les ressources et les compétences.</p> <p>Enfin, les télécentres privés étant dans leur grande majorité des entreprises familiales de petite taille, disposant de peu de moyens financiers et d'un personnel généralement peu qualifié, il est indispensable que l'État prenne des mesures d'accompagnement d'ordre structurel. Parmi les dispositions qui ont été suggérées figurent notamment : <br /><img src="http://vecam.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-1d287.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> La création d'un fonds d'appui aux télécentres privés alimenté par les cautions déposées jusqu'alors par les exploitants auprès de la Sonatel ; <br /><img src="http://vecam.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-1d287.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> L'appui à la mise en place de filières de formation courtes préparant aux métiers exerçables dans les télécentres (gestionnaire, animateur, etc.) ; <br /><img src="http://vecam.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-1d287.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> L'élaboration d'un statut de télécentre agréé autorisant la fourniture d'un certain nombre de services particuliers ; <br /><img src="http://vecam.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-1d287.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> Le développement de procédures administratives dématérialisées dont l'exécution pourrait se faire dans les télécentres agréés ; <br /><img src="http://vecam.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-1d287.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> La mise en place d'une réglementation stricte imposant aux opérateurs de téléphonie mobile de commercialiser leurs abonnements et les recharges de crédits à travers des circuits de distribution commerciale officiels.</p> <p>* * *</p> <p>Concurrencés par le développement de la téléphonie mobile et affaiblis par les pratiques commerciales des opérateurs de télécommunications, les télécentres privés sont fortement menacés de disparition s'ils n'opèrent pas rapidement de profondes mutations. Créés puis couvés par la Sonatel lorsqu'ils lui apportaient jusqu'à un tiers de son chiffre d'affaires, ils sont aujourd'hui abandonnés à leur sort, le curseur de la rentabilité s'étant déplacé vers la téléphonie mobile. Cette situation n'est d'ailleurs pas pour déplaire à la Sonatel qui voit ainsi s'affaiblir des partenaires avec lesquels elle était liée par un contrat et qui, au fil des années, s'étaient organisés pour défendre leurs intérêts. Par contre, rien de tout cela avec les milliers de jeunes évoluant dans le secteur informel et qui revendent, à la sauvette, cartes SIM et recharges de crédit dans les rues des principales agglomérations du pays. Ironie de l'histoire, les télécentres privés, qui avaient été mis en place dans le cadre des politiques de libéralisation de l'économie afin de pallier les lacunes de la puissance publique en matière d'accès universel à la téléphonie fixe, sont aujourd'hui victimes de cette même libéralisation. Leur déclin illustre bien une des caractéristiques de la société capitaliste en réseau mise en évidence par Manuel Castells, à savoir l'extrême flexibilité d'un système qui peut à un moment établir des connexions avec tout ce qui est précieux au regard de la valeur et des intérêts dominants et à un autre se déconnecter de tout ce qui ne l'est pas ou qui est dévalué (Castells 1999). Rétrospectivement, le constat qui s'impose également est que tant l'État, à travers l'opérateur historique que le secteur privé, à travers les télécentres, se sont montrés incapables, à eux seuls, de résoudre correctement la question de l'accès universel. Dès lors, il faudrait songer à se tourner vers d'autres politiques, centrées sur l'intérêt public, et combinant régulation par l'État et autorégulation par le marché afin de tirer profit des avantages de l'un et de l'autre tout en limitant leurs inconvénients respectifs, comme le suggère fort justement Caes Hamelink (1999)..</p> <p>Dans cette perspective, il serait légitime que les télécentres privés puissent bénéficier, sur la base d'un cahier des charges défini par l'Agence de régulation des télécommunications et des postes, de subventions alimentées par le Fonds de développement du service universel des télécommunications (FDSUT)34 afin de continuer d'offrir aux plus démunis un dispositif d'accès aux services de télécommunications qui soit à leur portée. En effet, dans la société de l'information et de la connaissance partagée qui se met peu à peu en place, l'accès à l'infrastructure d'information et l'utilisation des services qui lui sont associés peuvent être légitimement considérés comme faisant partie des droits universels des citoyens car déterminant la possibilité de bénéficier ou non de toute une série d'opportunités économiques et sociales sans parler du rôle croissant qu'ils jouent dans les conditions d'exercice de la citoyenneté (Raber 2004). Cependant, quelle que soit l'ampleur des efforts que les télécentres privés feront pour s'adapter au nouvel environnement et l'efficacité des mesures de sauvetage qui pourraient être prises par l'État, le régulateur et les opérateurs de télécommunications, il est certain qu'ils ne réussiront pas à reconquérir les parts de marché perdues face à la téléphonie mobile. On voit mal, en effet, les consommateurs abandonner leurs téléphones portables et les avantages qui leur sont associés (confort personnel, mobilité, prestige social, symbole de modernité, etc.) pour revenir massivement vers ces dispositifs d'accès collectifs aux télécommunications. Après avoir connu un développement impressionnant du début des années 1990 jusqu'au milieu des années 2000, il apparaît clairement que « l'âge d'or des télécentres » est bel et bien révolu. Désormais il faudra donc s'habituer à parler au passé de ce qui fut longtemps considéré comme une « success story ».</p> <h3 class="spip"> Références bibliographiques</h3> <p>Agence de rÉgulation des tÉlÉcommunications et des postes (Artp) 2009, « Le marché de la téléphonie fixe », Observatoire trimestriel, Dakar. <br />––––– 2009,« Le marché de l'Internet », Observatoire trimestriel, Dakar. <br />––––– 2009, « Le marché de la téléphonie mobile », Observatoire trimestriel, Dakar. <br />––––– 2008, « Rapport sur le marché des télécommunications au Sénégal en 2007 », Dakar, 55 p. <br />Barbier, F. 1998, L'expansion des télécentres à Dakar, Mémoire de maîtrise, Université de Bretagne occidentale, 131 p. <br />Benjamin, P. 2000, Telecentres 2000, Report 2 : International Studies. Section 2.1 : International Case Study – Africa, 34 p. <br />Bullain, N. & Toftisova, R. 2004, A comparative analysis of European Policies and Practices of NGO-Government Cooperation, <www.politika.lv/index.php?f=426>. <br />Candelier, S. et Lemoine, M. 2001, « Plus de 100 000 internautes au Sénégal », Afrique initiatives, février, 31 p. <br />Castells, M. 1999, Information technology, globalization and social development, Discussion paper n° 114, Unrisd, 15 p. <br />ChÉneau-Loquay 2001, « Les territoires de la téléphonie mobile en Afrique », Netcom, vol. 15, n° 1-2, p. 121-132. <br />Hamelink, C. 1999, ICTs and social development : The global policy context, Discussion paper n° 116, UNRISD, 32 p. <br />MinistÈre de l'Économie et des finances 2004, La pauvreté au Sénégal de 1994 à 2001-2002, Direction de la prévision et de la statistique, Dakar, 31 p. <br />Ndao, S. 2008, Sauvons les télécentres, Dakar, Osiris, août 2008, 12 p. <br />Raber, D. 2004, « Is universal service a universal right ? », in T. Mendina & J. Britz, Information Ethics in the Electronic Age : Current Issues in Africa and the World (ed.), Jefferson & Londres, Mc Farland & Company, Inc. Publishers, p.122-144. <br />Rose, J. B. 1999, Multipurpose Community Telecentres in support of People-Centred Development in Rogers W'O Okot-Uma, Henry Alamango and Keith Yeomans (Editors) Information Technology and & Globalisation : Implications for People-Centred Development, SFI Publishing, Londres. <br />Sagna, O. 2001, Les technologies de l'information et de la communication et le développement social au Sénégal : Un état des lieux, Genève, Unrisd, 2001, 81 p. <br />–––––2006, « La lutte contre la fracture numérique en Afrique : Aller au-delà de l'accès aux infrastructures », Fractures dans la société de la connaissance, « Hermès n° 45 », p. 13- 24. <br />––––– 2008, « Le Sénégal dans l'ère de l'information (1996-2006) », p. 15-40, Netcom, vol. 22, n° 1-2 et Netsuds, vol. 3, p 13-36. <br />Scopsi, C. 2004, Représentations des TIC en milieu migrant : le cas des « boutiques de communication » de Château-Rouge, Thèse de doctorat, Université Paris 10-Nanterre. <br />United Nations Development Programme (UNDP) 2006, Telecottage Handbook. How to establish and run a succesfull telecentre, 89 p. <br />Zongo, G. 2000. « Télécentres au Sénégal », in A. Chéneau-Loquay, Enjeux des technologies de l'information et de la communication en Afrique : Du téléphone à Internet, Paris, Karthala, 402 p.</p></div> Application du triptyque « privatisation, libéralisation, régulation » au secteur des télécommunications Bilan de l'expérience sénégalaise http://vecam.org/article1125.html http://vecam.org/article1125.html 2009-11-15T07:09:11Z text/html fr Olivier Sagna, Maitre de conférences, Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD) Creative Commons Afrique vecam-F Recherche Revue-reseau-TIC Le triomphe du libéralisme dans nombre de pays occidentaux, au début des années 80, a eu pour conséquence la mise en œuvre de politiques axées sur le rétrécissement du périmètre d'intervention de l'Etat, la réduction des budgets sociaux et la déréglementation des secteurs de l'économie fonctionnant jusqu'alors sous contrôle étatique. Dans le cadre de la mondialisation encouragée par les grandes firmes capitalistes, ces politiques ont été relayées dans les instances internationales par la Banque mondiale, le (...) - <a href="http://vecam.org/rubrique2.html" rel="directory">Articles / Publications</a> / <a href="http://vecam.org/mot17.html" rel="tag">Creative Commons</a>, <a href="http://vecam.org/mot42.html" rel="tag">Afrique</a>, <a href="http://vecam.org/mot49.html" rel="tag">vecam-F</a>, <a href="http://vecam.org/mot66.html" rel="tag">Recherche</a>, <a href="http://vecam.org/mot68.html" rel="tag">Revue-reseau-TIC</a> <div class='rss_texte'><p>Le triomphe du libéralisme dans nombre de pays occidentaux, au début des années 80, a eu pour conséquence la mise en œuvre de politiques axées sur le rétrécissement du périmètre d'intervention de l'Etat, la réduction des budgets sociaux et la déréglementation des secteurs de l'économie fonctionnant jusqu'alors sous contrôle étatique. Dans le cadre de la mondialisation encouragée par les grandes firmes capitalistes, ces politiques ont été relayées dans les instances internationales par la Banque mondiale, le Fonds monétaire international, l'Organisation mondiale du commerce ou encore l'Union internationale des télécommunications (Do-Nascimento 2003). Les pays, dont les économies étaient sous perfusion des institutions financières internationales, furent contraints de s'inscrire dans cette dynamique libérale au risque de se voir sevrés de toute aide multilatérale voire bilatérale. C'est dans ce contexte que le Sénégal, dirigé par le Président Abdou Diouf, qui avait fait sienne la devise « Moins d'Etat, mieux d'Etat », a entrepris, à partir de 1987, la privatisation d'une première série d'entreprises publiques du secteur marchand (Samb 2009). Une seconde vague de privatisations intervînt quelques années plus tard qui toucha les entreprises concessionnaires de service public évoluant dans les secteurs de l'eau (Sonees), de l'électricité (Sénélec), etc.1 Le secteur des télécommunications n'échappa pas à cette logique car pour les institutions de Bretton Woods, l'ouverture des pays en développement ne devait pas se limiter aux flux commerciaux, aux flux d'investissements et aux flux financiers mais également s'étendre aux flux de technologies, d'informations et de services (Deepak Nayyar & Amit Bhaduri 1997). Une loi fut donc votée en 1995 afin de privatiser la Sonatel2 et un code des télécommunications adopté en 1996 en vue de libéraliser le marché des télécommunications3.</p> <p>La première étape de la mise en œuvre de la réforme du secteur des télécommunications est survenue en juillet 1997 avec la cession d'un tiers du capital de la Sonatel à France Télécom, suivie par l'introduction du titre en bourse en octobre 1998. La seconde étape, s'inscrivant dans la libéralisation du marché des télécommunications, fut l'attribution d'une licence de téléphonie mobile à Sentel, filiale du groupe Millicom International, en juillet 1998. La troisième étape fut la création d'une Agence de régulation des télécommunications (Art), en janvier 2002, parachevant ainsi la mise en œuvre du triptyque « privatisation, libéralisation, régulation » induit par les engagements internationaux pris par le Sénégal dans le cadre de l'Uruguay Round sur les télécommunications à valeur ajoutée (1994-1995) et la signature de l'accord sur les télécommunications de base (1997)4. A l'époque, la réforme du secteur des télécommunications était décrite, par ses instigateurs, comme le gage d'une plus grande efficacité économique et la condition sine qua non d'une entrée réussie dans la société de l'information. Elle était sensée permettre la modernisation des infrastructures, l'accroissement de la couverture, l'augmentation de la télédensité, la réalisation du service universel, l'amélioration de la qualité de service, la diversification de l'offre de services, la baisse des prix, etc. tous objectifs dont l'atteinte était présentée comme difficile voire impossible par un opérateur public. Près de quinze ans après le lancement de ce processus, il nous a paru intéressant de revenir sur cette réforme et tenter d'en établir un bilan afin de voir dans quelle mesure les fruits ont tenu la promesse des fleurs.</p> <h3 class="spip"> A l'origine de la privatisation était le Grcc…</h3> <p>En 1995, en vue de libéraliser l'économie sénégalaise, une structure composée de membres de l'administration, d'organisations professionnelles et patronales, de syndicats de travailleurs, de représentants du monde rural et d'associations de consommateurs, a été créée, sur recommandation de la Banque mondiale, sous l'appellation de Groupe de réflexion sur la compétitivité et la croissance (Grcc). Sa mission est d'une part de servir de cadre de concertation, d'analyse, d'information et de réflexion en vue d'identifier les entraves à la compétitivité et à la croissance des entreprises et d'autre part de formuler des propositions en vue de lever les entraves et de renforcer la contribution du secteur privé au développement économique5. La réforme des télécommunications figure parmi les priorités du Grcc mais elle est combattue par les syndicats de travailleurs qui, pour s'y opposer, organisent une grève en août 19956. En cette période où le gouvernement met en œuvre le Programme d'ajustement structurel (Pas) imposé par le Fmi suite à la dévaluation du Franc CFA de janvier 1994, la conjoncture n'est guère favorable aux luttes sociales. Pressentant que le combat risque d'être perdu, les syndicats, regroupés au sein d'une intersyndicale, décident alors d'accompagner le processus de privatisation afin d'en limiter les conséquences. Ils exploitent le cadre de concertation constitué par le Grcc pour réclamer que 25% des actions du capital de la Sonatel leur soient réservés (Azam, Dia & N'Guessan 2002 : 26). A l'issue d'âpres négociations, ils se voient finalement attribuer 10% des actions à des conditions très avantageuses7. Suite à cet accord, le schéma retenu est que le capital de la Sonatel sera réparti entre l'Etat (34%), un partenaire stratégique (33,33%), les travailleurs et les retraités de la Sonatel (10%), des investisseurs privés (17,66%) et un opérateur africain à identifier (5%). Les syndicats ayant été en quelque sorte neutralisés, le processus de privatisation se poursuit sans heurts majeurs, d'autant plus que l'opposition a été réduite à peu de chose suite à l'entrée au gouvernement de plusieurs de ses composantes8. Une autre question qui fait débat est de savoir s'il est préférable de libéraliser le secteur des télécommunications avant de privatiser la Sonatel ou au contraire de privatiser avant l'ouverture du marché à la concurrence. Le secteur privé, dont certaines des composantes souhaitent profiter rapidement de cette opportunité, pousse en faveur de la première option tandis que d'autres, parmi lesquels les travailleurs, défendent la seconde afin de laisser le temps à l'opérateur historique de se préparer pour affronter la concurrence. Finalement, il sera décidé d'opter pour la privatisation avant de procéder à la libéralisation.</p> <h3 class="spip"> Une entreprise publique qui n'avait rien d'un canard boiteux</h3> <p>Au moment où la privatisation de la Sonatel se prépare, la situation du secteur des télécommunications est plutôt meilleure que celle prévalant dans nombre de pays africains. La raison principale en est que celui-ci a bénéficié d'une attention particulière des autorités publiques depuis le début des années 70. De plus, il est animé par des cadres de valeur à l'image d'Alassane Dialy Ndiaye qui peut être considéré comme le « père » des télécommunications sénégalaises9. C'est sous l'impulsion de cet ingénieur, formé à l'Ecole nationale supérieure des télécommunications (Enst), qu'ont été introduites, en 1972, les télécommunications par satellites et réalisées les études ayant abouti à la connexion du Sénégal au réseau mondial des câbles-sous-marins avec la mise en service d'Antinéa, Fraternité I et II ainsi qu'Atlantis I entre 1973 et 1982. Nommé en 1973 à la tête de Télé-Sénégal, société d'économie mixte chargée de la gestion des télécommunications internationales10, Alassane D. Ndiaye anticipe l'évolution du secteur. Dans un rapport, rédigé en 1981 à l'attention des autorités, il préconise la fusion des activités de télécommunications nationales et internationales jusqu'alors gérées par l'Office des postes et des télécommunications (Opt) et Télé-Sénégal. Ses recommandations aboutissent en 1985 à la première réforme d'envergure du secteur des télécommunications avec la séparation des activités postales et de télécommunications débouchant sur la création de l'Office de la poste et de la caisse d'épargne (Opce) et la fusion de l'Opt et de Télé-Sénégal qui donne naissance à la Société nationale des télécommunications du Sénégal (Sonatel). Nommé Directeur général de la Sonatel, Alassane D. Ndiaye procède à la numérisation de tous les circuits de commutation et de transmission et introduit la transmission de données par paquets avec la création du réseau X25 Senpac en 1988. Résultat de cette politique, qui sera poursuivie par son successeur Cheikh Tidiane Mbaye, à la veille de la privatisation, l'infrastructure de télécommunications est numérisée à plus de 90 % et comprend près de 36.600 km de câbles en fibre optique ce qui en fait une des plus modernes d'Afrique. Le nombre de lignes téléphoniques principales est de 133.000 lignes, soit une télédensité de 13 lignes principales pour 100011 et grâce à un réseau de télécentres privés, 65% des habitants sont couverts par la téléphonie. Sur le plan des services, le vidéotex (1994), l'audiotex (1995), Internet et la téléphonie mobile (1996) ont été successivement introduits. Bien qu'ayant fortement investi dans l'extension et la modernisation de son réseau, la Sonatel est peu endettée12 et par ailleurs son personnel présente le taux de productivité le plus élevé du secteur des télécommunications en Afrique (Lemesle 2002 : 57). Son capital, qui était de 3,5 milliards de Francs CFA13 en 1985, a été porté à 50 milliards de Francs CFA en 1993, son chiffre d'affaires est de 62.013 milliards de Francs CFA pour un bénéfice net de 12.605 milliards de Francs CFA et elle dispose d'un cash-flow de 24.445 milliards de Francs CFA. Globalement, les télécommunications contribuent pour 2,6% du Pib14 ce qui est remarquable pour un pays en voie de développement. Seuls bémols à ce tableau, les zones rurales ne sont peu couvertes par les services de téléphonie, les sommes dues par le secteur public ont du mal à être recouvrées et surtout 75% des recettes de la Sonatel proviennent des balances de trafics ce qui n'est pas viable dans le nouvel environnement qui se dessine. Comme, on le voit, c'est donc une entreprise performante, saine, plutôt bien gérée et évoluant dans un secteur d'avenir que l'on s'apprête à privatiser et non un canard boiteux.</p> <h3 class="spip"> Quand la privatisation bénéficie à une entreprise publique…</h3> <p>En 1996, les autorités lancent un appel d'offres international pour la sélection d'un « partenaire stratégique » qui se voit proposer l'achat du tiers du capital de la Sonatel pour un prix minimal de 55 milliards de Francs CFA. L'opération n'a pas l'assentiment de la Banque mondiale qui s'oppose au maintien du monopole sur les services de base accordé à la Sonatel15, mais le gouvernement sénégalais décide de passer outre (Dianté 2003). L'opération est un succès et de nombreux investisseurs déposent leurs offres parmi lesquels le français France Télécom, Telia overseas, un consortium piloté par l'opérateur historique suédois et composé de la société américaine The Walter Group, de la société taïwanaise China Telecommunications Services (Cts) et de la société sénégalaise Senecom Partners ainsi que les opérateurs nationaux d'Afrique du Sud, d'Arabie saoudite, de Malaisie, du Maroc, du Portugal, etc. En novembre 1996, Telia overseas remporte l'adjudication avec une offre de 137,3 millions de dollars (Hawkins & Shepher 1997). Cependant, les négociations entre l'Etat et Telia achoppent sur la garantie de l'emploi, le plan d'investissement à long terme et la durée de la concession que l'Etat souhaite de vingt ans tandis que Telia veut la limiter à sept années (Mbengue 2007). Après quatre mois de négociations infructueuses, Telia retire son offre et des négociations s'engagent avec France Télécom qui figure en deuxième place sur la liste des adjudicataires. L'Etat sénégalais s'accorde finalement, avec l'opérateur historique français qui accepte de signer une concession pour une durée de vingt ans et verse la somme de 70 milliards de Francs CFA (Dianté 2003). Ironie de l'histoire, l'opérateur historique sénégalais tombe, à l'occasion de sa privatisation, sous la coupe de France Télécom, une société dans laquelle l'état français détient une participation majoritaire16.</p> <h3 class="spip"> De bons résultats financiers…payés par les consommateurs</h3> <p>L'introduction du titre Sonatel à la Bourse régionale des valeurs mobilières (Brvm) de l'Union économique et monétaires ouest africaine (Uemoa) d'Abidjan (Côte d'ivoire) en octobre 1998 est une première en Afrique de l'Ouest. Quelques 9.000 sénégalais souscrivent des actions17 et au total la vente rapporte plus de 14 milliards de Francs CFA à l'Etat. Introduit sur le marché à la cote de 22.000 Francs CFA, le titre devient rapidement la valeur phare de la Brvm, dont il représente entre 40 % et 50 % de la capitalisation boursière selon les années18. Après une phase de faible croissance entre 1998 et 1999, le titre Sonatel subit les conséquences de la crise ivoirienne et chute jusqu'à atteindre son cours d'introduction. Cependant, à partir de 2003, le retour des fonds d'investissements étrangers le fait repartir à la hausse et il clôture 2005 à 67.015 Francs CFA. En 2006, il franchit la barre des 100.000 Francs CFA pour atteindre le cours record de 194.995 Francs CFA en février 2008. Alors que certains analystes prévoient qu'elle atteigne les 200.000 Francs CFA, voire même les 250.000 Francs CFA19, l'action Sonatel s'inscrit de nouveau à la baisse pour voir son cours se stabiliser autour de 130.000 Francs CFA à la fin du mois de décembre 2008 suite au repli des investisseurs étrangers qui reconsidèrent leurs stratégies de placements du fait de la crise économique mondiale20. Malgré ces fluctuations, le titre Sonatel enregistre une capitalisation boursière de 1300 milliards de Francs CFA en 200821 soit 26 fois le montant de son capital réel. Ces bons résultats reposent sur le fait que les activités du groupe, tirées par la téléphonie mobile, ont fortement progressé au Sénégal (Sagna 2008) et se sont étendues au Mali (2002), en Guinée et en Guinée-Bissau (2006). Le chiffre d'affaires de la Sonatel est ainsi passé de 90.695 milliards de Francs CFA en 1998 à 529.552 milliards de Francs CFA en 2008, soit une progression de 483,9%, pendant que son résultat net progressait de 229% passant de 47.660 milliards de Francs CFA à 156.825 milliards de Francs CFA. De son côté, le dividende par action a augmenté de 400%, passant 2340 Francs CFA en 1998 à 11.700 Francs CFA en 200822 et son Price earning ratio23 n'a jamais été inférieur à 4 s'élevant même à 10 en 2007.</p> <p><span class='spip_document_876 spip_documents spip_documents_center'> <img src='http://vecam.org/local/cache-vignettes/L500xH243/imagsagna-038d0.jpg' width='500' height='243' alt="" style='height:243px;width:500px;' /></span> Source : Brvm</p> <p>Le succès du titre s'explique surtout par le montant de la marge opérationnelle de la Sonatel24. En effet, alors qu'en 2007 Vodafone et AT&T, leaders mondiaux du secteur des télécommunications, affichaient des marges opérationnelles respectives de 26,4%, et de 35,8%, celle de la Sonatel était de 56,2%25. Mieux en juin 2009, cette marge s'établissait à 59%, en hausse de 4,8% par rapport à l'année 200826, tandis que celle du groupe France Télécom était de 34,7% en baisse de 0,7% par rapport précédente27. Si de tels résultats ont été possibles, c'est grâce à une conjonction particulière où interagissent un marché de la téléphonie mobile en très forte expansion28, une concurrence limitée, l'utilisation de technologies et de solutions techniques déjà expérimentées, des tarifs relativement élevés, l'absence d'un véritable mouvement consumériste capable de faire pression sur les opérateurs et une régulation faible qui n'impose guère de contraintes à l'opérateur historique. La réussite financière de la Sonatel privatisée a donc été largement payée par les consommateurs sénégalais du fait d'une régulation très imparfaite du marché.</p> <h3 class="spip"> Immobilisme dans la téléphonie fixe</h3> <p>Le monopole de la Sonatel sur la téléphonie fixe ne l'a guère encouragé à développer cette activité. Dès 2001, la Sonatel a cessé de développer son réseau en cuivre et le nombre de lignes fixes a très faiblement progressé, passant de 140.000 en 1998 à 240.000 en 2008, soit un taux de pénétration de 2,27%. Derrière ces chiffres, se cache en réalité une baisse du nombre de lignes entamée depuis l'année 2007 et s'expliquant principalement par la fermeture progressive des télécentres dont le nombre est passé de plus 24.000 en 2006 à moins de 5000 en 2009. En effet, après avoir joué un rôle important dans la démocratisation de l'accès au téléphone et contribué à la création de près de 30.000 emplois, ils ont été tués à petit feu par la politique tarifaire et commerciale de l'opérateur historique. Bien qu'ayant été parmi les plus gros clients de la Sonatel, ils n'ont jamais pu obtenir le moindre traitement de faveur et se sont vu refuser la possibilité d'acheter leurs unités en gros, la Sonatel se contentant d'accorder des ristournes aux plus performants. De plus, en quinze années d'existence, ils n'ont fait l'objet d'aucune innovation de quelque nature que ce soit pendant que la téléphonie mobile bénéficiait de campagnes publicitaires, de nouveaux services, de baisses des prix des abonnements et des communications et de nombreuses opérations de promotion offrant des crédits de communication à la clientèle. De ce fait, les télécentres, en lesquels beaucoup voyaient un support pour le développement de l'accès collectif à Internet ou encore la création de centres multiservices, ont quasiment disparus et ceux qui subsistent voient leurs activités tourner au ralenti (Sagna 2009). Outre, la disparation de nombreux emplois, la fermeture des télécentres a pour conséquence de réduire les possibilités d'accès au téléphone. Certes, la téléphonie mobile s'est fortement développée et pratiquement tous les villages du pays sont couverts par les services de téléphonie29 mais cela ne signifie pas pour autant que la question du service universel est résolue. En effet, si le problème de la disponibilité de l'infrastructure d'accès ne se pose quasiment plus, avec l'utilisation des technologies sans fil, il n'en reste pas moins que 1.000 des 14206 villages du Sénégal possèdent un point d'accès public au téléphone30. La problématique du service universel se pose toujours puisque l'offre de services n'est que virtuellement accessibles31 car son utilisation effective bute sur la question de l'abordabilité, pour tous ceux qui disposent de très faibles revenus.</p> <h3 class="spip"> Des services à valeur ajoutée en quête de rentabilité</h3> <p>Une autre conséquence du monopole de la Sonatel a été d'étouffer le développement des services à valeur ajoutée pourtant régi par un régime de libre concurrence totale. En effet, alors qu'il existait près d'une quinzaine de fournisseurs de services Internet (Fsi)32 dans les années qui suivirent la connexion du Sénégal à Internet, ceux-ci ont peu à peu été contraints de cesser leurs activités, compte tenu de la concurrence déloyale exercée par Télécom-Plus puis par Sonatel multimédia33. S'appuyant sur son monopole en matière d'accès à la bande passante Internet internationale, la Sonatel a pratiqué des prix de revente au détail sur les liaisons spécialisées qui n'ont pas permis aux Fsi d'exercer rentablement leur activité. Par ailleurs, commercialisant des liaisons spécialisées dont les débits furent pendant longtemps limités à moins d'un mégabits/seconde tandis que Télécom-Plus accédait directement au backbone international, la Sonatel a contribué, par cette pratique, à discréditer les autres Fsi aux yeux de la clientèle car ceux-ci étaient incapables de faire jeu égal avec elle en matière de confort de connexion. Enfin, Télécom-Plus a jouit pendant longtemps de l'avantage comparatif constitué par le réseau commercial de l'opérateur historique sur lequel il a pu s'appuyer à une époque où « services de télécommunications » rimait toujours avec Sonatel dans l'esprit d'une majorité de Sénégalais. Résultat de cette situation contre laquelle le régulateur n'a jamais joué le rôle qui aurait dû être le sien en imposant une régulation asymétrique à l'opérateur historique, seuls subsistent actuellement deux revendeurs de services Adsl. L'absence d'une véritable concurrence sur ce segment de marché est sans doute un des facteurs expliquant le faible taux de pénétration d'Internet dont le nombre d'abonnés était de 57.265 en juin 2009 soit un taux de pénétration de 0,47%, même si par ailleurs le nombre d'utilisateurs d'Internet était estimé à plus d'un million soit un taux de pénétration de 7,2%34. En effet, en dehors des barrières constituées par le fort taux d'analphabétisme numérique, la cherté du matériel informatique et la faible disponibilité de contenus locaux, le maintien de tarifs Adsl relativement élevés constitue un frein à la pénétration d'Internet dans les ménages et les entreprises. De plus au fil des ans, tous ceux qui ont voulu lancer de nouveaux services en ont été dissuadés soit par la Sonatel du fait des tarifs proposés pour accéder à la bande passante soit par le régulateur en raison de considérations réglementaires. D'un autre coté, nombre de fournisseurs de contenus qui avaient créé des services à valeur ajoutée, tels les jeux par Sms proposés par les chaines de télévision et de radios, ont du cesser leur activité du fait d'une législation inadaptée accordant le monopole des jeux de hasard à la Loterie nationale sénégalaise (Lonase)35. En dehors des centres d'appels, seuls quelques fournisseurs de services, tel Manobi, en partie détenue par la Sonatel, ont pu émerger tout en restant marginaux en termes de volume d'activités et de chiffre d'affaires. La libéralisation n'a donc guère favorisé l'apparition de services complémentaires répondant aux besoins des citoyens à travers l'offre d'une gamme variée d'applications ni servi de base au développement d'une économie de services basées sur les Tic36. Enfin, elle a peu contribué à attirer les investissements directs étrangers dans le secteur.</p> <h3 class="spip"> Une concurrence limitée sur le marché de la téléphonie mobile</h3> <p>En matière de téléphonie mobile, le réseau Alizé, lancé par la Sonatel en septembre 1996, est resté pendant plus de deux ans et demi sans concurrent direct ce qui lui a permis d'en tirer un avantage comparatif certain. Durant cette période, Alizé s'est contenté d'offrir à ses clients une formule post-payée qui limitait l'accès de la téléphonie mobile aux plus nantis compte tenu des tarifs pratiqués. Cependant, sachant que Sentel comptait se positionner sur le pré-payé, Alizé a investi le créneau en proposant, à partir de juin 1998, une offre qui a rencontré rapidement un grand succès. Un an après son lancement, elle compte près de 22.000 abonnés dépassant la formule post-payée qui ne totalise que 16.000 abonnés (Guèye 2002). En avril 1999, le groupe Millicom International Cellular (Mic), qui avait obtenu sa licence en juillet 1998, démarre ses activités sous le label Sentel. Sa part de marché passe rapidement de 15% à 26% entre 1999 et 2001 mais, contrecoup de l'annonce du retrait de sa licence par l'Etat, elle retombe à 20% en 2002 avant de remonter à plus de 35% en 2008. Le démarrage des activités d'un troisième opérateur en janvier 2009 a certes apporté un regain de dynamisme au marché de la téléphonie mobile mais il n'a pas véritablement exacerbé la concurrence. En effet, Expresso a adopté un positionnement mettant l'accent sur les capacités et les qualités de son réseau 3G, exigeant l'utilisation de terminaux spécifiques incompatibles avec les réseaux de la Sonatel et de Sentel, et proposant des tarifs du même ordre que les deux autres opérateurs, ce qui a présenté un intérêt limité pour les consommateurs. De plus, la non-portabilité des numéros, n'incite pas les clients à changer d'opérateurs ce qui constitue un frein à l'exercice d'une large concurrence dans ce segment de marché. Au final, si l'instauration de la compétition a indubitablement participé au succès de la téléphonie mobile (Chéneau-Loquay 2002) et a contribué à une baisse des coûts du ticket d'entrée comme de celui des télécommunications, la situation de duopole a fortement limité l'intensité de la concurrence pendant plus d'une décennie. Avec 64,3% des parts de marché37, l'opérateur historique reste ultra dominant sur ce segment de marché, fort de sa position de premier entrant et quelque peu aidé par l'Etat qui, à deux reprises, a annoncé le retrait de la licence accordée à Sentel.</p> <h3 class="spip"> Le monopole public est mort vive le monopole privé !</h3> <p>Le code des télécommunications de 1996 avait prévu trois régimes pour l'exploitation des services de télécommunications : le monopole pour la téléphonie fixe, les liaisons spécialisées, la communication de données et l'accès à l'international, la concurrence limitée pour la téléphonie mobile et la libre concurrence pour les services à valeur ajoutée. Il a été modifié en décembre 2001 par l'adoption d'un nouveau code des télécommunications instituant cinq régimes juridiques à savoir la licence pour l'établissement et/ou l'exploitation de réseaux de télécommunications ouverts au public, l'autorisation pour la mise en œuvre de réseaux indépendants, l'agrément pour les équipements radio électriques et leur installation, la déclaration pour les services à valeur ajoutée et la liberté pour les réseaux internes, les réseau de télécommunications d'entreprise et les installations radioélectriques exclusivement composées d'appareils de faible puissance et de faible portée. C'est dans cet environnement légal et réglementaire que s'est inscrit le fonctionnement de l'opérateur historique qui a bénéficié d'un monopole de jure sur les services de base jusqu'en juillet 2004. Cela étant, le troisième opérateur, qui s'est vu attribuer une licence globale en septembre 2007, ayant décidé de limiter, dans un premier temps, ses activités à la téléphonie mobile, la Sonatel continue de jouir d'un monopole de facto sur les télécommunications de base. Du fait d'une libéralisation mal régulée, elle exerce une position dominante sur neuf des dix segments du marché des télécommunications et partage cette position avec Tigo sur le segment de la téléphonie mobile38. Il n'est donc pas exagéré d'affirmer que la privatisation de la Sonatel et la libéralisation du marché des télécommunications ont eu pour résultat de substituer un monopole privé à un monopole public. De plus, à l'exception de la venue d'un troisième opérateur et de la création de quelques entreprises de téléservices (gestion de la relation client, saisie, traitement documentaire, etc.), la privatisation n'a pas entrainé un accroissement significatif du volume des investissements directs étrangers comme cela a d'ailleurs été constaté dans d'autres parties du continent africain (Mezouaghi 2005). Pour l'essentiel, les lacunes observées dans la libéralisation du marché des télécommunications découlent des faiblesses de la régulation pourtant censée être la pièce du dispositif du libre marché.</p> <h3 class="spip"> Régulation : Impartialité et transparence aux abonnés absents</h3> <p>Dans le cadre du monopole naturel des télécommunications, la régulation du secteur des télécommunications a pendant longtemps été l'apanage de l'opérateur historique. Dès 1985, l'Etat a officiellement retiré les fonctions de régulations à la Sonatel mais dans les faits, elle a continué à les assumer. La création, en 1994, de la Direction des études et de la réglementation des postes et télécommunications (Derpt) au sein du ministère des télécommunications avec pour mission l'approbation des tarifs des services de télécommunications, la délivrance des autorisations d'exploitation de services, la gestion de l'attribution des fréquences radioélectriques, etc.39 n'y changera pas grand-chose puisqu'il s'est en fait agi du transfert d'une ancienne direction de la Sonatel au sein du ministère des télécommunications (Kane 2008 : 157). De même, malgré l'adoption du code des télécommunications de 1996 qui introduisit la séparation entre la fonction d'exploitation et de réglementation en transférant la politique réglementaire au ministère des télécommunications, la Sonatel continuera, bien après sa privatisation, à gérer la régulation. Dans le cadre de l'Accord général sur le commerce et les services (Agcs), le Sénégal avait souscrit une série d'engagements additionnels dont celui de créer, avant le 31 décembre 1997, un organe de régulation40. Cependant, annoncée puis repoussée à plusieurs reprises, la création d'une agence de régulation devra attendre l'adoption du code des télécommunications de décembre 2001 pour être inscrite dans la loi41. Le ministère des télécommunications ayant disparu de l'organigramme gouvernemental à cette époque, l'Art se verra confier les taches de régulation et le pouvoir de réglementation, la rendant à la fois juge et partie. Sa création est effective à partir de janvier 2002 suite à la nomination de Mactar Seck comme Directeur général, cependant, il faudra attendre avril 2003 et la signature des décrets organisant son fonctionnement et nommant les membres du Conseil de régulation pour qu'elle devienne pleinement opérationnelle.</p> <p>Disposant de faibles ressources humaines, provenant pour l'essentiel de la Sonatel, et n'ayant pas les équipements techniques nécessaires à l'accomplissement de ses missions, notamment en matière de contrôle des fréquences, l'Agence de régulation des télécommunications (Art), connaît des débuts difficiles. Comble de malheur, alors qu'elle commence à prendre ses marques, son directeur général, injustement suspecté de vouloir vendre illégalement des fréquences, est limogé en mai 2003, sans qu'aucune explication ne soit officiellement donnée42. Le profil de son remplaçant, Malick F. Guèye, est quelque problématique. Agé de trente et un ans, cet ancien directeur des grands travaux de l'Agence pour la promotion des investissements et des grands travaux (Apix), possède une très faible expérience du secteur des télécommunications pour n'avoir travaillé en tout et pour tout que deux années chez Neuf Télécom dans le cadre de son premier emploi. En juin 2005, il est d'ailleurs relevé de ses fonctions, suite à une mission de l'Inspection générale d'Etat (Ige) ayant décelé des malversations qui auraient porté sur plusieurs centaines de millions de Francs CFA43. La courte histoire de l'Art a mis en évidence le lien direct unissant le régulateur à la Présidence de la république. Le Conseiller spécial du Président de la république pour les Ntic avait d'ailleurs clairement annoncé, avant même sa création, que l'Art ne serait pas autonome comme le souhaitaient nombre d'acteurs mais qu'elle resterait, au moins dans un premier temps, sous la tutelle de la Présidence de la république44. En réalité, d'autonomie elle n'en aura guère comme le montre la manière dont fut attribuée la troisième licence.</p> <p>En janvier 2005, Joseph Ndong, alors ministre des télécommunications, annonce, à l'occasion de la présentation de la lettre de politique sectorielle des télécommunications, que l'Etat a décidé de lancer un appel d'offres international en vue de choisir un nouvel opérateur, dans le courant du premier trimestre 200545. Cependant ce n'est qu'en novembre 2005, à l'occasion du Sommet mondial sur la société de l'information (Smsi), que les choses semblent prendre forme. Le Directeur général de l'Art, Daniel G. Goumalo Seck, déclare depuis Tunis que le cahier des charges de la licence est en cours d'élaboration et que l'appel d'offres sera lancé en janvier 2006 et précise même que l'Etat a déjà choisi les cabinets, Mc Kinsey, Goldman Sachs et Clifford Chance pour être respectivement ses conseillers sectoriel, financier et juridique46. Sans que l'on sache pourquoi, le délai ne sera pas respecté et pendant plus de dix-huit mois on n'entendra plus parler de cette fameuse licence. Coup de théâtre, en août 2007, l'opinion publique est incidemment informée, par le site d'information en ligne « Nettali », que l'Etat procède à la consultation d'un certain nombre d'opérateurs en vue de l'attribution de la troisième licence47. D'abord démentie, l'information est finalement confirmée par l'Agence de régulation des télécommunications et des postes (Artp)48 qui avoue dans un communiqué avoir demandé à tous les opérateurs qui s'étaient montrés intéressés par l'attribution de la licence globale de télécommunications de remettre une offre avant le 31 août 2007. Le 7 septembre 2007, l'Artp annonce que la licence a été attribuée à la société soudanaise de télécommunications, Sudatel, en raison de la qualité de son offre technique et du fait qu'elle offrait la somme de 200 millions de dollars contre 152 millions de dollars et 105 millions de dollars respectivement proposés par Bintel et Celtel49. Les Sénégalais apprendrons plus tard, à travers un communiqué du Conseil des ministres, que Karim Wade, fils du Président de la république et Thierno Ousmane Sy, Conseiller spécial pour les Ntic du Président de la république, avaient conduits les négociations avec Sudatel et que le Chef de l'Etat était personnellement intervenu à plusieurs étapes du dossier tantôt pour récuser un soumissionnaire tantôt pour demander de réviser à la hausse les prétentions financières de l'Etat, mettant de fait l'Artp totalement hors jeu. En fait, si l'on en croit certaines sources, le principe d'attribuer la licence à Sudatel aurait été arrêté bien avant le lancement de l'appel d'offres et ce dernier aurait été organisé à la demande de l'opérateur afin de protéger ses arrières. Quoi qu'il en soit, l'affaire fit grand bruit d'autant plus que Sudatel était sur la liste noire du Département d'Etat. De son côté, le secteur privé national critiquera l'opération n'ayant obtenu que 15% du capital de l'opérateur alors qu'il avait d'abord demandé à l'Artp de lui réserver 51% des parts avant de limiter ses prétentions à 30%.</p> <p>L'autre affaire ayant fortement hypothéqué la crédibilité de la régulation du secteur, même si l'Artp ne peut en être tenue pour directement responsable, a été celle du bras de fer entre l'Etat et Sentel autour de la question de la réévaluation du montant de sa licence. Attribuée en juillet 1998, sous le régime du Président Abdou Diouf, pour une durée de vingt ans au prix de 50 millions de Francs CFA, la licence de Sentel a été brusquement remise en cause par le nouveau régime issu de l'élection présidentielle de mai 2000. En octobre, un communiqué du Conseil des ministres annonce le retrait de la licence de Sentel à compter du 29 septembre 2000 pour non respect de ses engagements en matière de volume d'investissements, défaillances en termes de qualité et de couverture radioélectrique de son réseau, absence d'information relative à la gestion financière et technique de la licence et non paiement d'une dette de 579 millions de Francs CFA due à l'Etat au titre des redevances. Récusant ces accusations, Sentel n'interrompt poursuit ses activités et des discussions s'engagent en coulisses qui aboutissent, en août 2002, à une « paix des braves ». Les deux parties s'accordent sur le principe de rouvrir des négociations après l'attribution de la troisième licence afin de définir de nouvelles conditions d'exploitation, mutuellement acceptables. A la surprise générale, le 30 octobre 2008, Millicom International Cellular publie un communiqué révélant que l'Etat du Sénégal l'a informé de son intention de révoquer sa licence à partir du 31 octobre 2008. Des informations qui filtrent du dossier, il apparait que l'Etat exige de Sentel la somme de 100 milliards de Francs CFA afin qu'elle puisse continuer à exploiter sa licence. Faisant monter la pression, l'Etat attrait l'opérateur devant les tribunaux et de son côté Sentel saisit le Centre international de règlement des différends liés à l'investissement (Cirdi)50. Alors que l'on semble être au bord de la rupture totale, l'Ambassade des Etats-Unis intervient auprès des autorités afin qu'elles autorisent Tigo à poursuivre ses activités sur la base de la convention de 1998, dans l'attente d'un règlement définitif. Cette affaire a provoqué un profond malaise chez les professionnels du secteur qui y ont vu un mauvais signal adressé aux investisseurs pour qui la garantie de la sécurité juridique et financière est essentielle.</p> <p>Ayant vu quatre directeurs généraux se succéder à sa tête en neuf années d'existence51, l'Artp a beaucoup perdu de sa crédibilité d'autant plus que son fonctionnement repose essentiellement sur le directeur général qui détient le véritable pouvoir de régulation. Alors que sa création devait marquer la fin de l'intervention directe de l'Etat dans la régulation, la pratique a montré que cette dernière était gérée par la Présidence de la république avec un certain parti pris en faveur de la Sonatel52 même si cette dernière a été sanctionnée d'une lourde amende en 200753. Par ailleurs, l'Artp n'a pas su prendre en temps opportun les décisions qui s'imposaient en direction de l'opérateur historique afin que celui-ci n'écrase pas la concurrence. De plus, elle n'a guère contribué à résoudre la question du service universel, le Fonds de développement du service universel des télécommunications (Fdsut) mis en place en 2006 n'étant toujours pas opérationnel et la seule action d'envergure à mettre à son crédit en la matière ayant été l'adjudication d'une licence de service universel dans le cadre du projet dans la région de Matam. Enfin, elle n'a pas su répondre aux attentes des acteurs du secteur qui sont suspendus, depuis des années, à la prise de toute une série de décisions concernant des questions aussi cruciales que la téléphonie sur IP, le dégroupage de la boucle locale, la boucle locale radio, la portabilité du numéro, la sélection du transporteur, etc. Conclusion</p> <p>Dès 2003, certains observateurs questionnaient la « réussite » de la privatisation de la Sonatel et montraient que l'opération avait surtout profité à France Télécom (Jaffré 2003). L'examen des résultats financiers de la Sonatel sur la décennie 1998-2008 confirme ce qui pouvait apparaître à l'époque comme une simple tendance. En effet, la Sonatel a réalisé un bénéfice cumulé de 897 milliards de Francs CFA dont l'essentiel est allé à l'actionnaire principal54, sans compter l'ensemble des transferts internes liés au paiement des prestations de services et autres frais de gestions facturés par France Télécom55 ainsi que les 20% de la croissance du résultat d'activités qui sont prélevés sur le bénéfice avant même la rétribution des actionnaires. Si l'on rapporte ces sommes aux 70 milliards de Francs CFA payés en 1997 pour prendre le contrôle de la Sonatel, il est indubitable que ce fut une opération particulièrement rentable pour France Télécom et ces dirigeants ne s'y sont d'ailleurs pas trompés puisqu'ils ont reconnu que les résultats 2004 de la Sonatel avaient dépassé de vingt cinq fois les projections établies au moment des négociations en vue de son acquisition56. Dans une moindre mesure, l'Etat57, les actionnaires privés et les salariés58 ont été les autres grands bénéficiaires de la privatisation. S'agissant des performances de l'entreprise, si l'on s'en tient à la progression de la téléphonie fixe, les résultats n'ont rien eu d'extraordinaire puisque le nombre d'abonnés n'a progressé que de 72% en dix ans avec un taux de pénétration qui est aujourd'hui de 1,98%59. Si le développement de l'infrastructure a permis une couverture quasi-totale du territoire, il n'en reste pas moins qu'elle n'offre qu'un accès potentiel aux services de télécommunications puisque celle-ci a été réalisée avec des technologies sans fil ce qui ne règle que partiellement la question du service universel. Certes, la téléphonie mobile a fait des progrès impressionnants, avec un taux de pénétration de 51,63%60, mais il faut souligner qu'en dehors de la voix, des sms et de l'Internet mobile, elle fournit bien peu de services ayant une véritable utilité sociale. Par ailleurs, son développement s'est fait aux dépens de l'infrastructure fixe ce qui, à terme, risque d'entraver le déploiement de l'Internet à haut débit. Ceci dit, si l'on se réfère à ce qui s'est produit dans des pays comme l'Algérie, le Bénin ou encore le Mali, le choix de privatiser avant de libéraliser s'est avéré judicieux. Pour ce qui est du volet libéralisation, l'évolution des différents segments du marché montre, qu'en dehors de la téléphonie mobile, l'instauration d'un véritable régime de concurrence n'a pas été au rendez-vous. De plus, le monopole de la Sonatel sur l'accès à l'international combiné à son contrôle sur l'accès au câble sous-marin Sat-3 a eu pour résultat le maintien de prix élevés pour l'accès à la bande passante ce qui a entrainé la disparition de tous les fournisseurs de services Internet, une forte diminution du nombre de cybercentres et finalement la faible progression d'Internet dans la société sénégalaise avec un taux de pénétration de 0,45 en 200961. Derrière ces chiffres, se cachent un très faible taux de connexion des établissements scolaires et sanitaires mais aussi des Pmi-Pme avec toutes les conséquences sociales et économiques qui en découlent en termes de développement humain. Par ailleurs, la position dominante exercée par la Sonatel sur les divers segments du marché des télécommunications a eu pour résultat d'entraver la croissance des services à valeur ajoutée ce qui en retour a entrainé une sous-exploitation des capacités de l'infrastructure de télécommunications en l'absence d'applications et de contenus locaux susceptibles d'intéresser les Sénégalais. Enfin, en ce qui concerne le volet régulation, si la séparation des fonctions opérationnelles et de réglementation a été effective, la mise en place d'un organe de régulation autonome a été tardive alors que certains marchés étaient déjà ouverts à la concurrence ce qui a contribué à créer un vide qui a profité à l'opérateur historique. Par ailleurs, l'attitude du régulateur dans le règlement des contentieux et l'attribution des licences de télécommunications a montré qu'il n'avait été capable de mettre en place des procédures transparentes, crédibles et impartiales sans parler de sa subordination vis-à-vis de la Présidence de la république, même s'il est compréhensible que l'Etat ne reste pas indifférent à ce qui se passe dans un secteur aussi stratégique (Plane 2002). Le faible niveau de collégialité dans la prise de décision, l'inaction face à la domination du marché par l'opérateur historique, la lenteur à trancher les questions critiques intéressant le secteur et la confusion des pouvoirs de régulation et de réglementation sont autant d'éléments qui ont également contribué à hypothéquer la mise en place d'une régulation acceptée par tous, de telle sorte qu'à bien des égards, la situation n'a pas beaucoup changé par rapport à ce qu'elle était auparavant. Au vu tout de ce qui précède, le bilan de la réforme du secteur des télécommunications au Sénégal montre donc qu'elle n'a pas été le remède magique qui devait apporter des solutions à tous les maux du secteur des télécommunications. Tous ces effets n'ont certes pas été négatifs mais ses bénéfices ont plus profité à quelques minorités (France télécom, actionnaires privés, équipementiers étrangers, etc.) qu'à la grande majorité des Sénégalais pour qui les opportunités offertes par la Société de l'information restent toujours inaccessibles. Par contre, elle a commis un dégât irrémédiable (?) en dépossédant le Sénégal d'un instrument de politique susceptible de jouer un rôle-clé dans sa stratégie de développement politique, économique, social et culturelle à l'échelle locale, nationale, sous-régionale et continentale.</p> <h3 class="spip">Références bibliographiques </h3> <p>Agence de régulation des télécommunications et des postes (2009), « Le marché de la téléphonie fixe », Observatoire trimestriel, Dakar. <br />––––– 2009, « Le marché de l'Internet », Observatoire trimestriel, Dakar. <br />––––– 2009, « Le marché de la téléphonie mobile », Observatoire trimestriel, Dakar. <br />––––– 2009, « Rapport annuel d'activité 2008 », Dakar. <br />Azam J.P., Dia M. & N'Guessan T. Telecommunication sector reforms in Senegal. World Bank Policy Research Working Paper 2894, September 2002, p. 26 <br />Chéneau-Loquay A. Les territoires de la téléphonie mobile en Afrique. Netcom vol. 15, n° 1-2 sept. 2001. <br />Dianté C.Y. 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Rencontre. DPH : Quelle est l'histoire de la bibliothèque (...) - <a href="http://vecam.org/rubrique127.html" rel="directory">2008 - 2011 i-jumelages</a> / <a href="http://vecam.org/mot17.html" rel="tag">Creative Commons</a>, <a href="http://vecam.org/mot42.html" rel="tag">Afrique</a> <div class='rss_texte'><p>Fils de couturier-homme d'affaires de Dakar et d'une couturière à la maison, titulaire de plusieurs diplomes en gestion-comptabilité, en gestion des ressources humaines et en gestion de coopératives d'épargne et de crédit, Abdoulaye NDiaye, 42 ans, est « chargé des relations extérieures » de la bibliothèque communautaire Ousmane Sembène [<a href='#nb1' class='spip_note' rel='footnote' title='Ousmane Sembène (1923-2007) est un écrivain, réalisateur, acteur et scénariste (...)' id='nh1'>1</a>] de Yoff (Sénégal), laquelle ne reçoit aucune subvention et fonctionne à 100%, sur la base du bénévolat. Rencontre.</p> <p><span class='spip_document_948 spip_documents spip_documents_center'> <img src='http://vecam.org/local/cache-vignettes/L450xH302/article_9-502f1.jpg' width='450' height='302' alt="" style='height:302px;width:450px;' /></span></p> <p><strong>DPH : Quelle est l'histoire de la bibliothèque communautaire de Yoff ?</strong></p> <p>Abdoulaye N'Diaye : « En général, les bibliothèques sont créées par l'État ou les mairies. Cette fois-ci, ce sont les populations elles-mêmes qui se sont levées et ont décidé la création d'une bibliothèque. Face aux difficultés des élèves et des étudiants - le niveau scolaire est très bas -, qui n'avaient pas de bibliothèque autour de Yoff - il leur fallait faire beaucoup de kilomètres -, on a donc décidé de créer une bibliothèque. Le projet a démarré en 1987, mais la bibliothèque a ouvert officiellement en 1992. Nous avons 12 000 ouvrages actuellement. On a réussi essentiellement le renouvellement de l'équipe, car ce projet est perçu par les habitants comme un projet à soutenir : il s'agit d'instruire et de cultiver les Yoffois. »</p> <p><strong>DPH : Comment parvenez-vous à doter la bibliothèque d'ouvrages ?</strong></p> <p>AND : « Mon rôle est d'aller chercher des fonds, de profiter de mes relations, pour en faire profiter la bibliothèque. Je cherche des gens qui sont de passage à Dakar et qui sont capables d'acheminer des livres, pour les offrir à la bibliothèque. Quand on doit aller dans les ambassades demander des livres, c'est moi qui le fais. La plupart des ouvrages viennent d'Occident : il ne faut pas oublier que la plupart des maisons d'édition sont là-bas. Au début, on a beaucoup travaillé avec les ressortissants yoffois en France, qui nous ramenaient beaucoup de livres. À l'époque, on prenait tout, même les livres en français qui ne collaient pas avec nos programmes. Maintenant, on commence à être plus sélectifs avec les livres. Par exemple, on ne veut plus recevoir les manuels scolaires des écoles primaires de France, car le primaire au Sénégal et le primaire en France, ce n'est plus la même chose. Les livres de terminale par contre, ils nous intéressent, car les programmes sont similaires. Ceux-là, on en a besoin. Mais la bibliothèque n'est pas seulement destinée aux écoliers ou aux gens qui parlent français : on a des romans en plusieurs langues, anglais, espagnol, allemand, arabe... L'ambassade des États-Unis nous a donné des livres de gestion et d'informatique en arabe par exemple. »</p> <p><strong>DPH : Comment fonctionne une bibliothèque communautaire ? </strong></p> <p>AND : « On compte sur le bénévolat des élèves. Nous ouvrons les jours où ces élèves n'ont pas d'école. Les élèves deviennent donc bibliothécaires, trois jours par semaine. On peut recevoir 150 personnes en trois jours. On a trois salles : c'est trop petit par rapport à nos ambitions. Beaucoup de livres sont dans des cartons, ce qui ne veut pas dire qu'on a assez de livres par rapport à nos besoins. Les livres que l'on n'utilise pas, on les donne à d'autres associations pour aider à la création d'autres bibliothèques communautaires dans la région. (...) Dans le pays de Senghor, l'amour des livres et de la culture n'a pas perduré après sa mort. Les politiciens, eux, investissent dans les initiatives qui peuvent leur apporter des électeurs, telle est la logique. Ils viennent s'il y a du monde autour. Ils minimisent l'importance des livres et de la culture, et des bibliothèques comme les autres : les responsables politiques nous ignorent et nous minimisent. Beaucoup de politiciens eux-mêmes n'ont pas fait d'études poussées et certains sont analphabètes. D'où le désintérêt pour les bibliothèques. »</p> <p><strong>DPH : Qui finance votre projet et quels sont vos partenaires ? </strong></p> <p>AND : « Nous avons un partenariat avec une bibliothèque aux États-Unis, mais avec la crise, depuis plusieurs années, ils ne nous envoient plus de livre ni d'argent ! ils faisaient des collectes de fonds pour notre bibliothèque, mais tout cela est fini depuis 4 ans. Nos financements viennent uniquement d'organisations locales assez modestes. La municipalité n'a jamais versé une seule subvention, en trois maires successifs, alors que ce sont les enfants de ces maires qui viennent prendre des livres chez nous ! C'est un manque d'intérêt pour l'éducation, pour les choses culturelles. La mutuelle donne 100 000 francs CFA par an. Les cotisations des membres sont de 500 Francs CFA par lecteur actif (moins d'1 €). Avec les cas sociaux, il y a moyen de s'arranger, car on n'est pas une organisation commerciale. Avec régularité, on peut dire qu'aucun organisme ne nous subventionne. Auparavant, on avait une collaboration avec une association. Le partenariat est rompu depuis longtemps, car elle a été créé sous nos yeux et on n'était pas d'accord avec le mode de fonctionnement qu'ils ont utilisé pour se créer, en se substituant à nous. »</p> <p><strong>DPH : Que s'est-il passé ?</strong></p> <p>AND : « Auparavant, en 1987, on travaillait avec l'Association des ressortissants Yoffois en France (ARYF). C'est ce qui nous permettait d'obtenir des livres au départ. Entre 1987 et 1989, des Français se sont greffés à l'association, et petit à petit ils sont devenus nos interlocuteurs en France, en nous permettant de faire venir des livres par l'intermédiaire de Français qui venaient en vacances à Yoff par exemple. Ils ont créé une autre association pour prendre le relais de l'ARYF et ont mis dans leurs actifs tout ce qu'on avait réalisé avec la bibliothèque et ils ont pris à leur compte tout ce qu'on avait fait ici au Sénégal, alors que cette association venait de naître. C'était parfaitement injuste. Ils disaient qu'on avait pas besoin d'informatique, et nous disaient comment gérer les livres, en plus du fait qu'ils nous disaient qu'en fait, les livres étaient leur propriété et qu'ils avaient un droit de regard sur le fonctionnement de la bibliothèque et que s'ils voulaient, ils pouvaient reprendre les livres... On ne peut pas être à 6000 kilomètres et décider à notre place ! Par exemple, même quand ils venaient on ne changeait pas nos méthodes ; par exemple, ce n'est pas parce qu'on sait qu'ils doivent venir, qu'on doit nettoyer et faire comme si tout était beau ; au contraire, on a envie de montrer les choses comme elles sont. Ils nous intimaient de nettoyer avant qu'ils arrivent, c'est infantilisant ! Ils ne comprennent pas notre mentalité, ils pensent que nous sommes des enfants qui ont besoin d'une cravache et d'être frappés pour avancer, alors que nous, on veut la liberté pour avoir notre autonomie : c'est surtout ça notre problème. C'est une question de respect. »</p> <p><strong>DPH : Comment l'Internet intervient-il dans votre projet ? </strong></p> <p>AND : « C'est un complément à la documentation. On ne veut pas rester à l'état de bibliothèque, mais ce qu'on doit avoir, c'est un centre de documentation, d'information et de loisirs. C'est ça notre objectif et dans ce cadre-là, l'Internet a sa place : sur place, on pourrait accéder à différentes bibliothèques universitaires, mais on a un seul ordinateur actuellement, lequel n'est pas tellement performant. Si on en avait d'autres, on pourrait les connecter à l'Internet, car la zone est reliée depuis fort longtemps. On ne peut pas se suffire des livres. »</p> <p><strong>DPH : Qu'est ce que vous apporterait « <i>I-Jumelage</i> » ? </strong></p> <p>AND : « Ca nous apporterait des éléments supplémentaires pour la réalisation de notre projet de centre d'information de documentation et de loisirs. Les gens qui viennent à la bibliothèque et les bénévoles qui gèrent la bibliothèque ont besoin de formation pour savoir comment faire des blogs par exemple. On voudrait créer des formations autour de l'informatique, surtout pour confectionner des blogs, apprendre les techniques d'écriture sur clavier pour permettre aux élèves d'apprendre à écrire très tôt, sur le cinéma populaire, fait par les gens eux-mêmes, grâce à des téléphones portables : toutes ces idées, « <i>I-jumelage</i> » nous a permis de les découvrir et ça serait intéressant de les appliquer chez nous. Nous avons la chance à Yoff d'avoir Internet depuis longtemps. Il faut saisir cette chance. »</p> <p><strong>DPH : Comment percevez-vous le lien entre les associations africaines et la présence, dans le dispositif « <i>I-jumelage</i> » d'une association française qui coordonne le projet ?</strong></p> <p>AND : « Lier les associations africaines entre elles est nécessaire pour moi car pour un développement harmonieux de l'Afrique, il faut que les gens partagent. Le fait que ce soit une association française qui chapeaute encore les associations africaines, sur un plan, c'est regrettable. Mais il faut comprendre que ça ne peut pas venir de n'importe qui, car on n'a pas les moyens ici. On aurait souhaité que l'initiative vienne de nous-mêmes, Africains, mais heureusement le processus est démocratique. C'est ça le plus important : chacun est libre de s'engager s'il le veut. On n'est pas contraint par Vecam, c'est ça qui compte. »</p></div> <hr /> <div class='rss_notes'><p>[<a href='#nh1' id='nb1' class='spip_note' title='Notes 1' rev='footnote'>1</a>] Ousmane Sembène (1923-2007) est un écrivain, réalisateur, acteur et scénariste majeur de l'Afrique contemporaine.</p></div> Interview « Internet permet de sensibiliser aux problèmes des droits de la femme » http://vecam.org/article1231.html http://vecam.org/article1231.html 2009-10-24T14:38:00Z text/html fr Creative Commons Afrique À 32 ans, Halima Oulami est directrice d'une ONG de défense des droits de la femme à travers l'audiovisuel et l'Internet. Basée dans les quartiers pauvres de Marrakech (Maroc), l'ONG El Amane (« la sécurité... pour la femme ») se sert des Technologies de l'information et de la communication (TIC) comme d'outils pour que les femmes se battent pour mieux défendre leurs droits. Rencontre. DPH : Quels sont les problèmes que vous combattez au Maroc ? Halima Oulami : « Dans notre région, un des problèmes les (...) - <a href="http://vecam.org/rubrique127.html" rel="directory">2008 - 2011 i-jumelages</a> / <a href="http://vecam.org/mot17.html" rel="tag">Creative Commons</a>, <a href="http://vecam.org/mot42.html" rel="tag">Afrique</a> <div class='rss_chapo'><p>À 32 ans, Halima Oulami est directrice d'une ONG de défense des droits de la femme à travers l'audiovisuel et l'Internet. Basée dans les quartiers pauvres de Marrakech (Maroc), l'ONG El Amane (« la sécurité... pour la femme ») se sert des Technologies de l'information et de la communication (TIC) comme d'outils pour que les femmes se battent pour mieux défendre leurs droits. Rencontre.</p></div> <div class='rss_texte'><p><strong>DPH : Quels sont les problèmes que vous combattez au Maroc ?</strong></p> <p>Halima Oulami : « Dans notre région, un des problèmes les plus fréquents est celui des jeunes filles qui quittent l'école ou refusent d'y aller. Les violences faites aux femmes sont également un fait inquiétant. Dans mon quartier, j'ai vécu la discrimination : les frères et les hommes ont toujours plus de droit que les filles, car ce sont eux qui subviennent aux besoins de la famille, selon la tradition. Personnellement, j'ai toujours été hantée par l'idée d'être meilleure que mes frères. On est censés aider notre mère à la maison, ne pas faire d'études, tandis que nos frères vont s'amuser. J'ai vécu la violence contre ma mère, contre les femmes de mon quartier. J'ai rêvé d'être avocate. Mais mon père était analphabète, comme ma mère. Il n'a pas vraiment d'expérience dans les études, comme personne dans ma famille d'ailleurs. Je suis la première personne de ma famille à être rentrée à l'université. Je ne savais pas où elle se trouvait, à Marrakech. Dans cette cité universitaire, il y a deux universités : droit et Lettres. On a trouvé beaucoup de gens devant l'université de droit, et peu devant l'université de lettres. Moi j'avais décidé depuis le début que je voulais faire du droit mais je me suis finalement inscrite en histoire géographie, c'est plus proche de moi par rapport à d'autres branches. J'ai fait mon mémoire sur « la gestion de la communauté », par l'intermédiaire de mon prof de droit à l'université. Par la suite, j'ai fait un stage à la commune pour faire une étude sur les problèmes du quartier Sidi Youssef Ben Ali, un quartier pauvre sur la route de Ouarzazate. »</p> <p><span class='spip_document_946 spip_documents spip_documents_center'> <img src='http://vecam.org/local/cache-vignettes/L450xH302/article_8_bis_-68cc6.jpg' width='450' height='302' alt="" style='height:302px;width:450px;' /></span></p> <p><strong>DPH : Comment se déroule votre combat ?</strong></p> <p>H.O : « J'ai créé cette association en 2003. Actuellement nous sommes treize. Nous avons commencé des ateliers d'éducation sur les droits humains de la femme. Qu'est ce qu'un droit, une convention nationale ? Comment peut-on vraiment travailler ensemble ? Nous organisons des formations aux droits de la femme et nous leur apprenons notamment les conventions internationales. L'objectif est d'informer au maximum sur les droits des femmes. L'un des axes de notre stratégie est de former les autres associations, pour mobiliser au maximum sur ce thème. Nous avons commencé par notre quartier ; après deux ans, on a commencé à travailler avec d'autres quartiers de Marrakech, et on a mis en place comme stratégie la formation d'autres associations pour mobiliser davantage sur ce thème ; les animatrices que l'on forme enseignent dans leur langue maternelle, l'amazigh ou l'arabe, ça dépend des régions à Marrakech. On a mis en place des cours d'alphabétisation pour encourager les femmes à venir à l'association. Il y a des femmes qui ne veulent pas venir pour leurs droits, donc on les convainc de venir pour les cours d'alphabétisation. C‘est un moyen pour nous de les toucher sur le droit des femmes par la suite. Le but est de leur apprendre à avoir l'autonomie économique, elle doit être économique d'abord, pour qu'elles puissent décider pour leur vie. Aujourd'hui, des femmes arrivent à lire et à écrire, d'autres participent à la vie politique, comme électrices, d'autres encore ont réussi à lancer des projets économiques. On a travaillé avec plus de 2000 personnes dans la région de Marrakech : femmes et jeunes. Trois femmes ont créé des associations dans les campagnes. »</p> <p><strong>DPH : Comment aidez vous concrètement ces femmes ? </strong></p> <p>H.O : « Par exemple, un jour, une femme s'est enfuie de chez elle, avec ses deux enfants, victime de violences. Elle ne savait ni lire, ni écrire, ni parler. Elle n'avait aucun papier d'identification, ni pour elle ni pour ses enfants. Elle n'avait rien. Nous avons commencé à faire un carnet civil pour elle : ça a demandé presque six à huit mois. C'est nous qui avons été ses garants auprès de l'administration pour prouver son identité. Elle a obtenu une carte d'identité et aujourd'hui elle travaille au marché, pour vendre du sel, du poivre, des épices, de la cuisine. On lui a donné un petit crédit de 1000 dirhams, qu'elle pouvait rembourser en tranches pendant six mois. Elle a fait le ménage une fois à deux par semaine, ses enfants ont pu être intégrés sans papiers à l'école et nous avons commencé les procédures pour signer le contrat de mariage avec son mari. Malheureusement, il n'a pas assisté à la séance au tribunal. Nous avons proposé à la femme de réfléchir au fait de vivre avec lui et de le convaincre de venir au tribunal, où la plainte était civile et non pénale. Mais il n'a pas voulu. Aujourd'hui, elle loue une maison équipée et elle est aujourd'hui dans un meilleur niveau économique que lui. Elle n'a plus peur de lui parler, elle est comme libérée. C'est lui qui essaie de revenir maintenant. Avec la liberté économique, sa vie a changé et le regard de son mari est différent aujourd'hui. »</p> <p><span class='spip_document_947 spip_documents spip_documents_center'> <img src='http://vecam.org/local/cache-vignettes/L450xH302/article_8-d2dfe.jpg' width='450' height='302' alt="" style='height:302px;width:450px;' /></span></p> <p><strong>DPH : Quel est l'intérêt d'Internet dans votre projet ? </strong></p> <p>H.O : « Internet est très important au niveau de la sensibilisation de la population aux problèmes de droits de la femme ; au niveau de notre communication vis-à-vis des autres associations, pour faire la publicité de nos activités, ou encore la recherche de bailleurs de fonds. La subvention du PNUD s'est terminée cette année. Il reste donc des partenariats avec Global Rights, partenaire pour la Justice ou encore le Fonds mondial pour les droits mondiaux, le Global Fund for Women. L'intérêt d'Internet est de pouvoir publier des films qui montrent la réalité. « <i>I-jumelage</i> » va m'apporter de l'échange d'expérience, la possibilité de travailler ensemble, comme avec une association du Mali, Femmes et Tic, qui travaille sur la vidéo comme moyen de sensibiliser aux problèmes des droits de la femme. »</p></div> Portrait : Le combat de Saran Kaba pour un « leadership » des femmes en Afrique http://vecam.org/article1230.html http://vecam.org/article1230.html 2009-10-24T14:36:00Z text/html fr Creative Commons Afrique Pharmacienne de formation, ancienne ministre des Affaires sociales et de la promotion féminine et de l'enfance en Guinée, Saran Daraba Kaba est la fondatrice du Réseau des femmes de la Mano River Union pour la paix (REFMAP), une des plus importantes structures de la société civile ouest-africaine. Elle promeut la résolution des conflits dans la sous-région et l'émancipation des femmes en Afrique. En 2003, la REFMAP a obtenu le prix des droits de l'Homme de l'ONU. Rencontre à Conakry. « Je suis de (...) - <a href="http://vecam.org/rubrique127.html" rel="directory">2008 - 2011 i-jumelages</a> / <a href="http://vecam.org/mot17.html" rel="tag">Creative Commons</a>, <a href="http://vecam.org/mot42.html" rel="tag">Afrique</a> <div class='rss_chapo'><p>Pharmacienne de formation, ancienne ministre des Affaires sociales et de la promotion féminine et de l'enfance en Guinée, Saran Daraba Kaba est la fondatrice du Réseau des femmes de la Mano River Union pour la paix (REFMAP), une des plus importantes structures de la société civile ouest-africaine. Elle promeut la résolution des conflits dans la sous-région et l'émancipation des femmes en Afrique. En 2003, la REFMAP a obtenu le prix des droits de l'Homme de l'ONU. Rencontre à Conakry.</p></div> <div class='rss_texte'><p>« <i>Je suis de ceux qui, depuis longtemps, ne se contentent plus de relever que les politiques se trompent.</i> » Saran Daraba Kaba fait partie de ces militantes africaines au long parcours, déterminées à avancer et à « <i>faire autre chose que jeter l'oprobe sur les politiques</i> ». À 64 ans, elle est plus que jamais sur le devant de la scène ouest-africaine - sur le front de la résolution des conflits dans la sous-région - et sur le front guinéen, en tant que vice-présidente du Conseil national des organisations de la société civile guinéenne. Vingt ans à travailler, comme « <i>catalyseur du changement</i> » de la société civile. Vingt ans de militantisme, pour arriver, entre autres, à cette conclusion : « <i>Il n'y a de permanent que le changement.</i> »</p> <p>Une phrase particulièrement adaptée à l'actualité de son pays, où une junte militaire, le Conseil national pour la Démocratie et le Développement (CNDD), a pris le pouvoir à la mort du président général Lansana Conté, en décembre 2008, afin d'assurer la « <i>transition</i> » pour des élections « <i>libres et démocratiques</i> ». En 1984, à la mort d'Ahmed Sékou Touré, chantre de l'indépendance de la Guinée, c'est cette même flamme de la « <i>transition</i> » qui avait animé le futur président, le général Conté, chef du Comité militaire de redressement national (CMRN), qui devait se contenter de rester un an ou deux... Au point de se présenter aux élections et de rester... 24 ans au pouvoir.</p> <p><span class='spip_document_944 spip_documents spip_documents_center'> <img src='http://vecam.org/local/cache-vignettes/L450xH302/article_7_bis-93d1b.jpg' width='450' height='302' alt="" style='height:302px;width:450px;' /></span></p> <p>Entre deux séminaires et une rencontre avec le capitaine Moussa Dadis Camara, nouveau « président » de Guinée, Hadja Kaba nous consacre un peu de son temps, « <i>En ce moment, je sens que les choses peuvent déraper en Guinée. Il faut rester sur ses gardes. Il y a des choses intéressantes avec le CNDD, mais il faut laisser chacun jouer son rôle</i> », explique-t-elle. En mire : les multiples casquettes de Moussa Dadis Camara, président auto-proclamé de Guinée qui se fait accuser par le personnel judiciaire d'être « <i>à la fois juge et procureur</i> », par d'autres observateurs de « <i>jouer au prophète</i> » alors qu'il n'est qu'un « <i>militaire</i> », et par d'autres corporations d'être à la fois « <i>pompier et pyromane</i> »... Pas un mauvais diable, pense Saran. Mais un monsieur-à-tout-faire qui joue habilement avec de « <i>vieux mots qui touchent pratiquement tous les pays au monde et qui illustrent une forme de la mondialisation : "corruption", "criminalité", "trafic de drogue"...</i> ». Une façon de faire diversion face aux problèmes de fond qui frappent la Guinée, où « <i>les besoins en matière de santé, de logement, de conditions de vie sont énormes</i> ».</p> <h3 class="spip">À LA TÊTE DE LA REFMAP</h3> <p>Logique, donc, qu'elle fonde avec ses « soeurs » Sierra léonnaises et Libériennes une des organisations les plus efficaces dans la sous-région, en 2000. Sous les auspices de l'Organisation de l'Unité africaine (OUA), de la CÉDÉAO et de l'Organisation des nations-unies (ONU), elle crée le Réseau des femmes du Fleuve Mano pour la Paix (REFMAP), une ONG multinationale qui s'est attachée à traiter les destructions massives d'infrastructures, les mouvements de population, les victimes par centaines de milliers des conflits en Sierra-Léone et au Libéria. Elle agit essentiellement sur quatre pays traversés par le fleuve Mano : Côte d'Ivoire, Libéria, Guinée, Sierra Léone et rassemble aujourd'hui une myriade d'associations (70), réparties dans 33 préfectures. Ses résultats probants lui ont valu de recevoir le Prix des droits de l'Homme de l'ONU en 2003.</p> <p>« <i>Les conflits sont vieux comme l'humanité, inhérents à la vie en communauté. Mais ils deviennent dangereux quand ils amènent la radicalisation des positions, chacun se disant : "j'ai raison"...</i> » Hadja Kaba a suivi une formation à la résolution des conflits à l'université du Cap - une « <i>démarche scientifique qui donne des armes pour analyser les moteurs des conflits</i> » -, puis une autre formation, en 2001, au sein du Nairobi Peace Initiative (NPI). « <i>Ceux qui allument le feu et constituent le fagot de bois ne sont pas souvent ceux qui sont en première ligne. Dans le cas de la Sierra Leone, on a découvert que les principaux acteurs n'étaient pas assis autour de la table des négociations mais signaient des accords de paix. Quelques semaines après, ils étaient violés...</i> »</p> <p>Saran Kaba est particulièrement proche d'Aminata Traoré. L'ancienne ministre de la culture du Mali, égérie des milieux « anti » puis « alter-mondialistes », auteure du <i>Viol de l'imaginaire</i> (Fayard, 2002) est sa « <i>soeur</i> », dit-elle. La verve « alter » en moins. Aminata dit de son amie qu'elle « <i>ne dénonce pas assez</i> », que la vice-présidente du Conseil national des organisations de la société civile guinéenne (en charge des questions politiques) est « <i>trop conformiste</i> » : « <i>elle me demande toujours de m'engager davantage sur le terrain alter-mondialiste, de mettre la main sur la plaie de ces gens-là, les politiques.</i> » Mais « <i>Hadja</i> », comme on l'appelle en Guinée, du fait de ses trois pèlerinages à La Mecque, en 1997, 1999 et en 2000, préfère souffler cette phrase prononcée par ses parents, à l'aube de leur mort : « <i>l'eau chaude et l'eau froide tuent les puces de la même manière. Si l'eau froide tue les puces aussi bien que l'eau chaude, pourquoi perdre de l'énergie à faire chauffer de l'eau ?</i> »</p> <h3 class="spip">« <i>Pas de chèque en blanc !</i> »</h3> <p><span class='spip_document_945 spip_documents spip_documents_center'> <img src='http://vecam.org/local/cache-vignettes/L450xH296/article_7-1ccda.jpg' width='450' height='296' alt="" style='height:296px;width:450px;' /></span></p> <p>La veille, c'est pourtant de l'eau bouillante qu'elle a transmise au groupe d'associations réunies pour le séminaire « <i>I-jumelage</i> », où une trentaine d'associations marocaines, guinéennes, maliennes ou sénégalaises étaient réunies sous les bannières des Français de VECAM et des Guinéens des Amis du futur, afin de créer un réseau panafricain d'associations œuvrant dans le domaine des nouvelles technologies, de l'éducation ou encore du droit des femmes. « <i>Si vous n'êtes pas déterminés à vous battre pour arracher cette équité, ça ne sert à rien de vous battre, vous n'irez nulle part ! Notre génération ne vous donnera pas de chèque en blanc ! De grâce, que votre initiative ne soit pas un feu de paille !</i> », dit-elle à une assemblée visiblement captivée.</p> <p>Applaudissements nourris, émotion palpable dans la salle. « <i>Si la Chine réussit aujourd'hui, c'est qu'elle a calqué sa vision sur la réalité du terrain, au point qu'aujourd'hui, tout le monde fait la courre à la Chine. Mais nous, qu'avons nous fait ? Regardez sur vous, qu'est ce qu'on porte sur nous et qui est fabriqué par nos artisans dans cette salle ? - Les bijoux</i>, répond une directrice d'ONG du Mali. - <i>Bon il n'y en a pas beaucoup</i>, rebondit Hadja Kaba. <i>Tout le reste, c'est le basin vient d'Allemagne, de Hollande, la wax vient des usines d'Angleterre... les tissus sont importés d'Europe, de Chine.. Nous enrichissons l'Occident tous les jours. Combien vont chez les tisserands pour commander deux ou trois boubous dans l'année ? - Il n'y en a plus</i>, réagissent plusieurs associatifs. - <i>Voilà, on a une économie complètement extravertie. Il faut aujourd'hui se servir d'Internet pour avancer plus vite que nous. C'est la plus grande bibliothèque virtuelle au monde. Sur Internet, vous trouvez tout ce qu'il faut pour vivre. Tout !</i> »</p> <h3 class="spip">Dans le « <i>petit lait</i> » du Rassemblement Démocratique Africain</h3> <p>Hadja Kaba est née à la fin de la guerre mondiale, en 1945, d'un père militaire et d'une « <i>femme à douze bras </i> » : « <i>en plus d'élever ses enfants et de tenir sa famille, ce qui est déjà tout un programme, elle faisait de la teinture, du savon, du petit commerce, elle voyageait beaucoup sur le train Conakry-Niger... pour le commerce.</i> » Ses parents étaient des militants de la première heure du Rassemblement démocratique africain (RDA, ancêtre du Parti Démocratique de Guinée, de Sékou Touré). « <i>Je suis née dans une famille où l'on faisait de la politique. J'ai bu ça dans le lait, mais j'ai surtout retenu l'image de parents très au service des autres. Ils n'hésitaient pas à nous priver de nourriture pour le donner à des mendiants, des handicapés, des personnes âgées. Je me rappelle qu'après avoir préparé le repas, elle me donnait toujours un petit bol fermé en me disant</i> "va le donner à untel, mais ne dis pas que c'est moi qui le donne"... »</p> <p>Elle fait ses premières armes politiques en tant que membre du conseil des élèves, dans son école de Dubreka (Basse-Guinée), à l'heure où la Guinée vivait ses premières heures d'État indépendant, préférant « <i>la liberté dans la pauvreté à la richesse dans l'esclavage</i> », selon les mots utilisés par Sékou Touré contre de Gaulle, en 1958. De ces années historiques, elle retiendra notamment « l'expérimentation pédagogique faite sur les élèves cobayes de Guinée » : « <i>Ce sont les progressistes de par le monde, qui ont accouru au chevet de la jeune Guinée, qui fondent le socle de mon identité politique. Quand je suis rentré au collègue, en 1958, l'année où la Guinée venait de prendre son indépendance, la France venait de retirer tous ses enseignants. Les progressistes de par le monde ont accouru au chevet de la Guinée, je suis le produit de cette équipe d'enseignants du monde. L'ancien Premier ministre de Guinée Équatoriale était mon professeur d'espagnol. Les Lecors, venus de Bretagne, étaient mes professeurs de français…</i> » Comme beaucoup d'hommes politiques de par le monde, elle a d'abord été... déléguée de classe, au lycée classique de Conakry, avant d'aller étudier la pharmacie de 1966 à 1970 à Leipzig, puis à Halle (Allemagne), jusqu'à ce que sa bourse soit « <i>coupée</i> ». Dans les universités d'Allemagne aussi, elle sera déléguée de classe et représentante des étudiants...</p> <h3 class="spip">De « <i>Pharmaguinée</i> » aux ministères</h3> <p>De retour en Guinée, en 1970, elle enseignera la pharmacie pendant deux ans avant d'intégrer Pharmaguinée, la « <i>grosse boite</i> » d'État de l'époque. Jeune pharmacienne, elle en gravira « <i>tous les échelons</i> », avant d'être nommée directrice chargée de l'import-export. C'est cette fonction qui lui vaudra d'entrer de plain pied dans le monde politique au poste de Directrice nationale adjointe des exportations au Ministère du commerce extérieur. « <i>On m'a demandé à l'époque de définir une politique de diversification des exportations de la Guinée, pour que le budget de l'État soit moins dépendant de la bauxite</i> [<a href='#nb2-1' class='spip_note' rel='footnote' title='La Guinée possède les plus importants gisements de bauxite (pour l'aluminium) (...)' id='nh2-1'>1</a>]<i>. On a commencé à promouvoir des produits comme le Chlorydrate de Kini ou le venin de serpent, qui sera utilisé par l'institut Pasteur en France ; les jus, les fruits tel que la Mangue, dont la Guinée a 72 variétés</i> (presque autant que le nombre de partis politiques en 2009, ndlR). »</p> <p>En 1996, son « <i>savoir-faire dans le secteur privé à but non-lucratif</i> » la « <i>propulse</i> » ministre des affaires sociales et de la promotion de la femme et de l'enfance. De ce passage, elle retiendra essentiellement la « <i>définition des politiques nationales du gouvernement dans ces domaines. On a formé une politique nationale de la promotion de la femme, de la protection de l'enfance et pour l'action sociale... Ce qui reste actuellement, ce sont les équipements ; les motos, les 4x4... Mais un département ministériel, c'est d'abord une politique, une vision. Elles ont été adoptées par le gouvernement. Dans le domaine de la femme, on a mis en place le plan quinquennal "Programme-cadre genre et développement" pour renforcer le leadership féminin et leurs connaissances juridiques.</i> »</p> <p>Déjà, à cette époque, l'axe de travail de Saran Daraba est très clair : faire en sorte que les femmes soient les « leaders » de l'Afrique sur plusieurs plans : indépendance économique, reconnaissance juridique et résolution de conflits. Elle a publié récemment sur Internet un répertoire de compétences et expertises féminines de Guinée de « <i>1000 et quelque CV</i> » de femmes compétentes et expertes du pays [<a href='#nb2-2' class='spip_note' rel='footnote' title='http://www.femmesdeguinee.net/. Pour le REFMAP :http://www.marwopnet.org/' id='nh2-2'>2</a>], pour qu'« aucun gouvernement n'ose nous dire « <i>où sont les femmes qu'il faut nommer. On a nommé assez d'hommes incompétents dans ce pays. On va d'abord nommer des femmes incompétentes, et ensuite, des femmes compétentes, je le souhaite !</i> »</p></div> <hr /> <div class='rss_notes'><p>[<a href='#nh2-1' id='nb2-1' class='spip_note' title='Notes 2-1' rev='footnote'>1</a>] La Guinée possède les plus importants gisements de bauxite (pour l'aluminium) au monde et en est le deuxième exportateur au monde.</p> <p>[<a href='#nh2-2' id='nb2-2' class='spip_note' title='Notes 2-2' rev='footnote'>2</a>] <a href="http://www.femmesdeguinee.net/" class='spip_out' rel='external'>http://www.femmesdeguinee.net/</a>. Pour le REFMAP :<a href="http://www.marwopnet.org/" class='spip_out' rel='external'>http://www.marwopnet.org/</a></p></div> Projet « I-jumelage » : comment les TIC peuvent réinventer le panafricanisme ? http://vecam.org/article1229.html http://vecam.org/article1229.html 2009-10-24T14:33:00Z text/html fr Creative Commons Afrique Pendant trois jours, des représentants d'une trentaine d'associations africaines intervenant dans le domaine du droit des femmes, de la santé, de la culture, ou de l'environnement, se sont réunis pour créer « I-Jumelage », un projet d'action collective déjà expérimenté en Amérique Latine par l'association française Vecam. Trois jours de « négociations » où il a été question de « nouvelle coopération » entre des associations convaincues de l'intérêt des Technologies de l'information et de la communication (TIC) (...) - <a href="http://vecam.org/rubrique127.html" rel="directory">2008 - 2011 i-jumelages</a> / <a href="http://vecam.org/mot17.html" rel="tag">Creative Commons</a>, <a href="http://vecam.org/mot42.html" rel="tag">Afrique</a> <div class='rss_chapo'><p>Pendant trois jours, des représentants d'une trentaine d'associations africaines intervenant dans le domaine du droit des femmes, de la santé, de la culture, ou de l'environnement, se sont réunis pour créer « I-Jumelage », un projet d'action collective déjà expérimenté en Amérique Latine par l'association française Vecam. Trois jours de « négociations » où il a été question de « nouvelle coopération » entre des associations convaincues de l'intérêt des Technologies de l'information et de la communication (TIC) dans le développement du continent. Une union rêvée où « 1+1 feraient plus que 2 » ...</p></div> <div class='rss_texte'><p>Ce jour-là, une banderole blanche recouvrait la peinture révolutionnaire dans la salle du 28 septembre 1958, à Conakry (République de Guinée). Le 23 mai 2009, la fermière et le chasseur, vaillants et déterminés à montrer la voie au bon peuple, se font couvrir par une fresque annonçant le séminaire « <i>I-jumelage</i> ». Signe des temps : au rez-de-chaussée du Palais du Peuple, à Conakry, la peinture monumentale qui orne la pièce, datée du référendum où la Guinée de Sékou Touré dit « <i>Non !</i> » à la France de De Gaulle, doit partager son cadre avec 35 associations venues du Mali, du Maroc, du Sénégal ou de la Guinée. Leur point commun : l'envie de participer à un réseau en création d'échange et de coopération pour le développement, qui pourrait les mettre en contact entre elles, mais également avec d'autres associations qui œuvrent dans d'autres continents, comme en Amérique Latine. Un réseau nommé « <i>I-Jumelage</i> », dont le moteur est l'intérêt des Technologies et l'information et de la communication (TIC) de la part des différentes associations. Tout un programme pour un continent où la « <i>fracture numérique</i> » s'agrandit de jour en jour.</p> <p><span class='spip_document_942 spip_documents spip_documents_center'> <img src='http://vecam.org/local/cache-vignettes/L450xH302/article_6_bis2_-9d2f4.jpg' width='450' height='302' alt="" style='height:302px;width:450px;' /></span></p> <p>Un membre des nouvelles autorités guinéennes prend la parole. Long silence, puis discours enflammé. « <i>Vous êtes l'élite de l'Afrique…</i> » À croire que la peinture révolutionnaire inspirait ses mots. S'adressant au parterre de membres d'Organisations non-gouvernementales (ONG) tout juste débarqués des avions, le directeur national de la Jeunesse de Guinée ne tarit pas d'éloges sur ses hôtes. Et entend leur faire comprendre que si les politiques ont échoué, il est de la responsabilité de la « <i>société civile</i> » de s'organiser. Preuve que le rôle des associations en Afrique - dont le nombre n'a cessé d'augmenter depuis les années 80 [<a href='#nb3-1' class='spip_note' rel='footnote' title='Lire L'Afrique des associations. Entre culture, développement et stratégies (...)' id='nh3-1'>1</a>] - n'est plus à démontrer mais que la profusion d'associations, de fondations et d'ONG - profusion provoquée en partie par les conséquences des plans d'ajustements structurels dans les années 80 - entraîne une confusion des rôles que les politiques entretiennent. Mais l'orateur appartient à une administration d'État, laquelle est passée dans les mains d'une junte militaire, le Conseil national pour la démocratie et le développement (CNDD) qui, certes, s'est depuis son putsch du 23 décembre 2008, ouverte partiellement à des « <i>civils</i> », mais ne cache pas son mépris des « <i>politiques</i> ». En Guinée, cette suspicion systématique paraît méritée, tant les différents gouvernements des ères Touré et Conté se sont illustrés par leur maîtrise dans l'art du bradage des ressources, de la corruption généralisée et de la disparition de l'État au profit de quelques minorités possédantes.</p> <p>D'un changement de mentalité il est question. Du côté africain, comme du côté européen. Frédéric Sultan, membre bénévole de Vecam, qui se définit comme « <i>le seul Blanc</i> » du séminaire, a tenu à préciser les choses. Discours inaugural : « <i>Dans la bouche d'un Occidental, parler de la coopération, c'est forcément évoquer la question de la colonisation, du rapport de forces (...). D'abord, on doit se dire entre nous ce qu'on met derrière le mot « coopération » et prendre conscience des rapports de force entre nous (...) Voyez, ici, il s'agit essentiellement d'Africains et les seuls Blancs, ce sont les dépositaires du pouvoir, car ce sont eux qui financent. Les 15 ou 20 projets qui émergeront ne seront pas que des additions...</i> » Applaudissements. Puis action. Direction la salle de réunion de l'Hôtel de la petite minière, où les discussions seront vivaces.</p> <p>Dans la salle de réunion, Frédéric Sultan, qui affiche sa proximité avec une des figures de l'association Les Amis du Futur, le directeur de L'Harmattan Guinée, Sansy Kaba Diakité, répète son leitmotiv à l'envi : « <i>I-Jumelage n'est pas une sorte de bourse, c'est un concept, un réseau, dans lequel je n'interviendrai pas et dont vous serez les uniques acteurs et animateurs.</i> » L'enjeu est noble : travailler sur l'interconnexion entre des ONG qui travaillent en Afrique – avec des connexions possibles vers d'autres continents. Le lieu choisi est à la fois historiquement adéquat : La terre de Guinée est hantée par le chantre du panafricanisme, le premier président de la République de Guinée, Ahmed Sékou Touré. La réalité contemporaine est plus terre-à-terre : La Guinée est un des trous noirs de l'Afrique en matière de développement (y compris numérique), un des stigmates étant l'état de son système d'électricité, un des plus inefficaces en Afrique [<a href='#nb3-2' class='spip_note' rel='footnote' title='Lire « En Guinée, les TIC au bon vouloir du courant »' id='nh3-2'>2</a>].</p> <p>Si les membres des quelque 35 associations présentes se connaissent, pour la plupart, ni d'Ève ni d'Adam, les facilitateurs de chacun des quatre pays travaillaient ensemble depuis l'expérience « Fragments du Monde », au début des années 2000 [<a href='#nb3-3' class='spip_note' rel='footnote' title='À propos de « Fragments du Monde », Lire : http://fragmentsdumonde.org/UIE02/articl' id='nh3-3'>3</a>]. Elles évoluent dans des sphères parfois très différentes : de la défense du droit des femmes au Maroc au projet de création d'un journal de lycée à Conakry, en passant par l'éducation des jeunes grâce aux TIC, au Mali, ou le projet d'une usine de couches-culottes en Haute-Guinée, les associations œuvrent dans des domaines parfois très éloignés. Qu'importe : il faut se rassembler, s'unir, se « <i>jumeler</i> ». C'est tout le but de ces quelques jours passés à Conakry de discours en salle de réunion.</p> <p>Il a donc fallu se « <i>mettre en groupes</i> », dégager des « <i>thématiques communes</i> » (l'environnement, le droit des femmes, la culture et les livres, les TIC), penser à « <i>l'après</i> » (plateforme, moyens de communication, rencontres entre associations, envisager un prochain séminaire à l'automne à Kankan) et se féliciter que les trois jours auront permis à des militants africains de rencontrer d'autres militants africains. Le constat est similaire sur plusieurs plans : sous-équipement, logiques de soumission aux bâilleurs de fonds locaux ou aux mécènes internationaux, croyance dans les TIC pour un développement des connaissances... Les projets des acteurs venus du Maroc, du Mali, de la Guinée et du Sénégal ont ce point commun qu'ils illustrent la déliquescence des tissus économiques et la transformation des rapports sociaux au sein des sociétés africaines. Il s'agit partout de palier les déficits profonds des États, par exemple en matière de protection de l'environnement, d'accès aux TIC ou de droit des femmes, (la logique est ici similaire au rôle des associations qui agissent en Europe : combler les fossés creusés par l'absence d'action politique). Quitte à inventer une structure éphémère, imaginaire ou juste utopique (une plate-forme virtuelle), autant lui donner la chance d'être un vrai moyen de construire une efficacité associative africaine qui se passerait, à terme, de l'aide, forcément amicale, des Occidentaux.</p> <p>Si la majorité des séminaristes se sont montrés altruistes et « panafricains », d'autres regrettaient la vision individualiste inhérente à la défense individuelle de chaque projet : « <i>Franchement, les associations présentes ne se soucient que de leurs projets, qu'elles essaient de défendre avant tout, en pensant qu'elles pourront bénéficier des subventions d'Europe</i> », s'inquiète un participant pendant une pause des « négociations ». Pour les autres, le discours consensuel est répété à l'envi : « <i>Nous allons pouvoir échanger, apprendre des projets réalisés dans d'autres pays, et grâce aux TIC, nous allons développer une autre forme de coopération</i> », dit un autre. Sauf que pour lier entre elles les associations africaines, le maître du jet reste européen, car un bon tiers des 130 000 € de subventions ont été obtenues auprès de l'Union européenne.</p> <p><span class='spip_document_943 spip_documents spip_documents_center'> <img src='http://vecam.org/local/cache-vignettes/L450xH295/article_6-8cd39.jpg' width='450' height='295' alt="" style='height:295px;width:450px;' /></span></p> <p>Durant le séminaire, les participants ont reçu la visite d'une égérie de la société civile, Saran Kaba, fondatrice du réseau des femmes du fleuve Mano pour la Paix (REFMAP). Une grande figure du militantisme et de la résolution de conflits, qui ne manquera pas de les mettre en face de cette responsabilité historique de « <i>faire mieux que notre génération. Ce qui marche au Maroc peut marcher au Mali ou en Guinée, et inversement. Quand on est en réseau, on est riches ! Il faut que vous compreniez que vous avez une responsabilité car vous êtes des privilégiés, dans un continent où 60 % des enfants ne vont pas l'école. De grâce, que votre initiative ne soit pas un feu de paille !</i> » [<a href='#nb3-4' class='spip_note' rel='footnote' title='Lire ici : « Saran Daraba Kaba : l'autre Aminata ? »' id='nh3-4'>4</a>]</p> <p>Au bout de trois jours de « <i>négociations</i> », les « micro-projets de coopération » sont là [<a href='#nb3-5' class='spip_note' rel='footnote' title='Liste des micro-projets (Les parenthèses indiquent les partenaires des (...)' id='nh3-5'>5</a>]. Au rez-de-chaussée du Palais du Peuple, où a lieu la clôture du séminaire, Frédéric Sultan prend la parole pour formuler aux participants « <i>une mise en garde publique</i> » : « <i>On a travaillé d'arrache-pied, mais tout le monde en a conscience : on est au premier pas d'un projet long, difficile, complexe, qui représente des défis très importants. Il ne faut pas croire que parce qu'on a mis sur le papier un certain nombre d'idées, les choses vont se réaliser toutes seules. Une fois que chacun sera rentré chez lui, les choses seront encore plus difficiles. On ne sera plus face-à-face. On a fait le plus facile, il faudra passer à l'acte</i> », dit-il avant de remercier tout le monde pour « <i>le plaisir mutuellement partagé pour le travail réalisé pendant trois jours.</i> »</p> <h3 class="spip">« <i>1+1 dépasse 2</i> »</h3> <p>Au terme du séminaire, il est intéressant de noter qu'un certain nombre d'associations ont décidé d'abandonner leur projet au profit d'un mouvement transversal d'« <i>I-Jumelage</i> ». C'était une des conséquences prévisibles : le réseau n'est pas là pour aider tel ou tel projet, mais tous. « <i>Ce n'est pas une addition et 1+1 doivent faire plus que 2</i> », répètent les séminaristes. Ainsi l'usine de couches-culottes de Haute-Guinée est passée à la trappe, tout comme le projet de plateforme sur l'Afrique traditionnelle, un ambitieux projet qui prévoyait de créer un site rassemblant les travaux d'historiens, d'anthropologues, d'auteurs africains sur les traditions africaines. La promotion de l'autonomie économique de la femme et la défense de leurs droits dans les quartiers pauvres et les zones rurales, la promotion des technologies informatiques dans les écoles africaines, les caravanes du livre ont eu plus de succès « <i>transversal</i> » : le lien est sans doute que l'internet et les TIC peuvent apporter à tous les moyens d'une coopération nouvelle, plus rapide et résolument tournée vers l'échange d'expériences.</p> <p>Mais ce serait oublier que si ces associations existent, c'est qu'elles entendent mener une action locale. Et qu'elles ont besoin d'argent. Et cet argent, il existe. Il est agité, doucement, par Frédéric Sultan, le « super-facilitateur » du séminaire qui, d'emblée, a prévenu que les 130 00 euros de subventions seront, à terme, injectés dans les projets transversaux émanant sur la plate-forme « I-Jumelage ». « <i>Ce n'est pas une bourse aux projets</i> », répètera-t-il, conscient que la coopération à l'ère du numérique devra viser le croisement réel des pratiques de solidarité internationale et de solidarité numérique.</p> <p>Changer d'ère, donc : les associations qui ont participé à ce séminaire soutiennent avant tout le tournant numérique et son potentiel en terme de possibilités de développement. D'une part parce que générer des activités autour de l'ordinateur et de l'Internet en Afrique est certainement une voie de débouchés économiques à court terme pour une large partie de la population (cyber-cafés, centres de ressources, maintenance informatique, réparation, etc.) et d'autre part, parce qu'en attendant les ressources générées sur place, il s'agit d'apparaître sur la toile, pour ouvrir des portes, se faire connaître et également pour continuer à postuler à différents financements émanant de tel ou tel organisme, multinationale ou fondation.</p> <p>L'idée selon laquelle l'Occident reste maître du jeu tend à disparaître, même si dans le cas d'espèce que représente la question du matériel informatique, les similitudes avec le marché des voitures est frappant : on recycle ce qui est jeté par le Nord [<a href='#nb3-6' class='spip_note' rel='footnote' title='Lire ici : « Ordinateurs retapées d'Europe pour continent sous-équipé (...)' id='nh3-6'>6</a>]. L'Afrique garde ainsi une vingtaine d'années de retard. Les Africains, qui ne produisent pas d'ordinateur sur place, ont donc ce réflexe de l'importation, inéluctable. L'Europe continue donc d'écouler ses vieilles bécanes. Pour l'instant, la coopération « sud-sud » a (apparemment) encore besoin des vannes du Nord. Jusqu'au jour où l'Afrique viendra « <i>au secours de l'Occident</i> » [<a href='#nb3-7' class='spip_note' rel='footnote' title='L'Afrique au secours de l'Occident, Anne-Cécile Robert, Éditions de l'Atelier, (...)' id='nh3-7'>7</a>]…</p></div> <hr /> <div class='rss_notes'><p>[<a href='#nh3-1' id='nb3-1' class='spip_note' title='Notes 3-1' rev='footnote'>1</a>] Lire <i>L'Afrique des associations. Entre culture, développement et stratégies identitaires.</i> Sous la direction de Momar Coumba Diop et Jean Benoist Éditions Karthala, 2008. Lire une présentation ici : <a href="http://amades.hypotheses.org/36" class='spip_out' rel='external'>http://amades.hypotheses.org/36</a></p> <p>[<a href='#nh3-2' id='nb3-2' class='spip_note' title='Notes 3-2' rev='footnote'>2</a>] Lire « <i>En Guinée, les TIC au bon vouloir du courant</i> »</p> <p>[<a href='#nh3-3' id='nb3-3' class='spip_note' title='Notes 3-3' rev='footnote'>3</a>] À propos de « Fragments du Monde », Lire : <a href="http://fragmentsdumonde.org/UIE02/article.php3?id_article=439" class='spip_out' rel='external'>http://fragmentsdumonde.org/UIE02/article.php3?id_article=439</a></p> <p>[<a href='#nh3-4' id='nb3-4' class='spip_note' title='Notes 3-4' rev='footnote'>4</a>] Lire ici : « <i>Saran Daraba Kaba : l'autre Aminata ?</i> »</p> <p>[<a href='#nh3-5' id='nb3-5' class='spip_note' title='Notes 3-5' rev='footnote'>5</a>] Liste des micro-projets (Les parenthèses indiquent les partenaires des projets transversaux) : <br /><img src="http://vecam.org/skel/puce.gif" width="8" height="11" class="puce" alt="-" /> « <strong>Elles s'expriment</strong> » (« <i>El Hamane</i> » - Maroc-, « <i>Parlement des jeunes du Réseau des femmes du Fleuve Mano pour la Paix</i> (REFMAP) » - Guinée -, « <i>Femmes et Tic</i> » - Mali -) : mise en place des formations à l'audiovisuel pour réaliser des vidéos sur les violences faites aux femmes. Préparation de plaidoyers auprès des autorités politiques des différents pays sur le droit des femmes.</p> <p><img src="http://vecam.org/skel/puce.gif" width="8" height="11" class="puce" alt="-" /> « <strong>Appropriation des TIC par l'éducation</strong> » (« <i>Association des jeunes pour la sensibilisation au respect du civisme en Guinée</i> » - Guinée -, « <i>Réseau des jeunes et adolescents pour les populations et le développement</i> » - Sénégal -, « <i>Édutech</i> » - Mali -) : pour une informatisation du système éducatif des pays concernés, à travers 3 sites-pilotes en Guinée et un centre informatique au Sénégal.</p> <p><img src="http://vecam.org/skel/puce.gif" width="8" height="11" class="puce" alt="-" /> « <strong>Bhantal</strong> », « <i>le progrès</i> » en Poular (« <i>Projet New Deal Magazine</i> » - Guinée - , « <i>Réseau des Jeunes journalistes de Guinée</i> » - Guinée -, « <i>Ciné-Club Tinghir</i> » - Maroc -, « <i>Traits d'union</i> » - Mali). Projet médiatique transversal autour de l'éducation, de l'information, de la défense de l'environnement et de la notion de « <i>communication africaine</i> » (réalisation de films, d'un magazine éducatif, de reportages et d'interviews de consultants sur un site web à créer : <a href="http://www.bhantal.org/" class='spip_out' rel='external'>www.bhantal.org</a>).</p> <p><img src="http://vecam.org/skel/puce.gif" width="8" height="11" class="puce" alt="-" /> « <strong>Santé de la reproduction des jeunes et des femmes</strong> » (« <i>Espace Communication</i> » - Mali -, « <i>Jeune chambre internationale de Guinée</i> », « <i>Coordination de la Moyenne Guinée</i> », « <i>Les Amis du Futur</i> » - Guinée) : formations communes de femmes et de jeunes (les futurs « pères-éducateurs ») aux problèmes de santé publique et sensibilisation au développement d'activités génératrices de revenus, notamment l'aviculture, la production de savon, de teintures... Le projet prévoit aussi la création d'une plate-forme de blogs sur la sensibilisation aux problèmes sociaux liés à la reproduction (les exclusions sociales liées aux problèmes de grossesse par exemple) et aux problèmes de santé publique (VIH, MST).</p> <p><img src="http://vecam.org/skel/puce.gif" width="8" height="11" class="puce" alt="-" /> « <strong>Un village, une forêt</strong> » (« <i>Coordination régionale des jeunes de la Guinée forestière</i> », « <i>Al Michal : Protection de l'oasis du Maroc</i> », « <i>coordination de la zone du Manding</i> » - Guinée -) travaillera autour du reboisement de certaines forêts au sud du Maroc, en Haute-Guinée et en Guinée-forestière. L'idée est de lutter contre les effets de la désertification et le déboisement des forêts par les hommes, notamment pour la vente de charbon. Sensibilisation par des films, des affiches puis mise en place d'actions concrètes de « lobbying » auprès des autorités locales de Guinée et du Maroc.</p> <p><img src="http://vecam.org/skel/puce.gif" width="8" height="11" class="puce" alt="-" /> « <strong>Caravane du livre et TIC</strong> » (« <i>Les Amis du Futur</i> » - Guinée -, « <i>La librairie Hassoun</i> » -Maroc -, « <i>Femmes et Tic</i> » - Mali -) a pour objectif la sensibilisation les citoyens à l'intérêt du livre. Mise en place de caravanes pour la diffusion de films, la promotion du livre et la sensibilisation aux TIC dans les zones rurales.</p> <p><img src="http://vecam.org/skel/puce.gif" width="8" height="11" class="puce" alt="-" /> « <strong>Citoyens africains</strong> » (« <i>Coordination régionale de la Basse-Guinée </i> », « <i>Système d'information populaire, Centre de ressources pour l'émergence sociale participative</i> » - Sénégal -, « <i>Espace Communication</i> » - Mali -). Objectif : « <i>conscientiser les jeunes dès le bas âge aux valeurs africaines, pour leur dire ce qu'on attend d'eux</i> ». Formations de pères-éducateurs, caravanes de sensibilisation, organisation de conférences, tables rondes, débats, colonies de vacances, voyages d'échange entre le Sénégal, le Mali, la Guinée. Objectif : favoriser les correspondances entre les ressortissants de pays voisins qui ne se connaissent pas, échanger l'expérience en matière de résolution de conflits, développer l'inter-culturel...</p> <p>[<a href='#nh3-6' id='nb3-6' class='spip_note' title='Notes 3-6' rev='footnote'>6</a>] Lire ici : « <i>Ordinateurs retapées d'Europe pour continent sous-équipé</i> »</p> <p>[<a href='#nh3-7' id='nb3-7' class='spip_note' title='Notes 3-7' rev='footnote'>7</a>] <i> L'Afrique au secours de l'Occident</i>, Anne-Cécile Robert, Éditions de l'Atelier, 2006</p></div> Internet, un outil de réconciliation nationale en Guinée ? http://vecam.org/article1228.html http://vecam.org/article1228.html 2009-10-24T14:00:00Z text/html fr Creative Commons Afrique En Guinée, l'armée a tiré sur la foule, et certains voudraient que ce crime d'État ne demeure pas sans nom, sans visages ni sans chiffres. Touré Booba Sidiki est de ceux-là. Il s'est engagé dans un vaste projet de recouvrement des preuves des massacres de 2007 en Guinée. Touré Booka Sidiki a la rage au ventre. « J'ai vu les corps que les gens portaient sur leurs épaules. J'ai assisté au massacre de mes jeunes frères guinéens. Je ne peux pas oublier. » En janvier-février 2007, alors que des dizaines de (...) - <a href="http://vecam.org/rubrique127.html" rel="directory">2008 - 2011 i-jumelages</a> / <a href="http://vecam.org/mot17.html" rel="tag">Creative Commons</a>, <a href="http://vecam.org/mot42.html" rel="tag">Afrique</a> <div class='rss_chapo'><p>En Guinée, l'armée a tiré sur la foule, et certains voudraient que ce crime d'État ne demeure pas sans nom, sans visages ni sans chiffres. Touré Booba Sidiki est de ceux-là. Il s'est engagé dans un vaste projet de recouvrement des preuves des massacres de 2007 en Guinée.</p></div> <div class='rss_texte'><p>Touré Booka Sidiki a la rage au ventre. « <i>J'ai vu les corps que les gens portaient sur leurs épaules. J'ai assisté au massacre de mes jeunes frères guinéens. Je ne peux pas oublier.</i> » En janvier-février 2007, alors que des dizaines de milliers de Guinéens battent le pavé « <i>pour le changement</i> », à l'appel des syndicats pour un changement politique dans ce pays dirigé alors d'une main de fer par feu le général Lansana Conté, l'armée tire sur la foule, causant la mort de plusieurs dizaines de personnes. Les chiffres des ONG font état de 186 morts et 1200 blessés. Alors que les caméras se braquent sur la capitale Conakry, dans tout le pays, des destructions et des disparitions ont lieu. Un massacre qui attirera les caméras européennes. Mais un massacre qui n'a jamais été jugé.</p> <h3 class="spip">« <i>Lutter contre l'ethnicisation </i> »</h3> <p>Plus de deux ans ont passé. Touré Booba Sidiki, directeur depuis 2004 de la Coordination régionale de la jeunesse de la Basse-Guinée veut collecter, recouper, montrer, projeter. Son objectif : arpenter la Guinée de long en large pour traquer les preuves des massacres et les publier, ensuite, sous divers supports : des pages Internet, des courts-métrages, des publications. « <i>Je ne peux pas rester insensible à l'injustice</i> », dit-il. Son ambitieux projet consiste à « <i>recenser les maisons cassées, trouver des preuves, des actes de décès, pour enfin ouvrir une ère de réconciliation nationale en Guinée, où l'ethnicisation des rapports dans la société est en train de devenir un vrai danger. On se souvient tous du Rwanda. Quand on regarde sereinement les faits, la plaie guérit mieux, même s'il y a des cicatrices</i> », dit-il, usant de grands mots (« <i>compréhension », « tolérance », « respect</i> ») et de grands noms (Malcom X, Martin Luther King...)... Son intention est double : il s'agit à la fois d'un travail d'historien contemporain et d'un travail de réconciliation de la jeunesse qui, selon lui, est « <i>divisée en Guinée à cause de l'ethnicisation</i> ». En Guinée, pays qui a, contrairement à ses voisins (le Libéria, la Sierra Léone), toujours été plus ou moins épargné par ce qu'on nomme en Europe les « <i>divisions ethniques</i> », le paysage politique commence, selon de nombreux observateurs, à sérieusement s'« <i>ethniciser</i> ». Il ne se passe pas une semaine sans qu'un parti politique soit créé, soit par un ancien ministre, soit par un regroupement de jeunes, soit par un groupe quelconque. On comptait mi-2009 plus de 70 partis politiques en Guinée !</p> <p><span class='spip_document_941 spip_documents spip_documents_center'> <img src='http://vecam.org/local/cache-vignettes/L450xH303/article_5_bis_-28dc2.jpg' width='450' height='303' alt="" style='height:303px;width:450px;' /></span></p> <p>Pour marquer les esprits, il faut des images. Pour avoir des images, il faut avoir du matériel d'enregistrement, des moyens de transport. Et pour cela, il faut des fonds. Sidi Booba part de zéro, ou presque. « <i> Le Programme des Nations Unies pour le développement</i> (PNUD) <i>a refusé de répondre à nos quatre demandes de subvention !</i> », explique-t-il avant de préciser : « <i>Actuellement, le PNUD travaille en Guinée afin de permettre un dialogue sur la "réconciliation nationale", par rapport à la transition. Très bien. En 2007, nous avons déposé au PNUD un dossier de demande de subvention sur ce même sujet ! On n'a pas eu de réponse. Par la suite, on a ressayé trois fois : toujours pas de réponse. Cette année, inquiets des signes de dérapage en Guinée, le PNUD nous a appelés et deux experts sont venus nous voir pour lancer des appels à projets liés à la transition. Deux ans après, c'est donc le même thème qu'on nous amène : "dialogue social", "réconciliation"... Moi je leur ai dit : "c'est pas nous le problème, c'est vous ! Vous qui ne tenez pas compte de nous, les jeunes." Les indicateurs, les signes qu'ils cherchent, au PNUD, ce sont nous, les jeunes. C'est nous qui connaissons la solution à apporter aux problèmes !</i> » raconte cet homme âgé de... 52 ans.</p> <h3 class="spip">Blocage et pressions</h3> <p>En février 2007, après avoir instauré l'état de siège, Lansana Conté a nommé une personnalité dont la réputation est celle d'un connaisseur de l'économie, l'ancien ambassadeur de Guinée à l'ONU, Lansana Kouyaté. Il est accueilli à Conakry en héros, mais un de premiers actes symboliques, la pose d'un éléphant géant sur le rond-point de Bellevue, à Conakry (en Guinée, l'éléphant est le symbole du régime de Sékou Touré, ndla) fera l'objet d'une vive polémique, notamment de la part des victimes des massacres du Camp Boiro. La feuille de route de M.Kouyaté prévoit l'instauration d'une Commission d'enquête sur les massacres de janvier-février 2007. Une enquête de terrain aurait donc dû permet d'établir avec précision les données des fusillades. Mais devant les blocages du régime, celle-ci a renoncé. À peine la Commission d'enquête logée, dans le centre de Conakry, Lansana Conté donnait l'ordre à la banque de bloquer les comptes de la Commission. Les choses sont claires : la vérité n'éclatera pas au grand jour tant que « <i>le vieux</i> » sera au pouvoir...</p> <h3 class="spip">« <i>Au nom de Dieu</i> »...</h3> <p>Cependant, en 2008, alors que le régime de Conté impose une « fin de règne sans fin » [<a href='#nb4-1' class='spip_note' rel='footnote' title='Lire Odile Goerg, Fin de règne sans fin en Guinée, Le Monde Diplomatique, (...)' id='nh4-1'>1</a>] à son pays, plusieurs représentants des victimes des massacres obtiennent une rencontre avec la première dame de l'époque, Me Henriette Conté, une personnalité au cœur de beaucoup d'« affaires » du pays. Face à elle, plusieurs jeunes issus de diverses organisations de la société civile [<a href='#nb4-2' class='spip_note' rel='footnote' title='La Fondation Diallo Telli, l'association des victimes du Camp Boiro, le (...)' id='nh4-2'>2</a>] lui font part de leur volonté de justice suite aux massacres et souhaitent s'assurer de ce soutien de poids dans la réparation. « <i>Madame la première dame, nous ne demandons pas la vengeance, qui est le premier sentiment qui anime une victime quand elle voit les mêmes personnes qui ont tiré sur la foule circuler dans la rue. Nous réclamons la justice et la vérité</i> », dit un d'eux [<a href='#nb4-3' class='spip_note' rel='footnote' title='In « Cona'cris, La Révolution orpheline », film documentaire de Gilles Nivet, (...)' id='nh4-3'>3</a>]. « <i>Au nom de Dieu, je vous demande de pardonner. Sans pardon, on ne peut pas construire notre pays. Je vous demande de mettre cette situation au compte de notre créateur</i> », a répondu la première dame. En clair : les militaires n'ont tué personne, mais Dieu, lui, est un criminel. La religion est pratique, parfois...</p> <p>Maintenant que le régime de Conté est tombé, Touré Booba reprend confiance. Pour sensibiliser « <i>le monde entier</i> » sur ce drame, il compte sur Internet : « <i>dans le monde entier, des commissions "vérité et réconciliation" ont été mises en place et notre organisation pourrait s'inscrire dans cette longue liste des organisations qui se battent pour la paix et la justice. Nous comptons donc réaliser un site dédié aux massacres et un livre que nous aimerions titrer : </i>"Vérité et témoignages sur les événements de janvier-février 2007". »</p> <h3 class="spip">Prendre appui sur le mémorial du Camp Boiro</h3> <p>En Guinée, pays marqué par 26 années de règne sans partage de Sékou Touré, années pendant lesquelles le chantre de l'indépendance guinéenne fera éliminer plusieurs dizaines de milliers de prétendus opposants et autres contre-révolutionnaires, dans le tristement célèbre Camp Boiro, il est encore difficile, 25 ans après, de parler de cette époque. Elle divise profondément la société guinéenne. Les fantômes de Sékou Touré planent constamment sur la société guinéenne. Face aux crimes de ce régime qui apporta pourtant tant d'espoir sur le plan de l'émancipation panafricaine, des citoyens guinéens ont toutefois entrepris un impressionnant travail de recueil de données et d'identification des victimes, pour en faire un site : le mémorial du Camp Boiro [<a href='#nb4-4' class='spip_note' rel='footnote' title='http://www.campboiro.org/' id='nh4-4'>4</a>].</p> <p>Sidi Booba souhaite s'inspirer de cette base de données pour son projet. Il est en contact avec deux enfants de victimes du Camp Boiro. Comment réagirait le régime actuel, un régime militaire, face à ces accusations contre la Grande Muette ? Si des commissions « vérité et réconciliation » sont en marche, le régime de Dadis Camara a pourtant exercé plusieurs pressions, notamment auprès d'un juge chargé de l'enquête. Pas sûr que ce béret rouge, qui exerçait au moment des massacres, accepte de lever le voile. Son discours par rapport aux méfaits des deux derniers régimes de Guinée est plutôt de l'ordre du « <i>grand pardon</i> », comme il l'a expliqué le 6 février dernier au Palais du Peuple de Conakry : « I<i>l faudra que le peuple de Guinée, y compris les sages, les jeunes, les enfants, puissent pardonner, accepter le pardon !</i> » Un discours qui lui vaudra ce titre tout en subtilité du journal satirique guinéen Le Lynx : « <i> Leurre du grand pardon.</i> » [<a href='#nb4-5' class='spip_note' rel='footnote' title='Le Lynx, 16/02/09. Pour une revue de presse de l'époque, cliquer ici : (...)' id='nh4-5'>5</a>]</p></div> <hr /> <div class='rss_notes'><p>[<a href='#nh4-1' id='nb4-1' class='spip_note' title='Notes 4-1' rev='footnote'>1</a>] Lire Odile Goerg, Fin de règne sans fin en Guinée, Le Monde Diplomatique, avril 2006. <a href="http://www.monde-diplomatique.fr/2006/04/GOERG/13335" class='spip_out' rel='external'>http://www.monde-diplomatique.fr/2006/04/GOERG/13335</a></p> <p>[<a href='#nh4-2' id='nb4-2' class='spip_note' title='Notes 4-2' rev='footnote'>2</a>] La Fondation Diallo Telli, l'association des victimes du Camp Boiro, le Conseil national des organisations de la société civile, l'organisation Guinéenne des droits de l'Homme (OGDH), l'association des jeunes de Guinée (AJG). (liste non-exhaustive).</p> <p>[<a href='#nh4-3' id='nb4-3' class='spip_note' title='Notes 4-3' rev='footnote'>3</a>] In « <i>Cona'cris, La Révolution orpheline</i> », film documentaire de Gilles Nivet, 2009.</p> <p>[<a href='#nh4-4' id='nb4-4' class='spip_note' title='Notes 4-4' rev='footnote'>4</a>] <a href="http://www.campboiro.org/" class='spip_out' rel='external'>http://www.campboiro.org/</a></p> <p>[<a href='#nh4-5' id='nb4-5' class='spip_note' title='Notes 4-5' rev='footnote'>5</a>] Le Lynx, 16/02/09. Pour une revue de presse de l'époque, cliquer ici : <a href="http://www.guineenews.org/articles/outils/print.asp?ID=200922213126" class='spip_out' rel='external'>http://www.guineenews.org/articles/outils/print.asp?ID=200922213126</a></p></div> Des miettes pour l'Afrique, mais les logos des sponsors sont colorés http://vecam.org/article1227.html http://vecam.org/article1227.html 2009-10-24T13:59:00Z text/html fr Creative Commons Afrique Les associations qui oeuvrent pour la promotion du livre ou des TIC en Afrique se heurtent souvent aux vieilles logiques, qui allient celle de la compassion à celle de l'opportunisme. Rencontres croisées à Conakry (Guinée). « L'oralité n'explique pas tout : c'est surtout le manque de ressources qui nous fait défaut. » Arafan Camara, 23 ans, secrétaire chargé des ressources humaines des Amis du Futur, une Organisation non-gouvernementale (ONG) qui promeut les nouvelles technologies et la culture en (...) - <a href="http://vecam.org/rubrique127.html" rel="directory">2008 - 2011 i-jumelages</a> / <a href="http://vecam.org/mot17.html" rel="tag">Creative Commons</a>, <a href="http://vecam.org/mot42.html" rel="tag">Afrique</a> <div class='rss_chapo'><p>Les associations qui oeuvrent pour la promotion du livre ou des TIC en Afrique se heurtent souvent aux vieilles logiques, qui allient celle de la compassion à celle de l'opportunisme. Rencontres croisées à Conakry (Guinée).</p></div> <div class='rss_texte'><p>« <i>L'oralité n'explique pas tout : c'est surtout le manque de ressources qui nous fait défaut.</i> » Arafan Camara, 23 ans, secrétaire chargé des ressources humaines des Amis du Futur, une Organisation non-gouvernementale (ONG) qui promeut les nouvelles technologies et la culture en Guinée, se rend à l'évidence : « <i>Il y a un désintérêt pour les livres et pour la lecture en général : même les ministres ne lisent pas. En Guinée comme dans beaucoup de pays d'Afrique, les bibliothèques publiques sont dépourvues.</i> » Le projet qu'il anime, « Bibliobus », consiste justement à s'attaquer à cette carence observable sur tout le continent. Il s'agit de couvrir différents quartiers de Conakry grâce à une bibliothèque ambulante où les enfants peuvent emprunter gratuitement quelque 500 livres. Mais les faits sont têtus : « <i>le bus, qui nous a été donné par l'ONG</i> Guinée Solidarité [<a href='#nb5-1' class='spip_note' rel='footnote' title='Guinée Solidarité, depuis sa création par Nadine Bari, en 1987, à Strasbourg, (...)' id='nh5-1'>1</a>], <i>est en panne et nous sommes bloqués depuis l'an passé. On souhaiterait avoir cinq rondes par commune, dans cinq communes différentes de la capitale, pour passer dans une vingtaine d'écoles chaque mois, mais le bus est en panne et les ressources nous font défaut. On aurait besoin de moyens financiers pour acheter cinq bus. Il y a tellement peu de bibliothèques...</i> »</p> <p><span class='spip_document_939 spip_documents spip_documents_center'> <img src='http://vecam.org/local/cache-vignettes/L450xH302/article_4-c0bd5.jpg' width='450' height='302' alt="" style='height:302px;width:450px;' /></span></p> <h3 class="spip">Des multinationales, des ambassades, des toiles d'araignée...</h3> <p>Un paradoxe qui saute aux yeux lorsqu'Arafan égrène la longue liste des sponsors qui ont leur nom sur le bus, avant de nous emmener voir le dit bus, garé sur le parking de l'université Gamal Abdel Nasser. Une épave au point mort, dont les toiles d'araignée et la poussière ont pris possession. « <i>Heureusement que nous avons notre bibliothèque du LAF, elle est fixe, dans la commune de Ratoma. C'est la seule du quartier ! </i> » Les élèves peuvent emprunter des livres au tarif de 10 000 Francs Guinéens par an (moins de 2 euros).</p> <p>Dans la longue liste des soutiens au projet du LAF, on trouve un géant mondial de l'agro-alimentaire au passé sulfureux en Afrique (Nestlé), deux dinosaures de l'exploitation des ressources pétrolières africaines (Shell, Total), des opérateurs de télécommunication guinéens (Areeba Guinée, Mouna group technologies), la deuxième société d'assurances de Guinée, la Sonag, une entreprise de conseil en informatique appartenant à un autre géant (Eti S.A, groupe Bull) et la société Bonagui, qui appartient à Coca-Cola. Que des mastodontes, qui ont bien compris l'intérêt de s'allier à des projets culturels en Guinée. Pour Nestlé, il s'agit de redorer un blason que l'affaire du lait en poudre frelaté et les récentes pratiques commerciales agressives, dénoncées par deux études britanniques ces dernières années [<a href='#nb5-2' class='spip_note' rel='footnote' title='À propos du scandale du lait frelaté, lire ici : http://www.lejdd.fr/cmc//internat' id='nh5-2'>2</a>], avaient considérablement terni. Pour les autres, c'est de la publicité moderne et à moindre frais. Les Guinéens étant habitués à voir défiler sous leurs yeux les cadeaux de pacotille des grandes sociétés qui prospèrent dans leur pays (les stades siglés Rusal, les bennes à ordure estampillées Rio Tinto, les T-shirt Orange...), ils ne sont pas étonnés de voir les logos colorés des sociétés occidentales (ou leurs possessions locales) s'associer à des projets visant à développer la culture et la connaissance, sur les ruines d'un système éducatif atomisé en grande partie à cause des injonctions du FMI dans les deux dernières décennies. Les sociétés ne donnent pas un franc guinéen à cette ONG, mais leur nom est associé au LAF, qui promeut la culture et les TIC. La bonne affaire.</p> <h3 class="spip">« <i>De grands noms</i> »</h3> <p>« <i>Les sociétés pétrolières nous offrent deux pleins d'essence par an, mais à part cette petite aide symbolique, ils sont particulièrement avares. Ils se servent de nous pour donner des produits pendant nos tournées dans les quartiers, comme les produits Nestlé, mais on ne récupère rien de plus. Dans les règles de l'art, on devrait enlever leur nom du bus, leur dire de quitter, mais on préfère les garder car ce sont de grands noms et le rapport entre leur notoriété et leur investissement local est énorme ! Les seuls qui nous supportent de façon régulière, c'est le service de coopération et d'action culturelles (SCAC) de l'ambassade de France. Ils nous donnent environ 2700 euros. Mais chaque année, ce budget baisse. Un jour, il n'y aura plus rien.</i> »</p> <p>À l'heure où l'aide publique au développement (APD) ne cesse de diminuer [<a href='#nb5-3' class='spip_note' rel='footnote' title='Selon James Wolfensohn, président de la Banque mondiale, « un monde où l'aide (...)' id='nh5-3'>3</a>], en partie à cause de l'augmentation, au Nord, des budgets alloués par les États aux capacités militaires et aux subventions agricoles, les associations africaines frappent de plus en plus aux portes des multinationales, qui sont perçues par les associations africaines comme des mécènes potentiels. Qu'il s'agisse des États ou des entreprises, en matière de coopération, le rapport entre nord et sud et toujours très ambigu.</p> <p><span class='spip_document_940 spip_documents spip_documents_center'> <img src='http://vecam.org/local/cache-vignettes/L450xH302/article_4_bis_-d6e8a.jpg' width='450' height='302' alt="" style='height:302px;width:450px;' /></span></p> <h3 class="spip">Quels objectifs du Millénaire ?</h3> <p>Au Sénégal, l'ONG de Fambaye Ndoye Thioub n'a de son côté, pas reçu le moindre financement européen. Ni multinationale pétrolière, ni ambassade vertueuse, ni mécène opportuniste. Pourtant, dit cette femme, qui est aussi syndicaliste à l'Union nationale des syndicats autonomes du Sénégal (UNSAS) et membre des conseils municipaux de Yoff et de Dakar (pour le Parti démocratique du Sénégal, PDS, parti présidentiel), « <i>nous nous inscrivons parfaitement dans les objectifs du millénaire</i> », en référence aux chantiers solennellement définis en septembre 2000 établissant des cibles précises pour 2015 afin d'éradiquer « la misère, la dénutrition, les épidémies ». Des objectifs encore précisés lors du sommet mondial du développement durable de Johannesburg en 2002, mais loin, très loin d'avoir connu le même entrain que celui déployé pour faire face à la faillite des systèmes bancaires aux États-Unis ou en Europe [<a href='#nb5-4' class='spip_note' rel='footnote' title='À propos de ces objectifs (non-atteints) du Millénaire, lire et voir Jean (...)' id='nh5-4'>4</a>]. « <i>L'alphabétisation, la lutte contre la pauvreté, la réduction de la fracture numérique... notre projet englobe tout cela ! Un jour ou l'autre, on trouvera le bon bailleur de fonds, qui trouvera que notre projet est noble</i> », espère cette femme qui s'est donné pour tâche de palier la chute soudaine des revenus des femmes de Yoff, lesquelles dépendent majoritairement des ressources halieutiques.</p> <p>Or, depuis plusieurs années, les pêcheurs du Sénégal ont vu leurs revenus considérablement diminuer. « <i>Les étrangers ont fait un pillage avec des filets non réglementaires. Ce qu'on arrive aujourd'hui à pêcher, d'autres bateaux l'achètent au large</i> », raconte-t-elle, se référant aux bateaux usines chinois qui, tout au long du Golfe de Guinée, écument le moindre flot pour s'accaparer les ressources halieutiques. Le cas échéant, lorsqu'une association ou un rapport dénonce ce pillage en règle, les Chinois noient le poisson avec de généreux dons, comme ce fut le cas avec le gouvernement de Lansana Conté, en 2006 en Guinée, lorsque Greenpeace arraisonna un de ces navires, le dénommé Lian Run N° 14, pour lever le voile sur leurs activités dévastatrices au large de Conakry [<a href='#nb5-5' class='spip_note' rel='footnote' title='Lire ici le rapport de Greenpeace de mars 2006 : http://www.greenpeace.org/canad' id='nh5-5'>5</a>]. Le 26 mars, jour de cette « capture », Pékin a offert la coquette somme d'un million de dollars au gouvernement guinéen. À mettre, bien entendu, sur le compte de son Programme d'assistance à la réduction de la pauvreté en Guinée, un des pays les plus pauvres de la planète.</p> <h3 class="spip">Un blog pour « <i>les hôtels d'Europe</i> »</h3> <p>Face à la paupérisation des zones péchières comme celle de Yoff, au Sénégal, et à la baisse des revenus non seulement des pêcheurs mais également des femmes de pêcheurs, pour qui le commerce du poisson représente une source sûre de revenus, Me Ndoye a tenté de mettre en place une véritable alternative s'appuyant sur les Technologies de l'Information et de la Communication (TIC). Son projet, intitulé « Femmes alph@ne »t, a été mis en place en 2007 afin de permettre à ces femmes « <i>de s'approprier les outils modernes de communication</i> » et à se former aux usages d'internet. Soixante femmes auraient déjà été formées, mais devant le manque de ressources, le projet est en stand-by. « <i>Au début, l'ONG CRESP avait mis à notre disposition du matériel et une salle, mais cette ONG a eu quelques problèmes avec son centre de formation et tout s'est arrêté. La liste des candidates est longue : 35 femmes ont déjà payé leur formation et attendent ! Nous n'avons plus de centre pour former ces femmes-là. Chaque jour, 50 à 60 d'entre elles viennent demander qu'on les forme. Ce n'est pas facile</i> », raconte-t-elle dans l'enceinte de l'Hôtel de la petite minière, où elle est venue participer au séminaire « <i>I-Jumelage</i> », en mai dernier, à Conakry. « <i>Une opportunité d'ouverture pour trouver des partenaires et assurer les frais du centre</i> », dit-elle. « <i>Seule la fondation Sonatel nous a donné un ordinateur. Moi, en tant que présidente, j'en ai donné un : en tout on n'en a que deux ! Vraiment, ce n'est pas sérieux de commencer une formation avec deux ordinateurs ! On s'est dit que si on avait dix PC au départ et que si on avait une aide extérieure pour payer l'électricité, le loyer, l'entretien du local et des machines, on pourrait alors faire vivre le centre mettre en place des formations crédibles.</i> »</p> <p>Non sans une certaine sublimation pour l'Internet, elle imagine que les femmes de Yoff, « <i>dont 90% savent faire la teinture et la couture</i> », pourraient vendre leurs produits grâce à un blog. « <i>À partir d'Internet, ces femmes pourraient avoir des clients quelque part, elles pourraient par exemple avoir une page pour exposer les pagnes, leurs torchons, leurs serviettes, pour les proposer à des hôtels en Europe. L'aéroport est là, tout près, elles pourraient envoyer leurs colis facilement. Ça serait extraordinaire, pour sortir de la pauvreté dans laquelle le manque de ressources de pêche les a plongées. ... c'est un objectif ! Les cotisations ont déjà commencé à affluer, les caisses sont là, elles ont nommé leurs commissaires aux comptes, leurs trésorières... c'est en route ! Mais c'est dur !</i> »</p></div> <hr /> <div class='rss_notes'><p>[<a href='#nh5-1' id='nb5-1' class='spip_note' title='Notes 5-1' rev='footnote'>1</a>] Guinée Solidarité, depuis sa création par Nadine Bari, en 1987, à Strasbourg, a envoyé en Guinée au moins 320 tonnes de matériel réformé par des hôpitaux, des écoles ou des entreprises françaises.</p> <p>[<a href='#nh5-2' id='nb5-2' class='spip_note' title='Notes 5-2' rev='footnote'>2</a>] À propos du scandale du lait frelaté, lire ici : <a href="http://www.lejdd.fr/cmc/international/200838/lait-frelate-nestle-eclabousse_150687.html" class='spip_out' rel='external'>http://www.lejdd.fr/cmc//international/200838/lait-frelate-nestle-eclabousse_150687.html</a>. À propos du lait en poudre, l'OMS estime à quelque 1,5 million chaque année les bébés victimes de l'utilisation inadéquate du lait en poudre. Pour un historique de Nestlé en Afrique, lire ici : <a href="http://ks25722.kimsufi.com/~informat/index.php/historique-du-code.html" class='spip_out' rel='external'>http://ks25722.kimsufi.com/ informat/index.php/historique-du-code.html</a></p> <p>[<a href='#nh5-3' id='nb5-3' class='spip_note' title='Notes 5-3' rev='footnote'>3</a>] Selon James Wolfensohn, président de la Banque mondiale, « <i>un monde où l'aide publique, à 56 milliards de dollars par an, est au plus bas niveau depuis quarante ans, alors que les pays riches dépensent 300 milliards en subventions à leur agriculture et 600 milliards pour leur défense, est "un monde sans équilibre"</i> » (Assemblée annuelle de la Banque et du FMI, Dubaï, septembre 2003).</p> <p>[<a href='#nh5-4' id='nb5-4' class='spip_note' title='Notes 5-4' rev='footnote'>4</a>] À propos de ces objectifs (non-atteints) du Millénaire, lire et voir Jean Ziegler, membre du Comité consultatif du Conseil des droits de l'homme de l'ONU : <a href="http://eco.rue89.com/cabinet-de-lecture/2008/10/27/jean-ziegler-pour-un-tribunal-de-nuremberg-de-la-crise" class='spip_out' rel='external'>http://eco.rue89.com/cabinet-de-lecture/2008/10/27/jean-ziegler-pour-un-tribunal-de-nuremberg-de-la-crise</a></p> <p>[<a href='#nh5-5' id='nb5-5' class='spip_note' title='Notes 5-5' rev='footnote'>5</a>] Lire ici le rapport de Greenpeace de mars 2006 : <a href="http://www.greenpeace.org/canada/fr/presse/communiques/p-cheurs-pirates-demasques-au" class='spip_out' rel='external'>http://www.greenpeace.org/canada/fr/presse/communiques/p-cheurs-pirates-demasques-au</a></p></div> En Guinée, les TIC au bon vouloir du courant http://vecam.org/article1226.html http://vecam.org/article1226.html 2009-10-24T13:12:00Z text/html fr Creative Commons Afrique Trente-cinq associatifs d'Afrique, réunis pendant trois jours, dans un hôtel bien garni de Conakry, avec wifi, dîners, café, eau, électricité en permanence, climatisation, gardiens et chambres coquettes avec télé par satellite : voici le décor d'« I-jumelage », projet projet d'appropriation des Technologies de l'information et de la communication (TIC) concrétisé par un séminaire dans la capitale de la Guinée, du 23 au 27 mai 2009. Les apparences sont trompeuses : la Guinée est un des trous noirs de (...) - <a href="http://vecam.org/rubrique127.html" rel="directory">2008 - 2011 i-jumelages</a> / <a href="http://vecam.org/mot17.html" rel="tag">Creative Commons</a>, <a href="http://vecam.org/mot42.html" rel="tag">Afrique</a> <div class='rss_chapo'><p>Trente-cinq associatifs d'Afrique, réunis pendant trois jours, dans un hôtel bien garni de Conakry, avec wifi, dîners, café, eau, électricité en permanence, climatisation, gardiens et chambres coquettes avec télé par satellite : voici le décor d'« I-jumelage », projet projet d'appropriation des Technologies de l'information et de la communication (TIC) concrétisé par un séminaire dans la capitale de la Guinée, du 23 au 27 mai 2009. Les apparences sont trompeuses : la Guinée est un des trous noirs de l'Afrique en matière d'accès aux TIC.</p></div> <div class='rss_texte'><p>Hôtel de la petite-Minière, Conakry, Guinée, mai 2009. Dans l'enceinte de cet établissement surnommé l'« hôtel des syndicats » (c'est ici que les réunions entre les centrales syndicales guinéennes se tiennent), 35 responsables d'associations, qui, pour la plupart, se rencontrent pour la première fois, sont réunies pour créer ensemble un « réseau » qui servira de base pour plusieurs projets de coopération, d'échanges et de partenariats. Son nom : « I-Jumelage ». Les participants arrivent un par un, convaincus d'un côté que le fait de rentrer en contact avec des associations étrangères qui évoluent dans le même domaine ne peut qu'enrichir les pratiques locales. Convaincues également que la « cagnotte » qui les attend - 130 000 € de subventions, dont 50 000 € issus de fonds de l'Union européenne - leur permettra de mieux atteindre leurs objectifs. À savoir : s'équiper en matériel informatique, équiper les Africains en outils numériques (ordinateurs, téléphones portables…), afin de se servir d'Internet comme un puissant levier de développement .</p> <h3 class="spip">Panafricanisme et développement numérique</h3> <p>Organiser en Guinée un tel séminaire peut paraître parfaitement à la fois tout à fait cohérent et parfaitement incongru. D'un côté, la Guinée est un des pays où les souffles panafricanistes ont été les plus véhéments. Ici s'est créée l'Union Ghana-Guinée-Mali, en 1960. Ici encore s'est pensée l'Unité africaine, au lendemain des indépendances du Ghana de N'Krumah (1957) puis de la Guinée de Sékou Touré (1958) [<a href='#nb6-1' class='spip_note' rel='footnote' title='Deux leaders politiques dont l'amitié était de notoriété internationale, au (...)' id='nh6-1'>1</a>]. Lier les associations africaines en terre guinéenne est donc d'une certaine manière une prolongation de l'histoire de l'édification d'une résistance inter-africaine. Pour l'incongruité de la tenue d'un séminaire sur les technologies de l'information et de la communication, il faut préciser que la Guinée, dont la Société nationale d'électricité (SNE) a longtemps été surnommée « Société des nuits éternelles », est un véritable « trou noir » de l'Afrique en matière de développement et d'état d'avancement numérique. « <i>Nous préférons la liberté dans la pauvreté à l'opulence dans l'esclavage </i> » avait préfiguré le chantre de l'indépendance guinéenne, à sa prise de pouvoir en 1958. Le panafricanisme a tourné à la foire d'empoigne et à la raison du plus fort. Les pays pionniers du panafricanisme, dont la Guinée, ont souffert d'un isolement quasi-continu depuis les indépendances. À l'ère du numérique, cette réalité saute aux yeux.</p> <p>À l'université Lansana Conté de Sonfonia, à Conakry, une des plus grandes universités de Guinée, on compte moins de dix ordinateurs pour environ 16 000 étudiants (droit, sociologie, etc). Chaque matin, Mustapha, étudiant en sociologie, se lève à 5 heures pour être à la fac' à 8 heures. L'électricité n'y fonctionne que par à-coups, les vingt-cinq salles de cours – pour 16 000 étudiants ! – n'étant alimentées que par un seul groupe électrogène, censé fournir du jus de 11 heures à 17 heures. Pas besoin ici de moderniser la fonction publique, déjà amplement dégraissée dans les années 80 grâce au FMI : la plus importante université de Guinée compte un enseignant pour trois cents étudiants. Pas d'Internet, le parc informatique de l'université se limite à quelques ordinateurs périmés, auxquels se sont récemment rajoutés la trentaine de PC prêtés par l'ONG Chaîne informatique sans frontières (CISF), une association basée à Laval (Mayenne). Ratio : un poste pour 400 étudiants. Pour se mettre « <i>en contact avec le monde</i> » et relever ses mails, Mustapha doit donc aller « <i>en ville</i> », dans le quartier des banques et des villas. Là-bas, quelques cyber-cafés proposent aux Conakrykas de se connecter, à raison de 6500 GNF la demi-heure (environ 1 euro). Inutile de dire qu'ils sont bondés car ici, la connexion ne saute que très rarement.</p> <p>L'université Gamal Abdel Nasser, plus proche du centre-ville, est mieux équipée : environ 20 ordinateurs par section, à raison de trois sections par département (trois en tout), soit 180 postes informatiques en totalité. Pour se connecter à Internet, les étudiants doivent au préalable s'abonner à l'Agence universitaire de la Francophonie (AUF), qui propose dix heures de connexion par semaine au prix de 55 000 GNF (environ neuf euros). « <i>Vingt postes par section, c'est vraiment peu par rapport à l'effectif total de l'université : 16 000 étudiants environ. Dans ma classe, on est 1200 élèves ! C'est toujours la guerre pour avoir un poste et si tu n'es pas patient, tu peux facilement renoncer</i> », explique Arafan, étudiant en troisième année de médecine et membre de l'association Les Amis du futur, qui organise la logistique du séminaire « I-Jumelage ».</p> <h3 class="spip">Wifi hors de prix</h3> <p>Dans l'hôtel du séminaire, c'est wifi à volonté. Une exception en Guinée. « <i>C'est gratuit</i> », indique le gérant, qui oublie de dire que le prix se répercute dans celui des chambres. Installer internet sans-fil dans cet hôtel est le fruit d'une longue bataille technico-administrative : poser le mât de onze mètres qui permet de réceptionner les signaux satellitaires, acheter le modem, prendre un abonnement, puis distribuer le wifi : « <i>L'installation coûte 20 millions de Francs Guinéens</i> (3000 euros) <i>et chaque mois, l'abonnement nous coûte 450 euros, pour une vitesse de 128ko/seconde. Passer à 256ko/seconde est facturé le double</i> », explique-t-il [<a href='#nb6-2' class='spip_note' rel='footnote' title='Pour en savoir plus sur les modes de connexion à l'Internet : (...)' id='nh6-2'>2</a>]. En France, l'ADSL est facturé, hors coût de la « box », environ trente euros par mois…</p> <p>Le fournisseur, Sotelgui, est une des plus importantes entreprises de télécommunication en Guinée. Ancienne entreprise d'État, son capital a été ouvert en 1992 suite à « <i>la politique de désengagement de l'Etat guinéen des activités productives du pays</i> » et au « <i>besoin de restructuration du secteur pour faire face aux nouveaux défis engendrés par l'émergence de la vision du village planétaire</i> », explique le directeur, Thierno Oury Diallo (Aminata.com, 10/03/09). Résultat : une dizaine d'années de partage avec Télékom Malaysia, qui a lâché ses parts en 2003. L'entreprise est donc redevenue guinéenne. Les concurrents se nomment Orange (la société prépare actuellement une contre-offre Internet), Cellcom, Areeba ou encore Intercel. Une floraison d'opérateurs privés qui évoluent tant dans le secteur de la télécommunication sans fil que dans l'Internet. Dans de nombreuses villes de Guinée, les visiteurs sont accueillis par d'énormes pancartes Orange. Des jeux sont annoncés sur des panneaux publicitaires géants aux quatre coins de Conakry et ce jusqu'en Haute-Guinée. À une cinquantaine de kilomètres de la capitale, une publicité énorme, le long de la route (ferrée) de la bauxite, invite les Guinéens à « <i>s'ouvrir au monde</i> ». Mais cette « ouverture »a comme principale épine les coupures d'électricité - ce qui explique le succès des téléphones portables, malgré les difficultés liées au chargement des batteries.</p> <p>Sotelgui est en concurrence avec Orange, qui est un des premiers opérateurs en Guinée depuis peu, grâce à une politique de publicité et d'opérations promotionnelles très agressive. Si l'incursion d'Orange en terre guinéenne est le fruit d'une politique commerciale traditionnelle, dans d'autres pays, la présence de France Télécom est un acquis de la Françafrique.</p> <p>La Guinée, surnommée par beaucoup d'observateurs de « <i>scandale géologique</i> » (en raison de ses très importantes réserves en bauxite et en fer) connaît des retards considérables en matière d'approvisionnement en électricité, au point que le chanteur Tiken Jah Fakoly a intitulé une des ses chansons <i>Conakry électricité (« chacun à son tour, comme chez le coiffeur</i> (...) <i>Quand Madina</i> (un quartier de Conakry, ndlR) <i>a l'électricité, Matoto attend, comme chez le coiffeur... </i> »). Pour réviser leurs cours, les étudiants sont obligés de se placer sous les lampadaires où l'électricité ne saute jamais, comme c'est le cas à l'aéroport international de Conakry. Sur le parking, chaque soir, des dizaines d'étudiants lisent à même le bitume leurs cours...</p></div> <hr /> <div class='rss_notes'><p>[<a href='#nh6-1' id='nb6-1' class='spip_note' title='Notes 6-1' rev='footnote'>1</a>] Deux leaders politiques dont l'amitié était de notoriété internationale, au point que N'Krumah sera nommé co-président de la Guinée lors de son exil en Guinée, en 1966, lorsqu'il fut renversé par un Coup d'État soutenu par la CIA.</p> <p>[<a href='#nh6-2' id='nb6-2' class='spip_note' title='Notes 6-2' rev='footnote'>2</a>] Pour en savoir plus sur les modes de connexion à l'Internet : <a href="" class=''>http://www.cornu.eu.org/texts/l-internet-par-satellite</a></p></div>