Vecam http://www.vecam.org/ Réflexion et action pour l'internet citoyen fr SPIP - www.spip.net Vecam http://vecam.org/local/cache-vignettes/L144xH41/siteon0-dd267.png http://www.vecam.org/ 41 144 Patrimoine, Musées et biens communs http://vecam.org/article1299.html http://vecam.org/article1299.html 2014-10-02T19:06:24Z text/html fr Hervé Le Crosnier Creative Commons vecam-F Biens communs Aujourd'hui, le Musée d'Orsay vous propose de constituer le patrimoine comme un bien commun. Aujourd'hui, le Musée d'Orsay vous propose de constituer le patrimoine comme un bien commun. En effet, il demande, via le système de financement participatif Ulele, une participation pour la restauration du tableau de Gustave Courbet "L'atelier du peintre" http://fr.ulule.com/courbet/ J'adore Courbet, sa peinture, comme son engagement politique lors de la Commune de Paris. (...) - <a href="http://vecam.org/rubrique2.html" rel="directory">Articles / Publications</a> / <a href="http://vecam.org/mot17.html" rel="tag">Creative Commons</a>, <a href="http://vecam.org/mot49.html" rel="tag">vecam-F</a>, <a href="http://vecam.org/mot70.html" rel="tag">Biens communs</a> <div class='rss_chapo'><p>Aujourd'hui, le Musée d'Orsay vous propose de constituer le patrimoine comme un bien commun.</p></div> <div class='rss_texte'><p>Aujourd'hui, le Musée d'Orsay vous propose de constituer le patrimoine comme un bien commun.</p> <p> En effet, il demande, via le système de financement participatif Ulele, une participation pour la restauration du tableau de Gustave Courbet "L'atelier du peintre" <a href="http://fr.ulule.com/courbet/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://fr.ulule.com/courbet/</a></p> <p> J'adore Courbet, sa peinture, comme son engagement politique lors de la Commune de Paris. Je n'aurais aucun problème à verser quelque chose pour restaurer le magnifique tableau.</p> <p> Mais,... si les gens participent, il convient de rendre au public les usages secondaires de cette œuvre, qui rappelons le appartient au domaine public.</p> <p> De ceci, il n'est pas question dans la page de présentation de l'appel au financement participatif. Au contraire, il est bien précisé que :</p> <hr class="spip" /> <p>Crédits Photographiques :</p> <p>Gustave Courbet (1819-1877), L'Atelier du peintre, allégorie réelle déterminant une phase de sept années de ma vie artistique et morale, Entre 1854 et 1855, Huile sur toile, H. 3,61m x L. 5,98m , © RMN-Grand Palais (Musée d'Orsay) / Hervé Lewandowski</p> <hr class="spip" /> <p> C'est déjà fort de copyfraud de considérer que la RMN (Réunion des Musées Nationaux) aurait un copyright sur Courbet... mais en plus demander une participation publique pour renforcer cet abus me semble inacceptable.</p> <p> Ajoutons que l'État va participer aux deux tiers de cette restauration de 600 000 euros au travers des réductions d'impôts. Au total, on cherche donc 200 000 euros, puisque l'État est déjà prêt à abonder du reste.</p> <p> Les réductions d'impôts sont une bonne manière de permettre aux citoyens d'orienter les dépenses publiques vers des œuvres d'intérêt général qu'ils soutiennent... en l'occurence, c'est compréhensible ici comme service de choix de la dépense publique par les citoyens. C'est justement une des bonnes méthodes pour passer du service public (qui choisi la répartition de l'impôt) vers un bien commun dans lequel les acteurs ont voix au chapitre.</p> <p> Mais la moindre des choses serait de rendre au public autre chose que des "cartes pass" à bon prix (une fois déduite la participation de 2/3 de l'État au travers des réductions d'impôts) et l'affichage du nom des donateurs sur Facebook.</p> <p> Comme ce genre d'opération va se multiplier, ne devrions-nous pas exiger que l'ensemble des droits sur les reproductions de ces œuvres aidées soient directement posées dans le domaine public ?</p> <p> Le Musée ferait mieux d'offrir des reproductions à tous les niveaux de qualité, des analyses de l'œuvre et des moyens de faire connaître ce chef-d'œuvre le plus largement possible ? On verrait certainement des soutiens découler de cette véritable "valorisation du patrimoine" qu'est l'usage collectif.</p> <p>Hervé Le Crosnier</p> <p>Caen, le 2 octobre 2014</p> <p>Licence Creative Commons by</p></div> La Renaissance des communs, pour une société de coopération et de partage http://vecam.org/article1283.html http://vecam.org/article1283.html 2014-01-26T14:09:57Z text/html fr vecam-F De nombreux domaines de notre patrimoine commun sont actuellement en état de siège : l'eau, la terre, les forêts, les pêcheries, les organismes vivants, mais aussi les œuvres créatives, l'information, les espaces publics, les cultures indigènes… Pour proposer une réponse aux multiples crises, économiques, sociales et environnementales, que connaît la notre société actuelle, David Bollier invite à revenir sur cette notion de « communs », un ensemble de pratiques sociales collectives que la modernité (...) - <a href="http://vecam.org/rubrique2.html" rel="directory">Articles / Publications</a> / <a href="http://vecam.org/mot49.html" rel="tag">vecam-F</a> <div class='rss_texte'><dl class='spip_document_1028 spip_documents spip_documents_right' style='float:right;'> <dt><img src='http://vecam.org/local/cache-vignettes/L200xH275/couverture_bollier_200x275-191ee.png' width='200' height='275' alt='PNG - 38.6 ko' style='height:275px;width:200px;' /></dt> </dl> <p>De nombreux domaines de notre patrimoine commun sont actuellement en état de siège : l'eau, la terre, les forêts, les pêcheries, les organismes vivants, mais aussi les œuvres créatives, l'information, les espaces publics, les cultures indigènes… Pour proposer une réponse aux multiples crises, économiques, sociales et environnementales, que connaît la notre société actuelle, David Bollier invite à revenir sur cette notion de « communs », un ensemble de pratiques sociales collectives que la modernité industrielle a fait progressivement disparaître. Aujourd'hui, les communs doivent être appréhendés non comme des ressources dont tout le monde aurait la libre jouissance, mais comme un système de coopération et de gouvernance permettant de préserver et de créer des formes de richesse partagée. L'auteur montre comment ils peuvent remédier à nos maux économiques en. Car Cette approche, mettant en avant une théorie plus riche de la valeur que l'économie conventionnelle, implique de nouveaux modèles de production, des formes plus ouvertes et responsables de participation des citoyens ainsi qu'une culture d'innovation sociale. C'est ce dont témoignent les actions et initiatives des différents mouvements des « commoneurs » à travers le monde, déterminés à construire des alternatives vivantes et fonctionnelles à l'étau des grandes technocraties publiques et privées.</p> <p>Cet ouvrage devrait permettre d'éclairer et de promouvoir l'enjeu des communs aussi bien auprès des universitaires et des élus que des militants associatifs et autres citoyens engagés.</p> <p>Traduit de l'américain par Olivier Petitjean Une version américaine est <a href="http://www.thinklikeacommoner.com/" class='spip_out' rel='external'>disponible ici</a>.</p> <p><a href="http://vecam.org/article1284.html" class=''>Préface de Hervé Le Crosnier</a></p></div> <div class='rss_ps'><p>Biographie de l'auteur</p> <p>David Bollier se consacre aux communs depuis la fin des années 1990 comme auteur, consultant politique, militant et blogueur. Il travaille sur de nombreux projets liés aux communs avec des partenaires américains et internationaux et tient un blog sur la question (<a href="http://www.bollier.org/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>www.bollier.org</a>). Il vit à Amherst, dans le Massachusetts, aux États-Unis.</p> <p>Prix : 19 €</p></div> Préface à "La renaissance des communs" de David Bollier http://vecam.org/article1284.html http://vecam.org/article1284.html 2014-01-26T14:08:10Z text/html fr vecam-F Ce texte écrit par Hervé le Crosnier est la préface du livre "la renaissance des communs, pour une société de coopération et de partage", écrit par David Bollier et paru aux éditions Charles Léopold Mayer. La lecture du livre que vous avez entre les mains provoque un profond sentiment de joie, on y sent quelque chose qui pétille et qui rend l'espoir. Avec son style fluide (et excellemment traduit), David Bollier nous emmène dans un voyage du côté lumineux des relations humaines. Non que les dangers, (...) - <a href="http://vecam.org/rubrique2.html" rel="directory">Articles / Publications</a> / <a href="http://vecam.org/mot49.html" rel="tag">vecam-F</a> <div class='rss_texte'><p><i>Ce texte écrit par Hervé le Crosnier est la préface du livre "la renaissance des communs, pour une société de coopération et de partage", écrit par David Bollier et paru aux <a href="http://www.eclm.fr/ouvrage-364.html" class='spip_out' rel='external'>éditions Charles Léopold Mayer</a>.</i></p> <p>La lecture du livre que vous avez entre les mains provoque un profond sentiment de joie, on y sent quelque chose qui pétille et qui rend l'espoir. Avec son style fluide (et excellemment traduit), David Bollier nous emmène dans un voyage du côté lumineux des relations humaines. Non que les dangers, les enclosures, les menaces sur les perspectives mondiales soient absents. Il s'agit bien d'une critique de la société néolibérale, de la transformation du monde sous l'égide d'un marché juge et arbitre des équilibres, et d'une critique de la façon dont les Etats baissent les bras devant les forces des monopoles privés. Mais cette critique se fait à partir des perspectives, des mouvements qui inventent ici et maintenant les utopies capables d'ouvrir les fenêtres et de faire entrer le vent joyeux d'une histoire à venir. La richesse des communs s'appuie sur leur longue histoire, rendue invisible par la suprématie du modèle économique individualiste. Mais c'est au futur que les communs peuvent offrir une architecture collective pour résister aux crises, économiques, sociales, politiques et écologiques, que nous connaissons.</p> <p>Nous avions besoin d'un tel livre, à la fois accessible et pénétrant. Vous y reconnaîtrez les mouvements qui animent la planète internet comme la persistance des pratiques sociales collectives qui remontent du fond des âges. Vous y découvrirez un bouillonnement d'activités qui ont toutes pour point central l'investissement personnel des acteurs et la volonté de construire ensemble, de faire en commun. Les communs sont avant tout une forme d'organisation sociale, une manière de décider collectivement des règles qui permettent d'avoir une vie plus juste, plus équilibrée. Un buen vivir comme disent les latino-américains, c'est-à-dire l'exact opposé de la tendance à transformer tout en marchandise et à réduire l'activité des humains à l'expression de leurs intérêts personnels immédiats. L'homo economicus qui hante les réflexions politiques et économiques depuis John Locke et Adam Smith se trouve réduit à son squelette : une fiction qui sert à justifier la domination d'un marché qui pense pouvoir couvrir tous les champs de l'activité humaine et qui fabrique la soumission des pouvoirs publics à son ordre et son idéologie. Au travers des multiples exemples de construction de communs qui servent de support au raisonnement de David Bollier se dessine au contraire une conception des individus autrement plus complexe, et vraisemblablement plus conforme à la réalité. Si l'intérêt personnel est bien, et ce serait absurde de le nier, un des moteurs de l'action, ils est loin d'en constituer l'alpha et l'oméga. À côté, contre, en dehors et en face, les humains savent montrer des appétences à la sociabilité, au partage, à l'altruisme, à la coopération. L'homme est certainement sociabilis avant d'être economicus.</p> <p>L'étude des communs, au travers de tous les exemples concrets présentés dans ce livre, nous montre qu'il y a des comportements collectifs, des normes sociales qui dépassent la seule addition des comportements individuels sur laquelle se base l'économie néo-classique. Quand Margaret Thatcher déclare « There's no such thing as society », une phrase qui va servir de leitmotiv à toute la période néolibérale qui s'ouvrait alors, elle nie les évidences issues des pratiques quotidiennes pour les remplacer par une fiction. Les comportements des individus dans les situations les plus difficiles, la construction de ce que David Bollier appelle « les communs de subsistance » nous montre au contraire que la logique du « faire ensemble », la question de l'équité du partage, et la volonté de s'en sortir collectivement sont au contraire les ressorts des populations les plus démunies ou confrontées à des situations de crise.</p> <p>Car contrairement aux mythes néo-classiques, les gens se parlent, s'organisent, font émerger des règles et se donnent les moyens de les faire respecter. Les communs ne sont ni des phalanstères, isolés et protégés du monde extérieur, ni des espaces sans droit, où chacun pourrait puiser à sa guise. La fable d'un commun abstrait qui serait ouvert à tous, sert de cadre aux réflexions de Garett Hardin sur la « tragédie des communs », mais ne ressemble nullement aux espaces dans lesquels vivent réellement les humains. On trouve certes des communs trop larges pour qu'on puisse en assurer aisément le contrôle. Ceux-ci apparaissent ouverts et sont vite dégradés par l'avidité marchande : épuisement des ressources, pollution, mépris des populations... Loin de constituer un domaine public, ces communs universels sont investis rapidement par les plus fortunés, les plus actifs, les plus influents, ne laissant que des miettes aux populations. Une situation qui conduit inéluctablement à une mainmise monopolistique et à la destruction des équilibres naturels.</p> <p>Le mouvement des communs s'est souvent appuyé sur des actions locales, sur des analyses ponctuelles, sur des collectifs de taille maîtrisable. Ce n'est que récemment, suite à l'expérience de la constitution et du maintien de l'internet par une vaste population mondialement répartie, que nous considérons des ressources globales comme des communs universels. C'est au travers de l'étude de ces communs universels que David Bollier avance une proposition innovante de relation entre les communautés concernées et les structures étatiques. On connaît bien les porosités qui existent entre le marché et les communs, par exemple en regardant les logiciels libres, internet ou la production coopérative. La relation entre les communautés qui protègent, partagent et maintiennent des ressources et les États est plus complexe. Ceux-ci, depuis les révolutions du XVIIIe siècle se considèrent investis, par l'élection démocratique, de ces mêmes missions, et s'imaginent « propriétaires » du domaine public. David Bollier avance l'idée d'un autre type de contrat, une « garantie publique », qui rend les États (et les autres structures publiques, locales ou supranationales) garants des communs considérés et non décideurs. Il s'agit d'assurer aux citoyens investis que la décision définitive sera bien dans les mains de tous. L'autorisation d'exploiter, et souvent de sur-exploiter, ces communs universels ne pourra plus être donnée aux corporations et aux industries dominantes sans que les populations n'y soient associées. Cette proposition d'une relation complexe qui viendrait changer les modes de gestion de l'économie par les États apparaît comme une manière de contrer la montée de l'extractivisme, la destruction des environnements ou la mainmise sur le vivant et la biomasse. Elle renforce par ailleurs la pratique démocratique en accompagnant la délégation par l'action collective. Il s'agit d'articuler l'expérience acquise dans la gestion de communs locaux avec le besoin d'une gouvernance mondiale renouvelée pour faire face aux enjeux de notre siècle. Nourrir bientôt neuf milliards d'humains, s'adapter au changement climatique, répartir les richesses à l'échelle de la planète, et fondamentalement éviter que les logiques d'inégalités qui sont aujourd'hui dominantes ne nous conduisent à des explosions guerrières ou des conflits économiques dont les populations feront les frais, rend nécessaire cette activité en commun.</p> <p>Les communs, de l'échelle locale à l'échelle globale, sont la source d'une nouvelle conception de la richesse, qui ne se mesure plus en PIB ou en obligations boursières, mais s'évalue en fonction de la capacité des humains à vivre ensemble. Nous y apprenons à partager ce qui est disponible, et à inventer les formes sociales, les règles, les critères qui favorisent l'investissement de chacun dans l'intérêt de tous. C'est cette joie des communs qui transparaît tout au long de l'ouvrage de David Bollier. Il ne s'agit jamais de solutions clés en main, de rêves d'une humanité parfaite, mais bien de la nécessité de faire avec les humains imparfaits que nous sommes pour construire des sociétés inclusives, égalitaires. Comment partager les fruits de la nature et de la connaissance, protéger les ressources rares et travailler à étendre sans cesse les ressources inépuisables de la connaissance et de la culture grâce à de nouvelles formes d'organisation de la vie collective ? David Bollier, au long de ce livre ne cesse d'appuyer cette force humaniste sur des exemples concrets émanant de communautés engagées dans la construction et la défense de communs. C'est la force « d'utopie pragmatique » des communs qui s'exprime au long de ces pages. Sachons nous en emparer pour renouveler notre imaginaire politique.</p></div> <div class='rss_ps'><p><i>Hervé Le Crosnier est enseignant-chercheur à l'Université de Caen. Sa recherche porte sur les relations entre Internet, et plus généralement le numérique et la société. Il travaille également sur la théorie des biens communs, et sur la communication scientifique. Il est membre de l'association Vecam.</i></p></div> Biens des communautés villageoises http://vecam.org/article1138.html http://vecam.org/article1138.html 2010-01-25T09:15:23Z text/html fr Bernard GARRIGUES vecam-F Biens communs Section de commune. « Constitue une section de commune toute partie d'une commune possédant à titre permanent et exclusif des biens et droits distincts de ceux de la commune. La section de commune a la personnalité juridique. » (article L2411-1 du CGCT). La section de commune représente, en droit français, la seule modalité de la propriété privée collective. Un inventaire datant de 1986 dénombre environ 30 000 sections de commune en France. Les articles L2411-1 à L2412-1 du Code Général de Collectivités (...) - <a href="http://vecam.org/rubrique2.html" rel="directory">Articles / Publications</a> / <a href="http://vecam.org/mot49.html" rel="tag">vecam-F</a>, <a href="http://vecam.org/mot70.html" rel="tag">Biens communs</a> <div class='rss_chapo'><p>Section de commune. « Constitue une section de commune toute partie d'une commune possédant à titre permanent et exclusif des biens et droits distincts de ceux de la commune. La section de commune a la personnalité juridique. » (article L2411-1 du CGCT). La section de commune représente, en droit français, la seule modalité de la propriété privée collective. Un inventaire datant de 1986 dénombre environ 30 000 sections de commune en France. Les articles L2411-1 à L2412-1 du Code Général de Collectivités Locales et l'article 542 du Code Civil règlent le fonctionnement sous tutelle des sections de commune.</p></div> <div class='rss_texte'><p>"<i>Il faut que les pouvoirs laissent leurs terres aux villages et à ceux qui les habitent aujourd'hui et dans les siècles</i>." (René CHAR)</p> <p>Le géographe du développement local rural se heurte rapidement à deux évidences prégnantes : 1/ le développement local constitue un tropisme fort ; 2/ les droits individuels garantis en sont le moteur. Avec deux questions conséquentes : Qu'est-ce qui s'y oppose puissamment en France ? Quel indicateur assez synthétique rendrait compte pertinemment comment un territoire communal donné respecte les droits individuels garantis ? J'ai choisi comme indicateur, dans mon dispositif de recherche, d'analyser comment les communes respectaient les droits attachés aux biens collectifs de communautés villageoises, biens et droits mal défendus, dits biens sectionaux.</p> <p><strong>Une position idéologique radicale ….</strong></p> <p>Dans l'histoire de l'humanité, la propriété collective du territoire clanique ou tribal constitue la règle ; cependant deux foyers de propriété individuelle prennent racine et diffusent en Chine, et en Europe à partir du droit romain. La notion de propriété privée se répandra un peu partout dans le monde, portée par la colonisation européenne, avec des conséquences parfois mortelles pour les cultures autochtones. En Europe moderne, les biens collectifs actuels représentent le résidu de l'appropriation du territoire par les paysans qui l'ont mis en valeur depuis la conquête romaine. La banque mondiale et le FMI défendent une position de principe extrêmement défavorable à la propriété collective : il suffit de rappeler le Plan d'Ajustement Structurel imposé au Mexique. Alors que sa Constitution garantissait la pérennité des biens collectifs, le PAS l'a contraint à la modifier sur ce point afin de pourvoir bénéficier des services de ces institutions internationales ! Donc le signe fort de position idéologique radicale. Aujourd'hui, nous devons revoir et rigoriser, au vu des travaux d'Élinor OSTROM, prix Nobel d'Économie 2009, notre approche globale du potentiel « développement local » des biens des communautés villageoises ; en détruisant, au passage, les a priori ultralibéraux sur la propriété collective des biens communs.</p> <p><strong>Des centaines de conflits et de contentieux féroces …</strong></p> <p>En France, la Convention Nationale, par son décret du 10 juin 1793, organise le partage des biens des communautés villageoises entre leurs ayants-droit, définis comme habitants ayant domicile réel et fixe dans les limites du village propriétaire depuis plus d'un an. Restent, après l'opération, comme biens collectifs, ceux impartageables (bois et parcours du bétail) et ceux qui n'ont pas trouvé preneur. Actuellement, ces biens s'appellent actuellement « biens sectionaux » et regroupent les biens historiques, plus les biens du domaine privé des communes fusionnées après leur création, plus les acquisitions à titre collectif effectuées par les communautés villageoises durant les 19 et 20ème siècles. La Convention Nationale confirme le rôle de protecteur de l'Etat sur les biens des communautés villageoises, constamment affirmé par le pouvoir royal ; elle confie aux maires, alors surtout fonctionnaires de l'Etat, les fonctions de gérant de ces biens. Nous arrivons ainsi à l'année 1985 quand la représentation nationale se met dans l'idée de « dynamiser » la gestion des biens sectionaux à partir de deux logiques : 1/ extraire un peu les ayants-droit de section de l'emprise de la commune, gérant légal, en établissant l'obligation des listes d'électeurs, la mise en place des commissions syndicales et surtout d'une comptabilité annexe de chaque section : ces obligations légales de la loi ne seront jamais appliquées ; 2/ inciter les sections à louer leurs biens à un ayant-droit, exploitant agricole statutaire , à titre individuel : cette disposition, mise en place au moment où la PAC distribuait des primes à l'hectare, allait être l'origine de centaines de conflits et de contentieux locaux féroces. On peut dire qu'elle a plus fait, en zone montagne, pour détruire le contrat social local que les lois d'orientation agricole de 1960 et 1962.</p> <p><strong>Un système d'exploitation local très robuste …</strong></p> <p>Le processus d'apparition et de maintenance des biens collectifs des communautés villageoises nous convainc qu'ils répondent à une (des) logique économique et sociale fortes. Contrairement aux a priori de la représentation nationale et de l'administration, ils proviennent rarement de donations seigneuriales ou ecclésiales aux paysans locaux dans les temps immémoriaux. Pour preuve : à partir de l'ordonnance du 13 août 1669 , nous trouvons des décisions des Cours de Justice qui traitent de la même manière les ayants-droit, qu'ils soient nobles, paysans ou clercs. En pratique, la notion d'ayant-droit aux biens de la communauté villageoise repose depuis l'origine sur le fait d'habiter le village propriétaire ; la Convention Nationale a seulement formalisé la règle du domicile réel et fixe. Nous voyons ce processus se développer en deux étapes : 1/ Celle de l'appropriation collective d'un territoire par la communauté implicite, appropriation en principe sans conflit ; qui se développe sur les zones inoccupées d'hommes et laisse des frontières assez floues entre les communautés voisines. 2/ Celle de l'appropriation individuelle au sein de la communauté qui repose complètement sur les besoins alimentaires de la famille et la logique de la proximité du tas de fumier à un moment de l'histoire. La propriété collective joue le rôle, plus ou moins suivant le consensus local du moment, de porte et de sas d'accueil de nouveaux habitants susceptibles de rendre des services à la communauté : artisans mais aussi curés ou nomades en rupture de ban. Nous pouvons croire que la propriété collective fut, dans l'invention de l'Europe , un facteur, aussi puissant que les libertés urbaines, du brassage des populations continentales.</p> <p>La propriété collective induit la création d'un système d'exploitation local très robuste parce qu'elle tend à faire converger toutes les stratégies individuelles en une stratégie commune. Fonctionnement du système ultra simple : il accumule au centre (le village) l'ensemble des menus ressources du territoire : pâturage, bois d'œuvre ou bois énergie domestique, fruits sauvages, eau, poissons, etc … mais aussi ressources minérales et eaux. En général, dans les départements de montagne où les biens sectionaux perdurent avec leurs utilisations traditionnelles, les propriétés agricoles individuelles n'atteignent l'équilibre économique que grâce à l'exploitation et la mise en valeur des biens collectifs ; par exemple, par le recrutement d'un berger commun à tous les habitants du village ou l'exploitation d'une mine. Ce modèle perd de sa force à partir des lois d'orientation agricole des mois d'août 1960 et 1962 : les bergers de village partent à la retraite sans être remplacés ; l'afforestation des territoires abandonnés par les troupeaux deviendra l'une des premières mission de l'Office National des Forêts (1964).</p> <p>Ne nourrissons pas une vision angélique de l'organisation de l'exploitation de ces biens collectifs par les sociétés villageoises. Cependant, prenons conscience qu'une règle de fonctionnement collectif qui dure depuis si longtemps, qui permit en 2 000 ans l'appropriation individuelle de la presque totalité du territoire national sans heurt majeur et un développement local rural plutôt cohérent doit posséder quelque pertinence intrinsèque ; la propriété collective ne mérite pas d'être jetée aux orties et vilipendée sans analyse préalable.</p> <p><strong>Reconstruire le contrat social local …</strong></p> <p>Les processus de spoliation, en France, finissent toujours en bains de sang . Je pense à celle des biens juifs, à celle des biens claniques en Nouvelle-Calédonie, à celle des biens des tribus berbères en Algérie. Mutatis mutandis, les mêmes arguments employés dans les années 1880 afin de justifier l'octroi de terres de colonisation aux dépens des biens collectifs indigènes justifient aujourd'hui les lois montagne ou du 13 août 2004 .</p> <p>Le redéploiement, à partir des années 1980, à l'intérieur du territoire national des populations au bénéfice des espaces ruraux signifie que le résidentiel principal (après une parenthèse de deux siècles et demi) redevient le premier moteur du développement local, loin devant l'emploi et sa situation dans l'espace . Existent quelques exemples de communautés villageoises qui surfent sur le phénomène, se développent avec des taux comparables à ceux des communes périurbaines . Existent, en même temps, des biens de section et des acteurs locaux capables de concevoir et réaliser des modèles originaux créateurs de richesses. Cela rétablit une équité (toute relative !) entre les points les plus marginaux et les plus centraux du territoire ; même si le pouvoir central détient toujours la compétence, par la fiscalité, de sanctionner lourdement les lieux périphériques prétentieux . Disons que, depuis longtemps, la situation n'a jamais été aussi favorable aux lieux les plus périphériques de la République afin d'approcher la situation idéale définie par la Charte d'Athènes (1936).</p> <p>Les sections de commune demeurent les seules collectivités sous tutelle depuis les lois de la Convention Nationale et le code civil Napoléon. Les ayants-droit de sections de commune restent, avec les incapables majeurs, les seuls citoyens dont les intérêts restent gérés par un tiers alors que n'existe, en pratique, aucune instance en charge de vérifier que cette gestion se réalise dans l'intérêt des gérés. Cette situation doit cesser et la protection de l'Etat sur ces biens et droits s'appliquer avec rigueur.</p> <p>La loi établit que le Représentant de l'Etat doit déférer à la Chambre Régionale des Comptes les comptes des communes qui ne tiennent pas la comptabilité de leurs sections ou les tiennent de manière irrégulière . En réalité, la loi n'est jamais appliquée et, puisqu'il s'agit aussi de comptes privés, il nous paraît nécessaire que tout ayant-droit lésé puisse saisir le juge des comptes.</p> <p>Le potentiel de développement local des biens et droits sectionaux au plus proche des citoyens reste intact, voire s'est développé par une gestion naturelle de type patrimonial : leurs forêts soumises arrivent à maturité, leurs ressources en eau acquièrent grande valeur, leurs espaces naturels gagnent en attractivité et, contrairement aux communes, les sections ont pleine compétence économique et sociale. Leurs ressources financières détournées doivent être restituées. Elles possèdent donc un potentiel important pour conduire et mener à terme un processus de développement local qui reposerait sur une amélioration visible des facteurs d'attractivité du territoire et sur la reconstruction du contrat social local : foncier disponible à un prix intéressant, ressources en eau de qualité, compétence afin d'établir un accès internet haut débit partagé, énergie domestique disponible, gestion dynamique des biens immobiliers qui permettrait d'alléger les charges communes (dont la fiscalité) et aussi de partager le coûts des services nécessaires. (Bernard Garrigues, Docteur en Géographie)</p></div> Climat et droits de Propriété Intellectuelle, vers une innovation ouverte ? http://vecam.org/article1134.html http://vecam.org/article1134.html 2009-12-14T06:58:18Z text/html fr Frédéric Sultan Solidarité internationale vecam-F Biens communs Tout le monde s'accorde à dire que les négociations de Copenhague seront décisives, non seulement pour le climat, mais aussi pour aller de l'avant vers une nouvelle architecture de la coopération internationale et dessiner une nouvelle perspective de solidarité internationale. La négociation des droits de la propriété intellectuelle (DPI) est centrale dans ce contexte car le régime de production et de circulation des connaissances et de l'innovation pèsera sur les rapports Nord/Sud. Les négociateurs (...) - <a href="http://vecam.org/rubrique2.html" rel="directory">Articles / Publications</a> / <a href="http://vecam.org/mot29.html" rel="tag">Solidarité internationale</a>, <a href="http://vecam.org/mot49.html" rel="tag">vecam-F</a>, <a href="http://vecam.org/mot70.html" rel="tag">Biens communs</a> <div class='rss_texte'><p>Tout le monde s'accorde à dire que les négociations de Copenhague seront décisives, non seulement pour le climat, mais aussi pour aller de l'avant vers une nouvelle architecture de la coopération internationale et dessiner une nouvelle perspective de solidarité internationale.</p> <p>La négociation des droits de la propriété intellectuelle (DPI) est centrale dans ce contexte car le régime de production et de circulation des connaissances et de l'innovation pèsera sur les rapports Nord/Sud. Les négociateurs sont au pied du mur : poursuivre une logique de guerre économique ou bien défricher des nouvelles formes de coopération.</p> <p>Plusieurs conditions devront être remplies pour répondre à la fois aux exigences de la lutte contre le réchauffement climatique et d'un développement solidaire. Les droits associés à la PI doivent être ré-équilibrés pour faciliter la diffusion de l'innovation. Les dispositifs de partage de la connaissance, tels que les brevets et les droits d'auteurs, devront s'adapter aux besoins de la lutte contre le réchauffement climatique. Cette bataille est engagée. Les propositions et les expériences se multiplient. Elles tendent à remettre en cause les dogmes qui dominent les conceptions et les pratiques de l'économie et faire émerger des visions alternatives autour des biens communs.</p> <h3 class="spip">A Copenhague, des négociations sur les droits liés à la PI auront lieu... ou pas.</h3> <p>La PI n'est pas au centre des débats. La PI n'est que l'un des aspects dans les négociations sur le climat. Avant Copenhague, l'essentiel de la discussion s'est focalisé sur la répartition des efforts d'atténuation du réchauffement climatique, avec le préalable posé par les pays du Sud : la reconnaissance par les pays développés qu'ils doivent assumer leurs responsabilités historiques vis à vis du réchauffement climatique. Cela devrait se traduire à la fois par des efforts de changement de régime de consommation des pays développés à échéance de 2020 ou 2050, et à travers une aide significative à l'adaptation des pays en développement. Les autres éléments centraux dans les discussions autour du climat sont le développement et l'utilisation de technologies vertes, le commerce des droits à polluer, des permis d'émissions et de la préservation des puits de carbone naturels, toutes choses qui elles, ont un rapport direct avec les Droits de propriété Intellectuelle car il s'agit notamment de valoriser des innovations techniques.</p> <p>La négociation de la PI est vue d'un mauvaise œil par les pays riches qui ne veulent pas perdre leur avantage compétitif. Dans ce contexte, la négociation autour de la PI peut apparaître comme une négociation technique parmi d'autres. Elle est en fait bien plus que cela. D'une part, les droits associés à l'usage des technologies qui permettent de lutter contre le réchauffement climatique représentent un enjeu économique considérable. Nombre des pays du Nord comptent sur les mannes du commerce et de l'industrie verte pour surmonter la crise financière qu'ils traversent. Ils ne souhaitent donc pas voir les royalties versées pour l'utilisation de leur technologie disparaître ou même se réduire. D'autre part, du fait qu'elles se dérouleraient en dehors de l'OMC, de telles négociations ouvriraient la boite de Pandore. Elles pourraient déplacer les lignes entre le pouvoir des détenteurs des brevets, secteur industriel des pays du Nord, multinationales et les utilisateurs. Les pays détenteurs de brevets ne souhaitent pas voir s'ouvrir une brèche dans le système de droits administré sous l'égide de l'OMC avec les accords sur les droits de propriété intellectuelle (ADPIC).</p> <p>Si jusqu'à présent, la PI n'est pas encore véritablement rentrée dans le cadre de la négociation, elle fait l'objet d'une forte dissension. A Barcelone, lors des dernières réunions de préparation des négociations de Copenhague, la question a fait l'objet d'allers-retour entre le corps du texte et ses annexes des documents préparatoires de la négociation [<a href='#nb1' class='spip_note' rel='footnote' title='Catherine Saez , Conférence de Copenhague : incertitude sur les droits de (...)' id='nh1'>1</a>], signe que la question est un enjeu important. À Copenhague, on peut considérer schématiquement, que deux approches s'opposent.</p> <p>Les uns, au Sud, réclament le droit d'utiliser des brevets des technologies utiles dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatique sans avoir à payer de royalties aux détenteurs de ces brevets. De leur point de vue, le climat doit être considéré comme un bien public, au même titre que la santé, et permettre de faire jouer les clauses spéciales des accords ADPIC.</p> <p>Les PED (G77 et Chine, qui représentent en fait plus de 170 pays) réclament des mesures coercitives autour d'une contractualisation internationale du coût des brevets. Il s'agirait soit de sortir certaines technologies en rapport avec l'environnement du champ du DPI, soit de mettre en place un système de « licence obligatoire » et de l'accompagner de pénalités à l'encontre des pays qui ne respecteraient pas leurs engagements.</p> <p>À l'opposé, les pays développés voudraient renforcer la protection offerte par ces brevets dans le cadre d'accords (ADPIC ou d'accord bilatéraux) qui , selon eux, permettronnt à l'industrie verte de se développer et de se diffuser et pour résoudre la crise écologique.</p> <p>Il faut noter que cette question est indissociable de l'ouverture des frontières pour les biens et les services environnementaux. Cette dernière n'est pas nouvelle. « La réduction ou, selon qu'il sera approprié, l'élimination des obstacles tarifaires et non tarifaires visant les biens et services environnementaux » est inscrite dans la Déclaration ministérielle de l'OMC [<a href='#nb2' class='spip_note' rel='footnote' title='http://www.wto.org/french/thewto_f/...' id='nh2'>2</a>] de Doha en 2001. Plus près de nous, en 2007, les États-Unis et l'Union Européenne, proposent d'établir une liste de biens « favorisant le climat ». Ceux-ci pourraient voir leurs tarifs douaniers supprimés. Selon Attac [<a href='#nb3' class='spip_note' rel='footnote' title='Le climat dans la tourmente des marchés, Rapport de l'association Attac (...)' id='nh3'>3</a>], l'UE préconise que les États membres de l'OMC s'engagent à annuler tout droit de douane sur les technologies pauvres en carbone (ou technologies « propres »). Cette proposition permettrait, selon ses défenseurs, d'assurer aux multinationales des débouchés pour leurs technologies et dans le même temps de permettre aux PED de développer leurs savoirs faire et leurs propres technologies autour de celles qui sont introduites. Or, il est clair comme le rappelle Attac, que si dans le même temps, les droits de PI sont durcis et les PED obligés de lever les freins à la circulation des biens et des services favorables à l'environnement, ces pays seront privés du droit de protéger leurs industries dans ce domaine.</p> <p>Notons aussi que dans de telles conditions, le report de ces négociations, sous forme d'accords bilatéraux ou d'une réforme du régime multilatéral sur la base des accords ADPIC de l'OMC, risque de se faire au détriment des pays pauvres.</p> <h3 class="spip">Vers quels résultats nous entraine le sommet de Copenhague ?</h3> <p>Parmi les propositions actuellement sur la table de négociation, l'exemptions du champ du brevetable et les licences obligatoires ont peu de chance d'aboutir car elles entraineraient des réformes d'ensemble portant sur le droit substantiel de la PI difficiles à négocier ou à appliquer.</p> <p>En revanche, des accords pourraient être trouvés autour de dispositifs qui permettraient de faciliter la circulation des connaissances et des technologies existantes [<a href='#nb4' class='spip_note' rel='footnote' title='Rémi Lallement , Le rôle des droits de propriété intellectuelle dans les enjeux (...)' id='nh4'>4</a>]. Ces dispositifs pourraient prendre la forme d'inventaires internationaux des technologies bénéfiques à l'environnement et de l'abandon des licences préférentielles qui réservent l'exclusivité des fruits de la R & D publique aux entreprises domestiques.</p> <p>Ces mesures n'ouvrent certainement pas la voie pour des avancées dans le domaine des droits de la Propriété Intellectuelle, notamment parce qu'elles restent de l'ordre de l'exception liées spécifiquement à la question climatique alors que la bataille autour des listes de « technologies vertes » fait rage. On voit bien aujourd'hui quelles pressions exerce Monsanto pour y faire inscrire les OGM sous prétexte qu'ils permettraient des économies d'énergie dans le secteur agricole.</p> <p>Les alternatives sont recherchées du coté de l'aménagement des licences elles-même, sous la forme notamment de paniers de brevets (patent pools) ou de plates-formes communes de brevets ou encore de licences de plein droit, qui permettent de concéder des licences groupées ou ouvertes.</p> <p><img src="http://vecam.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-1d287.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> Les communautés de brevets (patent pools) <br />Les communautés de brevets (patent pools) sont des systèmes de concession mutuelle de licences entre détenteurs de brevets. Ils sont donc fermés : les détenteurs de technologies se partagent les bénéfices d'un ensemble de technologies cohérentes entre elles.</p> <p>La proposition de « Global Technology Pool for Climate Change » du G77 et de la Chine s'inscrit dans cette logique. Ce fond regrouperait des technologies propres et les mettrait à la disposition des pays en développement, en dispensant ces derniers de payer des redevances.</p> <p>Ce type de dispositif répond aux besoins de normalisation à l'échelle de la planète, qui est une demande des consommateurs, mais pose des problèmes de droit de la concurrence car il a tendance à renforcer les oligopoles. Ce n'est probablement pas le système qui permet le mieux de soutenir la lutte contre le réchauffement climatique qui appel à une grande variété de technologies en fonction des milieux et des besoins spécifiques.</p> <p><img src="http://vecam.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-1d287.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> Les plate-formes commune de brevets <br />Les plate-formes de brevets de technologies propres sont basées sur un engagement mutuel : les détenteurs de technologies brevetées s'engagent à accorder des licences sans contrepartie de redevance sous réserve du respect de certaines conditions générales.</p> <p>En janvier 2008 le Conseil Économique Mondial pour le Développement Durable (WBCSD) à lancé l'Eco-Patent Commons [<a href='#nb5' class='spip_note' rel='footnote' title='http://www.wbcsd.org' id='nh5'>5</a>] qui réunissent un ensemble de technologies répondant à des critères écologiques et dont l'accès est conditionné à un engagement de réserver leur usage au développement de technologies respectueuses de l'environnement.</p> <p>Ce principe présente des points communs avec l'Open Source [<a href='#nb6' class='spip_note' rel='footnote' title='À la différence du Logiciel Libre, selon Richard Stallman, la logique de (...)' id='nh6'>6</a>], mais il est considérablement limité du fait que les participants doivent apporter chacun au moins un brevet pour pouvoir accéder aux technologies de cette plate-forme. Lorsqu'on connait le coût de dépôt et d'entretien des brevets, on comprend que ce système écarte les pays pauvres.</p> <p><img src="http://vecam.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-1d287.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> Les licences de plein droit (license of right) <br />À contrario, la logique de partage volontaire de la « licence de plein droit » (license of right [<a href='#nb7' class='spip_note' rel='footnote' title='Tanuja V. Garde, Supporting Innovation in Targeted Treatments : Licenses of (...)' id='nh7'>7</a>]) ouvre une perspective de transformation. Avec cette licence, le détenteur d'un brevet ne dispose plus du droit d'empêcher un tiers d'utiliser son brevet. Il accepte par avance d'autoriser ceux qui le demandent à utiliser l'invention protégée. En échange, il est rétribué sur la base d'une taxe ou de fonds publics de la recherche.</p> <p>Des technologies relatives à des combustibles alternatifs, dont les brevets sont détenus par des industriels anglo-saxons sont recencés dans une base de données de licence de plein droit gérée par l'Office de la propriété intellectuelle du Royaume-Uni [<a href='#nb8' class='spip_note' rel='footnote' title='Antony Taubman, OMPI, Partager les technologies pour relever un défi commun, (...)' id='nh8'>8</a>].</p> <p>La licence de plein droit est réputée permettre de réduire les coûts de transaction autour de brevets et offrir plus de souplesse dans la gestion des droits.</p> <h3 class="spip">Vers une innovation ouverte.</h3> <p>Il est nécessaire de créer les conditions d'une innovation plus ouverte à l'échelle de la planète. Les exemples présentés ci-dessus montrent que dans le domaine de l'environnement, le modèle actuel du brevet n'est pas indépassable. Pour combattre le réchauffement climatique, nous avons besoin de développer une grande variété de techniques qui s'adaptent à la diversité des situations. Un grand nombre des inventions favorables à l'environnement, qui datent des années 70, tombent aujourd'hui dans le domaine public. Celles-ci constituent un fond dont il faudrait favoriser la circulation par une mise en commun et pour assurer la génération de nouvelles innovations elles aussi ouvertes.</p> <p>Cela permettrait de penser de nouveaux modes de coopération basés sur le partage des biens communs de la connaissance. L'impact du sommet de Copenhague pourra aussi s'analyser en appréciant l'appropriation de cette question par les mouvements sociaux et citoyens et sa traduction dans un travail de transformation en profondeur la conception dominante de l'économie. Le Manifeste pour la récupération des biens communs [<a href='#nb9' class='spip_note' rel='footnote' title='La présentation du Manifeste pour la Récupération des Biens Communs à (...)' id='nh9'>9</a>] et le FMSD [<a href='#nb10' class='spip_note' rel='footnote' title='Le FMSD, dont la première édition s'est déroulée à Belem en début d'année, et (...)' id='nh10'>10</a>] sont des espaces d'échanges et de construction d'alliances autour de cet objectif.</p> <p>Frédéric Sultan – 12 décembre 2009 <br />Licence CC by-sa</p></div> <hr /> <div class='rss_notes'><p>[<a href='#nh1' id='nb1' class='spip_note' title='Notes 1' rev='footnote'>1</a>] Catherine Saez , Conférence de Copenhague : incertitude sur les droits de propriété intellectuelle , 13 November 2009 , Http ://<a href="http://www.ip-watch.orgweblog/2009/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>www.ip-watch.orgweblog/2009/</a></p> <p>[<a href='#nh2' id='nb2' class='spip_note' title='Notes 2' rev='footnote'>2</a>] <a href="http://www.wto.org/french/thewto_f/minist_f/min01_f/mindecl_f.htm" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://www.wto.org/french/thewto_f/...</a></p> <p>[<a href='#nh3' id='nb3' class='spip_note' title='Notes 3' rev='footnote'>3</a>] Le climat dans la tourmente des marchés, Rapport de l'association Attac France, Novembre 2009, p22</p> <p>[<a href='#nh4' id='nb4' class='spip_note' title='Notes 4' rev='footnote'>4</a>] Rémi Lallement , Le rôle des droits de propriété intellectuelle dans les enjeux post-Kyoto , Nov 2009, Centre d'analyse stratégique</p> <p>[<a href='#nh5' id='nb5' class='spip_note' title='Notes 5' rev='footnote'>5</a>] <a href="http://www.wbcsd.org/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://www.wbcsd.org</a></p> <p>[<a href='#nh6' id='nb6' class='spip_note' title='Notes 6' rev='footnote'>6</a>] À la différence du Logiciel Libre, selon Richard Stallman, la logique de l'open source est une « recherche de rentabilité, d'efficacité, et de fiabilité » plutôt qu'un partage qui garantie pour tous la liberté, l'égalité, la fraternité..<a href="http://linuxfr.org/2006/06/09/20933.html" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://linuxfr.org/2006/06/09/20933.html</a></p> <p>[<a href='#nh7' id='nb7' class='spip_note' title='Notes 7' rev='footnote'>7</a>] Tanuja V. Garde, Supporting Innovation in Targeted Treatments : Licenses of Right to NIH-Funded Research Tools, 11 Mich. Telecomm. Tech. L. Rev. 249 (2005), available at <a href="http://www.mttlr.org/voleleven/garde.pdf" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://www.mttlr.org/voleleven/garde.pdf</a></p> <p>[<a href='#nh8' id='nb8' class='spip_note' title='Notes 8' rev='footnote'>8</a>] Antony Taubman, OMPI, Partager les technologies pour relever un défi commun, Mars 2009, <a href="http://www.wipo.int/wipo_magazine/fr/2009/02/article_0002.html" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://www.wipo.int/wipo_magazine/f...</a></p> <p>[<a href='#nh9' id='nb9' class='spip_note' title='Notes 9' rev='footnote'>9</a>] La présentation du Manifeste pour la Récupération des Biens Communs à l'occasion du FSM 2009 à Belém au Brésil, marque le point de départ d'une campagne de mobilisation pour la préservation, la reconquête et la création des Biens Communs. Le but de cette campagne est de populariser la notion de Biens Communs en ouvrant un espace participatif de réflexion et de partage de toutes les initiatives concernant le futur des Biens Communs. Http ://bienscommuns.org</p> <p>[<a href='#nh10' id='nb10' class='spip_note' title='Notes 10' rev='footnote'>10</a>] Le FMSD, dont la première édition s'est déroulée à Belem en début d'année, et bientôt l'inititiative française (qui se déroulera le 23 janvier 2010), sont des espaces politiques ouverts sur cette question. <a href="http://fmsd-wfsd.org/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://fmsd-wfsd.org</a></p></div> <div class='rss_ps'><p>Bibliographie incomplète : <br />Rapport, Centre d'analyse stratégique, "Les négociations sur le changement climatique : vers une nouvelle donne internationale ?" 20 novembre 2009, <a href="http://www.strategie.gouv.fr/article.php3?id_article=1081" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://www.strategie.gouv.fr/articl...</a> <br />Rémi Lallement , Le rôle des droits de propriété intellectuelle dans les enjeux post-Kyoto , Nov 2009, Centre d'analyse stratégique <br />Catherine Saez , Conférence de Copenhague : incertitude sur les droits de propriété intellectuelle , 13 November 2009 , Http ://www.ip-watch.orgweblog/2009/ <br />Le climat dans la tourmente des marchés, Rapport de l'association Attac France, Novembre 2009, <br />Gaëlle Krikorian, Transfert de technologie : la propriété intellectuelle » en embuscade à Copenhague, 5 novembre 2009 <br />CONFÉRENCE MINISTÉRIELLE DE L'OMC, DOHA, 2001 : DÉCLARATION MINISTÉRIELLE <a href="http://www.wto.org/french/thewto_f/minist_f/min01_f/mindecl_f.htm" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://www.wto.org/french/thewto_f/...</a> <br />OMPI : « Partager les technologies pour relever un défi commun », Magazine de l'OMPI, avril 2009, pp. 4-7.</p></div> Avez-vous le droit au savoir en ligne ? Un rapport montre que l'internet ouvert est menacé http://vecam.org/article1127.html http://vecam.org/article1127.html 2009-11-16T07:54:07Z text/html fr Frédéric Sultan Creative Commons Acces aux technologies de l'information et de la communication vecam-F Monde Revue-reseau-TIC JOHANNESBURG, Afrique du Sud , 16 novembre 2009 – Un nouveau rapport, qui révèle à quel point l'internet tel que nous le connaissons est vulnérable, vient d'être publié par deux organisations de la société civile mondiale. Le rapport annuel intitulé, Global Information Society Watch (GISWatch), a été publié aujourd'hui par l'Association pour le Progrès des Communications et le bailleur de fonds néerlandais Hivos. GISWatch 2009 est intitulé L'accès à l'information et au savoir en ligne – faire progresser les (...) - <a href="http://vecam.org/rubrique2.html" rel="directory">Articles / Publications</a> / <a href="http://vecam.org/mot17.html" rel="tag">Creative Commons</a>, <a href="http://vecam.org/mot27.html" rel="tag">Acces aux technologies de l'information et de la communication</a>, <a href="http://vecam.org/mot49.html" rel="tag">vecam-F</a>, <a href="http://vecam.org/mot61.html" rel="tag">Monde</a>, <a href="http://vecam.org/mot68.html" rel="tag">Revue-reseau-TIC</a> <div class='rss_chapo'><p>JOHANNESBURG, Afrique du Sud , 16 novembre 2009 – Un nouveau rapport, qui révèle à quel point l'internet tel que nous le connaissons est vulnérable, vient d'être publié par deux organisations de la société civile mondiale.</p></div> <div class='rss_texte'><p>Le rapport annuel intitulé, Global Information Society Watch (GISWatch), a été publié aujourd'hui par l'Association pour le Progrès des Communications et le bailleur de fonds néerlandais Hivos. GISWatch 2009 est intitulé <strong>L'accès à l'information et au savoir en ligne – faire progresser les droits humains et la démocratie.</strong></p> <p>Il montre que pour accéder à l'information et au savoir en ligne, il ne suffit pas d'être en mesure d'allumer son ordinateur, et que rien ne garantit que la richesse de l'information disponible sur l'internet aujourd'hui perdurera demain. Que ce soit par de nouvelles lois destinées à contrôler le contenu en ligne, le blocage des sites web ou des lois restrictives sur les droits d'auteur qui empêchent les pays pauvres et les personnes handicapées d'accéder à l'information, ce qui était jusqu'ici un espace libre et ouvert de partage du savoir est en train de se refermer de bien des façons. Comme un auteur le dit, la société de l'information implique « une lutte constante entre les forces de l'autoritarisme et la démocratisation ».</p> <h3 class="spip">Les principaux enjeux</h3> <p>Les facteurs importants qui influent sur l'accès à l'information et au savoir en ligne sont révélés dans le rapport, notamment les débats sur les droits de propriété intellectuelle, les droits au savoir, les normes ouvertes et l'accès aux ressources pédagogiques et aux bibliothèques.</p> <p>Le rapport présente également un examen des institutions et une réflexion sur les indicateurs de l'accès à l'information et au savoir. Quarante-huit rapports pays – dix de plus que l'an dernier – analysent la situation de l'accès à l'information et au savoir en ligne dans des pays aussi différents que la République démocratique du Congo, l'Égypte, le Mexique, la Suisse et le Kazakhstan, tandis que les rapports régionaux donnent une vue d'ensemble des tendances régionales en Amérique du Nord, en Amérique latine et les Caraïbes, en Afrique, au Moyen-Orient, en Asie du Sud et en Europe.</p> <h3 class="spip">Cartographie des droits : « droits culturels » au Mexique, « droits des victimes de la pollution » en Suisse, « droits des surendettés » en Côte d'Ivoire</h3> <p>Pour la première fois cette année, on trouve une section qui cartographie visuellement les droits dans le monde grâce aux recherches dans Google, ainsi qu'une analyse visuelle des messages Twitter envoyés pendant la dernière crise politique en Iran. Les deux projets de recherche présentés sont des tentatives d'études sur le web où l'outil utilisé fait partie de l'analyse, donnant ainsi des résultats fascinants.</p> <p>Par exemple, si l'on se fie aux résultats des recherches dans Google, on pourrait dire que les pays ont des préoccupations très différentes en ce qui concerne les droits : les « droits culturels » au Mexique, les « droits des victimes de la pollution » en Suisse, le « droit à l'éducation dans un langage des signes autochtone » en Finlande ou les « droits des surendettés » en Côte d'Ivoire</p> <h3 class="spip">Il faut rester vigilant : l'internet ouvert se referme tranquillement </h3> <p>« L'intérêt d'une publication comme celle-ci – illuminer les zones moins claires, faire ressortir les différences, les domaines de difficultés et de changements – est de nouveau mis en lumière dans les rapports réunis ici », a indiqué le rédacteur en chef de GISWatch, Alan Finlay. « Tout le monde ne profite pas de la société de l'information ouverte. Et pour ceux qui en profitent, cela devient de plus en plus relatif. Dans bien des cas, les auteurs ont fait preuve de beaucoup de courage en écrivant leur article, compte tenu du contexte répressif dans lequel ils travaillent ».</p> <p>Ironiquement, le monde de l'accès à l'information en ligne comporte lui-même des obstacles au savoir : il existe des poches de spécialisation au-delà des discussions au quotidien de la plupart des gens, ce qui signifie que des droits fondamentaux comme la liberté d'expression, le droit de participer et la liberté d'apprendre et de savoir sont rarement abordés dans les médias de masse.</p> <p>GISWatch 2009 vise à démystifier cet environnement, tout en mettant en garde ceux qui pensent que leur droit à l'accès et à l'utilisation du contenu qu'ils trouvent sur l'internet est assuré pour toujours.</p> <p>Global Information Society Watch 2009, publié en version imprimée et en ligne par l'Association pour le Progrès des Communications (APC) et l'organisation de développement néerlandaise Hivos, recueille les perspectives des spécialistes, analystes et activistes des TIC et des organisations de la société civile dans le monde entier.</p> <p>Le rapport sera lancé au Forum sur la gouvernance de l'internet qui se déroulera en Égypte le lundi 16 novembre.</p> <h3 class="spip">En réponse à la nouvelle publication de GISWatch 2009, plusieurs commentateurs éminents ont fait les observations suivantes :</h3> <p> « Le Global Information Society Watch a entrepris la tâche difficile et extrêmement importante d'aborder les questions convergentes de la liberté d'expression, de l'accès au savoir et à l'information et des droits numériques dans un contexte mondial et comparatif. Le rapport est une ressource particulièrement utile pour surveiller ces développements et pour réfléchir aux moyens de formuler les programmes sur les droits pour la société de l'information aux niveaux national et international. Bon nombre de ces questions sont au premier plan dans les débats sur les politiques depuis dix ans, mais les chercheurs, les défenseurs des droits et les décideurs ne disposaient pas d'un cadre permettant d'en faire une représentation et de les comparer au niveau mondial. Il en ont un désormais ». <br /><strong>Joe Karaganis, Social Science Research Council</strong></p> <p>« J'aime particulièrement la section sur les mesures. Sans de bons indicateurs et indices, comment peut-on mesurer le progrès ? L'économie du savoir a besoin d'indices à la fois qualitatifs et quantitatifs. Il est particulièrement intéressant de donner une place centrale aux droits humains et au développement humain. Cela donne une « âme » aux mesures. Il s'agit selon moi de la publication la plus équilibrée sur l'accès à l'information depuis le SMSI ». <br /><strong>Buhle Mbambo-Thata, directeur exécutif, University of South Africa (UNISA), Services des bibliothèques </strong></p> <p>Le rapport est présentement seulement disponible en anglais mais sera publié en français l'année prochaine.</p> <h3 class="spip">Rapports pays dans GISWatch 2009</h3> <p>Afrique (16) : Algérie, Cameroun, République démocratique du Congo, République du Congo, Égypte, Éthiopie, Kenya, Maroc, Namibie, Nigeria, Rwanda, Afrique du Sud, Tunisie, Ouganda, Zambie, Zimbabwe <br />Amériques (10) : Argentine, Brésil, Chili, Colombie, Costa-Rica, Jamaïque, Mexique, Paraguay, Pérou, Uruguay <br />Asie-Pacifique et Moyen-Orient (15) : Bangladesh, Inde, Iraq, Japon, Jordanie, Kazakhstan, République de Corée, Kirghizistan, Territoire palestinien occupé, Pakistan, Philippines, Arabie Saoudite, Syrie, Tadjikistan, Ouzbékistan <br />Europe (7) : Bosnie-Herzégovine, Bulgarie, Croatie, Pays-Bas, Roumanie, Espagne, Suisse</p> <h3 class="spip">Pour en savoir plus, veuillez communiquer avec Alan Finlay</h3> <p>Rédacteur en chef de GISWatch <br />alan@openresearch.co.za <br />Id Skype : Alan_Finlay <br />Johannesburg, Afrique du Sud <br />Des interviews peuvent être organisés avec les auteurs. <br /><a href="http://www.GISWatch.org/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>www.GISWatch.org</a></p></div> Les télécentres privés du Sénégal http://vecam.org/article1126.html http://vecam.org/article1126.html 2009-11-15T08:11:38Z text/html fr Olivier Sagna, Maitre de conférences, Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD) Creative Commons Acces aux technologies de l'information et de la communication Afrique vecam-F Revue-reseau-TIC Depuis son accession à l'indépendance en 1960, le Sénégal est confronté à la lancinante question de l'accès universel au téléphone. En effet, historiquement introduite pour satisfaire les besoins de l'administration coloniale (Sagna 2001), géographiquement concentrée dans les villes1 et socialement réservée à une minorité, la téléphonie fixe ne compte guère que 240 324 abonnés plus d'un siècle après son introduction, soit un taux de pénétration de 1,97 %2. Au cours de ces vingt dernières années, des progrès (...) - <a href="http://vecam.org/rubrique2.html" rel="directory">Articles / Publications</a> / <a href="http://vecam.org/mot17.html" rel="tag">Creative Commons</a>, <a href="http://vecam.org/mot27.html" rel="tag">Acces aux technologies de l'information et de la communication</a>, <a href="http://vecam.org/mot42.html" rel="tag">Afrique</a>, <a href="http://vecam.org/mot49.html" rel="tag">vecam-F</a>, <a href="http://vecam.org/mot68.html" rel="tag">Revue-reseau-TIC</a> <div class='rss_texte'><p>Depuis son accession à l'indépendance en 1960, le Sénégal est confronté à la lancinante question de l'accès universel au téléphone. En effet, historiquement introduite pour satisfaire les besoins de l'administration coloniale (Sagna 2001), géographiquement concentrée dans les villes1 et socialement réservée à une minorité, la téléphonie fixe ne compte guère que 240 324 abonnés plus d'un siècle après son introduction, soit un taux de pénétration de 1,97 %2. Au cours de ces vingt dernières années, des progrès considérables ont cependant été réalisés puisque la télédensité n'était que de 0,33 ligne pour 100 habitants en 1987. Pour ce faire, l'opérateur historique, s'appuyant sur le constat que le téléphone faisait souvent l'objet d'une utilisation collective, a encouragé la création de dispositifs d'accès collectif connus sous l'appellation de « télécentres ». Constituant un modèle original, par rapport aux autres types de télécentres existant dans le monde, ils ont fortement contribué à la démocratisation de l'accès au téléphone, créant par ailleurs des dizaines de milliers d'emplois et générant d'importants revenus pour l'opérateur, les exploitants et l'État. Cependant, le développement de la téléphonie mobile a entraîné une baisse de leur chiffre d'affaires et une diminution de leur rentabilité qui les a plongés dans une crise profonde qui s'est traduite par la cessation d'activités de nombre d'entre eux. Outre les conséquences économiques et sociales qui en découlent, la disparition progressive des télécentres est un sujet de préoccupation pour les pouvoirs publics et les acteurs du développement local dans la mesure où pendant longtemps ils ont été considérés comme le socle sur lequel il était possible de se baser pour lutter contre la fracture numérique. Nous appuyant d'une part, sur l'exploitation d'informations recueillies auprès des principaux acteurs du secteur pendant de nombreuses années et d'autre part, sur des données secondaires provenant d'articles de presse, de rapports annuels publiés par les opérateurs de télécommunications, de statistiques élaborées par l'Agence de régulation des télécommunications et des postes (ARTP), de travaux académiques, etc. nous nous proposons, à travers cette étude, de retracer l'évolution des télécentres privés au Sénégal au cours de la période 1992-2008 afin d'expliquer comment ce secteur qui était florissant, il y a encore peu de temps, est devenu fortement sinistré en l'espace de deux années tout en explorant les pistes qui pourraient éviter leur disparition totale à plus ou moins brève échéance.</p> <h3 class="spip"> Un concept venu du Nord mais devenu emblématique du Sud</h3> <p>Pour nombre de personnes, les télécentres évoquent un dispositif d'accès collectif aux services de télécommunications qui est emblématique des pays en voie de développement. Cependant, le concept de « télécentre » a vu le jour dans les pays développés et plus particulièrement en Scandinavie où le premier « télécottage » été expérimenté, en 1985, dans le village de Vemdalen (Suède). Leur mise en place avait pour objectif de faciliter l'accès à l'emploi, à la formation et à une série de services, dans une zone reculée comportant moins d'un habitant au kilomètre carré, via l'utilisation de moyens de télécommunications (téléphone, télécopieur, ordinateur, etc.). Centre de services offrant des services d'information et de communication, le télécottage se voulait à la fois une structure de formation, une bibliothèque, un bureau de poste et une boutique de télécommunications (Bullain et Toftisova 2004 : 11 ). Des télécottages ont par la suite été implantés en Grande-Bretagne afin de servir de support au développement du télétravail3 et du travail indépendant, avant de se répandre sous l'appellation de télécentres au Canada, aux États-Unis, en Australie, en Hongrie (UNDP 2006), etc. Aujourd'hui, les télécentres existant dans le monde, oscillent entre deux pôles non exclusifs, à savoir d'une part la fourniture de ressources, dans une optique sociale à des communautés ou à des personnes isolées, défavorisées ou handicapées et d'autre part la fourniture de services, dans une optique commerciale, à des particuliers ou à des entreprises. Au-delà de leurs différences, les télécentres ont en commun d'être des espaces équipés, proposant des ressources partagées et permettant d'accéder à des services de télécommunications (téléphonie, télécopie et accès à Internet) voire d'offrir des services bureautiques (photocopie, traitement de texte, numérisation, etc.).</p> <p>Les télécentres ayant connu un certain succès dans les pays développés, les institutions d'aide au développement ont tenté d'exporter le concept dans les pays du tiers-monde afin de promouvoir l'accès aux technologies de l'information et de la communication (TIC) et plus particulièrement à Internet. C'est ainsi qu'à partir du milieu des années 1990, l'Unesco, l'Union internationale des télécommunications (UIT) et le Centre de recherches pour le développement international (CRDI) ont favorisé la création de Télécentres communautaires polyvalents (TCP). Destinés à fournir des services de téléphonie, de télécopie, de photocopie, de traitement de texte, d'impression, de numérisation de documents et d'accès à Internet, ces TCP ont notamment été expérimentés en Afrique (Rose 1999). Au fil des années, la multiplication des initiatives de ce genre a donné naissance à un large éventail de télécentres, parfois très différents les uns des autres, mais décrits sous des vocables proches (télécentre, télécentre communautaire, télécentre communautaire polyvalent, télécentre privé, télécentre multiservices, téléboutique, etc.) rendant les comparaisons difficiles et créant des malentendus.</p> <p>S'agissant des télécentres privés sénégalais, ce sont des dispositifs d'accès collectif (Scopsi 2004)4 à vocation commerciale, offrant des services de téléphonie et plus rarement de télécopie, résultant d'une initiative locale ayant débouché sur la création de petites entreprises, souvent à caractère familial, faisant l'objet d'une gestion privée et évoluant principalement dans le secteur informel même si certains ont pris la forme de groupements d'intérêt économique (GIE).</p> <h3 class="spip"> Quand le secteur privé vient à la rescousse de l'État</h3> <p>En 1987, la situation de l'accès au téléphone au Sénégal était particulièrement mauvaise avec une télédensité de 0,33 ligne pour 100 habitants. Afin de remédier à cette situation, la Société nationale des télécommunications du Sénégal (Sonatel) se lança alors dans l'installation de cabines publiques. En théorie, elles étaient un excellent moyen d'améliorer l'accès au téléphone mais dans la pratique, leur mise en œuvre révéla de nombreuses limites parmi lesquelles : <br /><img src="http://vecam.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-1d287.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> un nombre restreint de cabines installées à l'échelle du pays ; <br /><img src="http://vecam.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-1d287.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> une répartition géographique déséquilibrée au détriment des zones rurales ; <br /><img src="http://vecam.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-1d287.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> l'obligation pour les usagers de disposer des pièces de monnaie appropriées ; <br /><img src="http://vecam.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-1d287.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> le faible maillage du réseau de distribution des cartes prépayées ; <br /><img src="http://vecam.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-1d287.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> la cherté relative des cartes prépayées pour les usagers occasionnels ; <br /><img src="http://vecam.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-1d287.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> la chaleur régnant dans les cabines exposées au soleil ; <br /><img src="http://vecam.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-1d287.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> l'inconfort de la position debout pour les communications de longue durée ; <br /><img src="http://vecam.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-1d287.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> l'absence d'interface humaine susceptible d'assister les usagers ; <br /><img src="http://vecam.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-1d287.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> la lourdeur de l'investissement qui était de 6 millions de Francs CFA par cabine (Zongo 2000 : 211-223) ; <br /><img src="http://vecam.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-1d287.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> un fort taux d'indisponibilité dû aux actes de vandalisme ; <br /><img src="http://vecam.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-1d287.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> une maintenance complexe à assurer.</p> <p>L'installation de plusieurs centaines de cabines, menée en parallèle avec un important effort de modernisation et d'extension du réseau de télécommunications, eut pour résultat de porter la télédensité à une ligne publique pour 100 habitants en 1992, permettant ainsi au Sénégal de réaliser, avec huit années d'avance, l'objectif fixé par l'UIT aux pays africains. Cependant, l'accès universel au téléphone restait encore un rêve pour la majorité de la population et téléphoner était souvent une gageure. Afin de remédier à cette situation, l'État fixe alors comme objectif à la Sonatel de mettre un téléphone à la disposition de chaque citoyen dans un rayon de cinq kilomètres (Sagna 2006). Les solutions classiques ayant fait long feu, la Sonatel décide d'innover en expérimentant quatre télécentres à Dakar via sa filiale Télécom Plus5. Structures multifonctionnelles, ils offrent l'accès au téléphone, à la télécopie et à des services de photocopies, le tout dans des espaces agréablement aménagés. La formule rencontre un certain succès mais ne s'avère pas reproductible à grande échelle compte tenu du montant de l'investissement nécessaire à l'aménagement et à l'équipement des locaux sans parler des coûts salariaux.</p> <p>En 1993, la Sonatel change alors de stratégie et décide d'autoriser la revente au détail de services de télécommunications dans le cadre de ce qu'elle décide d'appeler les « télécentres privés ». Ces derniers n'ont rien à voir avec les modèles connus jusqu'alors dans le monde ni avec celui expérimenté depuis 1992. Il s'agit en effet d'un simple agrément liant la Sonatel à une personne physique ou morale en vue de l'exploitation d'un télécentre consistant en un local d'une superficie minimale de 12 m2, comprenant un dispositif de taxation et spécialement aménagé pour la vente de services de télécommunications. L'exploitant doit s'acquitter d'une caution d'un montant de 250 000 Francs CFA6 par ligne à Dakar et de 150 000 Francs CFA dans les régions7, payer des frais de raccordement de 67 200 Francs CFA par ligne et acheter un compteur de taxes téléphoniques coûtant 100 000 Francs CFA soit un investissement minimum de 367 200 Francs CFA, sans parler des coûts d'aménagement et d'équipement du télécentre auxquels viennent s'ajouter les factures d'électricité et éventuellement les frais de loyer et les salaires. En contrepartie, l'exploitant est autorisé à revendre des unités téléphoniques dans une limite maximale de 75 % par rapport au tarif de la taxe de base qui est de 60 Francs CFA soit un prix plafond de 105 Francs CFA8. Afin de réguler leur développement, une des dispositions du contrat impose une distance minimale de cent mètres entre deux télécentres. Ce modèle, dans lequel la commercialisation des services de télécommunications est sous-traitée à des privés, préfigure la privatisation de la Sonatel qui surviendra en 1997 avec la vente de 33 % de son capital à France Télécom dans le cadre de la politique de libéralisation imposée par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI).</p> <p>Dans le Sénégal du milieu des années 1990, confronté à une grave crise économique et dans lequel 67,9 % de la population vit en situation de pauvreté (Ministère de l'Économie et des finances 2004), ces télécentres privés constituent une formidable opportunité pour les jeunes sans emploi, les agents de l'État ayant quitté volontairement la Fonction publique ou encore les retraités vivant difficilement de leurs pensions. Ces groupes investissent massivement le créneau et dès 1995 le nombre de télécentres privés s'élève à 2 042, dont 65 % situés à Dakar (Barbier 1998), et totalisent 4 084 emplois soit deux fois plus que l'effectif du personnel de la Sonatel. L'opération s'avère également être une aubaine pour l'opérateur historique puisque les télécentres privés réalisent 5,5 % de son chiffre d'affaires alors qu'ils ne représentent que 2,5 % des lignes téléphoniques (Zongo 2000). Devant un tel succès, les règles d'établissement des télécentres sont assouplies et l'obligation de respecter une distance minimale entre deux installations est supprimée. Cette mesure provoque une explosion des demandes d'agrément et fin 1997, on dénombre 6 796 télécentres dans l'ensemble du pays. Au fil des années, leur nombre ne cessera d'augmenter atteignant un maximum de 24 284 télécentres en 2005. Un bilan établi l'année suivante faisait état de 18 500 télécentres totalisant 23 000 lignes téléphoniques, employant 30 000 personnes et générant un chiffre d'affaires de 50 milliards de Francs CFA, représentant 33 % du chiffre d'affaires de la Sonatel9, sans parler de l'important bénéfice social apporté à des milliers de citoyens qui virent ainsi leur accès au téléphone facilité.</p> <p>Le succès rencontré par les télécentres privés auprès du public s'explique par le fait que ce dispositif d'accès collectif aux télécommunications : propose une interface humaine susceptible d'assister les personnes âgées, les non voyants, les analphabètes et tous ceux ne savent pas utiliser un téléphone (Benjamin 2000 : 8)10 ; repose sur une installation surveillée en permanence d'où une grande disponibilité ; constitue un cadre permettant de téléphoner avec un relatif confort ; permet de passer des appels téléphoniques mais aussi d'en recevoir ; n'implique pas d'avoir de la monnaie ni de prépayer ses communications ; facilite l'accès aux communications nationales voire internationales pour ceux qui disposent d'un abonnement avec accès restreint.</p> <p>Les télécentres étant principalement localisés dans les zones à forte densité de population, ce sont entre 60 et 70 %11 de la population qui a pu bénéficier d'un accès indirect au téléphone (Chéneau-Loquay 2001 : 126) permettant ainsi à l'accès universel de faire des progrès considérables12. Le modèle des télécentres privés sénégalais a montré que, dans certaines conditions, la privatisation de la revente de services de télécommunications pouvait accroître l'accès universel au téléphone là où les mécanismes mis en œuvre par la puissance publique montraient certaines limites. Cependant, ce constat doit être tempéré par le fait que l'analyse de leur répartition géographique révèle, qu'avec plus de 50 % de télécentres situés dans l'agglomération dakaroise, les télécentres privés ont épousé les distorsions du marché plus qu'ils ne les ont corrigées puisqu'ils se sont concentrés dans les zones les plus rentables. Contrairement à la plupart des modèles de télécentres expérimentés par les organismes d'aide au développement et même par les organisations non gouvernementales (ONG), ils ont offert une solution relativement pérenne permettant à nombre de citoyens d'accéder au téléphone. Enfin, bien que ne revendiquant aucune vocation sociale, ils ont joué un rôle clé dans l'appropriation du téléphone par de larges franges de la population, sans parler de la création de dizaines de milliers d'emplois, certes précaires et peu payés13, mais constituant un filet de sécurité sociale appréciable pour des milliers de familles.</p> <h3 class="spip">Un secteur organisé et en quête de régulation</h3> <p>À la fois clients de la Sonatel et revendeurs de services, les exploitants de télécentres ont très tôt ressenti la nécessité de s'organiser. C'est ainsi que l'Union nationale des exploitants de télécentres (Unetel) verra le jour dès 1995 même si son existence sera plutôt éphémère (Barbier 1998). Après un vide de quelques années, l'Association pour la redynamisation des télécentres (Arts) prend la relève à partir de 1998 mais doit rapidement s'accommoder de l'existence d'une organisation concurrente, le Syndicat national des télécentres privés du Sénégal (Synts), créé en 1999. Ce dernier finira par s'imposer et sous la pression « amicale » de la Sonatel, qui n'apprécie guère le terme « syndicat », il changera d'appellation en 2001 pour devenir l'Union nationale des exploitants de télécentres et téléservices du Sénégal (UNETTS). Une des premières batailles menée par l'UNETTS fut d'exiger une meilleure qualité de service de la part de la Sonatel car pour ces clients particuliers, tirant l'intégralité de leurs revenus du téléphone, les lignes en dérangement et les longs délais de rétablissement étaient synonymes de perte de clientèle et donc de baisse de leur chiffre d'affaires. De plus, ils demandèrent à l'opérateur de faire preuve de tolérance en cas de retard de paiement afin de ne pas voir leurs lignes téléphoniques suspendues comme n'importe quel abonné ordinaire. Enfin, ils réclamèrent que les unités téléphoniques leur soient vendues en gros et non au de détail comme pour les autres abonnés. Autant la Sonatel consentira des efforts sur les deux premiers points, autant elle n'acceptera jamais de pratiquer des prix de gros, trop heureuse de disposer de milliers de lignes fortement rentables, notamment dans les zones rurales où les télécentres privés polarisaient l'essentiel du trafic14. Elle préféra pratiquer des ristournes, en fonction du volume d'unités vendues, récompensant ainsi les télécentres les plus rentables15. Au fil des années, la rentabilité des télécentres privés diminuera régulièrement du fait de leur multiplication notamment suite à la suppression de la distance minimale obligatoire. En effet, si dans un premier temps la mesure avait été appréciée car facilitant le développement du secteur, ses contrecoups se firent rapidement sentir. L'augmentation du nombre de télécentres privés dans les zones les plus rentables entraîna une guerre des prix qui fit passer progressivement le prix l'unité téléphonique de 105 Francs CFA à 65 Francs CFA, avec pour conséquence une marge bénéficiaire réduite à 6 Francs CFA par unité en lieu et place des 46 Francs CFA de naguère. L'UNETTS se mobilisera afin d'obtenir le rétablissement de cette clause, mais en vain, la Sonatel se contentant de geler la délivrance de nouveaux agréments dans les zones urbaines pour de courtes périodes16. Cette mesure s'avérera cependant sans effet de même que les actions de sensibilisation organisées par l'UNETTS auprès de ses membres en vue de tenter d'organiser une sorte de contrôle des prix17.</p> <p>L'UNETTS se tourna alors vers l'Agence de régulation des télécommunications (ART)18 qui en réponse présenta, en octobre 2002, un projet de cahier des charges qui restera sans suite. Relancée par l'UNETTS, l'ART remania le projet initial afin de prendre en compte l'activité de la société Digital Net, commercialisant des terminaux GSM destinés aux télécentres, ainsi que l'arrivée d'un troisième opérateur. Lors d'un atelier de validation du nouveau projet de cahier des charges, organisé en septembre 200419, deux positions s'affrontèrent qui bloquèrent son adoption. Pour l'UNETTS, le télécentre devait être défini comme une activité de distribution de services de télécommunications, quelle que soit la technologie utilisée, dans un local aménagé disposant d'une superficie minimale et dans le cadre duquel il devait être vendu uniquement des services de télécommunications. Elle réclamait également à ce que soient définis les droits respectifs des exploitants de télécentres privés et des opérateurs de télécommunications. L'UNETTS souhaitait également que soient institués des prix de gros et revendiquait l'établissement d'une fourchette de prix encadrant la revente des unités téléphoniques20. Enfin, elle demandait la création d'un fond de consignation destiné à recueillir les milliards de Francs CFA déposés en caution par les exploitants de télécentres auprès de la Sonatel21. De son côté, Digital Net souhaitait que l'activité télécentre soit définie comme une activité de distribution de services de télécommunications, quelle que soit la technologie utilisée et quel que soit le lieu de vente (local fermé, lieux ouverts au public, voie publique, etc.)22. Prétextant le manque de consensus entre les acteurs, arguant du fait que le Code des télécommunications ne prévoyait pas de régime juridique spécifique pour la revente des services téléphoniques et s'interrogeant sur l'opportunité de réguler et/ou de réglementer cette activité compte tenu des options libérales de l'État, l'ART décida finalement de geler le processus. Ces réticences à établir un cahier des charges furent encore renforcées lorsque la Sonatel l'informa qu'elle avait déposé la marque « Télécentre », auprès de l'Organisation africaine de la propriété intellectuelle (OAPI) depuis le 14 juillet 2004, et en détenait désormais le droit d'utilisation exclusif23. Rejetant ces arguments, l'UNETTS poursuivit cependant son combat en faveur de la régulation des télécentres privés, estimant que c'était le meilleur moyen de stabiliser le secteur.</p> <h3 class="spip">Téléphonie mobile qui rit, télécentres qui pleurent</h3> <p>Outre la concurrence exacerbée s'exerçant entre les télécentres, le développement de la téléphonie mobile est peu à peu devenu la principale cause de leurs problèmes. Apparue en septembre 1996, avec le lancement du réseau Alizé24 par la Sonatel, sa croissance a été stimulée à partir d'avril 1999 avec l'arrivée de Sentel et l'est encore un peu plus depuis la venue d'Expresso sur le marché en janvier 2009. À ses débuts, la téléphonie mobile a fonctionné sur un modèle économique, reposant sur la réalisation d'une marge importante résultant de prix élevés imposés à un faible nombre d'abonnés, qui ne constituait pas une menace sérieuse pour les télécentres privés. À partir des années 2000, les téléphones portables de seconde main et les terminaux bon marché ont fait leur apparition en même temps que la concurrence entre les opérateurs faisait baisser le prix des abonnements et des communications. Dès lors, un nouveau modèle économique, basé sur la réalisation d'une faible marge sur un nombre élevé d'abonnés, s'est imposé dans le cadre duquel la téléphonie mobile s'est développée à un rythme que même les opérateurs n'avaient pas prévu. Elle a ainsi franchi le cap des 500 000 abonnés en 2002, celui du million d'abonnés en 2004 pour atteindre 5 983 639 abonnés en mars 2009 soit un taux de pénétration de 49,16%25. En une dizaine d'années, la téléphonie mobile est donc passée du statut de produit de luxe réservé aux plus aisés à celui de produit de consommation courante à la portée d'un grand nombre de Sénégalais au point qu'en 2007, avec un chiffre d'affaires de 282 milliards Francs CFA et une croissance annuelle de 39,6 %, elle générait 53 % des revenus des télécommunications26.</p> <dl class='spip_document_880 spip_documents spip_documents_center' style=''> <dt><a href="http://vecam.org/IMG/pdf/volution_du_nombre_de_lignes_publiques-2.pdf" title='PDF - 650.1 ko' type="application/pdf"><img src='http://vecam.org/local/cache-vignettes/L52xH52/pdf-eb697.png' width='52' height='52' alt='PDF - 650.1 ko' style='height:52px;width:52px;' /></a></dt> <dt class='spip_doc_titre' style='width:120px;'><strong>Évolution du nombre de lignes publiques</strong></dt> </dl> <p>Chiffres reconstitués par l'auteur d'après diverses sources : ARTP, Sonatel, etc.</p> <p>Outre la baisse des tarifs d'abonnements et des communications, la téléphonie mobile s'est appuyée sur l'accroissement de la couverture de ses réseaux ainsi que sur des innovations techniques et des opérations commerciales pour conquérir la clientèle des télécentres privés. Ainsi, l'introduction par Sentel, en novembre 2005, puis par la Sonatel, novembre 2006, de la taxation à la seconde (TAS) et des systèmes de recharge de crédit à partir de 100 Francs CFA, combinés à la possibilité de transférer du crédit à un tiers, ainsi que le lancement de cartes prépayées ayant une valeur faciale de 1 000 Francs CFA ont porté un rude coup aux télécentres. En effet, nombre de possesseurs de téléphones portables qui se rabattaient sur les télécentres privés lorsque leur crédit était épuisé se sont alors massivement détournés de cette option puisqu'il leur était désormais possible de recharger du crédit avec une somme dérisoire où de s'en faire envoyer par un tiers. À ces nouveautés, sont venues s'ajouter les nombreuses opérations de promotion commerciales offrant des bonus de 50 % lors de l'achat d'une carte prépayée qui ont contribué à fidéliser, voire à étendre, la clientèle de la téléphonie mobile. Par ailleurs, l'introduction de la téléphonie fixe prépayée, le lancement des cartes internationales prépayées, la baisse des tarifs des communications internationales et mobiles, l'harmonisation des tarifs de communications entre le fixe et le mobile et, dans une moindre mesure, le développement de la téléphonie sur Internet (VoIP) ont également contribué à détourner le public des télécentres privés d'autant plus que, durant toute cette période, ces derniers n'ont bénéficié d'aucune innovation technologique ni de promotion commerciale. Enfin, les progrès réalisés en matière de téléphonie rurale, avec la couverture téléphonique de 13 000 des 14 000 villages du pays par la Sonatel, a étendu la couverture des réseaux de téléphonie mobile et grignoté les parts de marché détenues par les télécentres dans ces zones. La baisse de rentabilité qui a découlé de cet ensemble de facteur a poussé certains télécentres à réduire le nombre de lignes qu'ils exploitaient voire à cesser leurs activités. Conséquence directe de cette situation, le nombre de lignes de téléphonie publique, essentiellement constitué par les lignes de télécentres a chuté de 68,71% passant de 19 261 en mars 2005 à 6 027 en mars 2009.</p> <dl class='spip_document_881 spip_documents spip_documents_center' style=''> <dt><a href="http://vecam.org/IMG/pdf/volution_diu_nombre_de_telecentres_au_Senegal.pdf" title='PDF - 234.7 ko' type="application/pdf"><img src='http://vecam.org/local/cache-vignettes/L52xH52/pdf-eb697.png' width='52' height='52' alt='PDF - 234.7 ko' style='height:52px;width:52px;' /></a></dt> <dt class='spip_doc_titre' style='width:120px;'><strong>Evolution du nombre de télécentres au Sénégal</strong></dt> </dl> <p>Source : Agence nationale de la statistique et de la démographie et SONATEL</p> <p>Parallèlement, après avoir atteint un maximum de 24 285 en 2005, le nombre de télécentres a rapidement diminué à partir de 2006 pour atteindre 4 246 télécentres en décembre 2008. D'aucuns estimeront que la disparition des télécentres est un phénomène inéluctable dans la mesure où ils ont rempli le rôle historique qui était le leur jusqu'au moment où les conséquences des changements intervenus dans le secteur des télécommunications (Sagna 2008) leur ont fait perdre toute raison d'être. Cela étant, le développement de la téléphonie mobile n'est pas forcément synonyme de disparition des télécentres puisque dans certains pays, tels le Maroc où l'Afrique du Sud, où son taux de pénétration est beaucoup plus élevé qu'au Sénégal, ceux-ci continuent à prospérer (Ndao 2008 : 8). Par ailleurs, il faut bien voir que les télécentres ne peuvent être considérés comme un simple dispositif d'accès collectif aux télécommunications comme pouvaient l'être les cabines publiques dans la mesure où ils assument une fonction économique et sociale vitale pour des milliers de familles. Dès lors, l'État peut difficilement laisser ce secteur s'effondrer et voir disparaître des milliers d'emplois sans tenter de lui venir en aide au nom de la cohésion sociale. De plus, la disparition progressive des télécentres ne signifie pas que la question de l'accès universel au téléphone soit devenue une question caduque.</p> <table class="spip" summary=""> <caption>Évolution de l'environnement des télécentres privés au Sénégal (1992-2009)</caption> <tr class='row_even'> <td class='numeric '>1992</td> <td>Télécom-Plus, filiale de la Sonatel expérimente quatre télécentres multifonctionnels</td></tr> <tr class='row_odd'> <td class='numeric '>1993</td> <td>La Sonatel autorise la revente de services téléphoniques par des télécentres privés</td></tr> <tr class='row_even'> <td class='numeric '>1995</td> <td>Création de l'Union nationale des exploitants de télécentres (UNETELS)</td></tr> <tr class='row_odd'> <td class='numeric '>1996</td> <td>Lancement du réseau de téléphonie mobile Alizé, devenu Orange, par la Sonatel</td></tr> <tr class='row_even'> <td class='numeric '>1997</td> <td>Privatisation de la Sonatel</td></tr> <tr class='row_odd'> <td class='numeric '>1998</td> <td>Création de l'Association pour la redynamisation des télécentres du Sénégal (ARTS)</td></tr> <tr class='row_even'> <td class='numeric '>1999</td> <td>Lancement du réseau de téléphonie mobile de Sentel devenu Tigo Création du Syndicat national des télécentres privés du Sénégal (SYNTS)</td></tr> <tr class='row_odd'> <td class='numeric '>2000</td> <td>Le nombre d'abonnés à la téléphonie mobile franchit le seuil des 200 000 abonnés et dépasse celui des abonnés à la téléphonie fixe</td></tr> <tr class='row_even'> <td class='numeric '>2001</td> <td>Le Synts devient l'Union nationale des exploitants de télécentres et téléservices du Sénégal (UNETTS)</td></tr> <tr class='row_odd'> <td class='numeric '>2002</td> <td>La téléphonie mobile franchit le cap des 500 000 abonnés</td></tr> <tr class='row_even'> <td class='numeric '>2004</td> <td>La téléphonie mobile atteint le million d'abonnés Digital Net introduit les télécentres GSM fixes et mobiles</td></tr> <tr class='row_odd'> <td class='numeric '>2005</td> <td>Sentel lance la taxation à la seconde ainsi qu'une formule de recharge et de transfert de crédit. La Sonatel lance la téléphonie fixe prépayée et les cartes internationales prépayées</td></tr> <tr class='row_even'> <td class='numeric '>2006</td> <td>La téléphonie mobile atteint le seuil des trois millions d'abonnés La Sonatel introduit la taxation à la seconde et une formule de transfert de crédit</td></tr> <tr class='row_odd'> <td class='numeric '>2007</td> <td>La téléphonie mobile atteint le seuil des quatre millions d'abonnés Une licence fixe, mobile et Internet est attribuée à Sudatel</td></tr> <tr class='row_even'> <td class='numeric '>2008</td> <td>La téléphonie mobile atteint les cinq millions d'abonnés</td></tr> <tr class='row_odd'> <td class='numeric '>2009</td> <td>La téléphonie mobile atteint le seuil des six millions d'abonnés Lancement du réseau de téléphonie mobile 3G de Sudatel sous le label Expresso</td></tr> </table> <p>Source : Agence nationale de la statistique et de la démographie et SONATEL</p> <p>En effet, les chiffres officiels publiés par l'ARTP sur le taux de pénétration de la téléphonie sont quelque peu surestimés du fait de biais liés à son mode de calcul. Tout d'abord les chiffres rendus publics par l'ARTP correspondent au nombre cumulé de cartes SIM vendues et non au nombre de puces effectivement actives. Ils incluent notamment les puces achetées par des personnes de passage au Sénégal ainsi que celles devenues inactives pour être restées trop longtemps sans avoir été rechargées. Enfin, ils comptabilisent les détenteurs de téléphones portables qui, pour des raisons personnelles ou professionnelles, possèdent plusieurs puces. L'ARTP est d'ailleurs consciente de ces phénomènes puisqu'en septembre 2008, elle estimait le nombre réel de puces actives à 4 135 000 sur les 5 000 960 officiellement déclarées par les opérateurs27 soit une différence de 17%. Si l'on ajoute à ces considérations le fait que la plupart des abonnés à la téléphonie fixe possède au moins un abonnement à la téléphonie mobile, il apparaît clairement que le taux de pénétration globale de la téléphonie est bien loin des 51,13%28 résultant de l'addition des taux de pénétration de la téléphonie fixe et mobile. Ces chiffres prouvent ainsi que la question de l'accès universel au téléphone reste d'actualité malgré les progrès considérables réalisés grâce à la téléphonie mobile. Dès lors, il apparaît qu'il existe toujours un rôle à jouer pour les télécentres à conditions que ceux-ci s'adaptent au nouvel environnement.</p> <h3 class="spip">Les télécentres privés à la croisée des chemins </h3> <p>Anticipant ou non la nécessaire mutation des télécentres privés, de nombreuses actions de renforcement de capacité ont été organisées à leur intention dans le cadre de projets financés par la coopération internationale29. Cela étant, bien peu ont réussi à faire le saut qualitatif leur permettant de passer du statut de télécentre monofonctionnel à celui de télécentre multifonctionnel et ce pour diverses raisons. Tout d'abord, la majorité des télécentres privés étant des entreprises familiales, gérées par des personnes ayant peu voire pas de formation professionnelle (Barbier 1998) ni les compétences techniques et managériales nécessaires, il n'a pas été possible de dépasser certaines limites objectives. S'agissant du cadre d'accueil, la plupart des télécentres privés évoluant dans des locaux répondant strictement à la norme des 12 m2 édictée par la Sonatel, il n'était guère réaliste de vouloir les transformer en des structures multifonctionnelles possédant des équipements bureautiques et informatiques destinés à être utilisés par une clientèle nombreuse (Candelier et Lemoine 2001)30. Enfin, l'acquisition de nouveaux équipements, leur maintenance, leur alimentation électrique et leur fonctionnement, sans parler de l'aménagement des locaux ni des coûts récurrents additionnels (personnel supplémentaire et/ou plus qualifié, frais d'abonnement à l'ADSL, facture électrique, etc.) nécessitaient un investissement et des disponibilités financières hors de portée de la majorité des exploitants de télécentres privés. Dès lors, la mutation souhaitée des télécentres monofonctionnels en des télécentres multifonctionnels s'est trouvée hypothéquée par le profil même de leurs exploitants. À cela s'est ajouté le fait que durant des années, les exploitants de télécentres privés ont mené un combat auprès de la Sonatel afin d'interdire le couplage de l'activité télécentre avec toute autre activité commerciale (salon de coiffure, vente de produits cosmétiques, boutique, etc.). Ils ont certes obtenu gain de cause mais avec pour résultat l'émergence d'un modèle de télécentre reposant sur la « monoculture » de la téléphonie fixe avec les terribles conséquences qui en ont découlé suite au développement exponentiel de la téléphonie mobile. Confirmant cette difficulté à évoluer vers un autre modèle, il est significatif de constater que les cybercentres, apparus à partir de 1996, ont généralement été créés par de nouveaux entrepreneurs et non par les exploitants de télécentres privés.</p> <p>La gravité de la situation a amené l'UNETTS à tirer la sonnette d'alarme en vue de faire prendre conscience, aux autorités gouvernementales et à l'opinion publique, de l'ampleur du phénomène ainsi que de ses conséquences économiques sociales. Elle a notamment organisé, en juillet 2007, une journée de réflexion sur le thème « Les télécentres et les innovations TIC : Quels enjeux pour le Sénégal ? » à laquelle ont participé des représentants de l'État (ADIE, ARTP, etc.), du mouvement consumériste (SOS consommateurs), de la société civile (OSIRIS) et des professionnels du secteur des TIC. Les différents intervenants ont été unanimes à reconnaître que la survie des télécentres privés dépendait essentiellement de leur capacité à s'adapter au nouveau contexte, à travers une diversification de l'offre de services et une nouvelle organisation du secteur. La nécessité de diversifier leurs partenariats afin de réduire leur dépendance vis-à-vis de l'opérateur historique a également été mise en exergue compte tenu de la présence de Sentel sur le créneau de la téléphonie mobile et de l'arrivée de Sudatel dans le cadre de l'attribution de la licence globale lui permettant de fournir des services de téléphonie fixe, mobile et Internet (FMI)31. La professionnalisation du secteur, avec ses corollaires que sont la mise à niveau des acteurs et le recrutement de nouvelles compétences, a également été identifiée comme une priorité sans parler de l'amélioration des conditions d'accueil de la clientèle. La prise de mesures isolées ne saurait cependant suffire à résorber la crise que vivent les télécentres privés tant les problèmes posés sont nombreux et complexes et leurs limites intrinsèques importantes. Dès lors, il est nécessaire d'envisager une véritable stratégie de sauvetage du secteur adossée à une vigoureuse intervention de l'État.</p> <p>Compte tenu du rôle économique et social joué par les télécentres privés et des potentialités qu'ils recèlent en matière de vulgarisation des TIC, la puissance publique se doit d'aider ce secteur en difficulté. D'ailleurs, à l'heure où le gouvernement sénégalais vient d'élaborer la Stratégie de croissance accélérée (SCA), dont l'une des grappes porteuses est celle des TIC et des Téléservices32, il ne serait guère cohérent qu'il assiste passivement à la disparition des télécentres privés identifiés comme un des leviers essentiels de toute politique en la matière. En effet, les télécentres constituent un réseau pouvant être utilisé pour le développement de l'accès à Internet ainsi que le déploiement de toute une série de services liés au développement de la société de l'information (téléprocédures, paiement en ligne, etc.). Or, les dispositifs d'accès collectif à Internet ont de beaux jours devant eux car il est tout à fait illusoire de penser que la connexion individuelle à Internet fera des progrès majeurs dans les prochaines années comme en témoigne son faible taux de pénétration qui est de 0,45 %33 après douze années d'existence ! À ce niveau, la barrière principale reste le coût de l'équipement (ordinateurs comme téléphones permettant d'utiliser l'Internet mobile) et celui des services qui restent hors de portée de la majorité des Sénégalais. Dès lors, il est légitime de penser qu'il existe des perspectives de survie pour les télécentres privés dans la mesure où ils seront capables de se transformer radicalement pour s'adapter au nouvel environnement. L'État, en concertation avec les exploitants télécentres privés et les opérateurs de télécommunications devrait donc s'impliquer dans la conception d'une stratégie de sauvetage du secteur. Les discussions qui ont déjà eu lieu en diverses occasions indiquent que la transformation des activités des télécentres privés pourrait s'organiser autour de quatre grandes directions à savoir : <br /><img src="http://vecam.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-1d287.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> la vente de produits et services de téléphonie (cartes SIM, recharges téléphoniques, accessoires de téléphonie, etc.) ; <br /><img src="http://vecam.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-1d287.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> la transformation des télécentre actuels en des télécentres multifonctionnels offrant connexion à Internet, services de traitement de texte, impression de documents, photocopie de documents, numérisation de documents, services de recherche d'information sur Internet, gravure de cédérom et de DVD, l'initiation à la bureautique et à la navigation sur Internet, etc. <br /><img src="http://vecam.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-1d287.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> l'encaissement des factures des sociétés concessionnaires (eau, électricité, téléphone) et de certains impôts et taxes, la vente de timbres postaux et fiscaux, l'exécution partielle ou totale de procédures administratives dématérialisées, la prise de rendez-vous médicaux dans les hôpitaux, l'organisation d'évaluations dans le cadre de certaines formations à distance, l'intermédiation pour les activités de commerce électronique, la fourniture de divers services aux entreprises du secteur informel, etc. ; <br /><img src="http://vecam.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-1d287.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> le couplage de l'activité télécentre avec d'autres activités commerciales.</p> <p>D'autres mesures, certes plus difficiles à mettre en œuvre compte tenu de la nature des entreprises du secteur, ont également été envisagées telles : <br /><img src="http://vecam.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-1d287.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> La création d'une centrale d'achat pour l'acquisition du mobilier, de l'équipement bureautique et informatique ainsi que des consommables ; <br /><img src="http://vecam.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-1d287.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> L'utilisation systématique des logiciels libres pour supprimer les frais récurrents liés au paiement des licences ; <br /><img src="http://vecam.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-1d287.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> Le regroupement des télécentres au sein d'enseignes franchisées en vue de mutualiser les ressources et les compétences.</p> <p>Enfin, les télécentres privés étant dans leur grande majorité des entreprises familiales de petite taille, disposant de peu de moyens financiers et d'un personnel généralement peu qualifié, il est indispensable que l'État prenne des mesures d'accompagnement d'ordre structurel. Parmi les dispositions qui ont été suggérées figurent notamment : <br /><img src="http://vecam.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-1d287.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> La création d'un fonds d'appui aux télécentres privés alimenté par les cautions déposées jusqu'alors par les exploitants auprès de la Sonatel ; <br /><img src="http://vecam.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-1d287.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> L'appui à la mise en place de filières de formation courtes préparant aux métiers exerçables dans les télécentres (gestionnaire, animateur, etc.) ; <br /><img src="http://vecam.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-1d287.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> L'élaboration d'un statut de télécentre agréé autorisant la fourniture d'un certain nombre de services particuliers ; <br /><img src="http://vecam.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-1d287.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> Le développement de procédures administratives dématérialisées dont l'exécution pourrait se faire dans les télécentres agréés ; <br /><img src="http://vecam.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-1d287.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> La mise en place d'une réglementation stricte imposant aux opérateurs de téléphonie mobile de commercialiser leurs abonnements et les recharges de crédits à travers des circuits de distribution commerciale officiels.</p> <p>* * *</p> <p>Concurrencés par le développement de la téléphonie mobile et affaiblis par les pratiques commerciales des opérateurs de télécommunications, les télécentres privés sont fortement menacés de disparition s'ils n'opèrent pas rapidement de profondes mutations. Créés puis couvés par la Sonatel lorsqu'ils lui apportaient jusqu'à un tiers de son chiffre d'affaires, ils sont aujourd'hui abandonnés à leur sort, le curseur de la rentabilité s'étant déplacé vers la téléphonie mobile. Cette situation n'est d'ailleurs pas pour déplaire à la Sonatel qui voit ainsi s'affaiblir des partenaires avec lesquels elle était liée par un contrat et qui, au fil des années, s'étaient organisés pour défendre leurs intérêts. Par contre, rien de tout cela avec les milliers de jeunes évoluant dans le secteur informel et qui revendent, à la sauvette, cartes SIM et recharges de crédit dans les rues des principales agglomérations du pays. Ironie de l'histoire, les télécentres privés, qui avaient été mis en place dans le cadre des politiques de libéralisation de l'économie afin de pallier les lacunes de la puissance publique en matière d'accès universel à la téléphonie fixe, sont aujourd'hui victimes de cette même libéralisation. Leur déclin illustre bien une des caractéristiques de la société capitaliste en réseau mise en évidence par Manuel Castells, à savoir l'extrême flexibilité d'un système qui peut à un moment établir des connexions avec tout ce qui est précieux au regard de la valeur et des intérêts dominants et à un autre se déconnecter de tout ce qui ne l'est pas ou qui est dévalué (Castells 1999). Rétrospectivement, le constat qui s'impose également est que tant l'État, à travers l'opérateur historique que le secteur privé, à travers les télécentres, se sont montrés incapables, à eux seuls, de résoudre correctement la question de l'accès universel. Dès lors, il faudrait songer à se tourner vers d'autres politiques, centrées sur l'intérêt public, et combinant régulation par l'État et autorégulation par le marché afin de tirer profit des avantages de l'un et de l'autre tout en limitant leurs inconvénients respectifs, comme le suggère fort justement Caes Hamelink (1999)..</p> <p>Dans cette perspective, il serait légitime que les télécentres privés puissent bénéficier, sur la base d'un cahier des charges défini par l'Agence de régulation des télécommunications et des postes, de subventions alimentées par le Fonds de développement du service universel des télécommunications (FDSUT)34 afin de continuer d'offrir aux plus démunis un dispositif d'accès aux services de télécommunications qui soit à leur portée. En effet, dans la société de l'information et de la connaissance partagée qui se met peu à peu en place, l'accès à l'infrastructure d'information et l'utilisation des services qui lui sont associés peuvent être légitimement considérés comme faisant partie des droits universels des citoyens car déterminant la possibilité de bénéficier ou non de toute une série d'opportunités économiques et sociales sans parler du rôle croissant qu'ils jouent dans les conditions d'exercice de la citoyenneté (Raber 2004). Cependant, quelle que soit l'ampleur des efforts que les télécentres privés feront pour s'adapter au nouvel environnement et l'efficacité des mesures de sauvetage qui pourraient être prises par l'État, le régulateur et les opérateurs de télécommunications, il est certain qu'ils ne réussiront pas à reconquérir les parts de marché perdues face à la téléphonie mobile. On voit mal, en effet, les consommateurs abandonner leurs téléphones portables et les avantages qui leur sont associés (confort personnel, mobilité, prestige social, symbole de modernité, etc.) pour revenir massivement vers ces dispositifs d'accès collectifs aux télécommunications. Après avoir connu un développement impressionnant du début des années 1990 jusqu'au milieu des années 2000, il apparaît clairement que « l'âge d'or des télécentres » est bel et bien révolu. Désormais il faudra donc s'habituer à parler au passé de ce qui fut longtemps considéré comme une « success story ».</p> <h3 class="spip"> Références bibliographiques</h3> <p>Agence de rÉgulation des tÉlÉcommunications et des postes (Artp) 2009, « Le marché de la téléphonie fixe », Observatoire trimestriel, Dakar. <br />––––– 2009,« Le marché de l'Internet », Observatoire trimestriel, Dakar. <br />––––– 2009, « Le marché de la téléphonie mobile », Observatoire trimestriel, Dakar. <br />––––– 2008, « Rapport sur le marché des télécommunications au Sénégal en 2007 », Dakar, 55 p. <br />Barbier, F. 1998, L'expansion des télécentres à Dakar, Mémoire de maîtrise, Université de Bretagne occidentale, 131 p. <br />Benjamin, P. 2000, Telecentres 2000, Report 2 : International Studies. Section 2.1 : International Case Study – Africa, 34 p. <br />Bullain, N. & Toftisova, R. 2004, A comparative analysis of European Policies and Practices of NGO-Government Cooperation, <www.politika.lv/index.php?f=426>. <br />Candelier, S. et Lemoine, M. 2001, « Plus de 100 000 internautes au Sénégal », Afrique initiatives, février, 31 p. <br />Castells, M. 1999, Information technology, globalization and social development, Discussion paper n° 114, Unrisd, 15 p. <br />ChÉneau-Loquay 2001, « Les territoires de la téléphonie mobile en Afrique », Netcom, vol. 15, n° 1-2, p. 121-132. <br />Hamelink, C. 1999, ICTs and social development : The global policy context, Discussion paper n° 116, UNRISD, 32 p. <br />MinistÈre de l'Économie et des finances 2004, La pauvreté au Sénégal de 1994 à 2001-2002, Direction de la prévision et de la statistique, Dakar, 31 p. <br />Ndao, S. 2008, Sauvons les télécentres, Dakar, Osiris, août 2008, 12 p. <br />Raber, D. 2004, « Is universal service a universal right ? », in T. Mendina & J. Britz, Information Ethics in the Electronic Age : Current Issues in Africa and the World (ed.), Jefferson & Londres, Mc Farland & Company, Inc. Publishers, p.122-144. <br />Rose, J. B. 1999, Multipurpose Community Telecentres in support of People-Centred Development in Rogers W'O Okot-Uma, Henry Alamango and Keith Yeomans (Editors) Information Technology and & Globalisation : Implications for People-Centred Development, SFI Publishing, Londres. <br />Sagna, O. 2001, Les technologies de l'information et de la communication et le développement social au Sénégal : Un état des lieux, Genève, Unrisd, 2001, 81 p. <br />–––––2006, « La lutte contre la fracture numérique en Afrique : Aller au-delà de l'accès aux infrastructures », Fractures dans la société de la connaissance, « Hermès n° 45 », p. 13- 24. <br />––––– 2008, « Le Sénégal dans l'ère de l'information (1996-2006) », p. 15-40, Netcom, vol. 22, n° 1-2 et Netsuds, vol. 3, p 13-36. <br />Scopsi, C. 2004, Représentations des TIC en milieu migrant : le cas des « boutiques de communication » de Château-Rouge, Thèse de doctorat, Université Paris 10-Nanterre. <br />United Nations Development Programme (UNDP) 2006, Telecottage Handbook. How to establish and run a succesfull telecentre, 89 p. <br />Zongo, G. 2000. « Télécentres au Sénégal », in A. Chéneau-Loquay, Enjeux des technologies de l'information et de la communication en Afrique : Du téléphone à Internet, Paris, Karthala, 402 p.</p></div> Application du triptyque « privatisation, libéralisation, régulation » au secteur des télécommunications Bilan de l'expérience sénégalaise http://vecam.org/article1125.html http://vecam.org/article1125.html 2009-11-15T07:09:11Z text/html fr Olivier Sagna, Maitre de conférences, Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD) Creative Commons Afrique vecam-F Recherche Revue-reseau-TIC Le triomphe du libéralisme dans nombre de pays occidentaux, au début des années 80, a eu pour conséquence la mise en œuvre de politiques axées sur le rétrécissement du périmètre d'intervention de l'Etat, la réduction des budgets sociaux et la déréglementation des secteurs de l'économie fonctionnant jusqu'alors sous contrôle étatique. Dans le cadre de la mondialisation encouragée par les grandes firmes capitalistes, ces politiques ont été relayées dans les instances internationales par la Banque mondiale, le (...) - <a href="http://vecam.org/rubrique2.html" rel="directory">Articles / Publications</a> / <a href="http://vecam.org/mot17.html" rel="tag">Creative Commons</a>, <a href="http://vecam.org/mot42.html" rel="tag">Afrique</a>, <a href="http://vecam.org/mot49.html" rel="tag">vecam-F</a>, <a href="http://vecam.org/mot66.html" rel="tag">Recherche</a>, <a href="http://vecam.org/mot68.html" rel="tag">Revue-reseau-TIC</a> <div class='rss_texte'><p>Le triomphe du libéralisme dans nombre de pays occidentaux, au début des années 80, a eu pour conséquence la mise en œuvre de politiques axées sur le rétrécissement du périmètre d'intervention de l'Etat, la réduction des budgets sociaux et la déréglementation des secteurs de l'économie fonctionnant jusqu'alors sous contrôle étatique. Dans le cadre de la mondialisation encouragée par les grandes firmes capitalistes, ces politiques ont été relayées dans les instances internationales par la Banque mondiale, le Fonds monétaire international, l'Organisation mondiale du commerce ou encore l'Union internationale des télécommunications (Do-Nascimento 2003). Les pays, dont les économies étaient sous perfusion des institutions financières internationales, furent contraints de s'inscrire dans cette dynamique libérale au risque de se voir sevrés de toute aide multilatérale voire bilatérale. C'est dans ce contexte que le Sénégal, dirigé par le Président Abdou Diouf, qui avait fait sienne la devise « Moins d'Etat, mieux d'Etat », a entrepris, à partir de 1987, la privatisation d'une première série d'entreprises publiques du secteur marchand (Samb 2009). Une seconde vague de privatisations intervînt quelques années plus tard qui toucha les entreprises concessionnaires de service public évoluant dans les secteurs de l'eau (Sonees), de l'électricité (Sénélec), etc.1 Le secteur des télécommunications n'échappa pas à cette logique car pour les institutions de Bretton Woods, l'ouverture des pays en développement ne devait pas se limiter aux flux commerciaux, aux flux d'investissements et aux flux financiers mais également s'étendre aux flux de technologies, d'informations et de services (Deepak Nayyar & Amit Bhaduri 1997). Une loi fut donc votée en 1995 afin de privatiser la Sonatel2 et un code des télécommunications adopté en 1996 en vue de libéraliser le marché des télécommunications3.</p> <p>La première étape de la mise en œuvre de la réforme du secteur des télécommunications est survenue en juillet 1997 avec la cession d'un tiers du capital de la Sonatel à France Télécom, suivie par l'introduction du titre en bourse en octobre 1998. La seconde étape, s'inscrivant dans la libéralisation du marché des télécommunications, fut l'attribution d'une licence de téléphonie mobile à Sentel, filiale du groupe Millicom International, en juillet 1998. La troisième étape fut la création d'une Agence de régulation des télécommunications (Art), en janvier 2002, parachevant ainsi la mise en œuvre du triptyque « privatisation, libéralisation, régulation » induit par les engagements internationaux pris par le Sénégal dans le cadre de l'Uruguay Round sur les télécommunications à valeur ajoutée (1994-1995) et la signature de l'accord sur les télécommunications de base (1997)4. A l'époque, la réforme du secteur des télécommunications était décrite, par ses instigateurs, comme le gage d'une plus grande efficacité économique et la condition sine qua non d'une entrée réussie dans la société de l'information. Elle était sensée permettre la modernisation des infrastructures, l'accroissement de la couverture, l'augmentation de la télédensité, la réalisation du service universel, l'amélioration de la qualité de service, la diversification de l'offre de services, la baisse des prix, etc. tous objectifs dont l'atteinte était présentée comme difficile voire impossible par un opérateur public. Près de quinze ans après le lancement de ce processus, il nous a paru intéressant de revenir sur cette réforme et tenter d'en établir un bilan afin de voir dans quelle mesure les fruits ont tenu la promesse des fleurs.</p> <h3 class="spip"> A l'origine de la privatisation était le Grcc…</h3> <p>En 1995, en vue de libéraliser l'économie sénégalaise, une structure composée de membres de l'administration, d'organisations professionnelles et patronales, de syndicats de travailleurs, de représentants du monde rural et d'associations de consommateurs, a été créée, sur recommandation de la Banque mondiale, sous l'appellation de Groupe de réflexion sur la compétitivité et la croissance (Grcc). Sa mission est d'une part de servir de cadre de concertation, d'analyse, d'information et de réflexion en vue d'identifier les entraves à la compétitivité et à la croissance des entreprises et d'autre part de formuler des propositions en vue de lever les entraves et de renforcer la contribution du secteur privé au développement économique5. La réforme des télécommunications figure parmi les priorités du Grcc mais elle est combattue par les syndicats de travailleurs qui, pour s'y opposer, organisent une grève en août 19956. En cette période où le gouvernement met en œuvre le Programme d'ajustement structurel (Pas) imposé par le Fmi suite à la dévaluation du Franc CFA de janvier 1994, la conjoncture n'est guère favorable aux luttes sociales. Pressentant que le combat risque d'être perdu, les syndicats, regroupés au sein d'une intersyndicale, décident alors d'accompagner le processus de privatisation afin d'en limiter les conséquences. Ils exploitent le cadre de concertation constitué par le Grcc pour réclamer que 25% des actions du capital de la Sonatel leur soient réservés (Azam, Dia & N'Guessan 2002 : 26). A l'issue d'âpres négociations, ils se voient finalement attribuer 10% des actions à des conditions très avantageuses7. Suite à cet accord, le schéma retenu est que le capital de la Sonatel sera réparti entre l'Etat (34%), un partenaire stratégique (33,33%), les travailleurs et les retraités de la Sonatel (10%), des investisseurs privés (17,66%) et un opérateur africain à identifier (5%). Les syndicats ayant été en quelque sorte neutralisés, le processus de privatisation se poursuit sans heurts majeurs, d'autant plus que l'opposition a été réduite à peu de chose suite à l'entrée au gouvernement de plusieurs de ses composantes8. Une autre question qui fait débat est de savoir s'il est préférable de libéraliser le secteur des télécommunications avant de privatiser la Sonatel ou au contraire de privatiser avant l'ouverture du marché à la concurrence. Le secteur privé, dont certaines des composantes souhaitent profiter rapidement de cette opportunité, pousse en faveur de la première option tandis que d'autres, parmi lesquels les travailleurs, défendent la seconde afin de laisser le temps à l'opérateur historique de se préparer pour affronter la concurrence. Finalement, il sera décidé d'opter pour la privatisation avant de procéder à la libéralisation.</p> <h3 class="spip"> Une entreprise publique qui n'avait rien d'un canard boiteux</h3> <p>Au moment où la privatisation de la Sonatel se prépare, la situation du secteur des télécommunications est plutôt meilleure que celle prévalant dans nombre de pays africains. La raison principale en est que celui-ci a bénéficié d'une attention particulière des autorités publiques depuis le début des années 70. De plus, il est animé par des cadres de valeur à l'image d'Alassane Dialy Ndiaye qui peut être considéré comme le « père » des télécommunications sénégalaises9. C'est sous l'impulsion de cet ingénieur, formé à l'Ecole nationale supérieure des télécommunications (Enst), qu'ont été introduites, en 1972, les télécommunications par satellites et réalisées les études ayant abouti à la connexion du Sénégal au réseau mondial des câbles-sous-marins avec la mise en service d'Antinéa, Fraternité I et II ainsi qu'Atlantis I entre 1973 et 1982. Nommé en 1973 à la tête de Télé-Sénégal, société d'économie mixte chargée de la gestion des télécommunications internationales10, Alassane D. Ndiaye anticipe l'évolution du secteur. Dans un rapport, rédigé en 1981 à l'attention des autorités, il préconise la fusion des activités de télécommunications nationales et internationales jusqu'alors gérées par l'Office des postes et des télécommunications (Opt) et Télé-Sénégal. Ses recommandations aboutissent en 1985 à la première réforme d'envergure du secteur des télécommunications avec la séparation des activités postales et de télécommunications débouchant sur la création de l'Office de la poste et de la caisse d'épargne (Opce) et la fusion de l'Opt et de Télé-Sénégal qui donne naissance à la Société nationale des télécommunications du Sénégal (Sonatel). Nommé Directeur général de la Sonatel, Alassane D. Ndiaye procède à la numérisation de tous les circuits de commutation et de transmission et introduit la transmission de données par paquets avec la création du réseau X25 Senpac en 1988. Résultat de cette politique, qui sera poursuivie par son successeur Cheikh Tidiane Mbaye, à la veille de la privatisation, l'infrastructure de télécommunications est numérisée à plus de 90 % et comprend près de 36.600 km de câbles en fibre optique ce qui en fait une des plus modernes d'Afrique. Le nombre de lignes téléphoniques principales est de 133.000 lignes, soit une télédensité de 13 lignes principales pour 100011 et grâce à un réseau de télécentres privés, 65% des habitants sont couverts par la téléphonie. Sur le plan des services, le vidéotex (1994), l'audiotex (1995), Internet et la téléphonie mobile (1996) ont été successivement introduits. Bien qu'ayant fortement investi dans l'extension et la modernisation de son réseau, la Sonatel est peu endettée12 et par ailleurs son personnel présente le taux de productivité le plus élevé du secteur des télécommunications en Afrique (Lemesle 2002 : 57). Son capital, qui était de 3,5 milliards de Francs CFA13 en 1985, a été porté à 50 milliards de Francs CFA en 1993, son chiffre d'affaires est de 62.013 milliards de Francs CFA pour un bénéfice net de 12.605 milliards de Francs CFA et elle dispose d'un cash-flow de 24.445 milliards de Francs CFA. Globalement, les télécommunications contribuent pour 2,6% du Pib14 ce qui est remarquable pour un pays en voie de développement. Seuls bémols à ce tableau, les zones rurales ne sont peu couvertes par les services de téléphonie, les sommes dues par le secteur public ont du mal à être recouvrées et surtout 75% des recettes de la Sonatel proviennent des balances de trafics ce qui n'est pas viable dans le nouvel environnement qui se dessine. Comme, on le voit, c'est donc une entreprise performante, saine, plutôt bien gérée et évoluant dans un secteur d'avenir que l'on s'apprête à privatiser et non un canard boiteux.</p> <h3 class="spip"> Quand la privatisation bénéficie à une entreprise publique…</h3> <p>En 1996, les autorités lancent un appel d'offres international pour la sélection d'un « partenaire stratégique » qui se voit proposer l'achat du tiers du capital de la Sonatel pour un prix minimal de 55 milliards de Francs CFA. L'opération n'a pas l'assentiment de la Banque mondiale qui s'oppose au maintien du monopole sur les services de base accordé à la Sonatel15, mais le gouvernement sénégalais décide de passer outre (Dianté 2003). L'opération est un succès et de nombreux investisseurs déposent leurs offres parmi lesquels le français France Télécom, Telia overseas, un consortium piloté par l'opérateur historique suédois et composé de la société américaine The Walter Group, de la société taïwanaise China Telecommunications Services (Cts) et de la société sénégalaise Senecom Partners ainsi que les opérateurs nationaux d'Afrique du Sud, d'Arabie saoudite, de Malaisie, du Maroc, du Portugal, etc. En novembre 1996, Telia overseas remporte l'adjudication avec une offre de 137,3 millions de dollars (Hawkins & Shepher 1997). Cependant, les négociations entre l'Etat et Telia achoppent sur la garantie de l'emploi, le plan d'investissement à long terme et la durée de la concession que l'Etat souhaite de vingt ans tandis que Telia veut la limiter à sept années (Mbengue 2007). Après quatre mois de négociations infructueuses, Telia retire son offre et des négociations s'engagent avec France Télécom qui figure en deuxième place sur la liste des adjudicataires. L'Etat sénégalais s'accorde finalement, avec l'opérateur historique français qui accepte de signer une concession pour une durée de vingt ans et verse la somme de 70 milliards de Francs CFA (Dianté 2003). Ironie de l'histoire, l'opérateur historique sénégalais tombe, à l'occasion de sa privatisation, sous la coupe de France Télécom, une société dans laquelle l'état français détient une participation majoritaire16.</p> <h3 class="spip"> De bons résultats financiers…payés par les consommateurs</h3> <p>L'introduction du titre Sonatel à la Bourse régionale des valeurs mobilières (Brvm) de l'Union économique et monétaires ouest africaine (Uemoa) d'Abidjan (Côte d'ivoire) en octobre 1998 est une première en Afrique de l'Ouest. Quelques 9.000 sénégalais souscrivent des actions17 et au total la vente rapporte plus de 14 milliards de Francs CFA à l'Etat. Introduit sur le marché à la cote de 22.000 Francs CFA, le titre devient rapidement la valeur phare de la Brvm, dont il représente entre 40 % et 50 % de la capitalisation boursière selon les années18. Après une phase de faible croissance entre 1998 et 1999, le titre Sonatel subit les conséquences de la crise ivoirienne et chute jusqu'à atteindre son cours d'introduction. Cependant, à partir de 2003, le retour des fonds d'investissements étrangers le fait repartir à la hausse et il clôture 2005 à 67.015 Francs CFA. En 2006, il franchit la barre des 100.000 Francs CFA pour atteindre le cours record de 194.995 Francs CFA en février 2008. Alors que certains analystes prévoient qu'elle atteigne les 200.000 Francs CFA, voire même les 250.000 Francs CFA19, l'action Sonatel s'inscrit de nouveau à la baisse pour voir son cours se stabiliser autour de 130.000 Francs CFA à la fin du mois de décembre 2008 suite au repli des investisseurs étrangers qui reconsidèrent leurs stratégies de placements du fait de la crise économique mondiale20. Malgré ces fluctuations, le titre Sonatel enregistre une capitalisation boursière de 1300 milliards de Francs CFA en 200821 soit 26 fois le montant de son capital réel. Ces bons résultats reposent sur le fait que les activités du groupe, tirées par la téléphonie mobile, ont fortement progressé au Sénégal (Sagna 2008) et se sont étendues au Mali (2002), en Guinée et en Guinée-Bissau (2006). Le chiffre d'affaires de la Sonatel est ainsi passé de 90.695 milliards de Francs CFA en 1998 à 529.552 milliards de Francs CFA en 2008, soit une progression de 483,9%, pendant que son résultat net progressait de 229% passant de 47.660 milliards de Francs CFA à 156.825 milliards de Francs CFA. De son côté, le dividende par action a augmenté de 400%, passant 2340 Francs CFA en 1998 à 11.700 Francs CFA en 200822 et son Price earning ratio23 n'a jamais été inférieur à 4 s'élevant même à 10 en 2007.</p> <p><span class='spip_document_876 spip_documents spip_documents_center'> <img src='http://vecam.org/local/cache-vignettes/L500xH243/imagsagna-038d0.jpg' width='500' height='243' alt="" style='height:243px;width:500px;' /></span> Source : Brvm</p> <p>Le succès du titre s'explique surtout par le montant de la marge opérationnelle de la Sonatel24. En effet, alors qu'en 2007 Vodafone et AT&T, leaders mondiaux du secteur des télécommunications, affichaient des marges opérationnelles respectives de 26,4%, et de 35,8%, celle de la Sonatel était de 56,2%25. Mieux en juin 2009, cette marge s'établissait à 59%, en hausse de 4,8% par rapport à l'année 200826, tandis que celle du groupe France Télécom était de 34,7% en baisse de 0,7% par rapport précédente27. Si de tels résultats ont été possibles, c'est grâce à une conjonction particulière où interagissent un marché de la téléphonie mobile en très forte expansion28, une concurrence limitée, l'utilisation de technologies et de solutions techniques déjà expérimentées, des tarifs relativement élevés, l'absence d'un véritable mouvement consumériste capable de faire pression sur les opérateurs et une régulation faible qui n'impose guère de contraintes à l'opérateur historique. La réussite financière de la Sonatel privatisée a donc été largement payée par les consommateurs sénégalais du fait d'une régulation très imparfaite du marché.</p> <h3 class="spip"> Immobilisme dans la téléphonie fixe</h3> <p>Le monopole de la Sonatel sur la téléphonie fixe ne l'a guère encouragé à développer cette activité. Dès 2001, la Sonatel a cessé de développer son réseau en cuivre et le nombre de lignes fixes a très faiblement progressé, passant de 140.000 en 1998 à 240.000 en 2008, soit un taux de pénétration de 2,27%. Derrière ces chiffres, se cache en réalité une baisse du nombre de lignes entamée depuis l'année 2007 et s'expliquant principalement par la fermeture progressive des télécentres dont le nombre est passé de plus 24.000 en 2006 à moins de 5000 en 2009. En effet, après avoir joué un rôle important dans la démocratisation de l'accès au téléphone et contribué à la création de près de 30.000 emplois, ils ont été tués à petit feu par la politique tarifaire et commerciale de l'opérateur historique. Bien qu'ayant été parmi les plus gros clients de la Sonatel, ils n'ont jamais pu obtenir le moindre traitement de faveur et se sont vu refuser la possibilité d'acheter leurs unités en gros, la Sonatel se contentant d'accorder des ristournes aux plus performants. De plus, en quinze années d'existence, ils n'ont fait l'objet d'aucune innovation de quelque nature que ce soit pendant que la téléphonie mobile bénéficiait de campagnes publicitaires, de nouveaux services, de baisses des prix des abonnements et des communications et de nombreuses opérations de promotion offrant des crédits de communication à la clientèle. De ce fait, les télécentres, en lesquels beaucoup voyaient un support pour le développement de l'accès collectif à Internet ou encore la création de centres multiservices, ont quasiment disparus et ceux qui subsistent voient leurs activités tourner au ralenti (Sagna 2009). Outre, la disparation de nombreux emplois, la fermeture des télécentres a pour conséquence de réduire les possibilités d'accès au téléphone. Certes, la téléphonie mobile s'est fortement développée et pratiquement tous les villages du pays sont couverts par les services de téléphonie29 mais cela ne signifie pas pour autant que la question du service universel est résolue. En effet, si le problème de la disponibilité de l'infrastructure d'accès ne se pose quasiment plus, avec l'utilisation des technologies sans fil, il n'en reste pas moins que 1.000 des 14206 villages du Sénégal possèdent un point d'accès public au téléphone30. La problématique du service universel se pose toujours puisque l'offre de services n'est que virtuellement accessibles31 car son utilisation effective bute sur la question de l'abordabilité, pour tous ceux qui disposent de très faibles revenus.</p> <h3 class="spip"> Des services à valeur ajoutée en quête de rentabilité</h3> <p>Une autre conséquence du monopole de la Sonatel a été d'étouffer le développement des services à valeur ajoutée pourtant régi par un régime de libre concurrence totale. En effet, alors qu'il existait près d'une quinzaine de fournisseurs de services Internet (Fsi)32 dans les années qui suivirent la connexion du Sénégal à Internet, ceux-ci ont peu à peu été contraints de cesser leurs activités, compte tenu de la concurrence déloyale exercée par Télécom-Plus puis par Sonatel multimédia33. S'appuyant sur son monopole en matière d'accès à la bande passante Internet internationale, la Sonatel a pratiqué des prix de revente au détail sur les liaisons spécialisées qui n'ont pas permis aux Fsi d'exercer rentablement leur activité. Par ailleurs, commercialisant des liaisons spécialisées dont les débits furent pendant longtemps limités à moins d'un mégabits/seconde tandis que Télécom-Plus accédait directement au backbone international, la Sonatel a contribué, par cette pratique, à discréditer les autres Fsi aux yeux de la clientèle car ceux-ci étaient incapables de faire jeu égal avec elle en matière de confort de connexion. Enfin, Télécom-Plus a jouit pendant longtemps de l'avantage comparatif constitué par le réseau commercial de l'opérateur historique sur lequel il a pu s'appuyer à une époque où « services de télécommunications » rimait toujours avec Sonatel dans l'esprit d'une majorité de Sénégalais. Résultat de cette situation contre laquelle le régulateur n'a jamais joué le rôle qui aurait dû être le sien en imposant une régulation asymétrique à l'opérateur historique, seuls subsistent actuellement deux revendeurs de services Adsl. L'absence d'une véritable concurrence sur ce segment de marché est sans doute un des facteurs expliquant le faible taux de pénétration d'Internet dont le nombre d'abonnés était de 57.265 en juin 2009 soit un taux de pénétration de 0,47%, même si par ailleurs le nombre d'utilisateurs d'Internet était estimé à plus d'un million soit un taux de pénétration de 7,2%34. En effet, en dehors des barrières constituées par le fort taux d'analphabétisme numérique, la cherté du matériel informatique et la faible disponibilité de contenus locaux, le maintien de tarifs Adsl relativement élevés constitue un frein à la pénétration d'Internet dans les ménages et les entreprises. De plus au fil des ans, tous ceux qui ont voulu lancer de nouveaux services en ont été dissuadés soit par la Sonatel du fait des tarifs proposés pour accéder à la bande passante soit par le régulateur en raison de considérations réglementaires. D'un autre coté, nombre de fournisseurs de contenus qui avaient créé des services à valeur ajoutée, tels les jeux par Sms proposés par les chaines de télévision et de radios, ont du cesser leur activité du fait d'une législation inadaptée accordant le monopole des jeux de hasard à la Loterie nationale sénégalaise (Lonase)35. En dehors des centres d'appels, seuls quelques fournisseurs de services, tel Manobi, en partie détenue par la Sonatel, ont pu émerger tout en restant marginaux en termes de volume d'activités et de chiffre d'affaires. La libéralisation n'a donc guère favorisé l'apparition de services complémentaires répondant aux besoins des citoyens à travers l'offre d'une gamme variée d'applications ni servi de base au développement d'une économie de services basées sur les Tic36. Enfin, elle a peu contribué à attirer les investissements directs étrangers dans le secteur.</p> <h3 class="spip"> Une concurrence limitée sur le marché de la téléphonie mobile</h3> <p>En matière de téléphonie mobile, le réseau Alizé, lancé par la Sonatel en septembre 1996, est resté pendant plus de deux ans et demi sans concurrent direct ce qui lui a permis d'en tirer un avantage comparatif certain. Durant cette période, Alizé s'est contenté d'offrir à ses clients une formule post-payée qui limitait l'accès de la téléphonie mobile aux plus nantis compte tenu des tarifs pratiqués. Cependant, sachant que Sentel comptait se positionner sur le pré-payé, Alizé a investi le créneau en proposant, à partir de juin 1998, une offre qui a rencontré rapidement un grand succès. Un an après son lancement, elle compte près de 22.000 abonnés dépassant la formule post-payée qui ne totalise que 16.000 abonnés (Guèye 2002). En avril 1999, le groupe Millicom International Cellular (Mic), qui avait obtenu sa licence en juillet 1998, démarre ses activités sous le label Sentel. Sa part de marché passe rapidement de 15% à 26% entre 1999 et 2001 mais, contrecoup de l'annonce du retrait de sa licence par l'Etat, elle retombe à 20% en 2002 avant de remonter à plus de 35% en 2008. Le démarrage des activités d'un troisième opérateur en janvier 2009 a certes apporté un regain de dynamisme au marché de la téléphonie mobile mais il n'a pas véritablement exacerbé la concurrence. En effet, Expresso a adopté un positionnement mettant l'accent sur les capacités et les qualités de son réseau 3G, exigeant l'utilisation de terminaux spécifiques incompatibles avec les réseaux de la Sonatel et de Sentel, et proposant des tarifs du même ordre que les deux autres opérateurs, ce qui a présenté un intérêt limité pour les consommateurs. De plus, la non-portabilité des numéros, n'incite pas les clients à changer d'opérateurs ce qui constitue un frein à l'exercice d'une large concurrence dans ce segment de marché. Au final, si l'instauration de la compétition a indubitablement participé au succès de la téléphonie mobile (Chéneau-Loquay 2002) et a contribué à une baisse des coûts du ticket d'entrée comme de celui des télécommunications, la situation de duopole a fortement limité l'intensité de la concurrence pendant plus d'une décennie. Avec 64,3% des parts de marché37, l'opérateur historique reste ultra dominant sur ce segment de marché, fort de sa position de premier entrant et quelque peu aidé par l'Etat qui, à deux reprises, a annoncé le retrait de la licence accordée à Sentel.</p> <h3 class="spip"> Le monopole public est mort vive le monopole privé !</h3> <p>Le code des télécommunications de 1996 avait prévu trois régimes pour l'exploitation des services de télécommunications : le monopole pour la téléphonie fixe, les liaisons spécialisées, la communication de données et l'accès à l'international, la concurrence limitée pour la téléphonie mobile et la libre concurrence pour les services à valeur ajoutée. Il a été modifié en décembre 2001 par l'adoption d'un nouveau code des télécommunications instituant cinq régimes juridiques à savoir la licence pour l'établissement et/ou l'exploitation de réseaux de télécommunications ouverts au public, l'autorisation pour la mise en œuvre de réseaux indépendants, l'agrément pour les équipements radio électriques et leur installation, la déclaration pour les services à valeur ajoutée et la liberté pour les réseaux internes, les réseau de télécommunications d'entreprise et les installations radioélectriques exclusivement composées d'appareils de faible puissance et de faible portée. C'est dans cet environnement légal et réglementaire que s'est inscrit le fonctionnement de l'opérateur historique qui a bénéficié d'un monopole de jure sur les services de base jusqu'en juillet 2004. Cela étant, le troisième opérateur, qui s'est vu attribuer une licence globale en septembre 2007, ayant décidé de limiter, dans un premier temps, ses activités à la téléphonie mobile, la Sonatel continue de jouir d'un monopole de facto sur les télécommunications de base. Du fait d'une libéralisation mal régulée, elle exerce une position dominante sur neuf des dix segments du marché des télécommunications et partage cette position avec Tigo sur le segment de la téléphonie mobile38. Il n'est donc pas exagéré d'affirmer que la privatisation de la Sonatel et la libéralisation du marché des télécommunications ont eu pour résultat de substituer un monopole privé à un monopole public. De plus, à l'exception de la venue d'un troisième opérateur et de la création de quelques entreprises de téléservices (gestion de la relation client, saisie, traitement documentaire, etc.), la privatisation n'a pas entrainé un accroissement significatif du volume des investissements directs étrangers comme cela a d'ailleurs été constaté dans d'autres parties du continent africain (Mezouaghi 2005). Pour l'essentiel, les lacunes observées dans la libéralisation du marché des télécommunications découlent des faiblesses de la régulation pourtant censée être la pièce du dispositif du libre marché.</p> <h3 class="spip"> Régulation : Impartialité et transparence aux abonnés absents</h3> <p>Dans le cadre du monopole naturel des télécommunications, la régulation du secteur des télécommunications a pendant longtemps été l'apanage de l'opérateur historique. Dès 1985, l'Etat a officiellement retiré les fonctions de régulations à la Sonatel mais dans les faits, elle a continué à les assumer. La création, en 1994, de la Direction des études et de la réglementation des postes et télécommunications (Derpt) au sein du ministère des télécommunications avec pour mission l'approbation des tarifs des services de télécommunications, la délivrance des autorisations d'exploitation de services, la gestion de l'attribution des fréquences radioélectriques, etc.39 n'y changera pas grand-chose puisqu'il s'est en fait agi du transfert d'une ancienne direction de la Sonatel au sein du ministère des télécommunications (Kane 2008 : 157). De même, malgré l'adoption du code des télécommunications de 1996 qui introduisit la séparation entre la fonction d'exploitation et de réglementation en transférant la politique réglementaire au ministère des télécommunications, la Sonatel continuera, bien après sa privatisation, à gérer la régulation. Dans le cadre de l'Accord général sur le commerce et les services (Agcs), le Sénégal avait souscrit une série d'engagements additionnels dont celui de créer, avant le 31 décembre 1997, un organe de régulation40. Cependant, annoncée puis repoussée à plusieurs reprises, la création d'une agence de régulation devra attendre l'adoption du code des télécommunications de décembre 2001 pour être inscrite dans la loi41. Le ministère des télécommunications ayant disparu de l'organigramme gouvernemental à cette époque, l'Art se verra confier les taches de régulation et le pouvoir de réglementation, la rendant à la fois juge et partie. Sa création est effective à partir de janvier 2002 suite à la nomination de Mactar Seck comme Directeur général, cependant, il faudra attendre avril 2003 et la signature des décrets organisant son fonctionnement et nommant les membres du Conseil de régulation pour qu'elle devienne pleinement opérationnelle.</p> <p>Disposant de faibles ressources humaines, provenant pour l'essentiel de la Sonatel, et n'ayant pas les équipements techniques nécessaires à l'accomplissement de ses missions, notamment en matière de contrôle des fréquences, l'Agence de régulation des télécommunications (Art), connaît des débuts difficiles. Comble de malheur, alors qu'elle commence à prendre ses marques, son directeur général, injustement suspecté de vouloir vendre illégalement des fréquences, est limogé en mai 2003, sans qu'aucune explication ne soit officiellement donnée42. Le profil de son remplaçant, Malick F. Guèye, est quelque problématique. Agé de trente et un ans, cet ancien directeur des grands travaux de l'Agence pour la promotion des investissements et des grands travaux (Apix), possède une très faible expérience du secteur des télécommunications pour n'avoir travaillé en tout et pour tout que deux années chez Neuf Télécom dans le cadre de son premier emploi. En juin 2005, il est d'ailleurs relevé de ses fonctions, suite à une mission de l'Inspection générale d'Etat (Ige) ayant décelé des malversations qui auraient porté sur plusieurs centaines de millions de Francs CFA43. La courte histoire de l'Art a mis en évidence le lien direct unissant le régulateur à la Présidence de la république. Le Conseiller spécial du Président de la république pour les Ntic avait d'ailleurs clairement annoncé, avant même sa création, que l'Art ne serait pas autonome comme le souhaitaient nombre d'acteurs mais qu'elle resterait, au moins dans un premier temps, sous la tutelle de la Présidence de la république44. En réalité, d'autonomie elle n'en aura guère comme le montre la manière dont fut attribuée la troisième licence.</p> <p>En janvier 2005, Joseph Ndong, alors ministre des télécommunications, annonce, à l'occasion de la présentation de la lettre de politique sectorielle des télécommunications, que l'Etat a décidé de lancer un appel d'offres international en vue de choisir un nouvel opérateur, dans le courant du premier trimestre 200545. Cependant ce n'est qu'en novembre 2005, à l'occasion du Sommet mondial sur la société de l'information (Smsi), que les choses semblent prendre forme. Le Directeur général de l'Art, Daniel G. Goumalo Seck, déclare depuis Tunis que le cahier des charges de la licence est en cours d'élaboration et que l'appel d'offres sera lancé en janvier 2006 et précise même que l'Etat a déjà choisi les cabinets, Mc Kinsey, Goldman Sachs et Clifford Chance pour être respectivement ses conseillers sectoriel, financier et juridique46. Sans que l'on sache pourquoi, le délai ne sera pas respecté et pendant plus de dix-huit mois on n'entendra plus parler de cette fameuse licence. Coup de théâtre, en août 2007, l'opinion publique est incidemment informée, par le site d'information en ligne « Nettali », que l'Etat procède à la consultation d'un certain nombre d'opérateurs en vue de l'attribution de la troisième licence47. D'abord démentie, l'information est finalement confirmée par l'Agence de régulation des télécommunications et des postes (Artp)48 qui avoue dans un communiqué avoir demandé à tous les opérateurs qui s'étaient montrés intéressés par l'attribution de la licence globale de télécommunications de remettre une offre avant le 31 août 2007. Le 7 septembre 2007, l'Artp annonce que la licence a été attribuée à la société soudanaise de télécommunications, Sudatel, en raison de la qualité de son offre technique et du fait qu'elle offrait la somme de 200 millions de dollars contre 152 millions de dollars et 105 millions de dollars respectivement proposés par Bintel et Celtel49. Les Sénégalais apprendrons plus tard, à travers un communiqué du Conseil des ministres, que Karim Wade, fils du Président de la république et Thierno Ousmane Sy, Conseiller spécial pour les Ntic du Président de la république, avaient conduits les négociations avec Sudatel et que le Chef de l'Etat était personnellement intervenu à plusieurs étapes du dossier tantôt pour récuser un soumissionnaire tantôt pour demander de réviser à la hausse les prétentions financières de l'Etat, mettant de fait l'Artp totalement hors jeu. En fait, si l'on en croit certaines sources, le principe d'attribuer la licence à Sudatel aurait été arrêté bien avant le lancement de l'appel d'offres et ce dernier aurait été organisé à la demande de l'opérateur afin de protéger ses arrières. Quoi qu'il en soit, l'affaire fit grand bruit d'autant plus que Sudatel était sur la liste noire du Département d'Etat. De son côté, le secteur privé national critiquera l'opération n'ayant obtenu que 15% du capital de l'opérateur alors qu'il avait d'abord demandé à l'Artp de lui réserver 51% des parts avant de limiter ses prétentions à 30%.</p> <p>L'autre affaire ayant fortement hypothéqué la crédibilité de la régulation du secteur, même si l'Artp ne peut en être tenue pour directement responsable, a été celle du bras de fer entre l'Etat et Sentel autour de la question de la réévaluation du montant de sa licence. Attribuée en juillet 1998, sous le régime du Président Abdou Diouf, pour une durée de vingt ans au prix de 50 millions de Francs CFA, la licence de Sentel a été brusquement remise en cause par le nouveau régime issu de l'élection présidentielle de mai 2000. En octobre, un communiqué du Conseil des ministres annonce le retrait de la licence de Sentel à compter du 29 septembre 2000 pour non respect de ses engagements en matière de volume d'investissements, défaillances en termes de qualité et de couverture radioélectrique de son réseau, absence d'information relative à la gestion financière et technique de la licence et non paiement d'une dette de 579 millions de Francs CFA due à l'Etat au titre des redevances. Récusant ces accusations, Sentel n'interrompt poursuit ses activités et des discussions s'engagent en coulisses qui aboutissent, en août 2002, à une « paix des braves ». Les deux parties s'accordent sur le principe de rouvrir des négociations après l'attribution de la troisième licence afin de définir de nouvelles conditions d'exploitation, mutuellement acceptables. A la surprise générale, le 30 octobre 2008, Millicom International Cellular publie un communiqué révélant que l'Etat du Sénégal l'a informé de son intention de révoquer sa licence à partir du 31 octobre 2008. Des informations qui filtrent du dossier, il apparait que l'Etat exige de Sentel la somme de 100 milliards de Francs CFA afin qu'elle puisse continuer à exploiter sa licence. Faisant monter la pression, l'Etat attrait l'opérateur devant les tribunaux et de son côté Sentel saisit le Centre international de règlement des différends liés à l'investissement (Cirdi)50. Alors que l'on semble être au bord de la rupture totale, l'Ambassade des Etats-Unis intervient auprès des autorités afin qu'elles autorisent Tigo à poursuivre ses activités sur la base de la convention de 1998, dans l'attente d'un règlement définitif. Cette affaire a provoqué un profond malaise chez les professionnels du secteur qui y ont vu un mauvais signal adressé aux investisseurs pour qui la garantie de la sécurité juridique et financière est essentielle.</p> <p>Ayant vu quatre directeurs généraux se succéder à sa tête en neuf années d'existence51, l'Artp a beaucoup perdu de sa crédibilité d'autant plus que son fonctionnement repose essentiellement sur le directeur général qui détient le véritable pouvoir de régulation. Alors que sa création devait marquer la fin de l'intervention directe de l'Etat dans la régulation, la pratique a montré que cette dernière était gérée par la Présidence de la république avec un certain parti pris en faveur de la Sonatel52 même si cette dernière a été sanctionnée d'une lourde amende en 200753. Par ailleurs, l'Artp n'a pas su prendre en temps opportun les décisions qui s'imposaient en direction de l'opérateur historique afin que celui-ci n'écrase pas la concurrence. De plus, elle n'a guère contribué à résoudre la question du service universel, le Fonds de développement du service universel des télécommunications (Fdsut) mis en place en 2006 n'étant toujours pas opérationnel et la seule action d'envergure à mettre à son crédit en la matière ayant été l'adjudication d'une licence de service universel dans le cadre du projet dans la région de Matam. Enfin, elle n'a pas su répondre aux attentes des acteurs du secteur qui sont suspendus, depuis des années, à la prise de toute une série de décisions concernant des questions aussi cruciales que la téléphonie sur IP, le dégroupage de la boucle locale, la boucle locale radio, la portabilité du numéro, la sélection du transporteur, etc. Conclusion</p> <p>Dès 2003, certains observateurs questionnaient la « réussite » de la privatisation de la Sonatel et montraient que l'opération avait surtout profité à France Télécom (Jaffré 2003). L'examen des résultats financiers de la Sonatel sur la décennie 1998-2008 confirme ce qui pouvait apparaître à l'époque comme une simple tendance. En effet, la Sonatel a réalisé un bénéfice cumulé de 897 milliards de Francs CFA dont l'essentiel est allé à l'actionnaire principal54, sans compter l'ensemble des transferts internes liés au paiement des prestations de services et autres frais de gestions facturés par France Télécom55 ainsi que les 20% de la croissance du résultat d'activités qui sont prélevés sur le bénéfice avant même la rétribution des actionnaires. Si l'on rapporte ces sommes aux 70 milliards de Francs CFA payés en 1997 pour prendre le contrôle de la Sonatel, il est indubitable que ce fut une opération particulièrement rentable pour France Télécom et ces dirigeants ne s'y sont d'ailleurs pas trompés puisqu'ils ont reconnu que les résultats 2004 de la Sonatel avaient dépassé de vingt cinq fois les projections établies au moment des négociations en vue de son acquisition56. Dans une moindre mesure, l'Etat57, les actionnaires privés et les salariés58 ont été les autres grands bénéficiaires de la privatisation. S'agissant des performances de l'entreprise, si l'on s'en tient à la progression de la téléphonie fixe, les résultats n'ont rien eu d'extraordinaire puisque le nombre d'abonnés n'a progressé que de 72% en dix ans avec un taux de pénétration qui est aujourd'hui de 1,98%59. Si le développement de l'infrastructure a permis une couverture quasi-totale du territoire, il n'en reste pas moins qu'elle n'offre qu'un accès potentiel aux services de télécommunications puisque celle-ci a été réalisée avec des technologies sans fil ce qui ne règle que partiellement la question du service universel. Certes, la téléphonie mobile a fait des progrès impressionnants, avec un taux de pénétration de 51,63%60, mais il faut souligner qu'en dehors de la voix, des sms et de l'Internet mobile, elle fournit bien peu de services ayant une véritable utilité sociale. Par ailleurs, son développement s'est fait aux dépens de l'infrastructure fixe ce qui, à terme, risque d'entraver le déploiement de l'Internet à haut débit. Ceci dit, si l'on se réfère à ce qui s'est produit dans des pays comme l'Algérie, le Bénin ou encore le Mali, le choix de privatiser avant de libéraliser s'est avéré judicieux. Pour ce qui est du volet libéralisation, l'évolution des différents segments du marché montre, qu'en dehors de la téléphonie mobile, l'instauration d'un véritable régime de concurrence n'a pas été au rendez-vous. De plus, le monopole de la Sonatel sur l'accès à l'international combiné à son contrôle sur l'accès au câble sous-marin Sat-3 a eu pour résultat le maintien de prix élevés pour l'accès à la bande passante ce qui a entrainé la disparition de tous les fournisseurs de services Internet, une forte diminution du nombre de cybercentres et finalement la faible progression d'Internet dans la société sénégalaise avec un taux de pénétration de 0,45 en 200961. Derrière ces chiffres, se cachent un très faible taux de connexion des établissements scolaires et sanitaires mais aussi des Pmi-Pme avec toutes les conséquences sociales et économiques qui en découlent en termes de développement humain. Par ailleurs, la position dominante exercée par la Sonatel sur les divers segments du marché des télécommunications a eu pour résultat d'entraver la croissance des services à valeur ajoutée ce qui en retour a entrainé une sous-exploitation des capacités de l'infrastructure de télécommunications en l'absence d'applications et de contenus locaux susceptibles d'intéresser les Sénégalais. Enfin, en ce qui concerne le volet régulation, si la séparation des fonctions opérationnelles et de réglementation a été effective, la mise en place d'un organe de régulation autonome a été tardive alors que certains marchés étaient déjà ouverts à la concurrence ce qui a contribué à créer un vide qui a profité à l'opérateur historique. Par ailleurs, l'attitude du régulateur dans le règlement des contentieux et l'attribution des licences de télécommunications a montré qu'il n'avait été capable de mettre en place des procédures transparentes, crédibles et impartiales sans parler de sa subordination vis-à-vis de la Présidence de la république, même s'il est compréhensible que l'Etat ne reste pas indifférent à ce qui se passe dans un secteur aussi stratégique (Plane 2002). Le faible niveau de collégialité dans la prise de décision, l'inaction face à la domination du marché par l'opérateur historique, la lenteur à trancher les questions critiques intéressant le secteur et la confusion des pouvoirs de régulation et de réglementation sont autant d'éléments qui ont également contribué à hypothéquer la mise en place d'une régulation acceptée par tous, de telle sorte qu'à bien des égards, la situation n'a pas beaucoup changé par rapport à ce qu'elle était auparavant. Au vu tout de ce qui précède, le bilan de la réforme du secteur des télécommunications au Sénégal montre donc qu'elle n'a pas été le remède magique qui devait apporter des solutions à tous les maux du secteur des télécommunications. Tous ces effets n'ont certes pas été négatifs mais ses bénéfices ont plus profité à quelques minorités (France télécom, actionnaires privés, équipementiers étrangers, etc.) qu'à la grande majorité des Sénégalais pour qui les opportunités offertes par la Société de l'information restent toujours inaccessibles. Par contre, elle a commis un dégât irrémédiable (?) en dépossédant le Sénégal d'un instrument de politique susceptible de jouer un rôle-clé dans sa stratégie de développement politique, économique, social et culturelle à l'échelle locale, nationale, sous-régionale et continentale.</p> <h3 class="spip">Références bibliographiques </h3> <p>Agence de régulation des télécommunications et des postes (2009), « Le marché de la téléphonie fixe », Observatoire trimestriel, Dakar. <br />––––– 2009, « Le marché de l'Internet », Observatoire trimestriel, Dakar. <br />––––– 2009, « Le marché de la téléphonie mobile », Observatoire trimestriel, Dakar. <br />––––– 2009, « Rapport annuel d'activité 2008 », Dakar. <br />Azam J.P., Dia M. & N'Guessan T. Telecommunication sector reforms in Senegal. World Bank Policy Research Working Paper 2894, September 2002, p. 26 <br />Chéneau-Loquay A. Les territoires de la téléphonie mobile en Afrique. Netcom vol. 15, n° 1-2 sept. 2001. <br />Dianté C.Y. 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Le 29 octobre, jour de publication de cet article, est aussi celui des 40 ans de la mise en service du réseau de l'ARPA (Agence des projets de recherche du département de la Défense américain) Ce mois-ci, on célèbre les anniversaires de faits qui ont bouleversé le (...) - <a href="http://vecam.org/rubrique2.html" rel="directory">Articles / Publications</a> / <a href="http://vecam.org/mot17.html" rel="tag">Creative Commons</a>, <a href="http://vecam.org/mot49.html" rel="tag">vecam-F</a>, <a href="http://vecam.org/mot66.html" rel="tag">Recherche</a>, <a href="http://vecam.org/mot68.html" rel="tag">Revue-reseau-TIC</a> <div class='rss_chapo'><p>Ce mois-d'octobre 2009, on célèbre les anniversaires de faits qui ont bouleversé le monde : les 80 ans de la précédente crise financière, les 70 ans de la déclaration de la deuxième guerre mondiale ou les 20 ans de la chute du mur de Berlin. Le 29 octobre, jour de publication de cet article, est aussi celui des 40 ans de la mise en service du réseau de l'ARPA (Agence des projets de recherche du département de la Défense américain)</p></div> <div class='rss_texte'><p>Ce mois-ci, on célèbre les anniversaires de faits qui ont bouleversé le monde : les 80 ans de la précédente crise financière, les 70 ans de la déclaration de la deuxième guerre mondiale ou les 20 ans de la chute du mur de Berlin.</p> <p>C'est aussi l'anniversaire de la mise en service du réseau de l'ARPA (Agence des projets de recherche du département de la Défense américain) : ce jour là, le 29 octobre 1969, dans la salle de calcul du département informatique de l'Université de Californie à Los Angeles, il n'y avait ni journaliste, ni photographe, ni homme d'affaire. Simplement une bande d'étudiants, doctorants, leurs professeurs et un ingénieur de la société BBN à qui avait été confié le développement du logiciel des commutateurs de paquets du réseau.</p> <p>Le professeur Léonard Kleinrock raconte sobrement cette discrète éclosion <a href="#note_1">[1]</a> : il est aux commandes, entouré des étudiants membres du groupe de travail sur le réseau (NWG ) : il tape sur un simple terminal un premier caractère de l'ordinateur Sigma 7 (commercialisé en France par la CII sous le nom de 10070) vers celui du Stanford Research Institute (SRI) près de San Francisco, puis un second. Au troisième le logiciel « plante ». C'était il y a exactement quarante ans. J'étais le seul européen de la bande.</p> <p>Un projet utopique, animé par des universitaires, sans participation industrielle, prenait corps. Tous nous avions plus ou moins conscience de participer à l'émergence d'un projet riche en promesses. Aucun n'aurait pourtant osé imaginer l'avenir qu'a connu et que connaît l'internet. A travers maints rebondissements, du réseau de l'ARPA (le nom d'Arpanet n'apparaît qu'en 1972) au « web 3.0 », l'internet s'est depuis imposé comme un outil incontournable du monde d'aujourd'hui et de demain si l'on en croit les projections de Joël de Rosnay pour le web 4.0 <a href="#note_2">[2]</a>. Quels caractères génétiques ont donc permis à cette petite pousse de devenir un tel baobab ?</p> <p>Sa chance a bien sûr été la mise en œuvre des technologies de communication numériques, de la miniaturisation des circuits et l'enclenchement du cercle vertueux, d'une technologie reproductible et de plus en plus dense, proposée à un public de plus en plus large, et donc de moins en moins coûteuse. Sa chance a aussi été la déréglementation des télécommunication et la mondialisation de l'économie dont il a par ailleurs été un outil stratégique.</p> <p>Mais pourquoi l'Arpanet et son successeur l'internet a-t-il finalement balayé les projets concurrents ? Les ingrédients du succès étaient déjà dans l'embryon du réseau ARPA né de la rencontre de visions, d'objectifs et de personnalités diverses, voire contradictoires : militaire, universitaire ou libertaire.</p> <p>Le souci d'inspiration militaire était l'invulnérabilité : d'où le choix pour le réseau de transmission, de la technique de la commutation de paquets : l'information peut passer par n'importe quel chemin d'un réseau maillé de commutateurs de paquets ( les IMP) ; si l'un d'eux est détruit les communications ne sont pas perturbées.</p> <p>Les universitaires ont fourni les premiers sites, développé des spécifications en toute indépendance des constructeurs et des grands opérateurs de télécommunications, inventé les premières applications . Les contrats de l'ARPA leur assuraient l'indépendance financière nécessaire. Le partage des ressources, en matériel, logiciel, données ainsi que des ressources humaines disponibles sur le réseau était un objectif majeur. S'y ajoute une culture de l'échange et du partage. Le réseau devient vite aussi un moyen de soumettre à la communauté des utilisateurs des algorithmes à vérifier, des programmes à tester, des données à archiver. Il deviendra un levier pour les promoteurs du logiciel libre. Il a su galvaniser des énergies et des intelligences désintéressées, individuelles et collectives.</p> <p>Enfin les jeunes chercheurs de l'UCLA n'étaient pas insensibles à l'air du temps libertaire qui y régnait : l'hiver 1969-1970 fut aussi celui de la contestation dans les universités américaines : une sorte de mai 68 sur fond de guerre du Vietnam de plus en plus mal supportée par les étudiants et de révolte des minorités ethniques. C'est à l'UCLA qu'enseignait Angela Davies, militante communiste sympathisante des Black Panthers. La philosophie qu'ils ont inoculé au réseau à travers ses spécifications était fondée sur l'indépendance, la liberté, la transparence, le partage et le pragmatisme. Dès le départ, en mai 1968, ils ont institutionnalisé un système de spécifications ouvertes et publiques, basé sur la compétence, la reconnaissance mutuelle et le consensus qui s'est révélé par la suite être l'un des facteurs de succès majeurs du projet. Les <cite>« request for comments »</cite> (RFC) ont défié le temps : 5689 RFC ont été publiés en 40 ans et toujours avec la même sobriété de présentation. L'ensemble des RFC aujourd'hui disponible sur l'Internet constitue une extraordinaire "mémoire" du processus collectif de construction et d'évolution du réseau. La liberté d'expression deviendra un cheval de bataille des pionniers de l'Internet : sur le réseau, tout doit pouvoir se dire, il est " interdit d'interdire " ; à chacun de faire montre d'esprit critique, de filtrer et de recouper l'information. L'usage exclusif au départ de la langue anglaise par contre montre combien ces gènes étaient monoculturels…</p> <p>Vingt ans après sera introduit par une équipe de recherche européenne le world wide web, la Toile sur laquelle ont peut naviguer en suivant des liens qui relient les informations où qu'elles se trouvent. Cette application viendra compléter les atouts de l'internet et lui permettra de faire son entrée au début des années 90 sur la scène politique, économique, sociale et sociétale mondiale, et d'éliminer les réseaux industriels concurrents.</p> <p>Leur pragmatisme enfin est bien caractérisé par la célèbre affirmation : « nous récusons rois, présidents et vote. Nous croyons au consensus et aux programmes qui tournent » <a href="#note_1">[3]</a>.</p> <p>Le succès de l'internet, nous le devons aux bons choix initiaux et à la dynamique qui en est résultée : la collaboration de dizaine de milliers d'étudiants, ou de bénévoles apportant leur expertise, tels par exemple ces centaines de personnes qui enrichissent continuellement des encyclopédies en ligne telles que Wikipédia. En France certains avaient détecté la jeune pousse prometteuse, avaient vu dans l'Arpanet un signal faible, porteur d'avenir. Malheureusement ceux qui perçoivent ne sont pas ceux qui décident et ceux qui proposèrent une approche calquée sur l'internet, ne furent pas suivis : en s'en tenant à des arguments techniques économiques, ou d'indépendance nationale, avec Transpac puis Teletel, et tout en marquant des points sur le court terme, on a choisi le repli sur notre pré carré et ignoré les ressorts humains qui ont permis à l'internet de finalement l'emporter.</p> <p>L'internet a été au fil des ans une création continue qui a su minimiser les contraintes d'usage. Il offre des outils puissants et accessibles à tous, ce qui a largement profité à des organisations ne disposant pas de moyens financiers importants pour communiquer : ainsi le secteur associatif en a-t-il été un grand bénéficiaire quand il a su se l'approprier. Aujourd'hui l'internet, puissant levier pour l'action de la société civile, est devenu un outil stratégique de la solidarité mondiale, peut être la source d'une citoyenneté plus participative. Il permis la chute du mur de la communication mondiale. Ne soyons pas naïfs : peuvent s'y exprimer le bien comme le mal, le narcissisme comme la convivialité, l'ordre comme le désordre.</p> <p>Néanmoins pourquoi ne pas dédier ce quarantième anniversaire à ces très nombreux contributeurs passionnés mais restés obscurs qui au fil des années ont consacré leur temps libre, jour et nuit, à tisser cette toile, à lui apportant un élément de structure, ou de contenu, la gorgeant de leur savoir faire et de leurs connaissances, l'animant et l'imposant comme l'outil du savoir et de la communication universels. En reconnaissance de ce rôle pionnier, l'usager doit pouvoir conserver un droit de regard sur l'internet et ses évolutions dont il est codétenteur. Au moment où l'internet devient un pilier incontournable de l'organisation de notre société, où le développement d'une culture démocratique sur l'internet pourrait être menacé et où leur accessibilité sur l'internet pourrait être le prétexte pour des entreprises à but lucratif de s'approprier des composants de ce qui jusqu'à maintenant était considéré comme des biens communs, l'outil l'internet doit être reconnu comme un bien public, et la liberté d'y accéder comme un droit fondamental.</p> <p><strong>Notes</strong></p> <p><a name="note_1"] </a></p> <p>UCLA's Leonard Kleinrock on the first Internet connection <br /> <a href="http://newsroom.ucla.edu/portal/ucla/electronicplay.aspx?fid=28176 "> http://newsroom.ucla.edu/portal/ucla/electronicplay.aspx?fid=28176</a></p> <p><a name="note_2"] </a></p> <p><a href="http://www.dailymotion.com/video/x7g070_joel-de-rosnay-devoile-le-web-40_tech">http://www.dailymotion.com/video/x7g070_joel-de-rosnay-devoile-le-web-40_tech</a></p> <p><a name="note_3"] </a></p> <p><cite>We reject kings, presidents and voting. We believe in rough consensus and running code</cite></p></div> Une bonne nouvelle pour la théorie des Biens Communs http://vecam.org/article1122.html http://vecam.org/article1122.html 2009-10-12T17:06:58Z text/html fr Hervé Le Crosnier Creative Commons Accès au savoir Revue-reseau-TIC Le prix Nobel d'économie a été décerné le 12 octobre 2009 à Elinor Ostrom, qui travaille sur les Communs, cette forme spécifique de propriété et de gouvernance qui place les décisions collectives des « communautés » au centre du jeu socio-économique. Cette question des Biens communs a longtemps été ignorée par la science économique, par la politique et par les mouvements sociaux, mais elle est en passe de redevenir un « outil pour penser » majeur. Le prix Nobel d'économie a été décerné le 12 octobre 2009 à (...) - <a href="http://vecam.org/rubrique2.html" rel="directory">Articles / Publications</a> / <a href="http://vecam.org/mot17.html" rel="tag">Creative Commons</a>, <a href="http://vecam.org/mot45.html" rel="tag">Accès au savoir</a>, <a href="http://vecam.org/mot68.html" rel="tag">Revue-reseau-TIC</a> <div class='rss_chapo'><p>Le prix Nobel d'économie a été décerné le 12 octobre 2009 à Elinor Ostrom, qui travaille sur les Communs, cette forme spécifique de propriété et de gouvernance qui place les décisions collectives des « communautés » au centre du jeu socio-économique. Cette question des Biens communs a longtemps été ignorée par la science économique, par la politique et par les mouvements sociaux, mais elle est en passe de redevenir un « outil pour penser » majeur.</p></div> <div class='rss_texte'><p>Le prix Nobel d'économie a été décerné le 12 octobre 2009 à Elinor Ostrom et Oliver Williamson. Leurs travaux, quoique très différents, s'écratent des travaux de modélisation économique appuyée sur le modèle néo-classique, mais portent sur un « retour au réel ». Ils prennent en compte des interactions humaines et leurs effets, pour Williamson dans le cadre de la firme et pour Ostrom dans le modèle des biens communs, en s'échappant du modèle de la « rationalité économique » qui a longtemps prévalu dans les constructions mathématiques à la mode au cours de la décennie précédente. C'est une confirmation du changement d'orientation des Nobels entamé par la reconnaissance du travail de Paul Krugman l'an passé. Un changement qui va dans le sens d'un rapprochement entre l'économie et la politique, dans le même ordre d'idée que l'attribution du Prix Nobel de la Paix accordé au financier alternatif Mohamed Yunus précédemment. L'économie n'est plus cette théorie univoque qui servirait de hochet aux politiciens en mal d'instruments de pression sur les peuples (le « There is no alternative » de Margaret Thatcher, repris sous toutes ses formes par nos dirigeants néo-libéraux de tous bords depuis presque trente ans). Les décisions des humains de construire ensemble leur mode de production et de trouver des règles qui ne ressemblent pas à l'imagerie du marché afin d'autogérer leur actions communes pourraient enfin revenir au centre de la réflexion.</p> <p>En soi, ce simple fait serait une bonne nouvelle. Ajoutons que Elinor Ostrom est aussi la première femme récompensée par un Prix Nobel d'économie... pour des travaux sur l'organisation collective de la vie. Mais c'est pour d'autres raisons encore qu'il faut se féliciter aujourd'hui de la décision de Stockholm.</p> <p>Elinor Ostrom travaille sur les Communs, cette forme spécifique de propriété et de gouvernance qui place les décisions collectives des « communautés » au centre du jeu socio-économique. Or cette question des Biens communs, qui a longtemps été ignorée par la science économique, par la politique et par les mouvements sociaux, est en passe de redevenir un « outil pour penser » majeur, qui ouvre de nouvelles portes, et qui est en adéquation avec les questions du siècle qui débute (crise écologique, irruption des réseaux numériques, économie de la connaissance, modification profonde des régimes de production, redéfinition des droits de propriété immatérielle...). L'extension du travail immatériel et du numérique à l'échelle du monde et dans toutes les activités humaines souligne l'émergence centrale d'un nouveau type de bien commun, articulé autour de la connaissance et de l'information, et des règles collectives de fonctionnement en réseau.</p> <p>La question des « Communs » est au coeur de l'histoire du capitalisme. La première grande révolte populaire fondatrice de nos conceptions actuelles du droit, dans l'Angleterre du XIIIème siècle, avait pour cause l'expropriation des Communs. En mettant la main sur les forêts et les terres communales, le Roi Jean et les Barons jetaient dans le dénuement le plus total ceux dont la survie même dépendaient de ces terres ouvertes aux récoltes de tous : veuves ayant le droit de ramasser le bois de chauffage, paysans laissant paître les moutons, ramasseurs de champignons et de miel,... L'enclosure des Communs allait susciter de grands mouvements populaires, et des figures fortes marquant l'imagination comme « Robin des Bois ». Une armistice fut trouvée dans l'élaboration de deux traités en 1215 : la Grande Charte et la Charte des Forêts. Le premier consacrait ce que nous appelerions aujourd'hui les Droits politiques et sociaux et offrait la garantie de procès équitables et la nécessité de placer l'autorité royale sous le régime collectif de respect du droit. Et le second se consacrait aux « droits économiques et sociaux » en définissant les droits des usagers des forêts, les communs de l'époque. Dès lors cette question des communs a traversé toutes les révoltes populaires, tout comme elle a traversé toutes les tentatives d'élaborer un droit et des lois qui équilibrent les sociétés en respectant les humains qui la composent. En sens inverse, à la suite de Peter Linebaugh, on peut relire l'histoire de la colonisation, de l'esclavage et de la prolétarisation comme une volonté perpétuelle du capital de réduire les communs et d'imposer le règne de la marchandise, à la fois pour dégager de nouveaux espaces au profit, mais aussi pour limiter les capacités d'auto-organisation des populations.</p> <p>Du côté scientifique, la notion de Communs reçu une attaque particulièrement pernicieuse en 1968, quand le socio-biologiste Garrett Hardin publia son article « la tragédie des communs ». Dans ce modèle abstrait, Hardin considérait l'usage abusif de paturages communs par des bergers, chacun cherchant à y nourrir le plus grand nombre d'animaux... au point de réduire la quantité d'herbe disponible. Ce modèle du « passager clandestin », qui profite d'un bien disponible sans s'acquiter de devoirs envers la communauté, reste le modèle abstrait de référence ; un modèle simpliste qui colle parfaitement avec l'idéologie libérale. Avec de telles prémisse, la conclusion de Hardin s'imposait : « le libre usage des communs conduit à la ruine de tous ». Or Elinor Ostrom et Charlotte Hess, dans leur ouvrage majeur « Understanding knowledge as a commons » réduisent en poudre ce modèle qui a pourtant fait couler tant d'encre. Pour elles, le modèle de Hardin ne ressemble aucunement aux communs réels, tels qu'ils sont gérés collectivement depuis des millénaires, à l'image des réseaux d'irrigation ou des pêcheries. Pour Hardin, les communs sont uniquement des ressources disponibles, alors qu'en réalité ils sont avant tout des lieux de négociations (il n'y a pas de communs sans communauté), gérés par des individus qui communiquent, et parmi lesquels une partie au moins n'est pas guidée par un intérêt immédiat, mais par un sens collectif.</p> <p>Le grand apport d'Elinor Ostrom est dans cette distinction entre les « Communs considérés comme des ressources » et les « Communs considérés comme une forme spécifique de propriété ». Cette conception prend de plus en plus d'importance avec l'intégration des préoccupations écologiques dans l'économie. La notion de Communs devient attachée à une forme de « gouvernance » particulière : il s'agit pour la communauté concernée de les créer, de les maintenir, les préserver, assurer leur renouvellement, non dans un musée de la nature, mais bien comme des ressources qui doivent rester disponible, qu'il faut éviter d'épuiser. Il n'y a de Communs qu'avec les communautés qui les gèrent, qu'elles soient locales, auto-organisées ou ayant des règles collectives fortes, y compris des Lois et des décisions de justice. Les Communs sont des lieux d'expression de la société, et à ce titre des lieux de résolution de conflits.</p> <p>La théorie des Communs connaît un nouveau regain depuis la fin des années 1990, quand on a commencé à considérer les connaissances, les informations et le réseau numérique internet lui-même comme un nouveau Commun, partagé par tous les usagers, et auprès duquel chaque usager a des droits (libre accès au savoir, neutralité de l'internet, production coopérative, à l'image de Wikipedia,...) comme des devoirs. Il existe une différence majeure entre ces Communs de la connaissance et les Communs naturels, qui a été pointée par Elinor Ostrom : les biens numériques ne sont plus soustractibles. L'usage par l'un ne remet nullement en cause l'usage par l'autre, car la reproduction d'un bien numérique (un fichier de musique, un document sur le réseau, une page web,...) a un coût marginal qui tend vers zéro. On pourrait en déduire que ces Communs sont « inépuisables », et qu'une abondance numérique est venue. Or si l'on considère les Communs comme un espace de gouvernance, on remarque au contraire que ces nouveaux Communs de la connaissance sont fragiles. Il peuvent être victimes de ce que James Boyle appelle « les nouvelles enclosures ». Les DRM sur les fichiers, l'appropriation du réseau par les acteurs de la communication, la diffusion différenciée des services selon la richesse du producteur, l'appropriation privée des savoirs (brevets sur la connaissance) ou des idées et des méthodes (brevets de logiciels), le silence imposé aux chercheurs sur leurs travaux menés en liaison avec des entreprises,... sont autant de dangers qui menacent ces nouveaux Communs au moment même où leurs effets positifs sur toute la société commencent à être mis en valeur.</p> <p>Ces Communs de la connaissance ont donné lieu à l'émergence de nombreux mouvements sociaux du numérique, à des pratiques communautaires dépassant les cercles restreints pour peser sur toute l'organisation de la société en limitant l'emprise du marché et des monopoles dominants sur cette nouvelle construction collective du savoir. On peut citer ainsi le mouvement des logiciels libres ; celui des scientifiques défendant l'accès libre aux publications de recherche ; les paysans opposés à la mainmise sur les semences ; les associations de malades oeuvrant pour la pré-éminence du droit à la santé sur les brevets de médicaments ; les bibliothécaires partisans du mouvement pour l'accès libre à la connaissance ; les auteurs et interprètes qui décident de placer leurs travaux sous le régime des « creative commons » ; les rédacteurs de projets collectifs qui construisent des documents partagés sous un régime de propriété ouvert, garantissant la non-appropriation privée, à l'image de Wikipédia ou de Music Brainz ; ce sont même des organismes publics qui partagent leurs données pour des usages libres, commela BBC pour la musique et les vidéos, ou PBS le grand réseau de radio public des Etats-Unis. Avec l'internet, cette notion des Communs de la connaissance connaît à la fois un profond intérêt scientifique et pratique, mais voit aussi un nouveau terrain d'expérimentation. Le réseau numérique est à la fois un outil pour la production de ces communs numériques, et une source de règlement des conflits ou de partage des méthodes d'organisation garantissant la maintenance des communs ainsi construits.</p> <p>En rapportant la question des Communs à cette double dimension, de la gouvernance d'architectures humaines et de biens collectifs d'une part et de la mise à disposition pour tous et le partage des outils et des connaissances d'autre part, les travaux scientifiques sur les biens communs, dont Elinor Ostrom est une figure majeure, ouvrent des portes nouvelles aux mouvements sociaux du monde entier. En témoigne le récent appel « Pour la récupération des biens communs » issu du Forum Social Mondial de Belèm de janvier 2009.</p> <p>L'attribution du Prix Nobel d'économie à Elinor Ostrom est donc une excellente nouvelle pour le développement d'une réflexion politique et sociale adaptée aux défis et aux enjeux du 21ème siècle.</p> <p>Caen, le 12 octobre 2009</p> <p>Hervé Le Crosnier</p> <p>(Texte diffusé sous licence Creative commons v3 – attribution.)</p> <p>Pour approfondir la réflexion, quelques pointeurs sur la question des Communs, notamment des communs de la connaissance :</p> <ul> <li><cite>Cause Commune</cite>, Philippe Aigrain, Fayard, 2005 (le livre fondateur en français) (<a href="http://www.causecommune.org/" class='spip_out' rel='external'>http://www.causecommune.org</a>)</li> <li>L'appel <cite>« Pour la récupération des biens communs »</cite> (<a href="http://bienscommuns.org/" class='spip_out' rel='external'>http://bienscommuns.org</a>)</li> <li><cite>Understanding Knowledge as a commons</cite>, Charlotte Hess et Elinor Ostrom (Ed.), MIT press, décembre 2006 (<a href="http://mitpress.mit.edu/catalog/item/default.asp?ttype=2&tid=11012" class='spip_out' rel='external'>http://mitpress.mit.edu/catalog/item/default.asp?ttype=2&tid=11012</a>) </li> <li>Vidéos de la table-ronde <cite>Accès aux connaissances : construire les biens communs</cite> qui s'est tenue à Belèm le 26 janvier 2009 lors du premier Forum Mondial Sciences et Démocratie (<a href="http://vecam.org/article1099.html" class=''>http://vecam.org/article1099.html</a>). Notamment l'introduction synthétique par Valérie Peugeot (<a href="http://vecam.org/article1109.html" class=''>http://vecam.org/article1109.html</a>).</li> <li><cite>On the commons</cite>, blog collectif sur les Communs orchestré par David Bollier (Etats-Unis) (<a href="http://onthecommons.org/" class='spip_out' rel='external'>http://onthecommons.org</a>)</li> <li><cite>The Magna Carta Manifesto : Liberties and Commons for all</cite>, Peter Linebaugh, University of California Press, 2008 (<a href="http://www.ucpress.edu/books/pages/10566.php" class='spip_out' rel='external'>http://www.ucpress.edu/books/pages/10566.php</a>)</li> <li><cite>Bytes and Emissions : To Whom Does the World Belong ?</cite> Silke Helfrich (Ed.). Heinrich Boll Foundation, 2009 (livre collectif contenant un essay de Elinor Orstrom : <cite>Governing a Commons from a Citizen's Perspective</cite>) (<a href="http://p2pfoundation.net/To_Whom_Does_the_World_Belong" class='spip_out' rel='external'>http://p2pfoundation.net/To_Whom_Does_the_World_Belong</a>)</li> <li><cite>Connaissances & Communs</cite>, ouvrage collectif coordonné par l'Association Vecam, à paraître novembre 2009, C&F éditions (<a href="http://cfeditions.com/cetc" class='spip_out' rel='external'>http://cfeditions.com/cetc</a>)</li> </ul></div>