Vecam http://www.vecam.org/ Réflexion et action pour l'internet citoyen fr SPIP - www.spip.net Vecam http://vecam.org/local/cache-vignettes/L144xH41/siteon0-dd267.png http://www.vecam.org/ 41 144 Qui finance le domaine public ? http://vecam.org/article1096.html http://vecam.org/article1096.html 2009-02-02T22:10:09Z text/html fr Anupam Chander , Madhavi Sunder Connaissances en communs Knowledge Commons Sommaire/ContentsAnupam Chander, University of California, Davis - School of Law Madhavi Sunder, University of California, Davis - School of Law En 1848, la réforme dite du « Grand Mahele[1] » instaura sur Hawaï des droits de propriété inconditionnels, répartissant ainsi les terres de l'Archipel entre les mains du roi et celles des chefs[2]. Deux ans plus tard, une loi étendit l'obtention de ces droits aux gens du peuple qui cultivaient la terre[3] et (...) - <a href="http://vecam.org/rubrique118.html" rel="directory">Connaissances en communs</a> <div class='rss_chapo'><p><span style="float: right; width: 160px; margin: 0px 0px 15px 15px; border: 1px dotted #009999; padding: 8px; text-align: center; font-size: 0.8em;"><a href="http://vecam.org/article1075.html" title="Connaissances en communs - Knowledge Commons - Sommaire/ Contents" style="display: block">Connaissances en communs<br />Knowledge Commons<br />Sommaire/Contents</a></span><strong>Anupam Chander</strong>,<span style="display: block; padding-left: 30px; font-style: italic;font-size: 0.9em"> University of California, Davis - School of Law</span></p> <p><strong>Madhavi Sunder</strong>, <span style="display: block; padding-left: 30px; font-style: italic;font-size: 0.9em">University of California, Davis - School of Law</span></p></div> <div class='rss_texte'><p>En 1848, la réforme dite du « Grand Mahele[1] » instaura sur Hawaï des droits de propriété inconditionnels, répartissant ainsi les terres de l'Archipel entre les mains du roi et celles des chefs[2]. Deux ans plus tard, une loi étendit l'obtention de ces droits aux gens du peuple qui cultivaient la terre[3] et l'interdiction faite aux propriétaires de céder leurs terres à des étrangers fut levée, dans le but d'attirer des capitaux[4.] La combinaison de ces deux éléments, soit l'établissement de droits de propriétés semblables à ceux du monde occidental et l'autorisation de cession à des non-natifs, eut de lourdes conséquences sur la répartition des terres de l'archipel : « Les parcelles furent assez rapidement cédées par les chefs et les gens du peuple, réduisant un grand nombre de ces derniers en main d'œuvre sans terre[5] ». En raison de leur méconnaissance de la réforme du régime foncier, mais également de part une double difficulté administrative à revendiquer une terre et géographique à la topographier, relativement peu de natifs « roturiers » acquérirent un titre de propriété.[6] En 1896, alors que les blancs détenaient 57% des surfaces imposables, les Hawaïens de souche n'en possédaient que 14%[7]. Aujourd'hui, beaucoup de leurs descendants considèrent le passage d'un principe de terres communes à celui de terres privées comme l'un des facteurs déterminants de l'appauvrissement de leurs aïeux. Aussi, la division des terres instaurée par le grand Mahele fut une étape charnière du projet de colonisation d'Hawaï.</p> <p>Pour un grand nombre d'habitants des pays en voie de développement, l'ADPIC - l'accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle touchant au commerce[8]- est l'héritier direct du Grand Mahele. Tout comme lui, l'ADPIC instaure des droits de propriété issus des systèmes en vigueur en occident ainsi que le droit pour les étrangers d'acquérir des titres de propriétés. Pour mettre en œuvre un tel régime, l'ADPIC exige de tous les pays membres de l'OMC la mise en place de standards substantiels de protection de la propriété intellectuelle. Quant à l'accès à la propriété pour les étrangers, l'ADPIC impose à chaque état membre des obligations relatives au traitement national, soit notamment une égalité de traitement entre étrangers et nationaux. Ce cocktail, composé de droits inébranlables à la propriété privée et de droits d'entrée aux étrangers, conduit à un transfert constant de la « propriété » des « productions » intellectuelles des pays en voie de développement vers le monde développé.[9]</p> <p>En réalité, cette mécanique est plus impeccablement huilée que celle du Grand Mahele et ses conséquences plus spectaculaires encore. Une étude menée par les Nations Unies en 1974 révélait que 84% des brevets accordés dans les pays en voie de développement étaient détenus par des étrangers[10]. Une disparité qui a toujours cours aujourd'hui : En 1998, dans l'Afrique Sub-Saharienne (hors-mis l'Afrique du Sud), 35 brevets furent attribués à des résidents africains, 741 à des étrangers non-résidents[11]. Par ailleurs, en 2001, moins de 1% de l'ensemble des brevets attribués aux États-Unis était accordé à des personnes originaires de nations en voie de développement[12]. Et entre 1999 et 2001, ces derniers représentaient également moins de 2% des demandes de brevet déposées auprès des autorités internationales en charge du Traité de Coopération en matière de Brevets[13].</p> <p>Un chapitre de cette histoire nous est familier. Il est de fait admis publiquement que le système légal international administrant la propriété intellectuelle favorise les pays occidentaux[14]. Par contre, le rôle joué par les biens communs dans la création et la préservation de cette 'inégalité à l'échelle de la planète est largement méconnu. Aussi, notre contribution à l'écriture de cette histoire consiste à faire la lumière sur les parcelles que l'ADPIC à délibérément laissé « désenclavées »[15], rompant ainsi l'équilibre existant auparavant dans la sphère du domaine public mondial. Préalablement à l'instauration de l'accord de droit sur la propriété intellectuelle, Orient et Occident bénéficiaient mutuellement des inventions et idées émanant de leur domaine public respectif – l'Occident parce que l'Orient ne protégeait pas officiellement ses savoirs, et l'Orient, parce que les lois régissant la propriété intellectuelle sur le plan international restaient vagues et largement inefficaces au delà des frontières nationales.</p> <p>Rares sont les médicaments et pesticides, nouvellement commercialisés, dont la composition résulte du seul éclair de génie des chercheurs de laboratoires pharmaceutiques ou de l'industrie agricole. Les scientifiques cherchent souvent l'inspiration dans les entrailles de mère nature et dans les savoirs propres aux communautés traditionnelles, les amenant ainsi à explorer cultures et territoires très éloignés de leur siège social. Un médicament aussi banal soit-il, comme l'aspirine, est un dérivé de composantes actives dans certaines plantes, en l'occurence pour cet analgésique du quotidien de la salicine des saules blancs[16]. De fait, le nom d'aspirine découle en partie d'un genre d'arbustes, les spirées, qui contiennent de la salicine[17]. En médecine, cette quête singulière d'inspiration a conduit à la création d'un champ d'étude dédié, l'ethnopharmacologie, qui publie sa propre revue depuis 1979[18]. « Confrontés à la maladie ou à des problèmes de santé, nos lointains ancêtres ont découvert une myriade d'agents thérapeutiques issus des royaumes animal et végétal »[19]. Tel est le postulat sur lequel se fonde ce champ d'étude. Et les auteurs de la revue associée de préciser qu'« un grand nombre de composantes utilisées aujourd'hui dans la fabrication de médicaments (l'atropine, l'ephedrine, la tubocurarine, la digoxine ou encore la réserpine) provient de l'étude de remèdes indigènes [20] ». Aussi, les innovations dans les secteurs pharmaceutiques ou agricoles soumis aux droits de la propriété intellectuelle, jaillissent elles souvent des sources de savoir et autres ressources génétiques qui relèvent du domaine public.</p> <p>La controverse suscitée par l'exploitation brevetée du Margousier illustre cette réalité. [21] Le margousier, arbre indigène du sous-continent indien, porte en Sanskrit le nom « sarva-róga nívarini » qui signifie « celui qui peut guérir toutes les affections et les maladies » [22], une appellation qui suggère le grand nombre d'applications médicales dont il peut faire l'objet : « une improbable variété d'usages traditionnels dans les secteurs agricoles, médicaux, cosmétiques, dentaires ou encore dans la conception de pesticides et de contraceptifs. »[23] Au cours des années 80, divers pays occidentaux se sont employés à breveter des applications issues de cette mine d'or végétale.[24] Initiatives qui démontrent l'antériorité à la mise en œuvre de l'ADPIC de l'exploitation des savoirs traditionnels et autres données génétiques. En réalité, l'ADPIC n'aurait en rien modifié le sort du Margousier. De même, l'accord de droit sur la propriété intellectuelle ne peut être tenu responsable de la disparité patente dans l'attribution de brevets entre citoyens des deux mondes, l'un développé, l'autre en voie de développement.[25]</p> <p>Si la « controverse du Margousier » illustre l'exploitation des productions intellectuelles de l'est et du sud par l'Occident, force est de reconnaître que le mouvement inverse existe également. Logiciels, films des studios Disney ou encore médicaments des contrées du couchant sont depuis longtemps copiés et commercialisés dans les pays en voie de développement, et ce souvent sans versement de royalties. GlaxoSmithKline par exemple, géant de l'industrie pharmaceutique, invoque la perte de 50 millions US$ en ventes potentielles d'un de ses produits brevetés (le Tagamet, prescrit dans le traitement des ulcères), du à la création de copies génériques locales dans certains pays du sud, l'Argentine notamment.[26]</p> <p>Les pays développés n'en sont pas à leur coup d'essai pour mettre un terme à la copie. Conventions sur les brevets, droits d'auteur ou copyrights encadrent leurs démarches depuis plus d'un siècle. La Convention de Paris pour la Protection de la Propriété Industrielle, signée en 1883[27], et la Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques, adoptée trois ans plus tard[28], toutes deux administrées par l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI)[29], étaient censées garantir aux détenteurs de droits de propriété intellectuelle une protection à l'échelle internationale. Mais en pratique, et ce en dépit d'une large adhésion, ces systèmes de protection sous l'égide de l'OMPI se sont souvent révélés inefficaces et les pays développés échouèrent la plupart du temps à faire valoir leurs droits.[30] Il est important de souligner que les niveaux de protection induits par ces conventions restaient faibles, ne requérant auprès des breveteurs d'inventions que des standards a minima.[31] Au final, tant sur les territoires nationaux que sur le reste du globe, ces systèmes n'offraient pas aux détenteurs de droits de propriétés intellectuelles d'outils de règlement de différends suffisants pour obtenir réparation en cas de violation.</p> <p>De ce fait, pour les laboratoires pharmaceutiques argentins la composition du Tagamet rentrait dans la sphère du domaine public. Et la fabrication de médicaments génériques, tout comme la reproduction d'inventions dans d'autres secteurs industriels, n'a cessé de champignonner dans les pays en voie de développement, [32] ne faisant finalement que refléter un système à l'œuvre depuis de nombreuses décennies ; un régime international gouvernant la propriété intellectuelle aux allures d'impeccable mécanique d'exploitation intensive des savoirs et savoir faire de toutes les régions du monde, sans exception.</p> <p>La mise en œuvre de l'ADPIC fit table rase de ces pratiques. En lieu et place de « communs » internationaux parmi lesquels les productions intellectuelles potentiellement exploitables par tous – ou du moins par des personnes vivant en dehors des frontières du pays producteur – l'accord a construit une forteresse pour protéger la propriété intellectuelle de ses états membres.[33] Les pays du sud tentèrent de résister à ce processus de marchandisation de la propriété intellectuelle, notamment durant les négociations commerciales de l'Uruguay Round, au cours duquel ils prônèrent une flexibilité maximale autorisant chaque état à déterminer pour toute nouvelle production intellectuelle le niveau de protection requis.[34] Peine perdue : l'ADPIC impose à ses membres l'instauration d'une liste exhaustive de normes minimales de protection pour tout brevetage. Les états défenseurs d'une pratique plus souple, obtinrent néanmoins l'octroi de périodes de transition pour implémenter au sein de leurs frontières ces obligations nouvelles.[35]</p> <p>L'ampleur de ce bouleversement majeur pour les pays en voie de développement fut révélé au grand jour peu de temps après la naissance de l'OMC. Suite à une plainte déposée par les États-Unis pour non mise en œuvre de certaines obligations de protection[36], l'Inde, classé parmi les pays en voie de développement par l'accord, fit l'objet de la première demande de règlement de différend dans le cadre de l'ADPIC.[37] Si des délais d'implémentation avaient effectivement été accordés aux pays du sud pour toute une série d'obligations, certaines règles devaient quant à elles s'appliquer immédiatement. Les États-Unis accusèrent l'Inde de n'avoir pas mis en place un système de « boite aux lettres » destinée à recevoir les demandes de brevets et à établir un ordre de priorité afin d'accorder pleine brevetabilité une fois la législation entrée en application.[38] Ils dénoncèrent également l'absence sur le sous-continent indien de droits exclusifs de marketing pour les détenteurs étrangers de brevets. Le rapport de l'organe de règlement des différends donna raison aux États-Unis, obligeant l'Inde à mettre ses lois en conformité, démontrant par la même occasion la force impérieuse de l'ADPIC.</p> <p>Son avènement transforma radicalement le patrimoine mondial de la production intellectuelle. Les pays en voie de développement doivent protéger sans faillir les œuvres intellectuelles de leurs pairs développés, sous peine d'être privés de privilèges commerciaux. L'Argentine ne peut désormais plus narguer bravement les laboratoires pharmaceutiques occidentaux. Pourtant, si l'ADPIC métamorphose les anciens resquilleurs du sud en bons élèves du modèle occidental[39], il laisse également le champ libre aux pays riches pour exploiter le jus de cerveaux de leurs cadets économiques, préservé dans un bocal dont l'étiquette « patrimoine mondial des biens intellectuels » n'a jamais été décollée. Les savoirs traditionnels et ressources génétiques de ces pays ne sont pas brevetables et sont toujours exploitables par quiconque le désire.[40]</p> <p>Au delà du cadre de l'ADPIC, le patrimoine mondial des savoirs traditionnels et ressources génétiques subsiste donc bel et bien. Il est cependant voué à une exploitation asymétrique des richesses le composant. Pourquoi les entreprises des pays du sud ne pourraient-elles pas exploiter ces ressources nationales de la même manière que leurs concurrentes étrangères du monde développé ? Après tout, une entreprise originaire de Mumbai est plus à même de connaitre la médecine traditionnelle ayurvedique et les plantes indigènes que n'importe quelle société suisse.</p> <p>Mais le poids de cet avantage en faveur des « locaux » ne pèse que trop peu dans la balance, et ce pour plusieurs raisons :</p> <p><img src="http://vecam.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-1d287.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> <strong>Des opportunités locales de commercialisation restreintes</strong> : en raison d'un pouvoir d'achat limité sur leur marché domestique, les entreprises des pays en voie de développement peuvent difficilement justifier d'investissements extensifs en recherche et développement nécessaires à la transformation de données géntiques et autres savoirs traditionnels en produits pharmaceutiques ou agricoles brevetables. Dans des pays comme l'Inde, le Nigeria et l'équateur, où le revenu national brut par habitant est respectivement de 480 US$, 290 US$ et 1450 US$[41], la clientèle locale ne peut pas s'offrir des médicaments vendus aux tarifs européens. De par leur population, l'Inde, ses 1,4 milliards d'habitants, et le Nigeria, qui en compte 130 millions, présentent un avantage en nombre potentiel de consommateurs sur l'équateur et ses 13 millions de citoyens.[42] Mais le critère de la taille de la population est loin d'être suffisant ; difficile par exemple pour une entreprise du Bangladesh, et ses 133 millions d'habitants, de rentabiliser localement des investissements sur un médicament alors que le produit intérieur brut par personne n'est que de 360 US$.[43]</p> <p><img src="http://vecam.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-1d287.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> <strong>Une carence en investissements publics extensifs pour la recherche</strong> : dans les pays hautement industrialisés, et ce afin de soutenir le développement industriel, des programmes de recherche financés par l'état sont mis en œuvre au sein des universités et des instituts de recherche. De plus les politiques gouvernementales permettent souvent les transferts technologiques des institutions publiques vers les entreprises privées. Les nations en voie de développement n'ont généralement pas ce type de programme de développement ou de recherche financés sur fonds publics.</p> <p><img src="http://vecam.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-1d287.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> <strong>Le cout du capital</strong> : Les marchés intérieurs de capitaux des pays en voie de développement sont fragiles, rendant couteuse toute levée de fonds. Au regard des sommes indispensables à investir pour breveter produits pharmaceutiques et agricoles, et du temps nécessaire à leur rentabilisation, les taux d'intérêt élevés pratiqués en local représentent un facteur de non-compétitivité pour les entreprises de ces pays. Et si elles cherchent des financements sur les marchés internationaux de crédit, elle se voient proposer des conditions similaires, les taux d'intérêt d'emprunts pour les entreprise y étant calqués sur ceux des marchés nationaux (le risque souverain étant perçu comme compris dans le risque commercial). Ce coût élevé de l'emprunt, qu'il soit national ou international, rend difficile d'accès et de pratique toute activité nécessitant de forts investissements en capital.</p> <p><img src="http://vecam.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-1d287.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> <strong>L'inexpérience</strong> : Pour un grand nombre d'entreprises des pays membres de l'OMC, le dépôt d'une demande de brevet sur un produit pharmaceutique ou agricole est une pratique récente, initiée par le cadrage cœrcitif de l'ADPIC. Elles n'ont donc pas l'expérience des démarches de brevetage que peuvent avoir les entreprises occidentales baignant elles depuis longtemps dans les eaux houleuses de telles procédures. Pour faire le lien avec ce qui s'est déroulé à Hawaï, les natifs de l'archipel qui souhaitaient faire valoir leurs droits ont été dérouté par l'étrangeté du régime occidental de propriété qui leur était imposé.[44] Même aux États-Unis, les avocats spécialisés en brevets, les universités et les entreprises déploient des ressources financières importantes pour former les personnels scientifiques au brevetage de leurs inventions. Preuve que les droits exclusifs à la propriété intellectuelle ne coulent pas de source.</p> <p>Certains rétorqueront que rien n'oblige les entreprises des pays en voie de développement à se restreindre à leur marché national, qu'il y a suffisamment d'acheteurs à séduire sur les vastes et profonds marchés occidentaux et qu'elles bénéficieraient de surcroit des protections de l'ADPIC si elles tentent leur chance à l'étranger. Mais c'est là une vision bien optimiste. En premier lieu, elles trouveront sans doute ardu de concurrencer les grandes firmes pharmaceutiques occidentales sur leur propre terrain, du moins dans les gammes de produits non génériques. Ces puissants laboratoires y gardent l'avantage de la notoriété de leur marque. Dans un second temps, vendre des produits de marque dans les pays occidentaux exige une grande puissance financière pour apaiser les dieux marketing et brevetage, dont les grâces vont difficilement à des entreprises dont la capacité à lever des fonds est limitée pour les raisons évoquées plus haut. Des sommets escarpées, que franchissent parfois des entreprises du sud, pour obtenir des brevets tant sur leur territoire qu'au delà de leurs frontières.[45] Ce ne sont toutefois que les exceptions qui confirment la règle, comme le montre la flagrante disparité entre brevetages accordés aux pays industrialisés et ceux détenus par les pays en voie de développement.[46]</p> <p>De fait, cette disparité dans la capacité à soumettre des brevets entre fabricants des deux hémisphères économiques justifie l'adhésion de l'industrie pharmaceutique occidentale à un cadre légal international coercitif. Selon elles, seuls les géants du secteur détiennent le capital et les savoir faire nécessaires à la transformation des savoirs traditionnels et ressources génétiques en traitements éprouvés. [47] Et de telles mégastructures ne peuvent agir de la sorte que si elles assurent la rentabilité de leurs investissements au travers d'un monopole incassable sur les droits liées aux inventions[48].</p> <p>Le régime de la propriété intellectuelle qui en découle favorise de façon radicale les pays développés. Les œuvres intellectuelles des contrées du sud restent dans la nasse du domaine public, tandis que celles produites par les contrées du nord sont jalousement gardées par les multinationales. Bien que les entreprises indiennes aient été certainement consciente de la valeur marchande du Margousier, elles se sont trouvées incapables d'investir les sommes suffisantes pour en breveter les dérivés de par le monde. Aussi, les bénéficiaires patents des ressources du domaine public issues du savoir traditionnel sur les propriétés du Margousier et sur l'arbre lui même sont des multinationales capables de convertir ces ressources en produits brevetables à potentiel marchand. Pour reprendre les mots de James Boyle, « le curare, le batik, les mythes et la danse 'Lambada' suintent en abondance des pays du sud...dans le même temps le Prozac, les jeans levis, les romans de Grisham et le film 'Lambada !' y sont massivement déversés... »[49] Les premiers ne font l'objet d'aucun droit de propriété intellectuelle, les seconds sont eux protégés.[50] In fine, le régime international de propriété intellectuelle génère un transfert de richesse des pays les plus pauvres vers les plus riches. En 1999, la balance dans les pays en voie de développement entre sommes perçues et celles versées au titre des royalties et droits de licence penchait nettement en faveur des premières pour un montant de 7,5 milliards US$, et ce alors que l'échéance accordée pour implémenter sur leur territoire les obligations imposées par l'ADPIC était loin d'être arrivée à son terme.[51] De leur coté, les États-Unis ont perçu entre 1991 et 2001, quelques 8 milliards US$ de royalties et droits de licence supplémentaires, versements principalement liés à des transactions commerciales sur leurs brevets.[52] Quel monde étrange que celui dans lequel nous vivons, dans lequel technologies et ressources coulent à flot, sans contrepartie, des pays pauvres vers les pays riches, alors que le flux inverse serait éminemment plus logique.</p> <p>Il n'était certes pas dans l'intention des savants de perpétuer cette inégalité, mais leur perception romantique du domaine public a pourtant contribué à la renforcer. Une vision romanesque, selon laquelle une ressource légalement accessible à tous peut être équitablement exploitée par tous, qui ne fait que camoufler les froides réalités d'un monde gouverné par l'inégalité. Et la métaphore d'un patrimoine public à l'eau de rose a des conséquences plus fâcheuses encore. Il justifie le fait de laisser les ressources génétiques et savoirs des pays en voie de développement dans la sphère publique ; pour un bénéfice universel de ce riche patrimoine ouvert à tous.</p> <p>[1]. Sally Engle Merry, Colonizing Hawai'i : The Cultural Power of Law 93 (2000).</p> <p>[2]. Id. at 93-94.</p> <p>[3]. Id. at 94.</p> <p>[4]. Id. at 95.</p> <p>[5]. Id. at 94.</p> <p>[6]. Id.</p> <p>[7]. Agreement on Trade-Related Aspects of Intellectual Property Rights, Apr. 15, 1994, art. 67, Marrakesh Agreement Establishing the World Trade Organization, Annex 1C, Legal Instruments— Results of the Uruguay Round vol. 31, 33 I.L.M. 81 (1984) [hereinafter TRIPS]. For an overview of TRIPS, see J.H. Reichman, Universal Minimum Standards of Intellectual Property Protection under the TRIPS Component of the WTO Agreement, 91 Int'l Law. 345 (1995).</p> <p>[8]. The text of the TRIPS treaty organizes three categories of development status : “developed,”“developing,” and “least developed” countries. TRIPS, supra note 82. We use the term “developing” to refer to the latter two categories.</p> <p>[9]. A. Samuel Oddi, The International Patent System and Third World Development : Reality or Myth ?, 1987 Duke L.J. 831, 843 n.61. [10]. Commission on Intellectual Property Rights, Integrating Intellectual Property Rights and Development Policy 22 (2002), <a href="http://www.iprcommission.org/graphic/documents/final_report.htm" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://www.iprcommission.org/graphi...</a> [hereinafter IPR Commission Report]. In the United States, by contrast, the corresponding figures for residents and nonresidents in 1998 were 80,292 and 67,228, an almost equal division of patent holders between the U.S. and the rest of the world. Id.</p> <p>[11]. Id. at 12. For a breakdown of United States patents by country of origin, see U.S. Patent & Trademark Office, Patent Counts by Country/State and Year, January 1, 1977 - December.31, 2001 (2002), at <a href="http://www.uspto.gov/web/offices/ac/ido/oeip/taf/cst_all.pdf" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://www.uspto.gov/web/offices/ac...</a> (last visited Sept. 2, 2004).</p> <p>[12]. IPR Commission Report, supra note 85, at 12.</p> <p>[13]. See World Bank, Global Economic Prospects and the Developing Countries 133 tbl.5.1 (2002) (providing data that illustrates imbalance in favor of the Western world), <a href="http://www.worldbank.org/prospects/gep2002/gep2002complete.pdf" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://www.worldbank.org/prospects/...</a> (last visited Sept. 2, 2004).</p> <p>[14]. Bayer Aspirin, 100 Years of Aspirin, at <a href="http://www.bayeraspirin.com/questions/hundred_aspirin.htm" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://www.bayeraspirin.com/questio...</a> (last visited Apr. 8, 2004).</p> <p>[15]. Folk medicine has long employed this ingredient ; as far back as 400 B.C., Hippocrates prescribed willow bark as a pain reliever in his medical tracts.</p> <p>[16]. For a description of the Journal of Ethnopharmacology, see Elsevier, at <a href="http://authors.elsevier.com/journaldetail.html?PubID=506035&Precis=DES" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://authors.elsevier.com/journal...</a> (last visited Aug. , 2004).</p> <p>[17]. Id.</p> <p>[18]. Id.</p> <p>[19]. Contrary to the dynamics of the neem patents, the editors of the Journal of Ethnopharmacology “[r]ecogniz[e] the sovereign rights of States over their natural resources,” and observe that “ethnopharmacologists are particularly concerned with local people's rights to further use and develop their autochthonous resources.” Id. at 91.</p> <p>[20]. Shayana Kadidal, Subject-Matter Imperialism ? Biodiversity, Foreign Prior Art and the Neem Patent Controversy, 37 IDEA 371, 371 (1997) (internal italics omitted).</p> <p>[21]. Id. at 372-73 (citations omitted).</p> <p>[22]. Vandana Shiva et al., The Enclosure and Recovery of the Commons : Biodiversity, Indigenous Knowledge and Intellectual Property Rights 47-50 (1997) (listing some of the U.S. patents on neem).</p> <p>[23]. See supra notes 84-87 and accompanying text. Assemblies of the Member States of WIPO, The Impact of the International Patent System on Developing Countries : A Study by Getachew Mengistie, Thirty-Ninth Series of Meetings, Geneva, at para. 1.1.2, WIPO Doc. No. A/39/13 Add.1, 6 (Aug. 15, 2003) (“In developing countries, the proportion of patent grants to foreigners tends to be much higher than patents granted to their own nationals.”)</p> <p>[24]. See Oddi, supra note 84, at 845.</p> <p>[25]. Paris Convention for the Protection of Industrial Property, Mar. 20, 1883, 13 U.S.T. 2, 828 U.N.T.S. 107.</p> <p>[26]. Berne Convention for the Protection of Literary and Artistic Works, Sept. 9, 1886, 102 Stat. 2853, 828 U.N.T.S. 221.</p> <p>[27]. For a discussion of the role of these conventions and of WIPO on international intellectual property protection, see Lawrence R. Helfer, Adjudicating Copyright Claims Under the TRIPS Agreement : The Case for a European Human Rights Analogy, 39 Harv. Int'l L.J. 357, 366-67 (1998).</p> <p>[28]. For example, at crucial times in its own history, the United States ignored the intellectual property claims of foreign states as it freely appropriated from the store of foreign creativity and knowledge. Cf. IPR Commission Report, supra note 85, at 18.</p> <p>[29]. J. H. Reichman, Universal Minimum Standards of Intellectual Property Protection Under the TRIPs Component of the WTO Agreement, in Intellectual Property and International Trade : The TRIPs Agreement 21, 29 (Carlos M. Correa & Abdulqawi A. Yusuf eds., 1998).</p> <p>[30]. Martin J. Adelman & Sonia Baldia, Prospects and Limits of the Patent Provision in the TRIPS Agreement : The Case of India, 29 Vand. J. Transnat'l L. 507, 510, 524-32 (1996) (describing how the lack of pharmaceutical patent protection in developing countries like India enabled developing countries to take advantage of technology developed elsewhere).</p> <p>[31]. TRIPS, supra note 82, at arts. 9-40.</p> <p>[32]. Christopher May, A Global Political Economy of Intellectual Property Rights 87 (2000).</p> <p>[33]. TRIPS, supra note 82, at arts. 65-66 ; see also World Trade Organization, Press Release, WTO Council approves LDC decision with additional waiver, <a href="http://www.wto.org/english/news_e/pres02_e/pr301_e.htm" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://www.wto.org/english/news_e/p...</a> (providing for an additional waiver for obligations of least developed countries until January 1, 2016).</p> <p>[34]. See supra note 83 for a description of classification system.</p> <p>[35]. WTO Appellate Body Report on TRIPS : India—Patent Protection for Pharmaceutical and Agricultural Chemical Products, AB-1997-5, WTO Doc. No. WT/DS50/AB/R (Dec. 19, 1997), <a href="http://www.wto.org/english/tratop_e/dispu_e/ab_reports_e.htm" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://www.wto.org/english/tratop_e...</a>.</p> <p>[36]. Id.</p> <p>[37]. J. H. Reichman, From Free Riders to Fair Followers : Global Competition Under the TRIPS Agreement, 29 N.Y.U. J. Int'l L. & Pol. 11, 16 (1996-97) (asserting that, with the perpetuation of the protectionist trend in developed countries, developing countries can create a competitive edge by adopting a pro-competitive strategy in implementing the minimum standards of TRIPS to become “fair followers in the worldwide quest for technical innovation”).</p> <p>[38]. The same is true, of course, of traditional knowledge and genetic resources in the developed world, but given their limited reach and resources it is unlikely that companies in the developing world would be the first to exploit such knowledge and resources.</p> <p>[39] World Development Report 2004 : Making Services Work for Poor People 252 (2003).</p> <p>[40]. Id.</p> <p>[41]. Id.</p> <p>[42]. See supra notes 1-6 and accompanying text.</p> <p>[43]. See Gardiner Harris & Joanna Slater, Bitter Pills : Drug Makers See ‘Branded Generics'Eating Into Profits, Wall St. J., Apr. 17, 2003, at A1.</p> <p>[44]. See supra notes 9-12 and accompanying text.</p> <p>[45]. See Nadia Natasha Seeratan, Comment, The Negative Impact of Intellectual Property Patent Rights on Developing Countries : An Examination of the Indian Pharmaceutical Industry, 3 Scholar 339, 378-79 (2001) (presenting the Western pharmaceutical industry's viewpoint that without strong patent protection developing countries would unfairly profit from the research done by developed countries).</p> <p>[46]. Id.</p> <p>[47]. Boyle, supra note 22, at 125.</p> <p>[48]. Id.</p> <p><i>Traduction : Laurent Vannini</i></p></div> <div class='rss_ps'><p>Cet article est un extrait de "la fable du domaine public", publié pour la première fois dans la <a href="http://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=562301" class='spip_out' rel='external'>Revue californienne de Droit</a> [Vol.92:1331 2004]</p> <p>Il est publié sous le régime des contrats Creative Commons.</p></div> « Il sema, les autres récoltèrent » : la guerre secrète du capital contre la vie et nos libertés http://vecam.org/article1083.html http://vecam.org/article1083.html 2009-01-11T16:38:51Z text/html fr Jean-Pierre Berlan vecam-F Connaissances en communs Knowledge Commons Sommaire/ContentsJean-Pierre Berlan, Ancien directeur de Recherche Inra Montpellier (France) Il n'est pas nécessaire d'être marxiste pour comprendre la règle de base de notre système d'économie capitaliste : la production commence par l'investissement d'argent pour acheter l'équipement, les matières premières, l'énergie etc. et pour louer des ouvriers pour produire une marchandise et enfin récupérer l'argent quand la vente de la marchandise termine le (...) - <a href="http://vecam.org/rubrique118.html" rel="directory">Connaissances en communs</a> / <a href="http://vecam.org/mot49.html" rel="tag">vecam-F</a> <div class='rss_chapo'><p><span style="float: right; width: 160px; margin: 0px 0px 15px 15px; border: 1px dotted #009999; padding: 8px; text-align: center; font-size: 0.8em;"><a href="http://vecam.org/article1075.html" title="Connaissances en communs - Knowledge Commons - Sommaire/ Contents" style="display: block">Connaissances en communs<br />Knowledge Commons<br />Sommaire/Contents</a></span><strong>Jean-Pierre Berlan</strong>,<span style="display: block; padding-left: 30px; font-style: italic;font-size: 0.9em"> Ancien directeur de Recherche Inra Montpellier (France)</span></p></div> <div class='rss_texte'><p>Il n'est pas nécessaire d'être marxiste pour comprendre la règle de base de notre système d'économie capitaliste : la production commence par l'investissement d'argent pour acheter l'équipement, les matières premières, l'énergie etc. et pour louer des ouvriers pour produire une marchandise et enfin récupérer l'argent quand la vente de la marchandise termine le processus. Un tel processus ne prend sens que si et seulement si le montant de l'argent reçu à la fin est plus élevé que le montant investi, à savoir s'il reste un profit. <i>Une entreprise n'existe que dans la mesure où elle produit des profits.</i></p> <p>La marchandise produite, que ce soit des automobiles, des pesticides, des armements, ou des médicaments etc., est simplement un moyen pour cette fin ; des millions de personnes sont récemment mortes de faim car il devenait beaucoup plus profitable de produire des nécro-fuels (les agro-carburants) que de la nourriture, mais pour le capital ces souffrances ne sont pas pertinentes. Non seulement ce qui est produit, mais où (Chine, Brésil ou Roumanie), par qui (par des travailleurs esclaves, des prisonniers ou par des travailleurs syndiqués), comment (dans un environnement sain ou toxique) et quand il est produit (la fraise en hiver ou en été), toutes ces questions sont non- pertinentes comme le sont les pollutions, l'épuisement des ressources naturelles, les dommages à l'environnement, la santé des travailleurs et des consommateurs, etc. Tout ceci, à cause de la compétition.</p> <p>Une bête aussi féroce peut seulement être maîtrisée pendant un temps limité. Les luttes sociales pendant les années 30 et la deuxième guerre mondiale imposèrent des contraintes qui furent rapidement brisées. Dans les années 80, l'idéologie libérale dénoua les chaînes de la bête qui devint de plus en plus libre de se déplacer à travers la planète entière à la recherche de nouvelles sources de profit. Ainsi une industrie de la semence, peu concentrée (à l'exception de la semence appelée « hybride ») dans un grand nombre de petites entreprise de reproducteurs fût concentrée dans l'autoproclamée "industrie scientifique de la vie", c'est-à-dire le cartel des entrepreneurs transnationaux des pesti<i>cides</i>, herbi<i>cides</i>, insecti<i>cides</i>, fongi<i>cides</i> — autrement dit "l'industrie scientifique de la mort".</p> <p>En bref, dans le monde des affaires, une entreprise produira <i>n'importe quoi ou même rien du tout, à condition que ce soit profitable.</i></p> <p>De ce point de vue, la Vie confronte le capitalisme à un problème difficile : les organismes vivants, les plantes ou les animaux, se reproduisent et se multiplient gratis, pour rien. Assurément, un certain nombre d'organismes vivants prennent même plaisir à se reproduire, ce qui fait que cette injustice de la Nature est doublement scandaleuse</p> <p>Aussi longtemps que le grain récolté est semé l'année suivante, les reproducteurs, les semenciers et leurs proches n'ont pas de marché qui vaille la peine. Pas de marché, pas de profit. Plus généralement aussi longtemps que les plantes et les animaux se reproduisent et se multiplient gratis dans le champ du fermier, aucun profit ne peut être fait. Ce fut reconnu il y a très longtemps, en fait dès qu'apparurent les premiers hommes d'affaires de ce secteur.</p> <p>« Prenez, par exemple, Ephraïm Bull, qui donna au monde le raisin Concord, variété standard maintenant cultivée dans des milliers d'exploitations vinicoles…Il créa de la richesse, du luxe, du rafraîchissement, et de la nourriture pour un très grand nombre…Ephraïm Bull mourût dans la pauvreté…à l'age de 89 ans, et les passants sont informés par l'épitaphe de la sobre dalle de sa tombe :</p> <p><strong>« Il sema, les autres récoltèrent »</strong></p> <p>La loi de la vie va à l'encontre de la loi du profit. La Vie, alors doit être fausse. C'est ceci que l'infâme technologie transgénique du « contrôle de l'expression du gène », surnommé Terminator par ses opposants, revéla en mars 1998 . Ses semences germent normalement, la plante croît normalement, ses fleurs comme ses grains se développent normalement et la plante produit une récolte normale — sauf qu'un dispositif transgénique a tué le germe de la graine. Si elle est semée, elle ne germera pas. Elle est stérile. Pour nous, Terminator — la stérilisation de la vie — apparaît comme le plus grand triomphe de deux siècles de reproduction de plantes et de génétique appliquée. <i>Ainsi c'est le véritable but que les éleveurs de plantes et d'animaux ont poursuivi avec constance</i>, depuis l'apparition des premiers éleveurs semenciers commerciaux , durant les dernières décades du XVIIIe siècle pour les animaux des fermes, et environ un siècle plus tard, pour les plantes.</p> <p>Pour ces dernières, la tâche était impressionnante. Elle impliqua de <i>séparer les composants de la vie, de séparer la production de la reproduction</i>. La première peut rester aux mains des fermiers, la seconde doit devenir le monopole des investisseurs reproducteurs. Cela signifie l'expropriation de la pratique fondatrice de l'agriculture, le semi des grains que l'on a récoltés. <i>Cela signifie la création d'un privilège sur la reproduction, au dépend non seulement des fermiers mais de la société tout entière.</i> La vie doit être « enclose » exactement comme l'avait été la terre commune en Angleterre, créant alors une nouvelle figure sociale révolutionnaire, le prolétaire libre, entièrement dépouillé de tout moyen de production, sauf de sa force de travail. Ce processus a laissé la place libre pour la révolution industrielle et pour le monde industriel d'aujourd'hui.</p> <p>Exproprier la vie est même un projet encore plus révolutionnaire. Il affectera toutes les dimensions de nos existences, l'économie, le social, le politique, le symbolique. Il séparera l'humanité d'elle-même. Notre déposition sera totale et notre aliénation absolue. Les fermiers furent la catégorie sociale la plus nombreuse ; ils ont été éliminés en quelques décades. C'est seulement par une habitude paresseuse que nous appelons leurs survivants "fermiers" car ils sont maintenant les simples rouages - les "technoserfs"- d'un immense complexe agro-industriel-financier. La vie qui était sacrée a été réduite à des brins ordinaires d'ADN.</p> <p>Jusqu'à récemment nul semencier/reproducteur pouvait déclarer : mon but est de stériliser la vie. Un tel objectif devait être soigneusement mis au secret pour être poursuivi. Un vocabulaire corrompu et trompeur devint le meilleur moyen de protéger le grand secret des reproducteurs et des généticiens agricoles. Si Terminator le révéla enfin c'est parce que "l'industrie scientifique de la mort" sentait qu'elle avait maintenant le poids politique suffisant pour exprimer son privilège sur la vie.</p> <p>Dans les pages suivantes je vais traiter deux questions : comment le système a organisé l'expropriation de la reproduction et comment son vocabulaire corrompu a masqué ses agissements.</p> <h3 class="spip">***</h3> <p>Les fermiers paysans cultivaient des variétés dans le sens original de "caractère d'être varié, diversité, le contraire de l'uniformité". En fait, dés 1880, les Vilmorin utilisaient en France indifféremment le mot "variété" et "race" pour décrire les meilleurs blés cultivés en France. Une variété de blé est faite de plantes qui partagent un certain nombre de caractères particulièrement visibles tels que la hauteur, la forme de l'épi, la couleur, la précocité etc.. Cela rend possible l'identification d'une série de plantes de variété X. ou Y. Mais si on regarde de plus près, à l'intérieur d'une telle variété il existe de grandes variations. C'est le cas pour les humains et pour les races animales.</p> <p>Les fermiers industriels cultivent aussi des "variétés". À présent la loi exige que de telles variétés soient homogènes (toutes les plantes d'une variété donnée doivent être identiques) et stables (les plantes doivent rester identiques à leur modèle originel). Il existe un troisième critère, la distinction : le clone A est distinct du clone B dans la mesure où toutes les plantes du clone A diffèrent des plantes du clone B, selon le même groupe de caractères. Toutes les variétés vendues dans les pays industriels doivent répondre aux trois critères de Distinction, Homogénéité, Stabilité ( DHS). La tâche d'un producteur de semences est de faire des copies exactes d'une plante telle qu'elle a été déposée auprès d'un organisme officiel, à savoir de la <i>cloner</i>. Les variétés modernes sont des clones – quel que soit leur mode de reproduction.</p> <p>Les fermiers industriels et bien sûr tout un chacun, donc aussi les scientifiques (qui habituellement sont extrêmement pointilleux sur la précision du vocabulaire) utilisent le mot « variété » pour désigner son exact contraire, les clones, c'est-à-dire un ensemble de plantes DHS. Je soutiens que cette confusion sémantique est délibérée. Car le terme de clonage rend lumineuses les force qui conduisirent la course séculaire de la reproduction et de la génétique agricole, depuis les clones homozygotes (la "ligne pure", les variétés en ligne directe du XIXe et XXe siècle (Partie I ci-après) jusqu'au clone hétérozygote (variété dénommée « hybride » du XX°) (Partie II), et les dénommés OGMs, c'est à dire les Clones Pesticides Chimériques Brevetés, ou CPCB du XXI°(Partie III). De même qu'un clic de souris change instantanément ce qui apparaît sur un écran d'ordinateur, le mot clone dissipera un siècle de confusion et de mystification en matière de reproduction et de génétique, particulièrement sur « l'hybridisation », la méthode de reproduction dominante du XXe siècle.</p> <p>Ainsi, dans cette perspective historique, Dolly. étend simplement aux mammifères ce que les semenciers et les généticiens ont fait ou tenté de faire aux plantes pendant deux cents ans. Comment peut-on expliquer cette longue dévotion vouée au clone par les semenciers et les généticiens ?</p> <p><strong>I - Le clonage homozygote ou la reproduction en ligne directe.</strong></p> <p>Au début du XIXe siècle, les gentlemen farmers anglais réalisèrent que leurs céréales, blé, orge et avoine se reproduisaient "true to type", c'est-à-dire que chaque plante gardait ses caractéristiques individuelles d'une génération à la suivante. Ils n'avaient pas d'explication de ce phénomène mais cela ne les empêcha pas de l'utiliser. Quand ils découvraient une plante naturellement originale (isolée) qui semblait porter quelque caractère intéressant, ils la cultivaient et la multipliaient, c'est-à-dire qu'ils la clonaient. Si ce clone confirmait ses qualités, ils le cultivaient année après année.</p> <p>La seconde phase du développement de la méthode débuta en 1831 lorsque John Le Couteur, gentleman farmer de Jersey, emmena son visiteur, le botaniste espagnol Mariano La Gasca dans ses champs de blé. La Gasca souligna que le champ, que Le Couteur considérait comme d'une "pureté tolérable", était en fait un mélange de vingt trois sortes de blé. Plus tard Le Couteur., investiguant ses champs isola des plantes prometteuses très rares — avec un ensemble de caractères favorables (racine, tige, épi, couleur, tenue). Il les cultiva une à une et les multiplia - les clona- et finalement sélectionna les meilleures d'entre elles. La Gasca et Le Couteur inventèrent ainsi la technique moderne d'amélioration de la reproduction : le clonage.</p> <p>Nous devons noter ici que cette amélioration prend deux voies : a) la sélection visuelle (leur isolement) de plantes très rares possédant un ensemble de caractères favorables ; et b) la sélection des meilleurs clones parmi les clones extraits de la variété.</p> <p>Trois raisons expliquent cette dévotion au clonage vieille de deux siècles</p> <p><img src="http://vecam.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-1d287.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> la première raison est sa logique. Il y aura toujours un gain (quel que soit le critère choisi) à remplacer une variété "d'une chose donnée" par des copies de la meilleure des choses extraites (ou par une copie de quelque chose de supérieur à la moyenne de cette variété d'une chose) d'une variété donnée. Cette logique a une conséquence extrêmement importante : <i>l'amélioration par clonage est indépendante du système de reproduction d'un organisme</i>. Le reproducteur doit être capable d'extraire des clones supérieurs d'une variété donnée. Ceci apparaît tautologique à ce stade, mais cette évidence, comme nous le verrons plus loin, s'oppose à un siècle d'enseignements en génétique. Par conséquent <i>tout essai de justifier la reproduction par clonage par des considérations biologiques ou par quelque considération que ce soit cache un certain type de malhonnêteté ou d'escroquerie.</i></p> <p>Je dois ajouter que ce qui est inéluctable <i>logiquement</i> peut être faux <i>bio-logiquement</i>. Les fermiers agriculteurs ont été de plus en plus rejoints par des fermiers plus éclairés, des agronomes et des biologistes redécouvrant l'importance de la<i> diversité biologique</i>. En outre, il est évident qu'une telle méthode, le clonage, contribue à la destruction de la biodiversité. Des critiques se sont concentrées sur la monoculture industrielle tout en ignorant que notre monoculture industrielle est monoclonale. Il est probable que l'usage du mot variété au lieu de clone a contribué et contribue encore à retarder la reconnaissance du danger majeur du clonage pour la diversité.</p> <p><img src="http://vecam.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-1d287.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> la seconde raison est que la révolution industrielle ne s'est pas limitée au charbon, aux machines à vapeur, au textile, à l'acier, aux chemins de fer, et que ce qui fût un modèle pour toutes les activités y compris l'agriculture. Les gentlemen farmers étaient Ricardiens ; ils partageaient les valeurs implicites de la révolution industrielle, la manière de produire des produits de manière normalisée, standardisée, homogène et stable dans le temps, pour des marchés anonymes et lointains.</p> <p><img src="http://vecam.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-1d287.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> La troisième raison concerne les droits de propriété. Ces fermiers Ricardiens étaient intéressés à l'augmentation du profit de leur domaine. Ils comprirent plus tard que la reproduction pouvait être une source directe d'immenses profits, dans la seconde partie du XIXe siècle. Avec quelque sagesse, le lien entre l'uniformité industrielle et les droits de propriété est évident. Aucun droit de propriété ne peut être défini sur une variété car elle est hétérogène et changeante ou instable. Un clone est homogène et stable dans le temps. Il suffit de le décrire avec assez de détail pour distinguer un clone d'un autre. Dans les dernières années 1920, les reproducteurs de céréales français (essentiellement du blé) adoptèrent les trois critères D. H. S. pour organiser le premier système de droits de propriété sur les plantes.</p> <p>Deux observations peuvent être faites sur ces critères ; premièrement, ils décrivent les étapes de la reproduction de céréales de petits grains (autogames) : le <i>croisement</i> de deux plantes ayant des caractères complémentaires qui, lorsqu'ils se trouvent ensemble dans la plante la distinguent des autres plantes, et la <i>sélection</i> de ces caractères présents dans les générations successives issues du croisement, jusqu'à atteindre l'homogénéité et la stabilité globale désirée. En deux mots, le D. H. S. donna une base légale à la méthode de clonage de La Gascia/Le Couteur. - et de fait, de tels droits mirent hors-la-loi les variétés. Seuls des clones pouvaient être offertes à la vente. Deuxièmement, de tels droits de propriété étaient dirigés contre des semenciers vendant des clones de leurs compétiteurs sous un nom différent. À cette époque, nul n'était sûr de ce qui était négocié. <i>Du point de vue d'un marché anonyme,</i> il était légitime de définir exactement ce qui était vendu. En 1961 les six pays fondateurs du Marché Commun adoptèrent le système des droits du reproducteur avec le traité de l'Union pour la Protection des Obtentions Végétales (UPOV). À présent soixante pays l'ont adopté mais il est actuellement menacé par des brevets qui non seulement protègent un reproducteur de la compétition des autres semenciers mais met fin au dénommé "privilège du fermier".</p> <p>Le privilège du fermier désigna l'usage du grain récolté comme semence pour l'année suivante. C'est sur lui que fut fondée l'agriculture. De manière surprenante, ni les "landlords" de l'ancien régime, ni nos actuels "moneylords" capitalistes ne tentèrent de détruire ce privilège permettant à des paysans de développer lors récolte par eux-mêmes.</p> <p>Si bien que "l'industrie scientifique de la mort » et ses alliés dénoncent un inexistant privilège du fermier dans le but de détruire le privilège de reproduction des plantes et des animaux ! Et cette demande est faite au nom du "libre" marché », du libéralisme — encore une imposture.</p> <p><strong>II – Vingtième siècle ; le clonage hétérozygote </strong></p> <p>Les producteurs du XIXe siècle inventèrent le clonage pour des plantes à transmission directe, telles que le blé, l'orge ou l'avoine. Les éleveurs du XXe siècle s'efforcèrent d'appliquer la même méthode à des plantes qui n'ont pas cette caractéristique, à des plantes qui perdent leurs caractères individuels au cours de leur développement. Comme les mammifères, elles sont à fertilisation croisée ; on les appelle plantes hétérozygotes. Avec une conséquence évidente : les fermiers auront à acheter de nouveau leurs semences chaque année.</p> <p>Au début du XXe siècle, en 1908, George Shull découvre, aux États-Unis, une méthode pour extraire des clones de variétés de maïs, basée sur une redécouverte nouvelle des lois de Mendel. La route vers le succès commercial fut longue, tortueuse, avec des retours en arrière et elle nécessita une intervention décisive (rappelant la démarche de Lissenko) de l'État pour imposer, en février 1922, le clonage aux reproducteurs traditionnels de maïs qui se montraient récalcitrants. La mobilisation de la recherche publique et de larges dépenses publiques en faveur de la nouvelle technique de reproduction s'imposa finalement : au milieu des années 30, les reproducteurs avaient réussi à extraire des clones qui étaient nettement meilleurs que les variétés fermières non sélectionnées dont elles étaient issues.</p> <p>Dans ce qui suit, je ne vais pas me livrer à la riche hagiographie qui sous le terme trompeur de céréales « hybrides » et « d'hybridization » célébra de manière extravagante le triomphe de cette méthode de clonage mais je vais me concentrer sur ce qui est la mystification scientifique la plus persistante, la plus lucrative, la plus subtile du XXe siècle. Elle est d'autant plus brillante qu'elle repose sur un léger glissement de vocabulaire, l'usage de l'expression « hybride » plutôt que « clone » ou quelque chose d'équivalent, à la manière de la "ligne pure" de Le Couteur. Ce fût suffisant pour égarer les reproducteurs et les généticiens de l'agriculture pendant un siècle dans le trou noir des mystères de l'hybridité, de la vigueur de l'hybride, de l'héterosis, de la dominance, de la sur-dominance, de la pseudo- surdominance, de l'epistasy…et ainsi de suite</p> <p>Nous avons vu que la reproduction par clonage est basée sur un inéluctable principe logique. Les variétés de maïs développées dans la Corn-Belt montraient depuis les années 30 de très larges variations individuelles. Appliquer le principe de la méthode d'isolation et de clonage de La Gasca/ Le Couteur pouvait avoir du sens. Ce ne fut pas le choix de Shull dans son article séminal de1908.</p> <p>La théorisation de Shull est que le maïs étant une espèce à fertilisation croisée, un champ de maïs est composé d'hybrides complexes. Son expérience avec des céréales lui avait montré que la self-fertilisation réduit la vigueur de la céréale (c'est la "détérioration") et que croiser (hybridiser) des plants de céréales self-fertilisées restaure cette vigueur. Selon les lois de Mendel, chaque self- fertilisation diminue de moitié le pourcentage de gènes à l'état hétérozygote, c'est-à-dire diminue de moitié l'hybridité ou l'hétérozygotité du maïs, alors que le croisement restaure l'hybridité. De cette corrélation, Scull sauta sur la conclusion que l'hybridité est la cause de la vigueur. La tâche de l'éleveur est alors de garder le maïs à son plus haut état possible d'hybridité et la seule méthode pour ce faire, et donc pour développer la céréale, est la technique d'hybridisation des céréales - argument imparable en faveur de son invention.</p> <p>Si Shull avait été un scientifique honnête il aurait parlé dans les termes de la méthode de clonage antérieure, et en exposant sa manière mendelienne d'étendre cette dernière au maïs, chacun aurait pu se rendre compte qu'il était improbable qu'elle délivre autre chose que des gains improbables.</p> <p>Nous avons vu que l'amélioration apportée par la méthode antérieure de clonage (isolation) est issue de deux sources : la sélection visuelle des plantes rares, et la sélection de leurs meilleurs clones. La méthode de Shull élimine la phase de sélection visuelle et c'est comme si le reproducteur entrait dans le champ de maïs avec des œillères et prenait au hasard quelques plants de maïs, comme futurs clones. Les chances d'extraire, par une telle méthode, un clone supérieur d'une variété de maïs donnée sont nulles.</p> <p>Si les clones de Shull ne peuvent pas améliorer le maïs, que peuvent-ils améliorer ? Le profit du reproducteur. Le plant de maïs est le résultat d'un croisement. Comme un mammifère, il a, pourrait-on dire, une mère qui diffère de son père. Une telle plante ne peut pas garder ses caractères individuels d'une génération à l'autre, qu'elle soit cross-fertilisée ou self- fertilisée. Si un clone a été sélectionné pour ses qualités exceptionnelles, ses rejetons ne garderont pas ses qualités sélectionnées. Ainsi, s'exprime Shull : « quand le fermier veut dupliquer le résultat splendide qu'il a obtenu une année donnée avec un maïs hybride, son seul recours est de retourner chez le même semencier dont il avait acquis le produit l'année précédente et d'obtenir de nouveau la même combinaison hybride » La méthode de clonage de Shull ne conduit pas à l'amélioration du maïs pour les fermiers, mais à créer un droit de propriété pour les semenciers. Il est tourné contre les fermiers. C'est le premier Terminator.</p> <p>Nous devons nous arrêter ici pour méditer sur la crédulité de la communauté scientifique dans son entier, des biologistes, des agronomes, des sociologues, et des économistes, quand ils se tournent vers la génétique. Comment chacun a pu se tromper en pensant que l'amélioration du maïs passait par la non-reproduction dans le champ du fermier ? Comment se fait-il qu'aucun biologiste n'ait suspecté une supercherie ? La reproduction n'est-elle pas le caractère fondamental de la vie ? Au moins, les fermiers l'ont suspectée : ils ont surnommé la céréale "terminale" révolutionnaire « la céréale mule » (la mule est stérile). Mais comme ces clones produisaient plus que leurs variétés non sélectionnées, ils n'eurent pas d'autres choix. Qui peut croire qu'une céréale terminale peut aider les fermiers et servir le bien-être de l'humanité ? Certains économistes orthodoxes ont défendu cette idée. Mais ce n'est pas seulement une affaire de crédulité. C'est aussi une affaire de pouvoir ; avec, dans un camp, tout un arsenal institutionnel, économique, scientifique, idéologique et politique. C'est aussi une question de dévotion à la méthode scientifique cartésienne comme nous avons vu plus haut. Les quelques voix qui s'opposèrent furent traitées « d'obscurantistes ». Ceci va se reproduire avec les OGMs</p> <p><strong>III - Le XXIe siècle : un nouveau tour de mystification, les OGM</strong></p> <p>Les dénommés Organismes Génétiquement Modifiés poursuivent le processus séculaire d'industrialisation de l'agriculture et de la privatisation de la vie ; ils introduisent une forme nouvelle et irréversible de pollution, la pollution génétique, accélérant ainsi le rythme de destruction de la biodiversité, rendant impossible tout retour en arrière et achevant le processus historique de notre dépossession. L'orientation vers le profit et le contrôle social prend place, comme d'habitude, derrière un écran de fumée philanthropique — lutter contre la faim, soigner les maladies, protéger l'environnement, dépolluer les rivières etc.. Comme il est de coutume, deux armes opèrent derrière l'écran de fumée : la corruption du vocabulaire et une puissante idéologie scientifique, le DNA</p> <p><strong>Corruption du vocabulaire</strong></p> <p>Tous les organismes vivants étant constamment génétiquement modifiés, le terme OGM a une signification réduite. Il a été choisi pour éviter le terme de "chimère" qui était utilisé par les scientifiques au début de l'ère transgénique. La biologie cellulaire définit une chimère comme un organisme composé de deux types de cellules génétiquement distinctes. Dans un organisme transgénique, une construction de gêne venant de différentes espèces, genres, royaumes, a été ajoutée à l'organisme de base. Les plantes transgéniques par exemple portent à un gène "promoteur" (dans la majorité des cas le gène du virus mosaïque du chou-fleur ), un gène provenant de n'importe quel type d'organisme (insecte, mammifère, virus, plante, poisson, homme etc.) conférant un caractère ou une fonction particulière et un gène "marqueur" (initialement, un gène de bactéries conférant une résistance antibiotique) permettant de trier les cellules qui ont été transformées. Le terme de "chimère génétique" désigne alors exactement une construction artificielle comprenant des gènes d'origines variées. Mais d'un point de vue marketing, chimère génétique n'aurait pas été présentable, d'autant plus que les consommateurs sont particulièrement méfiants quand il s'agit de nourriture. Monsanto proposa ou plutôt imposa le terme OGM (GMO en anglais). Le fait que l'immense majorité des biologistes accepta de sacrifier la précision scientifique au marketing en dit long sur la marchandisation de la biologie.</p> <p>Une expression plus précise pour désigner les plantes O G. M. aurait été Clones Pesticides Chimériques Brevetés, ou CPCB. De tels plantes sont maintenant cultivées sur quelques 100 millions d'hectares, et sont comme d'habitude, des clones. Plus de 99 % des plantes CPCB étant actuellement cultivées sont soit insecticides, soit tolérantes à l'herbicide, ou les deux ; le terme pesticide n'a pas besoin d'explication. Même Nicolas Sarkozy, le président français, a exprimé des critiques vis-à-vis des plantes pesticides, mais son gouvernement est encore en train d'essayer de les glisser furtivement dans l'agriculture française</p> <p>L'adjectif de chimérique a été expliqué plus haut. Le dernier terme "breveté" rend compte des développements légaux récents : en Amérique du Nord ; cela signifie que le fermier ne peut plus semer le grain qu'il a récolté, ni l'échanger avec ses voisins comme semence. Les plantes brevetées deviennent des "Terminators par la loi", sans les coûts, les tracas, et l'incertitude des solutions biologiques telles que l'hybridisation ou le Terminator biologique. En Europe, la directive 98/44 sur le "brevetage des inventions biotechnologiques" prépare la fin du "privilège du fermier" au nom du libéralisme ! Ainsi l'expression CPCB désigne précisément ce que la science et l'industrie de la mort et ses bio-techniciens essaient de pousser à l'achat. Une seule compagnie, Monsanto, détient quelque 90 % du marché et est devenue le fer de lance du gouvernement américain pour s'assurer, grâce aux brevets génétiques, le monopole sur la vie et le contrôle sur l'offre de nourriture à l'échelle du monde.</p> <p><strong>L'idéologie de l'ADN</strong></p> <p>L'écran de fumée de l'ADN est difficile à dissiper non seulement parce que les scientifiques mais aussi chacun de nous est enfermé dans un point de vue sur le monde mécanique, réductionniste et déterministe, si bien exprimé par Descartes il y a quatre siècles. C'est ainsi que la propagande sur les biotechnologies résolvant les problèmes de faim et de maladies de l'humanité sont écoutées avec autant d'angoisse et de crédulité.</p> <p>La découverte de la structure de la double hélice de (1953), ouvrit le défi de la compréhension du code génétique. En 1957/58, Crick formula deux hypothèses qui simplifièrent la tâche : "l'hypothèse de la séquence" et le "dogme central" : un gène (une séquence de nucléotides) détermine exactement et de manière univoque la séquence des acides aminés d'une protéine. Le diagramme gène => protéine, où la flèche va du gène à la protéine encapsule le paradigme de la biologie moléculaire</p> <p>Paradoxalement, le triomphe de l'élucidation du code génétique à la fin des années 60 eût plusieurs conséquences perverses. En premier lieu, puisque les hypothèses de Crick fonctionnaient, la quasi-totalité des acteurs conclurent qu'elles étaient vraies. Et ceci malgré un éditorial plus récent de la revue Nature notant une "sur-simplification considérable" de la réalité. Deuxièmement, il enferma l'ADN dans l'image de" molécule de la vie", le "code des codes" dont procède la vie comme la Création procède du Créateur. La doctrine de l'ADN devenait une idéologie Troisièmement la tâche restant aux biologistes était de déchiffrer, de "séquencer" le « livre de la vie » (le génome) du plus grand nombre d'organismes possible. La biologie devint une question d'organisation industrielle, d'investissement, de finance, de marketing, de division du travail, de propagande. Des biologistes de haut niveau se transformaient en entrepreneurs et en propagandistes et leurs laboratoires furent intégrés dans des firmes. Quatrièmement la première manipulation génétique, en 1973, ouvrit l'ère de la "Biotech". Après l'apaisement des premiers tracas, un nouvel Eldorado apparût à portée de main puisque de nombreux gènes disponibles rendaient possible la production de protéines et des fonctions correspondantes. La faim et les maladies deviendraient des fléaux du passé. Cinquièmement, puisque les gènes étaient des entités définies produisant des protéines bien définies, ils pouvaient être brevetés. De cette euphorie scientifique et financière naquit le projet Génome Humain. Au sommet de déclarations dithyrambiques, on trouve celle de W. Gilbert, lauréat du prix Nobel : "nous saurons ce que c'est que d' être humain"</p> <p>Un important dirigeant de la firme DuPont déclara en 1999 devant le Sénat américain : l'ADN (les molécules du top management) dirige la formation de l'ARN (les molécules du middle management) qui dirigent la formation des protéines (les molécules ouvrières). Après tout, dans un temps de capitalisme triomphant, il ne devait pas être surprenant que la Vie elle-même soit une entreprise capitaliste.</p> <p>Hélas la célébration mondiale extravagante du séquençage du génome humain ne pouvait pas cacher que "la bulle avait explosé" : l'espèce humaine détient environ 30 000 gènes (sans doute plus, pense-t-on aujourd'hui) et de 3 à 10 fois plus de protéines. Aussi un mécanisme précis de transfert d'informations de l'ADN vers les protéines n'existe pas. Le "splicing" alternatif — la possibilité pour un gène d'être impliqué dans la fabrication de plusieurs protéines —, bien documentée au début des années 80, apparut comme la règle. Beaucoup d'autres "anomalies" mettent en question le paradigme moléculaire biologique. Elles furent et sont encore largement ignorées. Les développements technologiques se poursuivent sans discontinuer tandis que la fondation scientifique qui les rend possibles a disparu. C'est une situation menaçante. Il ne semble pas que l'expérience passée du nucléaire ait enseigné quoi que ce soit. Le seul espoir est que l'opinion publique en Europe et ailleurs s'organise pour stopper le mouvement Biotech avant qu'il ne soit trop tard et impose une approche raisonnable de l'agriculture et de la nourriture.</p> <h3 class="spip">***</h3> <p>La courte histoire de la reproduction industrielle révèle que les reproducteurs et les généticiens se sont constamment trompés eux-mêmes, tout en nous trompant, sans jamais décevoir les intérêts qu'ils avaient à servir. Tel est le rôle de la science. D'importants aspects de la biologie, appliquée et théorique, émergent au sein du capitalisme industriel : l'orientation vers la marchandisation de l'hérédité et du contrôle social, mystifiée par des construits scientifiques basés sur un usage systématique d'un vocabulaire Orwellien corrompu ; la réduction drastique de nos libertés dans la continuité historique des « enclosures » de la vie par des brevets ; la Vie mise à disposition de l'industrie scientifique de la mort ; le déni de démocratie consistant à prendre des décisions s'appuyant "sur la science solide" (à savoir la science concoctée par l'industrie scientifique de la mort, telle que la souhaite le gouvernement US, les compagnies internationales et nos élites complaisantes) ; tout ceci ayant lieu dans une ruine générale des sols, des mers, des eaux fraîches, de la biodiversité et de la santé. J'ai peu de doute que ceci soit également vrai pour la plupart, sinon tous, les champs scientifiques sous le régime du capitalisme industriel.</p> <p>L'idée qu'un autre savoir scientifique peut être développé a été ridiculisée pendant des décades. Et ceci pour une fausse raison : la science prolétaire et la science bourgeoise furent essentiellement la même, poursuivant le même but de domination de la Nature et de mise en esclavage des humains. Comme Hannah Arendt l'a montré, l'entreprise scientifique se tient, par nature, en dehors de notre humanité. Ainsi poursuit-elle sa course, aveugle à ses conséquences destructives. Son entreprise a trait à des entités qui n'appartiennent pas au monde qui nous a formés comme humains, et pour ce faire, elle utilise un langage spécial, les mathématiques. Pour prendre un exemple : plusieurs paradoxes d'Enstein ne sont compréhensibles qu'avec la langue mathématique. Mais Hannah Arendt néglige le fait que les scientifiques ont à résoudre des problèmes de la société dans lequel ils vivent. Ils sont partie prenante de cette société et, comme tels, sont soumis à sa structure de pouvoir. Que sont alors des problèmes de société, sinon des problèmes que rencontre la classe dominante. Les problèmes que les scientifiques ont à résoudre sont des problèmes que la classe dominante veut voir résolus. Par des solutions qui accroissent ses profits et le contrôle qu'elle exerce sur la société, non pas qui accroissent notre autonomie et nos libertés. Ainsi, je ne connais pas d'innovations importantes qui ne soient pas reliées au militaire.</p> <p>En dépit de l'argument d'Hannah Arendt, je pense qu'une autre science est possible, une science qui ne servirait pas la classe dominante mais qui renforcerait nos libertés et notre autonomie. Je définirais celle-ci comme agronomie ou agro-écologie : la science et l'art de la coopération amicale avec la Nature pour que celle-ci produise gratuitement, pour nous libérer de ce que notre complexe agro-industriel capitaliste fait avec les intrants basés sur le pétrole, les fertilisants, l'irrigation, les pesticides, machinerie qui est économiquement, socialement et sur le plan environnemental, ruineuse.</p></div> Vol de semences du maïs en son berceau d'origine et de diversité génétique http://vecam.org/article1081.html http://vecam.org/article1081.html 2009-01-03T18:37:58Z text/html fr Adelita San Vicente Tello, Areli Carreón Connaissances en communs Knowledge Commons Sommaire/ContentsAdelita San Vicente Tello,Ingenieur agronome, Directrice de la Fundación Semillas de Vida, A.C. México Areli Carreón, Etudiant Post-Doc en Développement Rural, UAM-Xochimilco, México. « C'est seulement pour Notre Nourriture « le maïs » que la terre subsiste, que notre planète vit, que nous peuplons le monde. En vérité, le maïs, Tonacayotl, est le bien précieux de notre être » Códice Florentino Les semences sont à la fois commencement et fin. (...) - <a href="http://vecam.org/rubrique118.html" rel="directory">Connaissances en communs</a> <div class='rss_chapo'><p><span style="float: right; width: 160px; margin: 0px 0px 15px 15px; border: 1px dotted #009999; padding: 8px; text-align: center; font-size: 0.8em;"><a href="http://vecam.org/article1075.html" title="Connaissances en communs - Knowledge Commons - Sommaire/ Contents" style="display: block">Connaissances en communs<br />Knowledge Commons<br />Sommaire/Contents</a></span><strong>Adelita San Vicente Tello</strong>,<span style="display: block; padding-left: 30px; font-style: italic;font-size: 0.9em">Ingenieur agronome, Directrice de la Fundación Semillas de Vida, A.C. México</span></p> <p><strong>Areli Carreón</strong>, <span style="display: block; padding-left: 30px; font-style: italic;font-size: 0.9em">Etudiant Post-Doc en Développement Rural, UAM-Xochimilco, México.</span></p></div> <div class='rss_texte'><p><i>« C'est seulement pour Notre Nourriture « le maïs » que la terre subsiste, que notre planète vit, que nous peuplons le monde. En vérité, le maïs, Tonacayotl, est le bien précieux de notre être » <strong>Códice Florentino</strong> </i></p> <p>Les semences sont à la fois commencement et fin. Elles constituent le premier maillon de la chaîne des aliments ; elles sont mises en terre pour initier le cycle agricole et sont le principal moyen de production en agriculture. Puis elles fournissent une source importante d'aliments, de boissons, de textile et d'huiles ; presque tous les hydrates de carbone que consomme l'humanité proviennent de graines qui, à leur tour, deviennent semences.</p> <p>Les semences ont joué un rôle central dans l'histoire des femmes et des hommes. Un rôle que l'on retrouve dans de multiples expressions culturelles à travers le monde. Les semences sont parfois devenues un objet de culte. Du fait de leur valeur symbolique certains peuples méso-américains les considèrent comme une monnaie, à laquelle est attribuée une valeur d'échange.</p> <p>En tant qu'intrant élémentaire de l'agriculture et réservoir d'information génétique, la semence a été objet de multiples transformations technologiques, depuis sa sélection, son amélioration jusqu'à sa manipulation génétique. Les processus technologiques liés à la semence ont rendu possibles de grandes transformations de l'humanité : sa sédentarisation, la croissance de la production avec la Révolution verte, et maintenant ce qui se targue d'être une nouvelle révolution : la transformation génétique qui vise le contrôle monopolistique de la production des aliments.</p> <p>Tout au long du XIXe siècle, l'évolution du secteur rural a amené une concentration des terres considérées comme le principal moyen de production, puis peu à peu les intrants ont pris une importance croissante. Au XXe siècle la Révolution verte a permis d'augmenter de manière inégalée la production d'aliments dans le monde.</p> <p>En parallèle de cette évolution technologique, c'est la conception même du statut économique de la semence qui a été bouleversée : jusque là considérée comme une ressource d'usage commun par excellence, elle a été convertie en un bien puissamment convoité. Elle est entrée de plain-pied dans le marché, acquérant le caractère de marchandise, soumise à une claire tendance à la privatisation. Le passage de la semence d'une ressource à usage commun à une marchandise a été rendu possible par un processus d'« encerclement » : celui-ci s'est établi moyennant trois mécanismes de contrôle, dont le but ultime est de limiter ou d'éliminer l'autosuffisance indigène, paysanne et locale dans la production des aliments.</p> <p>À l'évidence, le premier de ces mécanismes consiste à imposer des technologies, afin de s'approprier de façon privilégiée les caractéristiques des semences et la connaissance traditionnelle qui leur est liée. Le second mécanisme de contrôle est l'établissement d'un statut légal : il a contribué à transformer la semence d'un bien sans propriétaire en une propriété, grâce à un cadre juridique de niveau international et national, qui permet de les enregistrer, les certifier et les breveter. Le cercle se referme, avec un troisième mécanisme, celui porté par les politiques en matière de production agricole, politiques qui ont permis le renforcement et la concentration des entreprises de semences transnationales, au détriment de l'autonomie productive des petits producteurs agricoles.</p> <p>Ceci apparait clairement lorsque l'on examine les profits réalisés ces dernières années par les multinationales semencières dans le monde et leur forte concentration. Il y a vingt ans existaient des milliers d'entreprises qui vendaient des semences, la majorité d'entre elles étant des petits commerces familiaux. Après plusieurs décades de fusions et d'acquisitions, seule subsiste une poignée de grandes entreprises qui gèrent les semences commerciales, en particulier dans les secteurs industriels du maïs et du soja. Dans le cas du maïs, « <i>quatre entreprises – Monsanto, Dupont, Syngenta et Dow – contrôlent plus des trois-quarts du marché mondial des semences, à l'exclusion de la Chine. Ces mêmes entreprises possèdent la majorité des brevets en agrobiotechnologies</i> » (Groupe ETC, 2003 et 2007).</p> <p>Actuellement, et alors que le monde entier subit une hausse des prix des aliments, nous pouvons constater le pouvoir et le rôle de ces entreprises : « <i>Monsanto, le géant étatsunien, augmente pour la troisième fois cette année ses prévisions de profit pour l'année fiscale qui se termine le 31 août, grâce à la forte demande sur les semences</i> » (El Tiempo, 2008).</p> <p>Le Mexique illustre parfaitement cette transformation : il est le berceau originel et le centre de la diversité génétique du maïs, ce dernier constituant son principal produit agricole, et la base de son alimentation. Étant donné l'importance globale du maïs comme <i>commodity</i> aux usages multiples, les convoitises pour contrôler cette plante, considérée comme sacrée par les Mexicains, sont multiples.</p> <h3 class="spip">Le maïs menacé dans son berceau d'origine</h3> <p>Plus de 15 % des espèces de plantes consommées dans le monde sont originaires du Mexique (Quintero, 2000). Cette grande diversité biologique n'est pas le fruit du hasard : « <i>son existence est le résultat de siècles d'interaction profonde avec les peuples indigènes qui habitent le territoire mexicain</i> » (Toledo, 1977 :133).</p> <p>Le maïs est indissociable du Mexique ; c'est la raison pour laquelle au cours des dernières années a été lancée une campagne pour la défense de la souveraineté alimentaire intitulée : <i>Sin maiz no hay pais</i> (Sans maïs, pas de pays). Cette phrase résume l'importance de cette culture pour les Mexicains, en termes économiques, alimentaires, mais surtout comme référent identitaire. Les manifestations culturelles et religieuses, célébrées par de nombreux peuples mexicains, sont régies par l'activité agricole et centrées sur le maïs.</p> <p>Quand le poète Octavio Paz déclare que le maïs est une invention humaine aussi importante que la découverte du feu, il se réfère à la manipulation technologique de la production de maïs développée par les anciens habitants d'Amérique Centrale. Le maïs est le fruit du travail de sélection qu'ont développé les paysans centre-américains depuis plus de 7000 années, à partir d'une plante sylvestre appelée <i>Teocintle</i>. Dans cette histoire qui lie étroitement le genre humain et le maïs, le mythe dit que « <i>l'union pénétra jusqu'à l'intimité moléculaire du maïs jusqu'à le rendre plus utile pour l'homme</i> » (Lopez Austin, 2003 :29)</p> <p>Après la conquête espagnole, la culture du maïs s'est répandue rapidement à travers le monde, grâce à sa grande capacité d'adaptation à différentes conditions climatiques : le maïs croît depuis le niveau de la mer jusqu'à 3000 mètres d'altitude.</p> <p>À la fin de la seconde guerre mondiale, l'humanité est confrontée au défi d'une augmentation massive de la production des aliments ; s'engage alors un processus de modernisation rurale, au cours duquel on développe un modèle de production industrielle basée sur ce qui fût appelé la <i>Révolution verte</i>. Ce changement technologique a impliqué « <i>l'introduction d'un ensemble déterminé de pratiques et d'intrants nécessaires à l'exploitation du potentiel de rendement élevé dont on dota, via la recherche génétique, de nouvelles variétés de graines alimentaires</i> » (Hewitt, 1978 :12).</p> <p>En 1941, le Mexique et les États-Unis débutèrent des négociations autour d'un plan d'après-guerre en faveur du développement économique du Mexique, dans lequel s'inscrivait le projet de <i>Révolution verte</i>. Les États-Unis avaient entre temps réalisé d'importantes avancées dans l'augmentation du rendement, en conjuguant les applications d'une part des lois de Mendel sur l'hybridation sexuelle et l'amélioration des plantes de culture et d'autre part des pratiques agricoles, basées sur l'agrochimie et la mécanisation (Ianez, 2002). Norman Borlaug, considéré comme le père de la<i> Révolution verte</i> et pour laquelle il reçut le Prix Nobel de la Paix en 1970, partit travailler au Mexique en 1944 dans le cadre d'un nouveau programme de la <i>Fondation Rockefeller</i> dont l'objectif était d'aider les agriculteurs pauvres du Mexique à augmenter leur production de blé (ActionBioscience, 2002).</p> <p>Lorsqu'ils arrivent au Mexique, les chercheurs nord-américains sont stupéfaits par la diversité du plasma germinal du maïs. Certains chercheurs, comme le Dr. Sauer de l'Université de Californie, adoptèrent une attitude clairement critique et lancèrent un avertissement : « <i>un groupe entreprenant d'agronomes et d'obtenteurs de plantes en provenance des États-Unis, en proposant leurs variétés commerciales nord-américaines, pourrait ruiner à jamais les ressources nationales du Mexique </i> » (Hernandez X, 1998 :127).</p> <p>En 1943, toujours avec l'appui de la <i>Fondation Rockefeller</i>, fut institué au Mexique un <i>Office des Études Spéciales</i> (OEE), unité de recherche au sein du <i>Secrétariat de l'Agricultur</i>e (INIFAP, 1995). Puis fut mis en place le programme pilote du <i>Centre international d'Amélioration du Maïs et du Blé</i> (CIMMYT). Plus tard, des organisations de développement, des sponsors nationaux et des fondations privées formèrent le <i>Groupe consultatif pour la Recherche Agricole internationale</i> (CGIAR) afin d'établir une collaboration innovante et continue entre des chercheurs mexicains et ceux d'autres nationalités.</p> <p>Au milieu du XXe siècle, les gouvernements post-révolutionnaires mexicains donnèrent une grande impulsion à la production agricol, considérée comme moteur de l'économie. On chercha alors par tous les moyens à imposer le modèle technologique de la <i>Révolution verte</i>, même si les conditions de production étaient et demeurent largement différentes de celles des États-Unis.</p> <p>Dans le cas des semences, grâce à l'organisme PRONASE (<i>Production Nationale de Semences</i>), on réussit la reproduction à échelle commerciale des variétés que l'<i>Institut national de Recherche Agricole</i> avait développées, ainsi que la distribution et la vente de celles-ci entre agriculteurs. PRONASE servit à garantir le ravitaillement en semences certifiées, jouant le rôle de pourvoyeur principal de ces dernières et de régulateur de prix et de la qualité sur le marché des zones de haute demande en semences améliorées de graines et de légumes, en fournissant ceux-ci à bas prix.</p> <p>Vers la fin du siècle dernier, dans les années 80, l'application au Mexique des politiques d'ajustement structurel recommandées par le Fonds monétaire international et la Banque mondiale provoqua la destruction de l'infrastructure productive détenue par l'État et détruisit sa capacité à appuyer les producteurs agricoles nationaux. Progressivement ont été démantelées les fonctions directrices de l'État mexicain en matière économique, en transférant cette responsabilité au secteur privé. On supprime ainsi l'auto-suffisance alimentaire du pays en pariant que le marché international fournira les graines à bas prix qui garantiront l'alimentation des Mexicains.</p> <p>En janvier 1994, avec l'entrée en vigueur du <i>Traité de Libre Commerce de l'Amérique du Nord</i> (ALENA), le marché mexicain des semences améliorées et des graines et légumes s'ouvre au secteur privé. PRONASE est démantelée et vendue à des entreprises dans des conditions très avantageuses pour ces dernières et défavorables pour la nation, car l'État perdit sa capacité régulatrice sur le processus de la production des semences.</p> <p>Cette série de politiques provoqua l'expulsion de millions de paysans qui émigrèrent en ville, mais surtout aux États-Unis dans des conditions illégales. On eu dit que l'objectif était d'avoir une campagne sans paysans et un Mexique sans indiens pour pouvoir en extraire impunément ses ressources naturelles : eau, minerais, germoplasme…</p> <p>C'est ainsi qu'ont été réunies les conditions pour imposer l'usage de semences transgéniques dans les campagnes mexicaines et l'appropriation privée de l'agro-biodiversité du maïs en son berceau d'origine.</p> <p>C'est en 1988 qu'est arrivée au Mexique la première requête pour l'utilisation des organismes génétiquement modifiés à usage agricole, avec l'expérimentation de la « <i>jitomate transgénique flavr-savr</i> » [<a href='#nb1' class='spip_note' rel='footnote' title='NdT : La jitomate est une variété de tomate du Mexique' id='nh1'>1</a>] (Perez M. 2001 :214). De là fût établi un système légal qui permit l'expérimentation en milieu confiné du maïs transgénique au Mexique. Toutefois, l'inquiétude enflait face à l'inflation des demandes d'expérimentation, en conjonction avec la dérégulation de la production de maïs transgénique aux États-Unis.</p> <p>De multiples forums et débats arrivèrent à la conclusion suivante : « <i> les risques pour la diversité biologique du Mexique liés à la libération dans l'environnement d'organismes vivants modifiés doivent être reconnus</i> » (Greenpeace, 2003). Ce qui permit d'établir, sous l'impulsion des organisations de la société civile et des universitaires, l'instauration d'un moratoire de fait sur la culture du maïs transgénique. Celui-ci répondait à d'importantes recherches, mais ne fut pas traduit en droit positif.</p> <p>Malgré ce moratoire censé limiter les cultures transgéniques, en 2001 une enquête, très bien diffusée, dénonça la contamination transgénique de maïs natifs de Oaxaca (Chapela, 2001).</p> <p>En mai 2004, lors de l'approbation de la « <i>Loi de bio-sécurité des organismes génétiquement modifiés</i> », le principe d'un Régime de Protection des cultures dont le Mexique est le berceau, en particulier du maïs, a été inclus dans le texte de Loi. Cet instrument de bio-sécurité a été introduit sur la base d'un consensus général autour de la protection du maïs en tant que principal produit agricole et base de notre alimentation. Toutefois, ce Régime n'a pas pu être mis en place, bien qu'un avant-projet de texte ait été déposé en Avril 2008,... avant projet qui a été largement repoussé.</p> <p>Aujourd'hui au Mexique semer du maïs transgénique est illégal, et considéré comme un délit contre l'environnement et la gestion environnementale dans le Code Pénal [<a href='#nb2' class='spip_note' rel='footnote' title='Código Penal, Libro Segundo, Título Vigésimo Quinto, Capítulo Tercero. De La (...)' id='nh2'>2</a>] . Ainsi malgré la pression des entreprises et du gouvernement national, au Mexique des critères de bio-sécurité ont prévalu face à la biotechnologie moderne. Pourtant, en septembre 2008, on a détecté la présence illégale de maïs transgénique dans l'État de Chihuahua. Pour l'heure, le gouvernement a donné peu de réponses à un problème d'une telle importance. Pourtant dans les prochains mois, il sera fondamental de décider comment le Mexique se positionne face à l'introduction d'une technologie extrêmement préoccupante ; et ce en tenant compte du fait qu'il est le berceau d'origine du maïs, céréale, essentielle pour notre pays et probablement tout autant pour le reste du monde.</p> <h3 class="spip"> La résistance</h3> <p>Au Mexique se développent diverses expériences de résistance face à l'appropriation privée et au contrôle sur les semences. Elles s'appuient sur la défense et la promotion des semences comme bien commun et sur la gestion traditionnelle des communautés paysannes et indigènes qui s'adaptent de différentes manières aux pressions technologiques, légales et économiques du modèle de production post <i>Révolution vert</i>e. Banques de semences communautaires, foires d'échange de semences, zones libres de produits transgéniques, réseaux et syndicats de villages pour la défense du maïs, réseaux de marchés biologiques, festivals de gastronomie du maïs, ateliers forums et réunions sur les sciences indigènes sont des exemples de stratégies qui sont mises en place dans les villes et les régions de Michoacan, Puebla, Oaxaca, Chihuahua, Tlaxcala, Jalisco et du Chiapas.</p> <p>C'est ainsi que ceux qui ont créé et recréé la biodiversité au long des siècles continuent aujourd'hui à être les acteurs responsables de la production et du maintien de la biodiversité, dont dépend le futur de l'alimentation dans le monde. Aujourd'hui nous ne pouvons pas permettre que la voracité des entreprises transnationales s'approprie ce travail collectif.</p> <hr class="spip" /> <p><strong>Bibliografie :</strong></p> <p><img src="http://vecam.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-1d287.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> ActionBioscience.org. Noviembre 2002. <strong>Biotecnología y la Revolución Verde.</strong> Entrevista original con Norman Borlaug. <br /><img src="http://vecam.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-1d287.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> Chapela, Ignacio y Quist, David. 2001. <strong>Transgenic DNA introgressed into traditional maize landraces in Oaxaca, Mexico Nature 414, 541-543 29 November 2001</strong> <br /><img src="http://vecam.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-1d287.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> Cortázar Martínez, Alfonso. <strong>Cronología general acerca de la Escuela de Agricultura Hermanos Escobar</strong>. <a href="http://www.docentes.uacj.mx/rquinter/cronicas/artículos.htm" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>www.docentes.uacj.mx/rquinte...</a> <br /><img src="http://vecam.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-1d287.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> Grupo ETC. Oligopolio, S.A. Nov-dic 2003. <strong>Concentración del poder corporativo : 2003.</strong> Communique No. 82. <br /><img src="http://vecam.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-1d287.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> Grupo ETC. 30 de abril de 2007. <strong>Las 10 compañías de semillas más importantes del mundo – 2006</strong> <a href="http://www.etcgroup.org/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>www.etcgroup.org</a> <br /><img src="http://vecam.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-1d287.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> Greenpeace, Boletín de Prensa. Noviembre 2003.<strong> Secuestran corporaciones agrobiotecnológicas a la Cibiogem</strong>. México, D.F. 11 <br /><img src="http://vecam.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-1d287.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> Hernández Xoloxotzi, Efraim, et al. 1998. <strong>Tecnología Agrícola tradicional ¿Una tesis educativa ?</strong> Pp : 125-131. En Díaz de León Marco Antonio. Nueve mil años de agricultura en México. Grupo de estudios Ambientales y Universidad Autónoma de Chapingo. <br /><img src="http://vecam.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-1d287.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> Hewitt de Alcántara, Cynthia . 1978.<strong> La modernización de la Agricultura mexicana 1940-1970</strong>. Siglo Veintiuno editores, S.A. México D.F. <br /><img src="http://vecam.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-1d287.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> Instituto Nacional de Investigaciones Forestales y Agropecuarias (INIFAP). Junio 1995. <strong>México : Informe Nacional para la Conferencia Técnica Internacional de la FAO sobre los Recursos Fitogenéticos</strong> (Leipzig, 1996). Distrito Federal. <br /><img src="http://vecam.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-1d287.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> López Austin, Alfredo. 2003. <strong>Cuatro mitos mesoaméricanos del maíz.</strong> En Esteva Gustavo. Sin maíz no hay país. Consejo Nacional para las Culturas y las Artes. México, D.F. <br /><img src="http://vecam.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-1d287.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> López Herrera, Agustín. 2005. <strong>Políticas y legislación sobre bioseguridad agrícola en México y la percepción de la sociedad.</strong> Pp.:30-37. En : Valdivia C. E. ; J. Trujillo y J. Sánchez E. (coord.) Bioseguridad y Protección Fitosanitaria en la globalización comercial. Universidad Autónoma de Chapingo, México, D.F. Página electrónica : <a href="http://www.cimmyt.cgiar.org/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://www.cimmyt.cgiar.org</a> <br /><img src="http://vecam.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-1d287.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> Pérez Miranda, Rafael. 2001. <strong>Biotecnología, Sociedad y Derecho.</strong> Universidad Autónoma Metropolitana-Azcapotzalco y Editorial Porrúa. México, D.F.. <br /><img src="http://vecam.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-1d287.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> Periódico El Tiempo. 26 de marzo de 2008. <strong>Monsanto Gigante.</strong> Bogotá, Colombia. Sección 1 p.10. <br /><img src="http://vecam.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-1d287.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> Quintero Salazar, Baciliza investigadora de la Universidad Autónoma del Estado de México entrevistada en nota de prensa<strong> Más de 15% de especies vegetales que se consumen en el mundo son mexicanas</strong> en La Jornada 28 de agosto, 2008. <a href="http://www.jornada.unam.mx/2008/08/26/index.php?section=ciencias&article=a03n1cie" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://www.jornada.unam.mx/2008/08/...</a> <br /><img src="http://vecam.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-1d287.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> Toledo, Víctor Manuel, 1997. <strong>La diversidad ecológica de México.</strong> En Florescano E. (Coord.) El patrimonio nacional de México Vol. I. Fondo de Cultura Económica, México, D.F.</p></div> <hr /> <div class='rss_notes'><p>[<a href='#nh1' id='nb1' class='spip_note' title='Notes 1' rev='footnote'>1</a>] NdT : La jitomate est une variété de tomate du Mexique</p> <p>[<a href='#nh2' id='nb2' class='spip_note' title='Notes 2' rev='footnote'>2</a>] Código Penal, Libro Segundo, Título Vigésimo Quinto, Capítulo Tercero. De La Bioseguridad. Artículo 420 ter. Sera puni d'une peine allant d'une à neuf années de prison et de trois cents à trois mille jours d'amende, celui qui en contravention à ce qui a été établi comme norme applicable, introduirait dans le pays, ou en exporterait, ferait commerce, transporterait, stockerait ou libèrerait dans l'environnement, un quelconque organisme génétiquement modifié qui altèrerait ou pourrait altérer négativement le composants, la structure ou le fonctionnement des ecosystèmes naturels...</p></div> <div class='rss_ps'><p><i>Traduction : Claude Henry et Christiane Peugeot </i></p></div>