L’équipement technologique des ménages français en 2006 : taux d’équipement, motivations et freins

Une analyse par Jocelyne Trémenbert et Nicolas Jullien du laboratoire des usages Marsouin en Bretagne
avec une analyse des non-équipements en informatique et internet

Le présent article relate l’état d’équipement technologique des ménages français en 2006 (téléphone mobile, ordinateur et Internet). Nous comparons différentes sources nationales.

Un article de Jocelyne Trémenbert et Nicolas Jullien (février 2007) repris du site du laboratoire des usages en Bretagne, M@arsouin

Ensuite, à travers l’exploitation de l’enquête INSEE 2005 sur les conditions de vie des ménages, nous détaillons l’équipement informatique avec en particulier la place du portable, le recours aux professionnels au moment de l’achat et de la réparation, les différents types de connexion Internet, la satisfaction et les motivations du public ainsi que les foyers ayant déjà opté pour des forfaits téléphone illimité.

Enfin, dans une troisième partie, il s’agira d’identifier les facteurs explicatifs de l’appropriation de ces technologies, travail qui nous le verrons est nécessairement couplé avec l’analyse des freins à l’équipement. On y abordera le cas des foyers sans ordinateur, sans Internet mais aussi n’ayant pas, ou plus, de ligne téléphonique fixe.

L’accès aux produits technologiques

De nombreuses enquêtes s’intéressent à l’équipement des foyers français en matière de technologies et à l’usage que font les français de ces dernières. Certaines études ne font l’objet que d’un questionnement à un moment précis, comme par exemple, le volet sur les français et Internet dans « Les enjeux du quotidien » que TNS Sofrès a mené pour l’EPIQ en septembre 2006. D’autres prennent la forme de baromètres, régionaux ou non, souvent annuels. Comme figures de référence nationale, nous conserverons :

- le « Baromètre Multimédia » de Médiamétrie [1]

- le baromètre de « La diffusion des technologies de l’information dans la société française » du Crédoc [2]

- l’Étude Permanente sur les Conditions de Vie des ménages (EPCV) de l’INSEE [3]

- l’Observatoire Sociétal du téléphone mobile de TNS Sofres [4].

Le sommaire de l’article

- L’accès aux produits technologiques

- Les détails de l’équipement technologique des foyers

  • I. L’informatique.
  • II L’accès à internet

- Le non-équipement en produits technologiques.

  • en téléphonie
  • en ordianteur
  • en accès internet

- lire la suite de l’article sur le site de Marsouin


Nous reproduisons ci dessous la partie non équipement en informatique et en accès internet qui fournit une analyse intéressante.


II. L’ordinateur.

L’ordinateur, avec 50% de foyers équipés, est un objet (de plus en plus) courant, mais pas encore un des équipements de base d’un foyer, comme le frigidaire, la télévision ou le téléphone. La diffusion ne semble pas avoir atteint son maximum, puisque 30% des foyers non équipés ont envie de dis-poser d’un ordinateur à domicile (envie d’au moins un des membres).

Qui sont ces foyers encore non équipés (50%) ?

Chercher les déterminants du non équipement peut revenir à trouver les facteurs influençant l’acte d’équipement. Les taux de foyers équipés varient significativement selon les caractéristiques foyers que sont l’âge du chef de famille, la profession du chef de famille, le diplôme du chef de famille, le type de mé-nage, le nombre d’enfants, la présence d’enfants de 11 à 18 ans, le niveau de vie, la taille de l’unité urbaine. On note cependant que âge du chef de famille, diplôme et dans une moindre mesure niveau de vie restent les principaux déterminants.

Ainsi, par exemple :

- un foyer dont le chef de famille a moins de 30 ans a environ 5,5 fois plus de chances d’être équipé que non équipé par rapport à un foyer dont le chef de famille a 60 ans et plus (3 fois pour un chef de famille âgé de 30 à 44 ans, 2,7 fois pour 45 à 59 ans) ;

- un foyer dont le chef de famille a un diplôme de niveau Bac +4 ou plus a environ 7 fois plus de chances d’être équipé par rapport à un foyer dont le chef de famille est sans diplôme (5 fois pour Bac +2 à Bac+4, 4 fois pour Bac, 2 fois pour BEP/CAP, 1,5 fois pour Brevet).

Il est plus surprenant que l’effet « enfant » ne soit pas plus fort. Il est quand même important, puisqu’un ménage avec enfant a 3 fois plus de chances d’avoir un ordinateur qu’un même ménage sans enfant.

La problématique du non usage ou non équipement est malheureusement souvent sous estimée dans les études sur les technologies, plus focalisées sur les questions d’usages et d’usagers / équipements. Pourtant même si le non-usage peut s’expliquer par des contraintes externes (état de l’offre, décalage entre l’offre technique et la demande sociale, mode de diffusion...), les caractéristiques d’un foyer et des individus qui le composent (âge, absence d’un certain capital économique et so-cial, incompétence technique et cognitive...) y jouent un rôle non négligeable.

Le principal frein à l’équipement d’un foyer en ordinateur reste la non utilité (60% des ménages de l’enquête M@rsouin ou 67% des ménages de l’enquête EPCV). En effet, l’utilité précède l’usage, ainsi la perception de la non-utilité d’un objet technique comme l’ordinateur peut tout simplement déterminer l’absence de son usage. Le besoin est donc l’élément le plus capital, "la mère" de l’appropriation ou du refus de la technologie.

Toutefois, il est important de pouvoir différencier le non-besoin basé sur une réelle justification, le non-besoin comme une défense et l’absence de besoin par manque de connaissances et de savoir-faire. Car il est clair, qu’un outil perçu comme inutile et dont l’usage semble compliqué ne sera ni adopté, ni utilisé. Le manque de confiance en soi de l’individu ou les incertitudes concernant sa propre capacité d’apprentissage, l’absence de motivation, les attitudes et les croyances négatives de l’individu à propos de la technologie jouent aussi un rôle important dans la résistance de l’individu aux innovations technologiques. Ainsi, 40% des ménages de l’enquête M@rsouin déclarent qu’il leur serait difficile de se mettre à l’informatique et 18% avouent ne pas en avoir actuellement les compétences.

La perception de la part d’un individu de l’incompatibilité d’un objet technique avec son style de vie et ses besoins peut justifier son non-usage, surtout si il y voit un risque lié à la complexité de la technique ou risque fonctionnel. 32% jugent le risque de pannes, d’incidents trop important et ne sauraient y faire face.

Une technologie qui apparaît excessivement chère à l’individu et ne présente aucun avantage par rapport aux autres dispositifs existants au niveau des fonctions et services, risque de faire l’objet d’un non-usage. C’est seulement bien après ces divers freins qu’apparaît la notion de prix avec 20% des ménages qui estiment que le prix représente un véritable obstacle. L’ordinateur reste un produit de luxe, complexe et cher, bien plus que le téléphone mobile. Cela se constate aussi au niveau de la fréquentation professionnelle de cette machine (chez les hauts niveaux de diplôme, chez les jeunes). Cependant un prix attractif ne serait pas non plus suffisant pour que la technologie soit adoptée. Cette dernière doit être compatible avec le mode de vie du futur usager et ne pas présenter de risque social ou de détérioration du lien social. 13% passeraient trop de temps sur un ordinateur.

Enfin n’oublions pas aussi que certaines personnes ne disposent pas à leur domicile d’ordinateur mais ont facilement d’autres accès à l’informatique (sur leur lieu de travail, chez leurs parents, leurs proches...) Et il ne faut pas négliger non plus les vrais réfractaires qui eux sont réfractaires à tout produit technologique (ils seraient 7% d’après leurs déclarations). D’autres explications ou freins à l’équipement sont souvent citées, à savoir le grand âge ou des incapacités (vue, lecture) ou tout simplement un problème de place (problème qui n’en est pas réellement un avec les portables !)

Enfin il est intéressant d’analyser le comportement d’un foyer / individu au milieu de son entourage. Si un individu prend modèle sur la réussite de personnes semblables à lui, il s’estimera lui-même apte à apprendre en utilisant des tactiques d’apprentissage similaires.

III. L’accès à Internet.

63% des foyers ne possèdent pas d’ accès à Internet (et 13% ont pourtant un ordinateur). Comme pour l’ordinateur, toutes les variables caractérisant le foyer ont un effet sur la connexion (et la non-connexion), mais les plus significatives sont, dans l’ordre, le diplôme du chef de famille, son âge, la présence d’enfants, et le niveau de revenus du foyer.

Ainsi, par exemple :

- un foyer dont le chef de famille à moins de 30 ans a environ 3 fois plus de chances d’être équipé que non équipé par rapport à un foyer dont le chef de famille a 60 ans et plus (3 fois pour un chef de famille âgé de 30 à 44 ans, 2,9 fois pour 45 à 59 ans),

- un foyer dont le chef de famille a un diplôme de niveau Bac +4 ou plus a environ 4,9 fois plus de chances d’être équipé par rapport à un foyer dont le chef de famille est sans diplôme (5,3 fois pour Bac +2 à Bac+4, 3,7 fois pour Bac, 1,8 fois pour BEP/CAP, 1,4 fois pour Brevet),

- un foyer avec 1 enfant a environ 3,3 fois plus de chances d’être équipé par rapport à un foyer sans enfants (3,1 fois pour 2 enfants, 3,4 fois pour 3 enfants, 2,7 pour 4 enfants et plus),

- un foyer du quatrième quartile (tranche de revenus les plus élevés) a environ 2,9 fois plus de chances d’être équipé par rapport à un foyer à revenus très faibles (2 fois pour 3ème quartile, 1,5 fois pour 2ème quartile),

- un foyer de cadre a 2,3 fois plus de chances qu’un foyer de retraité d’être équipé alors que cette proportion est de 0,8 pour un foyer d’ouvrier.

Les raisons du non-équipement sont les mêmes que pour l’ordinateur (coûts financiers et coûts d’ap-prentissage). Signalons que les craintes en terme de sécurité sont négligeables, ce n’est en tout cas pas un frein important à la connexion.

Raisons du non équipement du foyer en connexion Internet :

  • Votre ménage n’a pas besoin d’utiliser Internet 59%
  • Votre ménage ne sait pas s’en servir 30%
  • C’est trop cher (équipement, accès) 24%
  • Votre ménage a accès à Internet dans d’autres endroits 11%
  • Pour des raisons de sécurité et de vie privée 4%
  • Autre raison (attente ADSL, pas de ligne fixe, choix du FAI, déménagement, ordinateur trop vieux...) 22%

Enfin, 37% des foyers non équipés ont envie de disposer d’un accès Internet à domicile (envie d’au moins un des membres).

Typologie des foyers non équipés en accès Internet.

Grâce aux techniques statistiques d’analyse des données, il est possible de classer / discriminer les foyers représentés dans l’enquête qui ne sont pas équipés d’un accès Internet.

Méthodologie : Les foyers sont regroupés en fonction des « raisons évoquées » (deux principales raisons parmi une liste de raisons, traduction d’un manque, envie d’un membre du foyer de disposer d’Internet). Les variables socio-démographiques du foyer et son équipement en ordinateur et/ou ligne de télé-phone fixe n’interviennent pas dans la constitution de ces sous familles mais viennent les caracté-riser. Quatre classes ont pu être constituées.

Méthodologiquement parlant, chaque classe de foyers pré-sente de nombreuses caractéristiques communes [7]. Par ailleurs, d’une classe à l’autre, les profils sont le plus différentiés possible [8]. On établit alors une sorte de « profil type » pour chaque classe, la classe présentant une proportion observée pour chaque caractéristique supérieure à la moyenne. Les données socio-démographiques utilisées concernant les foyers sont : le type de ménage, la présence d’enfant(s) dans le foyer, la tranche de revenus du foyer, la tranche d’âge du chef de famille, sa catégorie socioprofessionnelle, son diplôme le plus élevé obtenu, la taille de l’unité urbaine dans laquelle est installé le foyer.

- Classe 1 : les foyers qui ne connaissent pas bien Internet (67%).

Pour les personnes vivant dans ces foyers, ne pas disposer d’Internet à la maison n’implique aucun manque, que ce soit pour s’informer, se divertir... Ils n’ont pas besoin d’Internet, seule raison vala-ble à leurs yeux. Mais souvent, cela cache un manque de compétences (personne dans le foyer ne sait s’en servir).

Le profil des foyers de cette classe compte davantage de foyers « âgés », où le chef de famille a 60 ans et plus, souvent peu diplômé, avec un niveau de vie relativement modeste. Il faut dire que très souvent ces foyers n’ont pas franchi le cap de l’informatisation du domicile.

- Classe 2 : pas d’accès à domicile mais dans d’autres endroits (11%).

Cette fois-ci, les compétences sont là, le besoin aussi, il y a même souvent un ordinateur au domicile, mais pas toujours de ligne fixe.

C’est le cas de foyers jeunes (chef de famille de moins de 30 ans), voire moins jeune (45-59 ans). Le chef de famille a souvent un diplôme de niveau supérieur au bac, sa catégorie professionnelle est plutôt du type profession intermédiaire ou employé, voire même cadre ou profession libérale.

- Classe 3 : des raisons financières (17%).

Aucune variable socio-démographique ne les spécifie vraiment si ce n’est le fait qu’ils sont souvent déjà équipés d’ordinateur mais trouvent un accès Internet à domicile trop cher. Ces derniers n’ont pourtant pas forcément d’autres accès et estiment que c’est un handicap pour s’informer et se divertir et même pour que leurs enfants, s’ils en ont, suivent correctement leurs études ou pour rechercher un emploi si ils se trouvent dans cette situation. Plus souvent que la moyenne (sur les foyers non équipés), il y a un membre du ménage qui souhaite disposer d’Internet à la maison.

- Classe 4 : une question de sécurité (5%).

Ces foyers forment à eux seuls une classe bien spécifique, même s’ils sont peu nombreux.

La plupart du temps, ils ont déjà un ordinateur au domicile. Ils n’ont pas Internet pour « des raisons de sécurité et vie privée » et non pour des raisons de coûts, ce sont des foyers dont le niveau de vie est relativement élevé. Ils n’ont pas Internet mais estiment que cela représente un handicap dans le suivi des études de leurs enfants. Car bien souvent, il y a des enfants au domicile et le chef de fa-mille est dans la tranche 30-44 ans. On peut supposer que ce sont ces enfants qui sont à l’origine de l’envie d’avoir Internet exprimée par au moins un des membres.

L’adresse originale de cet article est http://www.a-brest.net/article3159.html

Posté le 27 mars 2007

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