Une nouvelle civilisation : « L’ÂGE DE L’ACCÈS », de Jeremy Rifkin

Janvier 2001
par jacques Robin

Cet article, qui réagit à la publication de "l’âge de l’accès"par Jérémy Riffkins, a été écrit pour le Monde Diplomatique et est présent sur le site de ce dernier.

Le nouveau livre de Jeremy Rifkin, L’Age de l’accès (1), succède à deux précédents ouvrages d’intérêt - La Fin du travail (2) et Le Siècle biotech (3). Comme à l’habitude, l’apport factuel sur le sujet traité est inégalable.

« Le rôle de la propriété est en train de subir une transformation radicale », telle est la phrase d’ouverture. L’auteur poursuit : « L’économie capitaliste est fondée sur l’idée même d’échanges de droits de propriété sur un marché. Or la nouvelle économie en réseau, fusion de la micro-électronique, des ordinateurs et des télécommunications », fait exploser la propriété par la recherche prioritaire de l’accès aux richesses et aux services. Dans la première partie, Jeremy Rifkin expose des données explosives sur le déclin de l’immobilier, la dématérialisation de l’argent, le modèle hollywoodien d’organisation, la fin de l’épargne avec l’expansion de la vie en location et un tableau édifiant de la sous-traitance généralisée.

Il montre comment tout devient service par l’émergence d’une économie qui transforme les biens de toute nature et le temps humain en marchandises. Les nouveaux prestataires de services échangent même des produits gratuitement pour recevoir des services payants. C’est le « marketing » qui occupe le devant de la scène avec l’objectif central d’exproprier les diverses formes de patrimoine (et la forme de l’ancien contrôle de l’économie). Il les concentre dans les grandes entreprises et surtout dans les structures financières. Ainsi, « l’accès » aux nouveaux services l’emporte non seulement dans le domaine du logement, mais également dans les diverses formes d’un style de vie sans enracinement sur un « territoire ». « La relation vendeurs-acheteurs cède peu à peu la place à la relation prestataires-usagers. » Nous assistons à l’évolution du profit en rente. La transformation en marchandises des modes de vie des humains devient le noeud de la société de demain.

IL est regrettable, en revanche, que Jeremy Rifkin passe sous silence la mise à jour de « l’information » comme dimension de la matière et la maîtrise de son traitement par les hommes. De même, il ne prend pas le soin de remonter à la démarche de base de l’économie capitaliste de « marché » : encastrer progressivement tous les rapports sociaux et culturels dans la seule activité marchande.

La privatisation de la sphère culturelle fait l’objet de la seconde partie du livre. Dans l’économie de réseau, toutes les formes de communication deviennent des marchandises. La culture elle-même, est réduite à l’état de marchandise. Ses regards sur l’installation du tourisme mondial marchandisé par Thomas Cook ou le centre commercial devenu espace culturel et lieu de distraction sont très éclairants. Il en est de même pour l’évolution des médias vers le cyberespace, nouveau théâtre universel où l’accès se fait par « ticket d’entrée ». Le marketing devient également, dans ces domaines, le principal instrument de l’exploitation du patrimoine culturel en utilisant des « passeurs spécialisés », nouveaux intermédiaires culturels.

Suit un chapitre sur l’évolution de la modernité vers la sur-modernité qui restructure les rapports humains autour de la « logique de l’accès » avec la recherche effrénée de sa personnalité pour chacun, en effervescence permanente vers l’illusion éphémère du bien-être dans le présent. Dans le domaine culturel, les lois sur les télécommunications donnant droit à l’accès pour les consommateurs offrent sur un plateau un contrôle de plus en plus prégnant aux grandes multinationales, en premier lieu américaines, qui mettent à mort les Etats-nations. Pour les individus, la césure se fait aussi entre les 20 % de connectés et les 80 % de déconnectés des accès aux médias et « à la culture qu’ils véhiculent ».

La question de « l’accès », en particulier vis-à-vis des nouvelles formes de communication électronique, devient donc l’essence même de la civilisation du XXIe siècle

JACQUES ROBIN, Fondateur de Transversales Sciences Culture et de VECAM ; auteur, entre autres, de Changer d’ère, Seuil, Paris, 1989.

Posté le 31 août 2002

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