Noms de domaine : bien public, service d’intérêt général et taxation

Piste de proposition

Certains noms de domaine générique devraient obligatoirement tomber dans le domaine public, ne faire en aucun cas l’objet d’une appropriation par des acteurs privés (exemples : culture, éducation, service public, etc.) et être utilisés uniquement par des acteurs publics pour des missions de service d’intérêt général.

La gestion des noms de domaine nationaux devrait être confiée à des organismes exerçant de véritables missions de service public et ne se contentant pas de récolter les fruits financiers d’une situation monopolistique.

L’achat de noms de domaine devrait faire l’objet d’une taxation, à taux variable en fonction du statut de l’entité acheteuse (.org serait peu taxé à condition d’être réservé à des organisations qui peuvent prouver leur statut non lucratif alors que les .com et les nouveaux .biz ou .pro seraient largement taxés) et de son chiffre d’affaires pour ce qui est du secteur marchand.

Les bénéfices de cette taxation, gérés à l’échelle internationale, pourraient alimenter des projets solidaires et citoyens utilisant les TIC.

Contexte

Le problème des noms de domaine est multiple. On citera notamment les difficultés suivantes :
-  leur gestion est effectuée de façon non transparente, sans contrôle par les citoyens (cf. l’Afnic) en France, sans prise en compte de la diversité culturelle (cf. les nouveaux noms mis en service par l’Icann) ;
-  leur tarification est arbitraire et ne tient pas compte du statut de celui qui en fait l’acquisition ;
-  il n’y a pas de noms de domaine publics (cf. education.com acheté autrefois par Vivendi-universal) ;
-  ils font l’objet d’un véritable jeu spéculatif, certains « cybersquatters » effectuant de véritables razias sur les noms de domaines non attribués pour pouvoir ensuite les revendre pour des sommes mirobolantes ;
-  ceux qui accéderont plus tard à Internet seront des « sans-domaine », dépouillés des noms les plus signifiants.

Posté le 3 octobre 2002

©© Vecam, article sous licence creative common

2 commentaire(s)
> Noms de domaine : bien public, service d’intérêt général et taxation - 30 décembre 2002, par nrk

Bonjour,

Je suis atterré par les propositions de taxations (sans parler de l’expropriation pure et simple ! mais je vais y venir...) de certains noms de domaine, alors que vous condamnez par ailleurs le profit spéculatif réalisé par ceux que vous décrivez déjà non sans discrimination de "cybersquatters"...
Les réalités économiques sont également dans le monde virtuel... Ce qui me semble d’un libéralisme rassurant, ne vous en déplaise...

Par ailleurs, taxer un .com sous prétexte que cette extension était à l’origine une extension commerciale est dénuée de toute lucidité du paysage web...
Le .com est devenu tellement générique, qu’il symbolise à lui seul un site internet comme la marque "Frigidaire" un appareil réfrigérateur...
Je m’explique : les particuliers (j’en suis) sont aujourd’hui nombreux à avoir un site perso en .com, et ne réalisent aucun profit !!!

Note : les .fr sont des noms réservés exclusivement aux sociétés commerciales (le dépôt des .fr étant déjà soumis à règlementation). Vous n’en parlez pas.

Par ailleurs, il suffirait de faire comme les US (ou le leur retirer ? Et puis quoi encore ?) : les .gouv leur étant réservés pour toutes les institutions publiques...
Créer une telle extension spécifiquement française éviterait la pure et simple (et scandaleuse !) EXPROPRIATION que vous proposez !

Savez-vous bien combien coûte ANNUELLEMENT la location du nom de domaine, l’hébergement, le référencement et la publicité de son site perso, à un particulier qui ne retire aucun bénéfice de son site, outre les coûts de connexion et les heures sans bornes passées dessus ???

Cette dépense d’argent et d’énergie, ces efforts de visibilité ne doivent pas être le jouet de règlementations stupides d’expropriation et de taxation aveugle.

A vous de proposer des solutions plus créatives sans porter atteinte aux hommes et femmes qui, derrière des noms de domaines, travaillent sans compter leurs heures et bien souvent sans intérêt financier.

NRK.

> Noms de domaine : bien public, service d’intérêt général et taxation - 28 octobre 2002 - Liste de discussion INMS

Message extrait d’un débat en janvier 2002 sur la liste inms et lié à la parution d’un article du Monde, ce dernier reprenant sous forme parcéllaire un extrait de ces propositions.

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Message posté le 29/01/02 par Hervé Le Crosnier et qui fait référence à l’idée d’une taxation des noms de domaines

Quelques point qui vont à l’encontre de cette proposition :

- une erreur sur le statut de la Taxe Tobin : l’objectif de la
taxe Tobin, comme cela est souvent rappelé par ATTAC n’est pas
de récolter de l’argent pour des projets. C’est seulement un
effet secondaire, et il faut l’espérer temporaire. L’objectif
principal est en effet de mette un "grain de sable" dans
la finance, d’empêcher la spéculation sur les monnaies.
Ce premier pas permet d’envisager une économie basée sur
les besoins des femmes et des hommes de toute la planète.
Cela j’en conviens reste un long chemin et nécessite
de nombreuses élaborations collectives....

- les "noms de domaine" portent en germe la structure
à venir de l’internet. Ce ne sont pas seulement des
sigles (des marques) pour repérer des sites web,
mais aussi le mode de découpage de l’internet en
sous-réseaux interconnectés. En conséquence, la
préservation d’un internet conçu comme une infrastructure
globale passe par l’adoption de règles de nommage
qui puissent servir tous les projets de la planète.
C’est un des objectifs des domaines "nationaux".
C’est au contraire un outil de démarcation globale
des gTLD (.com, .biz, mais aussi .org plus facilement
utilisés par les ONG du Nord que celles du Sud).

- La transformation des noms de domaine en bien marchand
au profit d’entreprises privées de gestion des noms
est liée à une stratégie politique,le néo-libéralisme.
Ce n’est pas une fonction du nom lui-même (en bref, on
ne peut appliquer le même raisonnement économique sur
la vente de noms de domaine que sur la vente de produits
matériels car d’une part ils ne coûtent rien à produire,
et d’autre part ils engagent l’architecture de l’internet).
En privatisant au profit d’un des plus grand trust de la
société de l’information (mieux que Micro$oft, Verisign !)
le nommage, le néo-libéralisme a marqué un point
exceptionnel contre l’organisation commune des
Etats pour gérer un bien public global. Sur ce sujet,
chacun peut relire avec intérêt le texte de Laurent
Chemla "Je suis un voleur"
(http://www.chemla.org/textes/voleur.html)

- On ne peut distinguer les objectifs d’un utilisateur en
fonction du nom de domaine du gTLD qu’il va choisir. Quid des
domaines nationaux (.tv pour les iles Tuvalu...
revendus pour un tout autre usage. .md pour la
Moldavie que visent les sites médicaux,...) ?
Quid des commerce en .org qui ne sont pas tous
"équitables" ? Quid des noms "à venir" ?
Un nom de domaine n’est pas exactement la même chose
qu’une inscription officielle au registre
du commerce.

- Les noms de domaine doivent redevenir un
"bien public global" à l’heure d’une société dont
le système nerveux est en train de se reconstruire autour
des réseaux informatiques (commerce, échange interpersonnels,
vie démocratique, système de contrôle,...). Certes, les
formes de ce bien spécifique ne sont pas exactement
celles d’un bien public (en particulier, l’usage
par une personne prive les autres... ce qui le
rapproche d’un bien traditionnel).. cependant, la
maîtrise et l’égal accès de tous à ce bien doit
ête organisée dans la transparence et soumise à
la délibération collective (création de nouveaux
gTLD, maintien de l’unité de l’infrastructure
de l’interconnexion de réseau, ouverture du réseau
à de nouveaux intervenants (notamment dans les
pays actuellement moins équipés en matière d’internet).
On en est très loin avec le monopole de Verisign.
On ne s’en rapproche pas quand on délègue à de nombreuses
sociétés privées (ou presque comme l’AFNIC) la revente de
noms de domaine.

- Loin d’une taxe, qui entérinerait la situation
actuelle et limiterait les capacités de développement
d’un réel internet équitable et transparent, le mouvement
doit au contraire réfléchir au statut de "service
public mondial" de la délivrance de noms de domaine.
Qu’au travers de ce service public soient défendues :
o la transparence (contrôle des citoyens - par leurs ONG -
et des élus - ou de leurs délégués dans les structures
internationales)
o La délibération collective (choix des nouveaux gTLD,
maintien des suffixes nationaux dans le cadre de leurs
prérogatives d’organisation du libre accès dans leur pays,...
certes, l’ICAAN joue une partie de ce rôle, mais il reste
soumis aux lobbies puisque ses décisions vont se traduire
par la mise en place de nouveaux monopoles privés sur la
délivrance de noms, ou par le renforcement de monopoles
existants)
o l’égalité d’accès, ce qui implique des prix différents
en fonction du pays d’origine de la demande de nom ou de
l’objectif du gTLD (assortie d’un contrôle réel sur l’usage
des noms et leur conformité à la charte de chaque gTLD)

- On se trompe de cible en croyant que l’on peut taxer les
bénéfices engrangés dans les activités de communication
au seul moment du nommage. La question de la taxation
du commerce électronique est importante pour le développement
collectif, et le renouvellement qui vient d’être accordé aux
Etats-Unis de l’absence de taxe sur les transactions
électroniques est de ce point de vue un véritable recul
pour l’intérêt public, au point que de nombreuses
municipalités étatsuniennes protestent contre cette
décision qui les prive de ressources pour assurer la
vie quotidienne et les infrastructures dans leur zone
de responsabilité. Ce sont deux questions différentes
et on aurait tort de croire que la facilité (illusoire
d’ailleurs) de collecte de taxe au moment du choix
d’un nom ou de son renouvellement vienne remplacer
ce nécessaire travail sur les moyens à mettre en
oeuvre pour que toute la société bénéficie de l’impact
économique des NTIC (au travers de l’impôt et de
son rôle redistributif).

- Cela n’empêche nullement qu’une fois acquis le statut de
service public international du nommage (pas facile,
mais autrement plus porteur qu’une taxe), des recettes
soient effectuées sur l’achat de nom, qui peuvent être
réparties ensuite vers la promotion d’usages d’intérêt
collectif et l’aide à la démocratie partout dans le monde.
Et bien évidemment d’organiser le contrôle de la distribution
des fonds ainsi collectés. Un prix d’achat dont le bénéfice
serve au développement de l’infrastructure publique, cela
reste du service public.

Ces quelques arguments mériteraient d’être approfondis,
et améliorés par le débat collectif. Ce que je trouve en jeu,
c’est la nature même de l’internet (et donc son architecture de
nommage et les outils qui vont avec - le DNS), et la nature
même de la bataille pour qu’internet reste (ou redevienne)
un outils démocratique à l’échelle mondiale. De ce point de
vue, la taxation me semble une vraie fausse bonne idée
car elle occulte le véritable débat.

Par ailleurs, je m’étonne d’apprendre par le journal
une proposition qui, j’espère l’avoir montré, demande
au moins un débat. Je pense que celui-ci aura lieu
à Porto Alegre, car de nombreuses ONG du réseau
développent des arguments similaires aux miens. Ce serait bien
que ce débat ait aussi lieu en France. Je pense qu’il a du
se dérouler quelque part pour devenir une position
d’une ONG française à Porto Alegre.

Simplement je ne suis pas dans le bon réseau. Merci de
m’indiquer le lieu du débat, que j’ajouterai à ma
liste d’outils de réflexion collective.

Hervé Le Crosnier