Pour une poignée de dollars

100 dollars l’ordinateur portable - quelles conséquences ?

Pour une poignée de dollars

Ordinateur à 100 dollars : Quelles peuvent être les conséquences sur les politiques éducatives et l’appropriation du monde numérique ?

Pour une poignée de dollars

Nicholas Negroponte (co-fondateur du media-lab au MIT) a récemment présenté un projet de réalisation d’un d’ordinateur commercialisé à 100 dollars (environ 85 euros) dans moins de deux ans. Son objectif : un ordinateur pour chaque enfant de la planète. Pour pallier le déficit d’équipement électrique, la machine serait dotée d’une batterie chargée par manivelle comme il en existe déjà pour certaines radios. Nous ne reviendrons pas ici sur le cocktail technologique utilisé pour réaliser le projet. Disons simplement qu’il s’agira d’un vrai micro-ordinateur connectable à Internet sans fil, par liaison radio WiFi. Deux éléments changent radicalement la donne quant à la réflexion sur le monde numérique, l’éducation et la formation des citoyens au monde de demain.

1) Le niveau de prix rend l’accessibilité à la machine quasiment universelle pour toutes et tous.

2) La connexion au réseau par onde WiFi ramène les coûts de raccordement de la machine à Internet au niveau zéro (pas de câble à tirer, pas de prises à installer....) pour peu qu’il existe dans l’environnement une borne d’émission d’onde WiFi.

On obtient donc un ensemble ordinateur-connexion au réseau à des prix qu’une grande majorité de pays pourra offrir à ses enfants. Un ordinateur n’est pas un bien industriel comme un autre. La valeur de son usage dépasse de très loin sa valeur marchande. Il sert à manipuler des éléments par essence immatériels qui entrent en relation directe avec notre cerveau : savoirs et connaissances, production et partage d’idées. C’est aussi un outil universel de communication pour l’image, le texte, le son enregistré ou la communication téléphonique, qui passe de plus en plus par Internet. Ces caractéristiques du monde numérique, dont l’ordinateur n’est qu’un interface entre les hommes, fait d’une machine telle que celle-ci un phénomène propre à provoquer un séisme aux multiples retentissements. Laissant de coté l’aspect technologique, réfléchissons aux conséquences sur l’éducation et les politiques éducatives, l’usage et la production éditoriale de savoirs numériques, les implications politiques sur un plan international.

Politique éducative

La fracture numérique a déjà connu deux états, le premier séparait ceux qui possédaient un ordinateur et ceux qui ne le possédaient pas. Puis, la diffusion des outils aidant, elle s’est déplacée entre ceux qui sauraient s’en servir et les autres, la part la plus large de cet usage reposant sur un apprentissage familial. Avec l’arrivée d’une machine connectable accessible par tous et potentiellement financée en grande partie sur fonds publics, la fracture numérique va se déplacer une troisième fois d’une sphère économique vers une sphère politique. Cette fracture ne reposera plus sur la capacité économique familiale d’accéder au monde numérique. Elle reposera désormais sur la capacité des états à mettre en place une politique éducative destinée à permettre la meilleure appropriation possible des outils. Cette appropriation concernant aussi bien les manipulations de base que l’intégration de toutes les formes d’usage inhérentes au monde numérique (travail collaboratif, production individuelle par les blogs de texte, de sons, d’images fixes ou vidéo, communication directe entre apprenants et entre apprenants et intervenants de tous horizons et de tous lieux géographiques dans un concept pédagogique...) sans oublier tous les usages citoyens (l’e-administration, accès aux débats politiques, choix publics en matière d’équipement...). Le Pérou par exemple est en passe de rendre obligatoire la publication sur Internet des modalités de choix des réponses aux appels d’offres publics pour l’informatique, publication seulement proscrite pour ce qui concerne la sécurité nationale.

Production éditoriale

L’essentiel des ressources pédagogiques utilisées aujourd’hui sont inscrites dans un support matériel. On sait le coût des manuels scolaires et des livres en général. Les premiers essais de développement de ressources électroniques par les éditeurs se sont rapidement heurtés à la faiblesse du nombre des utilisateurs. Dans ce domaine aussi une machine massivement distribuée peut radicalement changer la donne. La production de manuels papier est nécessairement coûteuse pour sa production comme pour sa distribution. Combien de manuels périmés (donc invendables) d’éditeurs scolaires français ont par exemple équipé les écoles du Maghreb ? De plus, le papier exclut obligatoirement de petites structures qui pourraient profiter de l’économie du document électronique, qu’elles soient à vocation commerciale ou qu’il s’agisse de structures qui pourraient émaner de la société civile. La diversité n’est pas l’apanage du monde de l’édition scolaire. La diffusion massive d’une machine permettant enfin la lecture électronique obligera aussi le monde de l’édition à revoir ses positions quant à la non diffusion électronique du texte. Quand les coûts d’un livre sont proprement prohibitifs pour tant de pays du Sud, pourquoi un groupe d’enseignants d’Afrique francophone ne donnerait-il pas à ses élèves la possibilité d’y accéder avec les outils à leur disposition en les numérisant. Comment les empêcher de numériser un roman contemporain d’un auteur français ? Il va devenir urgent de mener une réflexion approfondie sur l’ouverture du monde des livres à un usage numérique massif. Va-t-on envoyer une compagnie de légionnaires pour protéger les intérêts de la France en leur donnant pour mission de détruire une machine repérée comme renfermant des textes dits « piratés » ? Car ne nous y trompons pas, si « M. Malaussène » est disponible sur une machine d’Abidjan, il le sera dans les mêmes conditions à Montréal, Brest ou Bruxelles. Il va de soi que des auteurs francophones pourront aussi produire des textes et être appréciés sans passer par les structures éditoriales classiques, et il en sera de même pour l’ensemble des langues. On assistera à une forte concurrence entre les principaux pays producteurs d’aujourd’hui et des pays moins présents mais dont le nombre de lecteurs et de lectrices potentiels est tel que leur audience pourrait grandir spectaculairement.

Conséquences au Nord et au Sud

Le projet est évidemment conçu pour aider les pays du Sud à équiper leurs écoliers. Mais on pourrait très bien avoir un phénomène proche de ce qu’on observe pour la Logan de Dacia-Renault : un engin dédié aux pays à faibles revenus intéresser au plus haut point ceux qu’on imagine plus aisés. Si l’Égypte s’est déjà prononcée pour l’acquisition d’un million d’unités, le Massachussetts réfléchit aussi à l’équipement de ses propres enfants. Un ordinateur ainsi uniformément distribué à travers le monde renforce bien entendu la place des politiques publiques pour ses meilleurs usages. Et, à ce compte, les pays les plus riches ne sont pas nécessairement les mieux placés. L’intelligence politique n’est pas fonction du PIB par tête d’habitant. Compte tenu de la place que prend de jour en jour le monde numérique dans nos sociétés, la formation à ce monde sera une des clés de réussite non seulement de l’individu mais de l’ensemble de la société dans laquelle il évolue. En quelques années à peine une nouvelle ligne pourrait se former entre les pays ayant pris la dimension de l’enjeu et les autres. Il demeure néanmoins des zones sombres dans le paysage du futur. Dans une société fortement numérisée, les tentations de contrôles sont plus fortes que jamais. L’informatique permet des verrous qu’on n’imaginait pas auparavant. On le constate aujourd’hui pour la Chine, l’Iran et d’autres pays. Et plus les systèmes sont disponibles plus les tentations autoritaires peuvent se faire jour. On l’a observé tout autant aux Etats-Unis avec le « Patriot Act ». Nous ne connaissons pas encore toutes les ouvertures ni toutes les tensions qu’une petite machine à si petit prix peut produire, mais il est certain que cette petitesse associée à sa formidable capacité d’usage produira un effet considérable sur l’appropriation du monde demain.

Références : http://laptop.media.mit.edu/

Mr Malaussène de Daniel Pennac

Posté le 23 octobre 2005

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