Biens culturels numériques - Vers une économie solidaire

L’économie des biens culturels physiques ne peut reposer que sur l’échange commercial. La production et la distribution de matière a nécessairement un coût.

Il en va tout autrement dans le monde numérique où passé l’acte de création, la reproduction numérique et sa distribution se font à un coût quasiment nul, l’échange marchand n’est plus nécessaire.

Ce simple constat doit permettre d’envisager une autre économie des biens culturels numériques, qu’il s’agisse de texte, d’image, de son, ou même d’élément plus complexe comme une ressource pédagogique pour les enseignants, ou un jeu vidéo. Le public n’a pas attendu pour remettre en question le modèle ancien de façon sauvage (par l’usage des réseaux P2P notamment) ce qui contrarie fortement les affaires de ce qu’on appelle les industries culturelles.

Tout le monde est d’accord pour que les artistes créent, soient rémunérés, et que soit favorisée la diversité culturelle. La pomme de discorde provient de la question financière, sans jamais oser poser la seule vraie question qui vaille : Que vaut la culture ? Dans le monde ancien cette valeur équivaut au chiffre d’affaires engendré par la vente de CD audio, de DVD, de livres...

Dans le monde numérique, le fichier qui code une oeuvre n’a pas de valeur économique a priori, au mieux vaut il le prix de la quantité d’espace disque qu’il occupe. Nous devons reformuler la question ainsi : quelles sont les conditions pour qu’une production culturelle numérique soit viable économiquement ?

Dès lors la question est bien moins économique que politique. S’agit-il d’entrer vraiment dans une société de la connaissance et de la culture partagée entre tous ou de faire perdurer un système inadéquat qui ne peut survivre qu’au prix de contorsions usant de méthodes barbares allant jusqu’à mettre en danger la démocratie : contrôle policier des usages, verrouillage des formats de fichier empêchant l’interopérabilité, criminalisation de millions de personnes...

Toute production culturelle demande deux agents essentiels, un créateur et une structure permettant au public d’avoir accès à cette création. Cette structure servant de label pour que le public puisse appréhender au mieux la qualité de cette création. Dans le monde numérique, ces agents seuls suffisent. Reste à avoir les moyens de produire, (ces moyens sont variables selon le type de production. Le texte étant le moins cher et le film le plus cher), et trouver un mode de rémunération pour le créateur et la structure qui le soutient.

Aujourd’hui, les interlocuteurs des créateurs sont des professionnels qui pour leur grande majorité sont salariés d’entreprise. Leur rémunération est donc fixe quels que soient le nombre et la diffusion des d’oeuvres qu’ils contribuent à proposer au public.

Pour la rémunération des auteurs-artistes, si la propriété intellectuelle sur leur oeuvre doit bien entendu exister, la rémunération qu’il peuvent en espérer doit être socialement organisée selon la réalité des systèmes de distribution. Si la valeur intrinsèque d’un fichier est quasiment nulle comme nous l’avons vu, on pourrait en estimer la valeur selon l’usage. C’est ce qui se passe pour certaines études de cabinet de consultants vendues tres chères qui s’adressent à un public professionnel privilégié et qui en attend une plus value substancielle pour le cours de ses affaires. Mais évaluer l’apport culturel d’un roman ou d’une musique pour le commun des mortels relève d’un rapport de 1 à 1000 au moins.

Reste l’acte de création qui lui est unique et directement le fruit du travail de l’auteur-artiste. Nous sommes dans une situation très proche de celle de l’artiste peintre ou sculpteur. Ces artistes ne touchent pas de royalties proportionnelles au nombre de regards qui se posent sur leur oeuvre après qu’ils l’aient vendue. Qu’un tableau soit enfermé dans un coffre ou exposé dans un lieu public l’acheteur a déja payé le droit de l’exposer où il veut.

Il pourrait en être de même pour les oeuvres codées sous forme de fichier dont chaque représentation correspond à un regard - Regarder un tableau des heures ou un texte de 100000 signes, fondamentalement quelle différence ? Le prix que pourrait donc espérer un auteur-artiste pour une divulgation numérique de son oeuvre serait une somme forfaitaire. Qu’il s’agisse donc de l’auteur-artiste comme de l’éditeur-producteur les rémunérations sont fixes.

Une structure de type fondation financée par des dons publics et privés pourrait assurer les taches de production et de diffusion. Il n’y a aucune raison pour que cette structure, à but non lucratif ne puisse faire bénéficier à ces donateurs des exonérations fiscales prévues pour favoriser la création culturelle, aujourd’hui de 60%. Le montant payé par cette structure à l’auteur-artiste serait fixé par une libre négociation entre les deux parties. Une fois payé ce prix, la circulation de son oeuvre sur les réseaux pourrait être libre et gratuite. En excluant bien entendu toute exploitation commerciale par les personnes qui voudraient la voir ou l’entendre. Toutes les mesures de protection, de verrouillage, de contrôle sur l’usager deviendraient caduques, éliminant ainsi jusqu’à la notion même de “piratage”.

L’auteur-artiste garderait par ailleurs tous les droits sur son oeuvre pour les autres exploitations (livre, disque, tous usages entrainant des droits dérivés...).

Comme pour toute activité de ce genre, il faudra oeuvrer à mettre en avant la qualité de sa production pour continuer à recevoir des dons. Plusieurs structures pourraient même se développer cherchant à attirer les dons comme c’est le cas pour les structures de formation continue habilitées à recevoir le 1% patronal. Du coté du public, hormis l’exonération fiscale, il saura qu’un euro donné (qui ne lui coutera que 40 centimes réellement), fera qu’il n’accédera plus seulement à une oeuvre, mais qu’il contribuera faire connaitre mondialement un ensemble de productions. Les partisans de culture européenne et de la francophonie, comme ceux qui ont concouru à la création du Fonds de Solidarité Numérique ne devraient pas rester insensibles à ces arguments.

Le mot de solidarité dans ce modèle n’est pas vain. Il peut être de l’honneur de la France dans le contexte européen et de rivalité culturelle avec les Etats-Unis d’initier ce mouvement.

Patrick Altman

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Posté le 14 avril 2005

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