les implications du monde numérique en réseau sur le texte

En préalable je citerai en référence deux articles que j’ai publiés sur le sujet : 1.article publié en avril 2000 dans le journal Libération 2.article publié dans le journal Transfert en mai 2002 On consultera avec beaucoup d’intéret le N°29 de mars 2002, des Notes de la fondation Jean-Jaurés - Vers la Cité Numérique - ed. Plon notamment les pages 73 à 86 sur la circulation des oeuvres et des savoirs dans l’espace public numérique.

Je suis convaincu qu’il faut traiter la question média par média. Le son comme l’audiovisuel n’ont pas les mêmes modalités de production, de représentation et d’exploitation que le texte pour un certains nombres de raisons intrinsèques. Le texte lui même est un univers hétérogéne : articles de presse, publications scientifiques, rapports publics, textes de fiction ou non à auteur unique, documents à usage scolaire ou universitaire, documents de référence type guides, dictionnaires et d’autres encore... Aujourd’hui le papier contient encore essentiellement tous ces textes. Il leur donne même des formes que l’histoire de l’édition et de l’imprimerie ont forgées. Il s’agit d’un côté des journaux et magazines et de l’autre les livres, revues.... Le monde numérique fait disparaitre ces formes, le terme de « livre électronique » n’a aucun sens, il n’est qu’un concept marketing qui a permis de nourrir des fantasmes et quelques sociétés. La notion de livre est elle même extrémement ténue. Rappelons qu’en France un livre est défini par une note émanant de la Direction Générale des Impôts de 1971, conditionnant l’application du taux réduit de TVA. Dans un pays qui se glorifie de ses lettres, le livre est une notion fiscale. C’est ainsi que jusqu’au millésime 2000, le guide rouge Michelin n’était pas considéré comme un livre, et avait donc une TVA standard. Quelques mots de commentaires critiques sur les hotels et restaurant référencés ont suffit pour le faire changer d’état, et un oeil non averti aurait bien du mal à distinguer l’avant de l’aprés. En cassant la gangue de papier, le numérique en réseau fait apparaitre chaque type de document selon sa nature. La linéarité de la lecture ou la non linéarité qui fait passer de la notion de lecture à celle de consultation, la durée de vie pertinente pour le lecteur, la longueur de l’item de texte qui conditionne la pertinence des outils de représentation, sont parmi les critéres qui intéressent directement l’accès et l’exploitation du texte électronique. Comme le numérique doit nous faire considérer le texte avec de nouveaux critéres quant à leur nature, il doit également nous faire reconsidérer le texte quant à sa valeur. Il n’y a pas de production matérielle qui ne doive trouver son équilibre économique afin que les coûts soient couverts par un financement qu’il soit le fruit du commerce ou provienne de subventions diverses. La production de textes supportés par le papier n’échappe pas à cette régle. Basculant dans le monde numérique avec un cout marginal dés la deuxiéme représentation voisin de zéro, la valeur de la matière intellectuelle qui sans être unique devient une question cruciale.

C’est ainsi qu’on régle assez facilement le cas d’un certain nombre de documents pour leur mise en ligne. 1) Les documents publics (rapport, livre blanc,...) que la Documentation Française met de plus en plus en libre disposition sur Internet. 2.Les publications scientifiques pour lesquelles les auteurs ne réclament pas de rémunération, qui a ainsi permis à la Public Library of Science de voir le jour. 3.Les documents du domaine public, ceux qui légalement ne permettent plus à leur auteur de réclamer des droits pour leur circulation.

En s’appuyant sur l’exemple du domaine public on s’aperçoit que dans le monde numérique en réseau, le droit d’auteur ne s’applique pas à la production de l’oeuvre mais à sa simple circulation. La copie est le mode normal de circulation d’un fichier. Il faut légitimement s’interroger sur ce que signifie de condamner un individu pour la simple existence d’un fichier sur un disque dur d’ordinateur. Le vol de propriété intellectuelle existe quand il y a réelle exploitation d’une matiére intellectuelle sans contrepartie pour celui qui l’a produite. Ca peut être le cas de procédés brevetés, mais pour le texte, il n’y a guere que le plagiat qui puisse être condamné. Comment évaluer l’apport intellectuel à celui qui prend connaissance d’un texte, qui grâce à une lecture transformera peut-être sa vie. Les exemples sont nombreux dans l’histoire. Il y un saut sémantique considérable entre voler un objet comme un livre et apparenter ensuite le vol au fait de pouvoir disposer d’un fichier sans contrepartie financiére. L’absurdité de ce raisonnement est total quand on songe à la façon dont on peut consulter des oeuvres numériques sur les postes de lecture de la BNF. La BNF a conclu des accords particuliers pour permettre la lecture électronique d’oeuvres, (c’est à dire la représentation intelligible de fichiers) sur des postes situés dans son enceinte. Ces fichiers cependant son stockés sur des machines que rien n’empeche d’etre raccordées au réseau pour une consultation à distance. Or, cette consultation est impossible. Nous nous trouvons donc face à un dispositif totalement opérationnel bridé pour éviter un manque à gagner. Considérant que la consultation électronique concurrencerait la vente d’ouvrage en papier. Or de deux choses l’une. Soit la lecture électronique comme on l’entend souvent dire est difficile, voire impraticable, à tel point que le livre papier est irremplaçable pour la lecture, et le manque à gagner est négligeable. Soit la lecture électronique est un véritable facteur de démocratisation d’accès à la culture de par les caractéristiques intrinsèques du monde numérique en réseau et il y a un manque cruel de réflexion et d’action en matiére de politique culturelle qui doit être dénoncé.

Parce que dans nos sociétés, le texte est l’élément de base de notre construction culturelle et meme mentale, que par la lecture il s’agrège à notre esprit par des phénomènes cumulatifs et combinatoires il ne ressemble à aucun autre mode d’expression humain. La question que pose le texte numérique est un probléme d’ordre politique et non économique. En changeant d’univers le texte change aussi la façon dont la société doit organiser sa production et sa diffusion, les régles ordinaires du monde marchand y deviennent inapplicables sauf à imaginer un systéme d’une barbarie que certains par ailleurs s’emploieraient volontier de construire.

Posté le 9 novembre 2004

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