Vers un observatoire des sociétés de la connaissance

Visions du monde et société de l’information

La vision donnée par nos politiques et nos medias de “la société de l’information” est aujourd’hui le reflet des valeurs dominantes : globalisante, uniformisante, technique et économique. Aucun projet politique au service du développement humain ne semble l’orienter et ce, au mépris d’activités et d’usages toujours plus nombreux qui entendent promouvoir des valeurs de diversité, de solidarité et de cooperation. Cette vision est induite par un certain nombre d’outils, d’indicateurs et de données existantes. L’organisation internationale de la Francophonie a choisi d’interroger, à la veille d’un nouveau sommet onusien sur la société de l’information, ces outils d’observation et d’évaluation des sociétés traversées par les effets de cette révolution informationnelle. Une première note de travail a été demandée à VECAM par l’Agence universitaire francophone autour du projet d’un observatoire des sociétés de la connaissance conçu comme un outil au service d’un retour du politique. Car la question plus générale est de savoir comment donner à voir la « Société de l’information mondiale ». C’est un travail sur la vision de notre monde et sur sa représentation dont il est question à travers cette volonté d’observation de nos sociétés.

Visions du monde et société de l’information : vers un observatoire des sociétés de la connaissance

Partout dans le monde, dans toutes nos sociétés, au Nord comme au Sud, la primauté donnée à « l’économique » engendre des déviances dangereuses pour la paix et les droits humains. Les mécanismes de régulation politique, dont le système des Nations Unies, inventés au sortir de la dernière guerre mondiale semblent dramatiquement à apporter une réponse politique aux dérives de l’économie de marché, considérée comme seule et unique réponse aux crises culturelles et politiques que vivent nos sociétés. Tous les Etats connaissent des signes de défaillance des systèmes représentatifs et une défiance des citoyens à l’égard du politique. Abstentionnisme, montées des inégalités et extrême pauvreté, phénomène d’exclusion et de violences des communautés ne sont pas réservés aux pays dits du Sud. Tous les pays du Nord les vivent à des degrés divers et les réponses n’apportent pas les solutions espérées.

L’État et le secteur public sont tous les jours un peu plus affaiblis : y participent les politiques de privatisation censées rendre plus compétitifs des secteurs entiers d’une économie qui s’affiche encore nationale, des compétences décentralisées toujours plus nombreuses sans les ressources publiques correspondantes, des dilutions de l’intérêt public et du bien commun dans des intérêts toujours plus privés, un environnement toujours plus incertain.

Les technologies ne sont pas étrangères à cette situation : elles l’ont en partie générée et aujourd’hui la confortent. Elles ont bouleversé nos rapports au temps et à l’espace, modifié nos représentations du monde et multiplié nos interrogations. Les usages marchands des technologies reliés à la mondialisation des marchés engendrent une vision globale et uniformisante de cette société de l’information ; la diversité “des” sociétés de l’information est totalement niée. Seule distinction poussée à l’extrême et qui préexistait à la révolution informationnelle sous l’effet des règles du commerce mondial : le Nord se distinguerait du Sud par la fameuse “fracture numérique”, alors que les sociétés dites riches et développées du Nord n’échappent pas elles-mêmes à cette forme moderne de l’exclusion prolongement d’une fracture sociale.

Autre caractéristique de cette société de l’information en devenir : la fascination technologique. Le positivisme continue d’influencer nos responsables politiques, désemparés face à la complexité des enjeux mondiaux, à la faiblesse réelle ou vécue de leurs moyens, à la crise de sens globale. La technique semble leurs offrir l’horizon de certitude que les idéologies ne sont plus à même de fournir. Au point qu’ils sont persuadés qu’en injectant des technologies dans tous les recoins de nos politiques publiques - éducation, santé, transport, environnement, développement économique - les solutions à la plupart de nos problèmes surgiront Le petit “e” que l’on retrouve devant chaque domaine d’intervention publique traduit bien ce pouvoir potentiel attribué à la technologie. Ainsi, nos services publics sont mis à mal sous la pression de la privatisation rendue nécessaire par la dérégulation des marchés. Mais grâce à la “e-administration” ou “e-gouvernment”, nos administrations locales ou nationales deviendraient hautement performantes ! Le système de santé est défaillant dans les pays du Sud, qu’à cela ne tienne, la télémédecine va fournir la réponse...

La vision de cette société de l’information est donc aujourd’hui le reflet des valeurs dominantes : globalisante, uniformisante, technique et économique. La société de l’information telle qu’évoquée dans la plupart des discours institutionnels est un enjeu économique et technologique avant d’être un projet politique et culturel. Et ce, au mépris d’activités et d’usages toujours plus nombreux qui entendent promouvoir d’autres valeurs, autour de pratiques coopératives - telle la communauté du logiciel libre par exemple.

Toutefois, il est essentiel de se rappeler que ces valeurs dominantes sont portées et acceptées par des responsables politiques librement élus pour porter l’intérêt général. Il semble dès lors urgent de revenir à l’essence du politique pour que ces technologies soient des outils au service du développement humain.

Un des moyens permettant ce retour du politique est de communiquer à ces politiques les données d’une réalité sociale, nécessaires à la décision politique éclairée. De ce constat est née l’idée d’une nécessaire réflexion autour des outils d’observation et de représentation de nos sociétés dans un nouveau contexte culturelle et technologique. Ainsi, observer l’évolution de nos sociétés, face à l’émergence de « nouvelles » sociétés de l’information, ne peut être qu’un acte de responsabilisation. Et s’interroger, à la veille d’un nouveau sommet onusien sur la société de l’information, sur les outils d’observation et d’évaluation des sociétés traversées par les effets de cette révolution informationnelle devient une question éminemment politique. La question plus générale est de savoir comment donner à voir la « Société de l’information mondiale ». C’est un travail sur la vision de notre monde et sur sa représentation dont il est question à travers cette volonté d’observation de nos sociétés.

Tout l’intérêt de cette approche “d’observation” est de nous obliger à partir non de la technologie et de ses impacts sociétaux, mais de la société, des sociétés telles qu’elles sont aujourd’hui. Revenons encore et toujours aux hommes et aux femmes qui les composent, aux valeurs universelles, à l’équilibre entre intérêts particuliers et bien commun. Et voyons alors, et seulement alors, comment les technologies peuvent contribuer à rendre ces vies meilleures, si tel est leur pouvoir - ce qui reste une hypothèse à démontrer. C’est ici que la connaissance de tous les acteurs et des pratiques qui entendent promouvoir un usage social des technologies est primordiale. Un observatoire des sociétés de la connaissance doit être conçu comme un outil au service du politique, comme un facteur d’aide au retour du politique.

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Posté le 5 septembre 2004

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