Vers un droit d’auteur des métadonnées ?

Bonjour,

Alors que doit reprendre aujourd’hui la discussion à l’Assemblée Nationale du "Projet de loi relatif au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information", je voudrais attirer l’attention sur un point que je n’ai pas vu souligné dans les différentes critiques portées à ce texte.

Il porte sur l’Article 10 du titre III que je vous livre in-extenso :

-------------------------------------------------------- Article 10

Il est inséré après l’article L. 331-9 du code de la propriété intellectuelle, un article L. 331-10 ainsi rédigé :

« Art. L. 331-10.- Les informations sous forme électronique concernant le régime des droits afférents à une œuvre, une interprétation, un phonogramme, un vidéogramme ou un programme, sont protégées dans les conditions prévues au présent titre, lorsque l’un des éléments d’information, numéros ou codes est joint à la reproduction ou apparaît en relation avec la communication au public de l’œuvre, de l’interprétation, du phonogramme, du vidéogramme ou du programme qu’il concerne. Ces dispositions ne sont pas applicables aux logiciels.

« On entend par information sous forme électronique toute information fournie par un titulaire de droits qui permet d’identifier une œuvre, une interprétation, un phonogramme, un vidéogramme, un programme ou un titulaire de droit, toute information sur les conditions et modalités d’utilisation d’une oeuvre, d’une interprétation, d’un phonogramme, d’un vidéogramme ou d’un programme, ainsi que tout numéro ou code représentant tout ou partie de ces informations. » ---------------------------------------------------------

A pied de la lettre (et chacun sait que la lettre de la Loi a beaucoup d’importance), les informations concernées par ce titre ont une définition pour le moins large.

"identifier une oeuvre" : il s’agit là du travail habituel des bibliothécaires et des documentalistes, qui se dotent, dans le monde de plus en plus dense de l’information numérique d’outils nouveaux, par exemple une extension des formes de numérotation (comme l’ISBN ou l’ISSN) vers le DOI (Document Object Identifier).

Mais tous les professionnels savent que la clé "auteur-titre-edition" est aussi un moyen d’identification.

Que des informations permettant d’identifier une oeuvre apparaissent "en relation avec la communication au public de l’oeuvre" est devenue monnaie courante.

Ainsi, les fichiers mp3 permettent d’intégrer des informations de ce type : auteur, durée, titre, ... qui apparaissent dès que l’on écoute le document sonore sur le lecteur adapté. De même les fichiers d’image, les pdf, ... bref tous les documents numériques peuvent contenir des métadonnées qui sont "fournies par le titulaire de droits et qui permettent d’identifier une oeuvre".

La formulation de cet article revient-elle à dire que ces métadonnées seraient elles-aussi couvertes par le droit d’auteur ? Et à ce titre ne pourraient être utilisées, extraites par les bibliothèques ou les centres de documentation, pour constituer leurs catalogues ?

Est-ce aberrant de poser la question ainsi ?

Rappelons-nous l’affaire Microfor-Le Monde : dix ans de procédures judiciaires pour savoir si le créateur d’un index de la presse (Microfor) pouvait utiliser les titres et les chapeaux des articles du Monde. Bref 10 ans pour savoir si les données d’identification enregistrées avec l’oeuvre étaient aussi protégées par le droit d’auteur. La Cour de Cassation avait tranché en estimant que les données qui ne dispensaient pas de la lecture complète de l’oeuvre ne pouvaient pas être interdites à l’usage d’un tiers. A la grande satisfaction des documentalistes.

Il me semble qu’il y a bien une véritable question derrière cette formulation.

S’il ne s’agit que "d’ambiguités", il convient que nos élus les lèvent. S’il s’agit de mettre en place une nouvelle "industrie de l’information" au travers de la marchandisation des métadonnées, il faut alors que nos élus, et les forces qui les poussent dans ce sens, aient le courage de le dire tout haut.

Débattre du "Droit d’auteur" dans la "société de l’information" est devenu une chose trop importante pour qu’on laisse ainsi planer des ambiguités. Les services publics de la documentation et des bibliothèques ont tout à gagner à ce que ce paragraphe soit clarifié.

Rappelons-nous que la dernière loi sur la propriété intellectuelle (2 juillet 2000, sur le droit sui-generis des bases de données) a été votée "à l’unanimité" !!! Nous avons besoin que la vie politique s’empare aussi de ces questions, qui, sous leur aspect technique et sous leur dimension culturelle, masquent une recomposition des forces entre un secteur marchand du travail intellectuel, et un secteur non-marchand (collectif, licences creative commons, logiciels libres... mais aussi services publics de l’information, de la documentation et des bibliothèques, production de la science publique...).

Défendre des droits de propriété pour la création littéraire et artistique est une chose nécessaire. Etendre cela à tout type de travail intellectuel est trop dangereux pour la société.

Hervé Le Crosnier

Posté le 19 juin 2004

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