Fragments du Monde, une expérience d’échange interculturel avec des jeunes adultes.

2002
par Frédéric Sultan

Différentes expériences visant à favoriser une appropriation sociale des TIC sont engagées par l’association VECAM. Fragments du Monde est l’une d’entre elles. Elle est mise en œuvre avec les acteurs francophones qui travaillent avec les jeunes, en particulier les jeunes défavorisés. Cette expérience met en lumière des enjeux (éducatifs et stratégiques) liés à l’appropriation et à l’usage des TIC dans le milieu de l’éducation non formelle. La communication est à la fois support et forme de pratique citoyenne active des jeunes. L’usage des Tic à travers la pratique d’expression et de communication, permet d’engager un processus d’échange culturel (de construction de la personne à travers l’expression et l’échange centré sur l’identité culturelle.) Aussi, mettre en œuvre des actions d’appropriation des TIC relève-il plus sûrement du projet de transformation sociale que de l’initiation technique. Cette approche permet de considérer l’appropriation des TIC comme une opportunité de faire se rejoindre les acteurs du champs de l’éducation et ceux de l’univers de la technologie au service d’un projet de société qui donne une place à chacun pour s’exprimer et débattre.

Pour mettre en œuvre leurs projets, les associations utilisent de plus en plus des formes d’organisation induites par les outils TIC tels que le réseau, l’alliance, la coordination. Leur point commun est de mobiliser dans l’action avant d’être des dispositifs techniques ou technocratiques institutionnels.. Elles s’appuient sur une dynamique d’échange de savoirs entretenue par une coopération autour de projets culturels transnationaux. C’est à partir de ce processus collectif que se construit progressivement l’organisation du réseau.

La maîtrise du fonctionnement de ce type d’organisation par les acteurs de terrain est un enjeu politique. D’une part, il leur faut mieux connaître l’influence des TIC sur les modèles d’organisation et les processus de concertation et de décision. Pour cela, ils doivent pouvoir participer activement à des travaux de recherche conduits à partir de leurs pratiques émergeantes pour formaliser des modèles et des outils d’animation de réseaux. D’autre part, les acteurs doivent aussi être les maîtres d’œuvre des centres de ressources qui leur permettront de renforcer leur action éducative. En effet, la mutualisation des pratiques n’est pas une collection des expériences pour les présenter plus ou moins hors de leur contexte. Au contraire, elle consiste à construire avec les acteurs porteurs d’une expérience, des projets nouveaux et à mettre en chantier les outils méthodologiques, techniques et les organisations dont le besoin se fait sentir. Cette démarche doit nécessairement avoir une forme participative et faire des centres ressources de véritables coopératives, pépinières d’innovation sociale.

VECAM est une association loi 1901 qui consacre tous ses efforts à une appropriation sociale des technologies de la communication et de l’information. Elle a été créée, à l’initiative de la revue Transversales Sciences Culture, et de la Fondation Charles Léopold Mayer, en réaction au G7 sur la Société de l’Information de 1995, qui polarisait les débats sur les enjeux économiques technologiques et financiers des réseaux. VECAM entend faire comprendre les enjeux sociétaux liés à ces technologies et donner de la visibilité aux initiatives sociales, culturelles, et démocratiques les utilisant. En 2000, l’association lance Fragments du Monde dans le but de favoriser l’appropriation des TIC par les jeunes adultes d’origine culturelle, sociale et géographique différentes. Cette opération culturelle est un travail autour de la création de contenus multimédia par les jeunes. L’enjeu de la société en réseau n’est plus tant aujourd’hui celui de l’accès que celui des contenus : qui prend la parole sur Internet, dans quelle langue pour y dire quoi et pour en faire quoi ? Le projet Fragments du monde, en faisant travailler à distance des jeunes de différents continents, leur permet non seulement de se former aux TIC mais aussi de devenir créateur de contenus sur les réseaux et non simples consommateurs d’informations. VECAM est rapidement rejointe par un groupe d’associations de pays francophones, le Centre de Formation Populaire au Québec, la Fédération des Maisons de Jeunes de Belgique, Franconet , en Cote d’Ivoire,Yam Pukri au Burkina Faso, ISOC-GN de Guinée, ORIDEV , au Bénin, le Centre de Ressources pour l’Emergence Sociale Participative de Yoff, et le Centre Culturel Français de Dakar au Sénégal ainsi que l’INJEP (Institut National de la Jeunesse et de l’Education Populaire).

Le dispositif initial d’animation de Fragments du Monde est composé de trois éléments. Un concours de site internet, une rencontre internationale et la publication sous forme d’un Atlas des réalisations des participants. Première de ces étapes, le concours consiste à réaliser un site internet pour présenter une place publique, des témoignages sur une question particulière qui mobilisent les jeunes et raconter une histoire imaginaire. Ce concours est ouvert à des équipes de jeunes (minimum 3) âgés de 15 à 25 ans. Les réalisations sont récompensées en fonction de leurs qualités esthétiques et techniques.

Dans un second temps, une rencontre internationale permet à une partie des jeunes engagés dans le concours de se rencontrer. L’université d’été Fragments du Monde se déroule en France pendant 10 jours de l’été 2000. Elle permet aux membres des associations de se connaître et de tisser les premiers liens d’un réseau de jeunes et d’organisations pour développer l’usage des TIC à des fins de participation sociale des jeunes. La première Université d’été Fragments du Monde regroupe 40 membres des équipes participants au concours et 12 jeunes invités par le Ministère des Affaires Etrangères. Ces derniers sont choisis par les ambassades français pour la plupart sans concertation avec les associations organisatrices de Fragments du Monde. Ils seront dans un second temps intéressés au projet et certains d’entre eux participeront au concours. Plus de 20 pays étaient représentés dans le cadre de cette Université. Les pays du nord étaient représentés par des jeunes en échec scolaire et en difficulté sociale. Alors que les jeunes originaires des pays du Sud étaient d’un niveau social et scolaire plus favorisé. Le programme de l’Université d’été allie séances de travail et activités ludiques dans une préoccupation d’échanges, de prises de parole et de développement des solidarités.

Enfin, le site internet de Fragments du Monde initialement prévu pour supporter le concours évolue pour répondre aux besoins de communication entre les participants et valoriser les productions de Fragments du Monde. Cet outil rassemble plusieurs fonctions. l’Atlas interactif de Fragments du Monde présente les contributions des groupes au concours sur le site web de l’opération. Deux listes de discussion sont ouvertes après l’université d’été. L’une pour permettre aux participants d’échanger des messages entre eux ; la seconde réservée aux personnes qui composent le groupe des associations partenaires comme outil de liaison pour coordonner l’opération. La publication en nombre limitée sous forme de cd-rom de cet outil de communication permet de faire circuler les réalisations sans être limité par les capacités d’accès internet de chaque association. Une version publiée sur un support papier envisagée n’a pas été réalisée faute de moyens financiers.

Un projet de coopération pour l’appropriation des TIC.

Le but de Fragments du Monde est aussi de servir les objectifs des organisations sociales qui travaillent avec les jeunes en constituant une table de discussion et de coopération pour une appropriation des TIC à des fins d’éducation, de formation et d’expression culturelle. Dans ce but, les partenaires de cette initiative vont former un réseau pour mettre en pratique cette problématique. La constitution du réseau procède par étapes successives.

A) Dans un premier temps, le groupe d’associations partenaires met en place une rencontre sous la forme d’un séminaire qui se déroulera dans le même temps que la seconde université d’été Fragments du Monde (été 2001). D’autre part, l’élaboration d’une charte de valeurs communes et la réflexion pour structurer cette nouvelle organisation, le réseau Fragments du Monde, sont engagés et intègrent progressivement plus de 20 associations ou organismes de jeunesse des pays francophones.

L’objet du séminaire est de favoriser un échange entre les participants sur leurs pratiques éducatives d’utilisation des technologies d’information et de communication. Il leur permet de mener une réflexion critique sur l’usage des TIC par les groupes et des individus en rapprochant finalités et besoins des jeunes. Le séminaire est d’abord un outil de recherche et de formation personnelle pour les participants. Mais il vise aussi à créer des conditions favorables à l’émergence d’expériences communes ou collectives d’usage des TIC et il favorise la coopération des organisations autour de ces pratiques. La démarche lie la réflexion à l’action. Un recensement des usages sera fait. Il permet de disposer d’un ensemble de données pour une analyse à venir. Celles-ci sont quantitatives (un questionnaire) et qualitatives (entretiens individuels et évaluations de la rencontre sur un mode qualitatif. Elles ont été collectées à des fins utilitaires pour les participants et les structures du réseau, qui se placent dans la perspective de constituer une plate-forme de coopération autour des pratiques multimédia. Des projets de coopération concrets sont identifiés par les associations tels que l’ extension d’un projet de radio internationale, une rencontre prévue en mars 2002 à Bamako ou encore deux ateliers sur la formation et sur l’usage des ressources linux et du matériel à coût réduit.

B) La charte de Fragments du Monde est élaborée collectivement par les membres des associations mobilisées par ce projet, pour une part lors du séminaire, et puis par l’échange de communications sur les listes de discussion de Fragments du Monde. Une nouvelle organisation en réseau, est mise en discussion et un programme de travail recense les actions engagées et celles qui pourront l’être dans les mois qui viennent. Un projet de site internet, conçu comme une plate-forme ressources est élaboré. Il doit favoriser une meilleure connaissance des membres entre eux, de leurs moyens et de leurs besoins. Il devra aussi être un outil de communication tant entre les organisations qu’entre les projets et permettre de valoriser les productions du réseau. Ce travail est publié de manière ouverte sur le site de Fragments du Monde , renouvelé à la suite de la seconde université d’été.

C) Le réseau Fragments du Monde intègre progressivement les associations ou organismes de jeunesse des pays francophones. La démarche est passée d’une logique de proposition de projet (concours et rencontre) à une logique coopérative. Les partenaires du réseau doivent formuler leurs besoins. Le réseau leur permet de travailler collectivement sur ces besoins en improvisant les structures formelles ou informelles, pérennes ou éphémères, en fonction des projets et des opportunités.

Ces trois étapes dans le dispositif d’animation permettent de croiser une situation favorisant la production collective multimédia, la connaissance des participants entre eux à travers une rencontre et la valorisation de leurs réalisations. C’est une initiative qui favorise l’accès et l’appropriation des TIC. Elle mobilise des jeunes, qui sans cela ne disposeraient pas d’un accès à Internet. Le concours et la rencontre offrent l’occasion de s’initier à Internet pour s’exprimer, débattre et échanger ses idées avec des jeunes de nombreux pays du monde. Cette démarche invite les participants à utiliser cet outil pour exercer leur citoyenneté et mettre ce média au service de leurs projets et de leurs idées. Le débat porte sur des sujets choisis par les jeunes eux-mêmes ou les structures qui les accompagnent.

L’objectif de cette expérience est de favoriser la participation des jeunes à la vie sociale et le développement de leurs pratiques citoyennes en offrant des possibilités d’expression plus importantes. L’usage des technologies de communication ne doit pas masquer qu’au fond, la mobilisation des individus passe par des processus qui engagent la personne dans la société. Favoriser la participation citoyenne dans le contexte éducatif, c’est donc revenir à la question du sujet et permettre l’émergence d’une parole qui engage la personne, la pousse à assumer des choix. Cette initiative est née de la volonté de tous ces partenaires d’explorer l’usage et l’impact des TIC dans un contexte d’éducation et de formation des jeunes. Fragments du Monde propose de relever les défis liés à l’émergence des TIC, à savoir qu’internet permet une communication de chacun avec tous, la mise en réseau des personnes et des organisations sociales, la production des contenus par et pour les utilisateurs, toutes choses synonymes de plus d’équité.

Or, nous sommes dans un monde qui fait souvent obstacle à l’expression du sujet sur les questions qui le touche personnellement. En effet, à quoi bon parler, puisque les experts sont la pour nous dire ce qui est et ce qui doit être pensé. La logique des institutions tend à enterrer la parole des sujets avant même qu’elle ne soit énoncée Les sujets sont prescrits par les adultes qui sont les " responsables " de ces problèmes qu’ils demandent aux jeunes de résoudre sans leur en donner les moyens. Pour favoriser la participation citoyenne du sujet, il faut rendre à chacun la parole qu’il a à assumer, et lui permettre d’affirmer de raconter son histoire, son expérience de la question. Il faut proposer des espaces qui laissent place à la rencontre , et à la confrontation pour que la véritésoit le résultat de la parole. Les technologies de la communication doivent être utilisées pour accompagner le sujet dans ses des choix et non pour donner une vérité et masquer le processus de décision. Dans le processus proposé par Fragments du Monde, en quoi la participation citoyenne est-elle favorisée ? L’un des enjeux de cette démarche est de permettre aux jeunes de percevoir l’environnement local et global sous un autre jour ; comme un espace qui leur permet d’en être les acteurs. Dans le concours de site internet, la place publique est choisie comme point d’ancrage de la démarche d’expression car c’est un espace emblématique de la ville. Les questions les plus sensibles s’y reflètent : cohésion sociale, exclusion, enjeux économiques et développement etc. C’est un espace à partager avec les autres et dans lequel se construit le contrat social. Cette entrée sur le monde permet de se donner un point du vue pour comparer sa vision à celles des autres. Elle permet aussi de se projeter dans un territoire qu’on habite avec les autres. En abordant des sujets qui les concernent, les participants réalisent qu’ils sont à la fois proches et différents de jeunes venus de l’autre bout de la planète et qu’ils peuvent être solidaires les uns des autres.

Fragments du Monde exploite sur les médias électroniques les expériences de productions de contenus que nous connaissons depuis de nombreuses années dans d’autres disciplines. Lors de la production collective de contenus comme le journal multimédia par exemple, la mise en débat de questions choisies avec les groupes permet aux participants de nouer un dialogue interculturel, de constituer une communauté virtuelle de personnes qui expriment et échangent leurs idées. La dimension internationale de la rencontre introduit la confrontation à l’autre dans ses similitudes et ses différences. Ils ont révisé les clichés et les idées reçues qu’ils avaient sur l’autre. Ils ont aussi réactualisé la perception qu’ils ont d’eux même. La dimension technique cède le pas à la dimension humaine de la rencontre. C’est tout juste si on peut réaffirmer que l’attrait des TIC donne un coup de pouce dans le déclenchement de la participation des jeunes aux échanges. Cependant, cette démarche favorise l’implication locale des jeunes. L’usage d’internet permet de faire se croiser les différents média, images, son et texte à la fois comme moyen d’expression et comme sources d’information. Le journal multimédia illustre l’interaction entre les différentes techniques. Cette rencontre se prolonge dans le temps par des échanges qui échappent au contrôle des organisateurs de Fragments du Monde. Seule une partie des liens entre les jeunes est apparente dans la liste de discussion. Il est possible aussi au travers d’autres moments de rencontres de mesurer le changement apporté par le projet dans la vie des jeunes. Mais l’utilisation des moyens de communication permet d’inscrire la relation dans la durée et de construire d’autres rencontres physiques ou virtuelles individuellement et en toute liberté. La durabilité de cette relation sera liée aux projets qui réuniront les protagonistes de cette relation car, c’est souvent au travers de l’action, et en partageant des projets que se tissent les liens entre les personnes quelles que soient les distances physiques qui les séparent.

Le choix du réseau comme moyen de coopération pour une démarche d’appropriation des TIC, Face aux discours tant des technophiles que des technophobes, l’expérimentation sociale est une voie qui permet de tester les idées que chacun se fait de ces technologies sur cette technique. L’enjeu de cette démarche est d’explorer les usages sociaux possibles des TIC et d’en imaginer de nouveaux. Lorsque les processus éducatifs et culturels intégrent l’usage de technologies, de quel manière cela transformera-t-il les pratiques des acteurs, jeunes, éducateurs et associations et institutions ? Après deux années d’activité, ce projet a mené des partenaires de plus en plus nombreux sur un chemin qui n’était connu de personne lorsque l’opération à été imaginée. La raison en est probablement que la caractéristique particulière de FdM est d’être à la fois un outil au service des acteurs éducatifs et une démarche en exploration. Le projet s’est construit dans l’échange. Il s’est modelé avec la participation des acteurs qui ont su en tirer parti pour nourrir leur propre activité.

Fragments du Monde a généré une organisation collective qui prend la forme d’un réseau. Cette démarche constitue un espace de ressources mutualisées et de coopération. Ce réseau est un appui pour les acteurs qui sont porteurs d’actions éducatives collectives et individuelles qui intègrent ou s’appuient sur l’usage du multimédia. Il permet aussi aux partenaires de répondre mutuellement aux besoins les uns des autres tant au plan pédagogique que des moyens techniques au travers d’une démarche d’échange non marchand.

Quelles sont les caractéristiques de cette organisation ? Dans un document de présentation de la politique de communication des Alliances , la Fondation pour le Progrès de l’Homme Charles Léopold Mayer détaille les caractéristiques de cette forme d’organisation. Aussi la description suivante puise-t-elle largement à cette source. Le réseau est un processus en marche et non une institution. Ce sont les valeurs communes et les projets qui permettront de le définir. C’est pourquoi même sa définition évolue. La confiance entre les membres est un élément central qui implique de gérer les inévitables conflits d’intérets ou liés à l’incompréhension Le réseau n’appartient pas à l’un ou l’autre des partenaires. Il " symbolise et valorise par son fonctionnement autonomie et solidarité, cohérence d’ensemble et démocratie, but commun et respect de la diversité et un effort pour relier le local et le global, l’expérience de chacun et la construction de propositions et stratégies collectives ". Ces principes impliquent que la partition de chacun soit volontaire et qu’il puisse vérifier qu’elle lui apporte ce qu’il en attend. Pour chacun cette attente peut être différente.

Le réseau constitue une forme d’organisation collective originale. Chacun des membres est en situation d’apprentissage et participe à l’invention de son fonctionnement. Le contrat entre les participants est garantie par l’engagement de chacun au respect de méthodes et d’une éthique qui doit être définie de manière plus ou moins formelle. Enfin, le réseau est une organisation ouverte. Chacun s’implique selon ses possibilités tant dans l’action que dans la définition des orientations et modes de fonctionnement. La mise en oeuvre de ces principes suit une conduite originale jugée positive par les participants. Elle met en valeur la créativité et l’éthique, en reconnaissant l’intention démocratique. Mais l’organisation est centralisatrice et bien que la coordination n’en soit pas directement faite responsable, il faut procéder à une plus grande décentralisation de l’organisation. Le désir de décentraliser la conduite du projet est exprimé par les participants. Il engage à déterminer plus précisément les formes d’organisation que doit prendre le réseau pour être plus efficace. Il ressort aussi une certaine difficulté à communiquer le contenu du projet, en quelques mots. La première période a été caractérisée par une difficulté permanente à faire comprendre aux participants et au public ciblé l’ensemble du projet, obligeant à un effort permanent et redondant de présentation de chaque composante. Par ailleurs, il faut noter combien la collaboration est difficile à rendre concrète tant que les acteurs ne se connaissent personnellement.

Les premiers enseignements peuvent être tirés de cette expérience. L’enthousiasme des participants, la fidélité du groupe ainsi que des témoignages directs montrent que ces processus sont capables d’impliquer socialement les personnes et d’encourager des groupes sociaux à participer à des activités de collaboration, à faire naître des partenariats qui renforcent des projets d’expression des jeunes.

La transparence des objectifs est une condition nécessaire pour convaincre les participants de s’impliquer dans ce processus. Ce n’est pas une condition suffisante. L’animation de la communauté du réseau et la conduite des débats implique de rechercher des méthodologies nouvelles pour motiver la participation des groupes cibles. Le plan de développement d’un projet qui se caractérise par une forte interaction entre les participants est sans aucun doute un défi terrible en matière de gestion de projet. La complexité des processus sociaux mérite d’être reconnue. Chacun doit accepter l’expérimentation pour créer des modèles flexibles et être tolérant face aux erreurs. D’autant plus que la coordination se perd parfois entre son rôle d’animateur du processus et son appartenance au réseau et donc, son désir de participation. Il est aussi nécessaire de reconnaître l’impact important de la perte de contrôle qu’induit le principe d’un processus ouvert.

Le projet Fragments du Monde peut être crédité de résultats concrets reconnus par ses membres. A travers les dispositifs d’animation mis en oeuvre, concours, rencontres, publication, les participants se sont construit une expérience commune qui peut être formalisée. Les outils pédagogiques ainsi définis peuvent être considérés comme les premiers résultats de la collaboration des membres du réseau. Leur mise en commun participe de la culture propre à ce réseau.

Le style particulier et l’originalité de la conduite du projet soudent la communauté et contribuent à la culture du réseau. Les expérimentations méthodologiques par tâtonnements sont reconnues même si elles ont certainement perturbé le processus de constitution du réseau. Cependant, ceci est le risque assumé de l’architecture originale de ce projet. L’investissement est fait et les visions ont mûri, dégageant ainsi des horizons possibles.

Vers une plate-forme de coopération Pour être viable, le projet doit veiller à répondre aux attentes des membres et se doter d’outils méthodologiques et techniques qui lui permettront de remplir sa mission d’espace de ressources mutualisées. Cette mission recouvre plusieurs dimensions. L’une d’elles est le renforcement de la capacité à réaliser des projets éducatifs et culturels qui permettent de relier le local et le global. La seconde est la capacité à définir et expérimenter les solutions technologiques adaptées aux besoins des partenaires. Enfin, la troisième est le renforcement de la capacité de mobilisation de moyens dont les moyens financiers.

Cette démarche ressource est construite autour du soutien aux projets des membres du réseau. L’approche participative du réseau lui donne des caractéristiques particulières. La démarche de ressource s’attache à répondre aux besoins exprimés par les organisations dans le cadre de leur processus de production. Il est inutile de chercher les réponses à des questions que les acteurs ne se posent pas encore alors qu’il semble plus pertinent d’aider les acteurs à travailler à partir de leurs questions. L’accumulation de réponses sous forme de bases de données, par exemple n’est pas ou peu opérationnelle dans ce cadre. Les réponses à trouver gagnent en efficacité dès lors qu ’elles prennent la forme d’un partage de savoir-faire à l’occasion d’une collaboration autour d’un projet commun. Ainsi la fonction ressource se construit-elle " avec " les acteurs et non " pour " eux.

Dans ce cadre, une réflexion est à mener sur les dimensions qui permettront au réseau d’être le plus opérationnel possible. La décentralisation de la gestion d’un tel projet sera un élément clef pour le rendre opérationnel et répondre aux attentes des membres. Il faudra aussi être en mesure de mener une meilleure pédagogie autour du projet tant au sein du réseau qu’en dehors.

Eléments pour définir une plate-forme de coopération pour l’appropriation des TIC Les plate-formes de coopération doivent être des structures qui permettent de mobiliser les technologies de communication pour se connaître mutuellement, travailler ensemble, et valoriser les productions de chacun plutôt que de simples sources d’informations. La question de l’accès égalitaire à l’information a été l’une des premières soulevées comme enjeux de société pour la préservation de la démocratie dans une société de l’information. Elle a fait l’objet de débats, de prise de positions et d’engagements par les acteurs sociaux aussi bien que ceux du marché. Mais à partir de cette " égalité des chances " d’accès à l’information, l’usage d’internet pose aussi d’autres questions. Internet n’est pas seulement une source d’information, c’est aussi un moyen d’expression et de communication. Internet, le réseau, les technologies permettent de dire et de faire les choses autrement. Ils influencent les modalités de l’action ensemble, c’est à dire pour les acteurs sociaux engagés dans une logique de transformation sociale leurs manières de réaliser leur travail quotidien d’incitation des populations à d’expression et à participer à la vie publique.

Il ne s’agit pas de faire allégeance au discours idéologique qui fait la part belle à l’opposition entre les " pour ou contre ", anciens et modernes face à l’émergence des technologies. L’émergence des technologies n’induit pas en elle-même la révolution et la participation. C’est dans l’interaction entre les technologies et les acteurs sociaux que se construit la (les) société de l’information. celle-ci n’est ni un objet idéal, ni un but en soi. Il revient aux acteurs sociaux de propager des usages, (bien souvent ils devront les inventer), qui servent explicitement à renforcer à la fois les liens et le sens de l’action en veillant à faire se croiser leurs dimensions globales (planétaires) et locales.

Innovation et capitalisation des expériences La plate-forme de coopération pour l’appropriation des TIC est l’un des ressorts de cette démarche. Elle doit être " conçu(e) comme lieu de médiation, à partir des questions des acteurs et leur permettant de passer du stade des "informations" à celui des "connaissances pour l’action". Plus encore qu’un lieu de production d’information, le centre ressources devrait être un lieu de bricolage ( ) permanent et de partage de l’expérience des uns et des autres, sur ces questions.

Le bricolage autour de projets est une manière de s’approprier l’expérience des autres dans l’échange. Cette posture de " bricoleur chercheur " des acteurs sociaux invite à penser la plate-forme de coopération comme un lieu de croisement des acteurs porteurs de projets. La démarche de ressources consiste à faire en sorte que les acteurs se rapprochent autours de projets. Dans cette démarche, l’information joue son rôle bien sur, mais c’est peut être le projet qui semble être déterminant (structurant) ( ). La rencontre d’une démarche d’information et de la dynamique de projet du réseau renouvelle la démarche de ressources.( )

Le rôle de la plate-forme consistera aussi à formaliser les outils expérimentés dans ce cadre de manière que chacun puissent les réinvestir. Par exemple : le chantier de production multimédia (rencontre de production du journal multimédia) est un concept de rencontre qui mériterait d’être formalisé et approfondi. Le démarche de ressources doit aussi donner à connaître des usages expérimenter par d’autres réseaux : techniques d’animations, modèles économiques, technologies et mode d’expression politique. Par exemple : le projet d’entreprise intermédiaire porté par Médiacteurs en Ile de France peut croiser celui d’unité de distribution de solutions informatique à base de réseau sous logiciel libre (linux.) Des modèles économiques (coopératives) expérimentés par les australiens ou les africains pour faire fonctionner les télécentres peuvent être source d’innovation dans le contexte français des points d’accès à internet. Pour le moins ils permettront de s’interroger sur la possibilité d’introduire l’idée de micro-économie dans des organisations qui jusqu’à présent se sont toujours tournées vers les financements publics et parapublics. La diffusion de ces information s’accompagne d’une mise en relation avec les porteurs de projets car chacun de ces outils est indissociable de ses auteurs (acteurs).

L’utilité sociale Le bricolage autour de projets entraîne aussi les acteurs sociaux dans l’élaboration de moyens structurels alternatifs collectifs. Il s’agit d’initiatives qui répondent aux besoins de tout ou partie des membres du réseau. Dans le cas de fragments du monde, plusieurs projets peuvent être envisagés sous réserve qu’ils rencontrent à la fois l’intérêt des participants et des conditions favorables pour être réalisés. Une structure de diffusion des outils pédagogiques d’insertion des jeunes sous forme d’une coopérative de production multimédia pourrait être envisagée. L’hypothèse d’une structure de distribution et de maintenance de solutions de réseaux informatiques sous les standards linux (logiciel libres) et matériel à moindre coûts (seconde main) est évoquée. La radio numérique internationale est aussi un autre projet. Chacune de ces initiatives peut mobiliser un certain nombre de partenaires qui se donnent leur propre organisation plus ou moins formelle comme cela était le cas pour le concours ou les universités d’été par exemple. Ces projets bénéficient du contexte du réseau sans pour autant en dépendre directement. En retour, ils seront constitutifs de son espace ressources. Ces constructions sociales interprètent les dimensions du projet, production, économie, technologie, organisation pour développer des modèles alternatifs marqués par la logique coopérative. Elles sont à la fois projet et outils dont se dotent les acteurs sociaux pour remplir leur mission. A titre d’exemple dans le cadre de Fragments du Monde, une structure coopérative de distribution d’outils pédagogiques permet de faire l’expérience d’un modèle économique mutualiste pour rattacher cette activité au 1/3 secteur. La plate-forme de coopération doit être un lieu qui favorise l’émergence de ces organisations " d’intéret colectif. " Enfin, pour répondre à ses propres critères éthiques et de valeurs, ce projet doit prendre la forme d’une organisation collective et coopérative à l’exemple d’une organisation mutuelle. Cette perspective place le projet de ressources dans une logique mutualiste . Il incombe aux porteurs d’un tel projet de veiller à éviter l’instrumentalisation que les acteurs des autres secteurs de la société (pouvoirs publics et marchands) ne manqueront pas de chercher à produire. Enfin l’un des enjeux de ce modèle de fonctionnement de centre ressources est la place respective des acteurs et des experts.

Les enjeux Face à la multiplication des offres de ressources électroniques, permettre aux personnes et aux associations de participer à la formalisation d’outils éducatifs et à la mise en place des structures de coopération et de ressources est un enjeu politique. Les solutions élaborées sur la base de constructions techniques (base de données, portails,...) ne sont pas satisfaisantes. Leur principal défaut réside dans le fait de réunir des réponses et d’oublier de faciliter l’émergence des questions des acteurs. Le travail de formulation de la question dans le domaine qui nous occupe se traduit par l’analyse et le renforcement des projets de l’acteur dans son environnement. C’est pourquoi la notion de ressource doit impliquer d’une part la mobilisation des participants et d’autre part leur donner la possibilité d’accéder à des espaces ou partager les expériences. Les dispositifs ressources proposés par les institutions et les experts, lorsqu ’ils sont déconnectés des réseaux fonctionnent trop souvent comme des boites noires. La maîtrise en est laissée aux techniciens et aux organisations qui les ont conçues. Elles sont donc des instruments de prise, voir de confiscation, du pouvoir au sein des groupes d’acteurs sociaux qui en seraient les utilisateurs.

Si le réseau et la coopération ne sont pas une fin en soi, ces approches prennent leur sens lorsqu’elles apportent aux acteurs un soutien dans la réalisation de leurs objectifs propres et sont des éléments de leurs stratégies de développement. A travers leur participation au réseau, les acteurs mobilisés peuvent engager des procédures de coopération et de partage des savoirs plus ou moins formelles. Ces procédures ne sont certainement pas induites par la seule mise en réseau des protagonistes. Elles sont liées aux motivations et à l’investissement de chacun des participants. Elles nécessitent pour être provoquées d’appliquer des méthodes qui n’en sont qu’au stade de la formalisation. Les expériences exemplaires ne manquent pas : l’animation de débats à l’échelle des continents Europe et Afrique avec le forum UE-ACP ou bien, les Alliances pour un monde solidaire de la FPH , le Forum AFTIDEV , réseau de chercheurs, ou encore l’expérience Mistica en Amérique Latine. Dans cette optique, la fonction Ressources sera construite progressivement avec les acteurs du réseau. les acteurs sociaux s’approprient les TIC pour s’organiser et mettre au point des outils collectifs pour répondre aux besoins qu’ils auront identifiés dans leur champs d’activité. Cette démarche ira bien au delà des possibilités offertent par l’usage d’une base de données aussi puissante fut-elle. Aujourd’hui, l’impact des TIC sur les pratiques et les organisations éducatives et culturelles nous amène donc à devoir rechercher comment se partage l’expérience ? A partir de quelles pratiques ? Quelles sont les conditions de la coopération ? Quelles sont les barrières techniques, culturelles, humaine, institutionnelles et politique à franchir ? Il s’agit d’étudier les pratiques des réseaux pour mettre à jour les processus de décision et de concertation, les facteurs favorisant ou défavorables et les leviers tant techniques qu’humains. Ce travail de recherche devra permettre de formaliser les outils, des modèles d’animation des réseaux. Il aura à coeur d’explorer la question soulevée par l’un des participants aux REMICS , Laurent Gesover concernant la valeur de l’information, son traitement sa conservation et sa valorisation dans le processus de coopération ? A terme, on peut penser que ces questions renouvelleront certainement les pratiques d’animation éducatives et culturelles dans leur ensemble. Car l’enjeu de l’appropriation des TIC par ce milieu ne concerne pas seulement des usages d’administration ou même de communication. Il s’agit d’intégrer la culture des réseaux dans les processus éducatifs et culturels, au bénéfice des personnes et des organisations solidaires, alors que le secteur marchand met sur le marché des offres qui tendent à rendre l’utilisateur de plus en plus solitaire devant son écran d’ordinateur ou de téléphone portable.

Frédéric Sultan VECAM FSultan@vecam.org

Posté le 31 août 2002

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