Transversales - Lettre d’information n°3 Novembre Décembre 2003

Lettre d’information n°3
novembre décembre 2003

Edito
° Ariel Kyrou

Invité
° Alain Caillé

Repères
° Analyse : la coopération, levier de la création individuelle à l’ère du numérique
° Creative commons, pour le développement du domaine public mondial
° Genève : le sommet du ni oui ni non
° Les contrats Creative Commons - L’interview de Mélanie Dulong-De Rosnay et Jean-Baptiste Souffron

Brèves
° L’ONU reporte le débat sur le clonage humain à 2005
° Un million d’enfants pauvres en France
° Des avancées vers les archives scientifiques ouvertes
° La responsabilité sociale et l’engagement des actionnaires gagnent du terrain
° ITER : le duel sur les énergies de demain bat son plein
° France Bénévolat

Voir / Lire
° Sauver la Terre
° Où va le mouvement altermondialisation ?

 

 

Edito
Culture de la gratuité :
Accepter de perdre un peu pour gagner beaucoup
par Ariel Kyrou
> rédacteur en chef de la revue Actuel de 1989 à 1993 , auteur de "Techno Rebelle, un siècle de musiques électroniques" (juin 2002, Denöel).

L’accès aux médicaments génériques, moins chers et tout aussi efficaces, dans les pays dévastés par le Sida. La découverte des sciences, de la littérature ou de la musique sans devoir TOUT acheter au prix fort. Le maintien des bibliothèques et des discothèques publiques, qu’elles soient faites de béton matériel ou d’ondes immatérielles. La lecture pour toutes les poches. Le choix de dire non à Microsoft et oui à Linux. Les échanges de savoir. Le rêve d’une société de création sans police virtuelle sur chaque CD ou dans chaque disque dur.

Autant d’utopies concrètes, traçant un autre monde ici et maintenant.
Autant de façons de reprendre notre destin des mains de pouvoirs qui veulent notre bien au son de tiroirs-caisses désormais numériques.
Autant d’enjeux majeurs, pour nous et nos gamins, et qui pourtant se cachent sous une ribambelle de mots maladroits, entre batailles de propriété intellectuelle et querelles pour ou contre les brevets, gratuité de musiques dansant le "peer to peer" et belle ardoise de labos exigeant les mêmes fortunes à tous les malades, riches ou pauvres.

Culture de la gratuité ? Économie de la gratuité ? Écologie de la gratuité ?
Est-ce vraiment de gratuité qu’il s’agit dans ce dossier ? Allez donc parler de gratuité au programmeur qui passe des nuits sur son logiciel libre ou au malade africain qui se meurt faute d’une juste médecine… Le premier bosse sans compter. Le second paye sa note cash.

La gratuité dont nous parlons est l’alchimie d’une "autre" richesse, d’une monnaie qui tente d’échapper à la tyrannie de l’économie : ne pas exiger d’argent pour mieux s’enrichir d’émotions ou de connaissances, de pratiques ou de matières à créations nouvelles.
Accepter de perdre un peu pour gagner beaucoup.
Et surtout autrement.

Ariel Kyrou

 

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> Article de presse
> Opinion/Analyse

 
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  Invité
Question à… Alain Caillé
> Sociologue - Professeur à l’Université Paris X - Nanterre - Fondateur du MAUSS (Mouvement Anti-Utilitariste dans les Sciences Sociales).

En quoi selon vous les mouvements coopératifs type Linux se distinguent ils des logiques de don au sens maussien ? Quels points de repères/référentiels communs sont identifiables ?

Une discussion s’est ouverte récemment au sein du MAUSS sur ces sujets. Ceux qui téléchargent un film sur Internet et le redistribuent à leurs copains en signant leur chargement sont-ils l’équivalent des Trobriandais qui font circuler des biens précieux (les "vaygu’as") entre les îles prises dans le réseau du commerce cérémoniel kula ? Vaste sujet, impossible à traiter en quelques lignes.
Deux, trois remarques, cependant. Il y a aujourd’hui une tendance à revendiquer la gratuité totale d’accès à Internet et du téléchargement d’à peu près tout. Kazaa serait révolutionnaire parce que de l’ordre du don et de la gratuité. Ce discours m’inspire de grandes réserves (je ne crois pas au don de Kazaa). En revanche, la création coopérative de type Linux me semble s’inscrire dans le droit fil du socialisme associationniste, français notamment, dont Marcel Mauss, ami et bras droit de Jaurès a été en somme le champion théorique au XXe siècle. Son fameux Essai sur le don en constitue une sorte de justification anthropologique. Les différences entre le don de son temps à Linux et le don cérémoniel "sauvage" sautent aux yeux. Il est libre et non pas contraint socialement, sans façons et non pas cérémoniel, à la communauté mondiale des linuxophiles anonymes et non pas à des personnes connues que l’on voudrait mettre "à l’ombre de son nom", etc. Néanmoins, et vos documents le montrent bien, on retrouve là je crois le véritable "esprit du don", non pas la pure "gratuité" mystifiante et sans objet, mais ce mixte d’intérêt et de désintéressement, de sens de l’obligation et d’amour de la liberté et de la créativité qui assure en définitive le triomphe de l’amitié entre les humains sur leur passion de la destruction.

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  Repères
 

La coopération, levier de la création individuelle à l’ère du numérique
[ citoyenneté ]
Analyse par Frank Beau et Thierry Taboy, en collaboration avec Valérie Peugeot, Laurence Allard et Olivier Blondeau.

Les modèles de développement basés sur le principe de coopération volontaire, bien que particulièrement performants (phénomènes décrits en théorie des jeux), sont aujourd’hui encore largement sous-estimés, voire sacrifiés sur l’autel de l’utopie et des intérêts de certains acteurs économiques. L’émergence d’une « culture de la gratuité » fait peur.
Pourtant, des mouvements coopératifs d’échelle mondiale sont désormais en place, qui allient structures décentralisées, stabilité et qualité/performance. Mieux, bien que fondés sur l’échange (non monétaire) et la mutualisation des savoirs, ils garantissent en dernier lieu une plus grande capacité/diversité globale de créations individuelles, elles-mêmes sources de valeur (même d’un point de vue purement utilitariste).
Comme le souligne Jean Michel Cornu, les modèles coopératifs dont il est question ici ne reposent pas sur les notions d’altruisme, de contrainte ou de "contrat". Le projet "collectif" existe tout simplement parce qu’il est à la confluence d’intérêts individuels multiples, qui vont du besoin de notoriété/reconnaissance personnelle, du plaisir d’apprentissage et d’échange au calcul pur et simple sur les retombées indirectes du projet.
Trois conditions semblent revenir dans l’analyse du succès d’un projet collectif : un objet reposant sur un large dénominateur commun, la quasi-exclusion d’aspects "critiques" susceptibles de diviser la communauté qui y participe et la disponibilité d’outils et mécanismes incitant à la multiplication des interactions entre participants. Ces derniers sont libres d’entrer/sortir, de profiter/participer sans que pour autant le projet d’ensemble n’en pâtisse.
De fait, les grands exemples de modèles coopératifs autonomes suivent ces conditions. Les biens manipulés et échangés - idées, codes - sont abondants et d’essence immatérielle (je ne perds pas ce que je cède) ; les actions communes ciblent en général l’environnement support d’innovations spécifiques (infrastructures logicielles, recherche fondamentale…), moins les œuvres, produits ou services finals (l’art offre un contre exemple), enfin, tous profitent de l’avènement des NTIC (baisse des coûts de production et d’accès, partage de l’information, multiplication des outils de communication et de diffusion...).

La coopération, une réalité transversale

On ne compte plus les domaines pour lesquels la pertinence des modèles coopératifs autonomes est désormais admise. C’est cette logique collaborative qui est à l’origine du développement rapide et du succès fulgurant d’Internet. A l’opposé du fonctionnement traditionnel de l’industrie du logiciel, les pionniers de l’Internet (souvent issus d’universités) ont dès les origines pris le parti de laisser leurs travaux à disposition de la communauté, afin d’en accélérer la diffusion. Internet a rapidement trouvé ses standards, et son architecture actuelle repose en grande partie sur des logiciels libres (apache, bind, sendmail…). Les victoires du logiciel libre se sont progressivement étendues au monde des PC, amenant des industriels comme Dell ou IBM à proposer linux en standard. La progression se fait aujourd’ hui sur le segment des applications génériques (navigateurs, serveurs d’application, outils de publication, outils collaboratifs…). Plus que l’accès au code, c’est la qualité/fiabilité des applications, directement liée au mode coopératif décentralisé de production, qui fait le succès du logiciel libre. Le modèle coopératif atteint désormais les stratégies des grands acteurs de l’Informatique et des Télécoms (IT). Les besoins d’interopérabilité entre applications/services sont devenus tels que les groupes de standardisation regroupant des concurrents (les "coopétiteurs") se multiplient (Liberty Alliance, Open Mobile Alliance…).
Dans le domaine des sciences fondamentales et du savoir en général, les initiatives comme celle de
Budapest sur le libre accès à la littérature des revues savantes ("Public Library of Science" procèdent de la même veine et démontrent assez aisément ce que l’abaissement des coûts d’archivage / publication et réplication de l’information permis par le numérique et les réseaux est susceptible d’apporter à la communauté mondiale des chercheurs et par rebond aux citoyens.
Le renouveau des labels musicaux se fonde également en partie sur le principe coopératif. Derrière le rideau de fumée entretenu par les majors sur le piratage musical, un véritable souffle d’air frais est en train de rafraîchir l’univers de la création musicale. De nouveaux labels MP3 fleurissent sur la Toile, qui proposent un accès gratuit (légal) et sélectif à des play-lists musicales. Les artistes coopèrent en mettant leurs compositions à disposition. Avec à la clé, un accès de grande qualité à de multiples univers musicaux. Au moment où l’offre musicale proposée par les circuits traditionnels se raréfie, où les auteurs ont toujours plus de mal à exister face aux stratégies des majors, ces alternatives offrent de nouveaux espaces en matière de production/distribution. Les passionnés qui gèrent ces labels sont poussés par l’envie de faire partager leur goûts, bien plus que par d’hypothétiques rentrées financières. Passionnés mais pas naïfs. Si la musique proposée est gratuite et libre de droit pour tout amateur (copyleft), si le principe de la copie privée est respecté, l’utilisation commerciale des compositions (compils, passages radio, insertion dans des téléfilms ou émissions TV, etc.) peut donner lieu à reversement aux ayants droits. On touche ici à une dimension nouvelle et fondamentale de la question du droit d’auteur. Le créateur décide du niveau de droit qu’il souhaite allouer à son œuvre au vu de l’usage qui en est fait. C’est tout l’objet des Creative Commons (voir repère sur le sujet).

La bataille des Commons

Préférer le bazar à la cathédrale. Tous ne sont pas d’accord. A commencer par les acteurs économiques en place qui s’accrochent au système de distribution/rétribution qui les a fait rois. Renforcement des moyens et durées de protection sur les œuvres, extension du copyright à de nouveaux territoires… l’arsenal des protections se renforce au moment où les technologies de l’Information devraient ouvrir la voie de l’accès au plus grand nombre de biens relevant du domaine public.
D’autres vont plus loin. En 1980, l’arrêt Chakrabarty de la Cours suprême des Etats-Unis a permis pour la première fois de breveter un organisme vivant. Depuis, c’est l’escalade. Renouveler ses semences agricoles à partir de la production écoulée ? Du vol selon la firme Mosanto. Dans les domaines de la Santé comme de la biologie génétique, les nouvelles "enclosures" sont en place.
Breveter donc. Jusqu’aux éléments - théorèmes physiques, codes génétiques
- qui constituent notre patrimoine commun. Quitte à interdire à terme toute possibilité d’innovation et de création, les juristes remplaçant les chercheurs au sein des entreprises.
S’il n’est pas question de remettre en cause le droit fondamental d’un créateur/auteur à voir son œuvre protégée et à obtenir rétribution pour sa diffusion, il devient jour après jour plus évident qu’un "changement de fond dans la façon de discuter des droits associés aux informations, aux contenus (…), aux logiciels et aux autres entités intellectuelles" est nécessaire. Ce débat pose des questions autrement plus complexes que le niveau juridique dans lequel on le cantonne trop facilement. La mutation en cours est d’ordre anthropologique et profondément culturelle, elle nécessite ainsi un débat de fond.
Continuer à pouvoir préférer Linux à Microsoft, renforcer l’accès aux médicaments génériques, favoriser l’émulation et le débat scientifique, fouiner sur le Net pour dénicher de nouvelles formes littéraires, musicales, audiovisuelles, artistiques ; toute cette richesse nous appartenant collectivement ne peut être détenue par quelques uns.
Il convient à présent de déplacer le débat, d’une logique binaire qui opposerait les marchands aux pirates, mais de comprendre que ce sont les questions des biens commun, du bien public, en tant que telles, qui se reposent aujourd’hui au centre de ces espaces de crise et de négociation. Car derrière les cultures de la gratuité, derrière les dialectiques de la coopération se lisent des désirs et des projets de régulations/dérégulations et de contrats sociaux autres, adaptés à la fois à l’émergence de réseaux mondialisés et de nouvelles formes de proximité.


Creative commons, pour le développement du domaine public mondial
[ citoyenneté ]
On parle beaucoup des contrats Creative Commons, lancés en 2001 par Lawrence Lessig, professeur de droit à l’Université de Stanford. International Creative Commons propose de mettre à disposition des artistes, des chercheurs, photographes, graphistes, un nouveau système de protection de la propriété intellectuelle de l’œuvre, sous forme de contrats-type, donnant pour la première fois la possibilité à l’auteur ou aux auteurs, de définir les conditions d’utilisation de l’oeuvre par un tiers. Un moyen de s’affranchir ainsi des conditions restrictives et exclusives du droit d’auteur traditionnel, en conservant l’esprit des licences libres et du mouvement de l’open source. Creative Commons ne s’adresse pas à la différence de la licence GPL (General Public Licence) aux créateurs de logiciels. Si l’œuvre reste protégée par le droit d’auteur, elle offre ainsi des possibilités de modulations quant aux conditions d’usages, ce qui donne au total onze licences ou contrats d’utilisation différents. Ces critères définissent ainsi les conditions de copie (Attribution), de la modification éventuelle du travail du ou des déposants ou l’utilisation dans des produits dérivés (No Derivative works), la possibilité ou non d’autoriser la commercialisation de le l’œuvre (Non commercial), et pour finir un dernier critère permettant d’obliger tout exploitant de l’œuvre à adopter pour le produit dérivé les mêmes conditions originales avec la notion « Share alike ». Des métadatas se situant sur les documents html permettent de suivre le parcours du document sur les réseaux. Ainsi les créateurs de ces contrats d’utilisation ont-ils pensé à la viralité de ce procédé, et souhaitent idéalement recréer un nouveau Babel, ou "sanctuaire universel du savoir". En France, c’est le Cersa (Centre d’Etudes et de Recherche en Sciences Administratives), affilié à International Commons, qui anime le débat et travaille à l’adaptation et de la traduction de ces contrats pour les mettre en conformité avec le droit hexagonal. "Les contrats Creative Commons rencontrent déjà un succès phénoménal. Ils sont notamment utilisés par les réseaux altermondialistes comme Samizdat, ainsi que par de nombreux artistes comme ceux qui participent à LegalTorrent, Magnatune, OpenPhoto...mais aussi par des universitaires comme la revue Public Library Of Science ou certains cours du MIT" racontent Mélanie Dulong-De Rosnay et Jean-Baptiste Souffron du Cersa. Ainsi, les Creative commons devraient donner la possibilité d’élargir de manière significative la culture d’échange et de partage des œuvres en proposant ainsi un consensus fertile entre les usages du droit d’auteur traditionnel et les licences libres, mais surtout en démocratisant une "culture du dépôt des œuvres" par les auteurs eux-mêmes, dans ce qui s’apparente à la naissance d’un véritable domaine public mondial.

En savoir + : Inscription à la mailing liste sur la page International Commons.

 

Genève : le sommet du ni oui
ni non

[ citoyenneté ]
La première phase du Sommet mondial de la société de l’information (SMSI) vient de fermer ses portes à Genève le 12 décembre, en attendant le rendez-vous de novembre 2005 à Tunis.
Les deux documents qui en sortent - la déclaration et le plan d’action - donnent avant tout une impression désagréable de manque de vision politique et de souffle. À cela trois raisons principales :
- un manque d’intérêt en général - et de la part des responsables politiques en particulier pour ces sujets encore perçus à tort comme du ressort des "experts" (pour preuve la faible couverture médiatique) ;

- une démarche qui depuis le début oscille entre approche techniciste (concentrée sur les infrastructures et les débouchés de marchés) et une ambition plus sociétale (les technologies au service du développement humain) ;

- des négociations laborieuses jusqu’à la dernière minute sur des enjeux aussi essentiels que la solidarité numérique Nord/Sud, la sécurité et les libertés publiques, la gouvernance d’Internet…
Les ONG et mouvements sociaux investis dans la négociation ont le sentiment, à défaut d’avoir pu promouvoir une vision alternative de la société de l’information, d’avoir réussi à éviter la publication de documents bien plus régressifs, notamment en matière de droits de l’homme. Une avancée, d’autant plus en demi-teinte que la seconde étape de ce sommet se déroulera en Tunisie, pays dont le gouvernement emprisonne les webmasters qui le dérangent ! Cependant, en réaffirmant à travers leurs propres documents des objectifs aussi essentiels que la défense du bien commun de l’information, ou la promotion des médias communautaires et du logiciel libre, ces mouvements prennent également date pour les prochaines discussions qui se dérouleront à l’échelle nationale ou continentale.
Reste que ce sommet a certainement contribué à la prise de conscience par de nombreux acteurs de l’importance transversale jouée pas la révolution informationnelle et de l’importance d’en faire un champs de l’action collective. Le sommet de Lyon, qui en amont de Genève réunissait des villes et régions du monde entier, en est une illustration : pour la première fois des collectivités locales affirmaient ensemble que ces questions entraient dans le champs de leurs responsabilités politiques.

 

Les contrats Creative Commons
L’Interview de Mélanie Dulong-De Rosnay et Jean-Baptiste Souffron - Cersa.
[ citoyenneté ]
Si vous deviez résumer en quelques mots la philosophie des contrats Creative Commons par rapport au droit d’auteur américain, au droit d’auteur français et aux licences libres telle que la GPL ?
Philosophiquement, Creative Commons n’est pas une initiative opposée au droit d’auteur, mais cherche à promouvoir le développement de la culture en offrant les outils juridiques et techniques nécessaires pour que les auteurs puissent remettre leurs oeuvres entre les mains du public. Bien sûr, les contrats Creative Commons ont été rédigés par rapport au droit de copyright américain, mais la transposition dans un système de droit d’auteur n’est pas une étape insurmontable et ce travail se justifie amplement pour des raisons d’accessibilité linguistique et de sécurité juridique. C’est évidemment pour assurer le sérieux de ce travail délicat que Creative Commons a souhaité travailler avec une institution universitaire reconnue, le groupe de recherche Informatique, Droit et Linguistique créé par Danièle Bourcier et aujourd’hui relié au CERSA-CNRS à l’Université Paris II. En ce qui concerne le s autres licences libres, les contrats Creative Commons sont bien sûr inspirés de ce que d’autres ont déjà pu réaliser pour promouvoir le partage et la diffusion de la création, le premier d’entre eux étant Richard Stallman, le fondateur de la Free Software Foundation et le créateur de la General Public Licence. Toutefois, Ils visent plus les œuvres musicales, littéraires, photographiques, etc que les développements logiciels.
Les contrats Creative Commons se révèlent finalement comme des outils complémentaires aux autres formes de licence libre et apportent une souplesse, une simplicité et une rapidité d’utilisation qui faisait jusqu’alors défaut en réservant ces possibilités à de petits groupes de spécialistes.
On peut noter qu’il n’existe pas un seul contrat Creative Commons, les textes sont modulables ; différentes options peuvent être combinées et toutes n’intègrent pas la mentio n Share-Alike, partage à l’identique, inspirée par la GPL.
Enfin, les contrats Creative Commons ne sont pas seulement destinés à permettre aux auteurs de diffuser leurs œuvres, ils visent d’abord à faciliter l’accès du public à la culture et à la connaissance et à étendre ses possibilités d’interaction avec les œuvres. D’une certaine façon, ces contrats ne sont encore que la première pierre de Creative Commons. D’ores et déjà, des contrats plus adaptés à certains besoins spécifiques comme le sampling sont en préparation et en voie de transposition dans les différents systèmes juridiques internationaux.

Dans le travail d’adaptation, quels sont les principaux problèmes "philosophiques" que vous rencontrez, pour respecter à la fois le principe de la licence américaine et le droit français ?
Les principaux problèmes à résoudre sont d’abord des problèmes de terminologie, un même mot pouvant désigner des concepts différents selon les systèmes juridiques, ainsi un terme employé par les licences américaines peut correspondre à un terme différent en droit français : la définition française d’œuvre collective ne recoupe pas exactement la signification couverte par l’expression "collective work", en droit américain. Parfois la traduction n’est pas réellement possible et il est nécessaire d’adapter le texte original en essayant d’en conserver l’esprit du mieux qu’il est possible.

Peut-on imaginer que l’usage de ces licences connaîtra un succès plus large en nombre d’utilisateurs, que les licences liées aux logiciels ou aux productions artistiques sous copyleft comme Art libre par exemple ?
Les contrats Creative Commons rencontrent déjà un succès phénoménal. Ils sont notamment utilisés par les réseaux altermondialistes comme Samizdat, ainsi que par de nombreux artistes comme ceux qui participent à LegalTorrent, Magnatune, OpenPhoto... mais aussi par des universitaires comme la revue Public Library Of Science ou certains cours du MIT.

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  Brèves

L’ONU reporte le débat sur le clonage humain à 2005
[ vivant ]
En 2001, la France et l’Allemagne ont été à l’initiative d’une résolution qui cherchait à interdire le clonage reproductif mais à autoriser la recherche dans le domaine de la technologie du clonage. Si tous les pays membres semblent s’accorder sur la question de l’interdiction du clonage reproductif, ils apparaissent parfaitement divisés sur celle de la recherche. Le Costa Rica, les Etats-Unis, les Philippines et plus de 50 autres pays, soutenus par le Vatican, ont réclamé l’adoption rapide d’une convention internationale interdisant toute forme de clonage humain, même à titre thérapeutique. Les blocs ainsi constitués mêlent des intérêts à la fois économiques, éthiques et religieux. Le vote in extremis du report, le 6 novembre dernier, permet à certains scientifiques de poursuivre leurs recherches thérapeutiques, et offre à d’autres une fenêtre pour tenter de produire un premier clone humain.
En savoir + : les derniers développements.

Des avancées vers les archives scientifiques ouvertes
[ citoyenneté ]
Le mouvement mondial en faveur des archives scientifiques ouvertes se concrétise en France avec la signature par le directeur général du CNRS, Bernard Larrouturou, ainsi que de nombreuses personnalités scientifiques mondiales, de la déclaration de Berlin, le 22 octobre dernier.(déclaration de Berlin).
Le monde de l’édition scientifique était en effervescence depuis le 13 octobre, date de la création de la première revue scientifique de haut niveau, entièrement gratuite et en ligne : "PloS (Public Library of Sciences) Biology". Ses fondateurs : Michael Eisen (Berkeley), Patrick Brown (prix 2000 de l’Académie des Sciences américaine), Harold Varmus (ex directeur du NIH et prix Nobel). Un véritable accès aux dernières découvertes pour les scientifiques du "Sud".Les grandes revues payantes se posent dès à présent des questions sur la capacité de "PloS Biology" à assurer une "peer-review" (validation des contenus par des pairs scientifiques) de qualité.

ITER : le duel sur les énergies de demain bat son plein
[ énergie-éco ]
Ce premier projet de réacteur à fusion nucléaire, visant à reproduire et maîtriser les réactions physiques au cœur de notre soleil pour produire de l’électricité, présente des avancées majeures par rapport aux réacteurs nucléaires classiques : les ressources (isotopes d’hydrogène), présentes en bien plus grandes quantités sur notre planète que l’uranium / plutonium, des déchets radioactifs en faible quantité, dont 90 % sont peu actifs (15 à 50 ans, contre 100 000 ans par la fission !), pas d’émission de CO2, un rendement très important… si l’on parvient à maîtriser cette technologie.
Les autres enjeux autour d’ITER : la maîtrise totale de la production énergétique à terme par les pays développés (contrairement au pétrole) ; les budgets alloués à ce projet sans garantie de réussite, face aux non-investissements dans les énergies renouvelables ; la lutte actuelle France/Japon pour l’accueil du site ; le volet militaire du projet (impossibilité de transfert de technologie purement "civile").
En savoir + : Ce qu’il faut savoir sur ITER - le site officiel - le site de Cadarache (France/Europe) - le site de Rokkasho (Japon) - l’avis des mouvements écologistes.

 

 

Un million d’enfants pauvres en France
[ solidarité ]
La France compte entre 1 et 2 millions d’enfants pauvres, suivant les critères utilisés. Selon l’Insee, 8 % des moins de 18 ans vivent dans une famille pauvre, si l’on situe le seuil de pauvreté à 50 % du revenu médian. Mais ils sont deux fois plus nombreux (18 %) si on porte ce seuil à 60 % du revenu médian, comme le fait la Drees, Direction de la recherche du ministère de la Santé.
Le taux de pauvreté des enfants est donc plus élevé que celui de l’ensemble des ménages français, qui atteint
16 % selon la Drees.
L’inégalité des revenus touche aussi les enfants : la moitié des enfants pauvres vivent avec des parents sans emploi.
En savoir + : Eric Maurin "L’égalité des possibles", coll. La République des idées, éd. du Seuil, 2002

La responsabilité sociale et l’engagement des actionnaires gagnent du terrain
[ citoyenneté ]
L’Eurosif et l’ASrIA viennent respectivement de publier un rapport sur les pratiques ISR (Investissement Socialement Responsable) des investisseurs institutionnels en Europe et en Asie.
Dans le sillage de l’affaire Enron, l’engagement des actionnaires gagne du terrain et l’on reconnaît qu’un meilleur comportement social des entreprises a des effets bénéfiques très importants. Une étude d’Innovest montre ainsi que les entreprises responsables sont plus performantes financièrement.
Parmi les engagements aux Etats-Unis, soulignons l’action des syndicats (l’AFL-CIO a récemment lancé le programme "Capital Stewardship" pour coordonner les activités d’engagement actionnarial) mais aussi l’expérience communautaire de l’Oneida Trust Committee (OTC), qui surveille les placements de la tribu indienne Oneida (Wisconsin) et utilise les investissements pour obtenir des changements sociaux.
En savoir + : Conférence 2003 de l’ICGN, Réseau Financement Alternatif.

France Bénévolat
[ citoyenneté ]
Lancement de l’association France Bénévolat, réseau national chargé de la promotion du bénévolat et de la mise en relation des bénévoles potentiels et des associations. Cette "ANPE du bénévolat" se fonde sur les centres locaux existants du Centre national du Volontariat et sur les ressources du site Internet Planète Solidarité.

 

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  Voir / Lire

Sauver la Terre
Yves Cochet et Agnès Sinaï, Ed. Fayard - octobre 2003.
Encore un livre remarquable pour tous ceux qui s’interrogent sur le devenir de notre planète. L’idéologie productiviste, la religion de la "croissance économique", remettent de plus en plus en question les conditions mêmes de la l’habitabilité de la Terre par les hommes. "Sauver la terre" regorge de données récentes, précises, chiffrées, sur le dérèglement du climat, la pollution de l’air et de l’eau, l’épuisement des sols, les atteintes à la diversité biologique. Une vision "de l’intérieur" des grandes négociations environnementales nous est également proposée par les auteurs qui reviennent sur les echecs de Tokyo et de La Haye, le détournement des objectifs du sommet de Johannesburg, et enfinle mirage de l’industrialisation des pays sous-développés.

 

Où va le mouvement altermondialisation ?
Ouvrage collectif coordonné par Transversales et Mouvements, Ed. La Découverte - octobre 2003.
A la veille du FSE, les revues Transversales et Mouvements avaient pris l’initiative d’interroger quelques-uns des principaux acteurs, français et internationaux (1), sur l’avenir du mouvement altermondialiste. Une grille de questions communes leur a donc été adressée ; le résultat en est ce petit livre de 120 pages qui permet de se repérer dans les débats en cours au sein du mouvement (2).
Le premier constat réside dans le fait qu’au delà des divergences, bien réelles parfois, le dialogue reste possible, et fertile, entre les acteurs. Une belle illustration du pari de ce livre, ainsi résumé dans son introduction : "Pouvoir traiter sereinement des divergences d’approche et de stratégie entre les principales sensibilités à l’œuvre au sein du mouvement altermondialiste permet de révéler la richesse que constitue, pour ce mouvement, sa diversité même." D’où l’intérêt de poursuivre une telle démarche, qui contribue à rendre crédible l’objectif, en apparence contradictoire, de construire l’"unité dans la diversité".
(1) Christophe Aguiton, Miguel Benasayag, Bernard Cassen, Nadia Demond (féministe italienne), Gustave Massiah, Bruno Rebelle et Chico Whitaker.
(2) Un résumé est accessible en ligne.


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Président et directeur de la publication : Joël de Rosnay

Groupe d’orientation : Jacques Robin, Laurence Baranski, Philippe Merlant, Annie Battle, Thierry Taboy, Patrick Viveret, Jean Zin, Valérie Peugeot.

Equipe de rédaction :Philippe Merlant (rédacteur en chef), Thierry Taboy, Valérie Peugeot, Laurent Jacquelin, Valérie Chapuis, Alexandre Faesch, Dorothée Benoit Browaeys, Frank Beau, Laurence Allard, Olivier Blondeau.
Design et production : Agence Révolutions / Nicolas Berranger, Philippe Clavaud.



Posté le 8 janvier 2004

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