[SMSI-64] Biopiratage et propriété intellectuelle

Bonjour,

Depuis quelques jours j’accumule des recherches pour rédiger un petit papier sur les droits des peuples indigènes au respect de leur savoir et la protection de leurs connaissances.

Je vous avoue que je suis abasourdi devant l’immensité du délire que l’on découvre en fouillant ce domaine.

Tenez, cette société du Texas, RiceTec, dirigée par le Prince autocrate du paradis fiscal européen dit Lichtenstein, qui a déposé un brevet sur le riz Basmati.(US patent No. 5,663,484). Ce brevet est devenu un cas classique de "biopiratage" : le travail de générations de fermiers d’Inde et du Pakistan est incorporé dans une "propriété intellectuelle" au profit d’une entreprise du Nord. Plus d’informations...

Ces brevets sont non seulement le fait de pirates industriels, mais ils sont encouragés dans ce pillage par les offices de brevets, particulièrement l’USPTO, l’office étatsunien. Ainsi, quand Loren Miller, de Californie, dépose un brevet sur Ayahuasca vine (Banisteriopsis caapi ; patent #5751), une plante d’amazone connue pour ses propriété hallucinogènes et utilisée par les indiens lors de cérémonies depuis des siècles, un procès est ouvert par les associations d’aide aux peuples indigènes. Un procès gagné... puis perdu en appel, l’USPTO ayant finalement priviligié les arguties juridiques du Nord-Américain. Encore plus d’informations...

Les brevets peuvent être révoqués quand des organismes du monde entier se mobilisent, comme ce fut le cas pour le brevet concernant un arbuste indien connu depuis longtemps pour ses qualités fongicides, le "neem". Toujours plus d’informations...

Mais pour cela, il a fallu retrouver un "texte écrit" prouvant l’antériorité du savoir indigène. Heureusement, un vieux texte en sanscrit pu ête fourni. Mais dans la majeure partie des cas, les savoirs de communautés indigènes sont transmis oralement.

C’est d’ailleurs cette transmission orale que les grandes compagnies et les universités du Nord cherchent à s’approprier, en envoyant des ethnologues dans les communautés pour repérer les plantes qui peuvent ouvrir un grand marché. Il a fallu deux ans de luttes aux indiens du Chiapas pour faire annuler le projet de recherche ICBG-Maya, subventionné par le Gouvernement des Etats-Unis pour "étudier" les savoirs traditionnels des mayas sur les plantes médicinales. "Etudier" quand le résultat est un brevet qui prive les communautés d’origine de leur connaissance, est un terme bien trop "neutre".

Car les Universités aussi déposent des brevets de biopiratage qui privent les peuples de leurs propres connaissances. Ainsi l’Université de Toledo (état de l’Ohio, Etats-Unis) s’est emparée du travail de chercheurs éthiopiens sur "Endod", une plante locale connue pour ses effets mortels sur les poissons. Ces chercheurs ont découvert que cette plante agissait sur des mollusques et pouvait être utilisée pour combattre la Bilharziose (schistosomiasis). Les brevets 5,252,330 et 5,334,386 déposés par l’Université de Toledo... ont par la suite été opposés aux chercheurs éthiopiens : il leur a été réclamé une licence de 50 000 dollars (plus 2,5% de royalties et de charges légales).(Letter from John M. Kane, Technology Transfer Specialist, University of Toledo, to Dr. Aklilu Lemma, President, Endod Products, Inc., 9 March 1995).

Le biopiratage est un des aspects marquants de la façon dont les règles de la propriété intellectuelle servent avant tout à façonner les intérêts du Nord et à instaurer des monopoles de pouvoir. L’innovation est secondaire, quoi qu’en pensent les défenseurs du système des brevets. La mise en coupe réglée du monde est le seul objectif : le savoir devient soumis à réglement de licences, de "droits" sonnants et trébuchants.

Comment protéger les savoirs indigènes est donc un enjeu fort de la société de l’information. Qui impose de revoir de fond en comble la structure même du système de la propriété intellectuelle.

Ces savoirs ancestraux appartiennent au savoir commun de l’humanité, à son patrimoine global. Ils ne peuvent être accaparés par des entreprises commerciales. Mais comme tous les savoirs du monde, ils peuvent être objets de commerce (par exemple, on vend encore l’Iliade et l’Odysée). Comment trouver un juste retour aux communautés indigènes dont l’expérience cumulée a su créer ces connaissances, sans remettre plus globalement en cause les biens publics mondiaux de la connaissance ?

Voici un exemple concret qui montre que les basculements liés à la "société de l’information" doivent être réfléchis profondément, et non s’orienter vers un toilettage des droits visant simplement à renforcer les pouvoirs existants, et à passer une couche de vernis "humaniste" dessus et couvrir la critique par des phrases ronflantes.

Je partage l’approche équilibrée proposée dans le document de la société civile pour le SMSI par Nilo Cayuqueo de Abya Yala Nexus : "Reconnaître que les Peuples indigènes sont les gardiens de leurs savoirs traditionnels et ont le droit de protéger et controller ce savoir, et que les régimes actuels de propriété intellectuelle sont insuffisants pour la protection des droits intellectuels et des cultures des peuples indigènes. Nous demandons aux Nations Unies d’établir un cadre légal spécifique, en accord avec l’Agenda 21 du Sommet de la terre et de reconnaître que les droits à l’auto-détermination des peuples indigènes sur leurs territoires ancestraux sont des préalables pour assurer la protection, la préservation et le développement de leurs savoirs traditionnels dans la Société de l’Information."

Pour pouvoir donner au monde, il faut d’abord être reconnu par le monde.

Tout le reste est du biopiratage, ou du piratage de savoir.

Hervé Le Crosnier

Posté le 25 novembre 2003

©© Vecam, article sous licence creative common

1 commentaire(s)
[SMSI-64] Biopiratage et propriété intellectuelle - 28 décembre 2006

Bonjour
Je suis journaliste et j’aimerais entrer en contact avec l’auteur de cet article sur le biopiratage.
Voici mon mail alaidi@france24.com