note : suite à mon message d’hier, mes amis québécquois m’ont fait remarquer que FTAA se traduit en français par ZLEA : Zone de Libre-Echange des Amériques. HLC ]

Bonjour,

La nouvelle est rassurante : ils s’occupent de nous.

Au premier chef Cisco, la multinationale qui vend des routeurs, et fait évoluer rapidement leur logiciel. Les routeurs sont les noeuds physiques essentiels du réseau, qui orientent les paquets IP, constituants de base des messages échangés entre les ordinateurs, d’un bout à l’autre de la planète.

Si l’on en croit le Wall Street Journal de ce jeudi 19 novembre, Cisco va bientôt ajouter à sa panoplie un rôle de grand-frère du réseau : les ordinateurs qui ne seront pas correctement protégés par des anti-virus seront détectés automatiquement au moment du routage. Il seront alors orientés vers un producteur d’anti-virus, ou auront un accès restreint, ou bien seront carrément interdit d’internet.

Bonne nouvelle : les virus rapides, comme le fameux Blaster, qui s’est répandu en quelques heures sur toute la planète, seront bloqués au niveau du réseau. Bon d’accord, durant tout ce temps l’accès internet sera aussi bloqué, mais c’est un moindre mal. Seuls ceux qui disposent de l’anti-virus adéquat continueront à surfer. Comment feront-ils... eh bien,... Merci les "web services", "SOAP" et autres XML-RPC" : ceux qui auront un anti-virus et un abonnement de mise à jour automatique par le réseau, en utilisant les technologies ci-dessus, pourront rapidement lever l’interdit du routeur. Pour les autres, ceux qui n’ont pas choisi de passer au péage "Fast"... et bien le Wall Street Journal n’offre pas encore la réponse. Mais c’est tellement pour le bien de tous qu’il faut supporter ces quelques inconvénients.

Bonne nouvelle encore, les pros, les vrais, les durs et les tatoués du bizness de l’anti-virus (Network Associates, Symantec Corp., et Trend Micro) ont annoncé qu’il vont intégrer la technologie de Cisco dans leurs produits.

C’est-y qui prépareraient une petite bande pour racketter la planète ? Allons, Le Crosnier, cessez donc ce mauvais esprit. C’est pour la cyber sécurité, contre le cyber-terrorisme de la cyber-mafia, qui vous savez bien est alliée à cyber-quaeda.... Et comme c’est étrange, on retrouve dans ce domaine technique le langage des politiques modernes : John Chambers, patron de Cisco, déclare au même Wall Street Journal que "les menaces de sécurité sur le réseau ne peuvent pas être correctement traitées par des mesures réactives"...bref, en ce doamine aussi, rien ne vaut une "guerre préventive".

L’idéologie, c’est quand les réponses précèdent les questions, quand les modèles tout faits s’imposent par delà les secteurs, les situations. Des réponses qui annihilent la réflexion.

Or dans ce domaine, comme dans tout domaine qui touche aux droits des individus, il convient de se demander si une réponse est d’un niveau approprié au risque. Non pas une réponse dans l’absolu, face à un risque absolu, mais une riposte dans le concret, proportionnée, équilibrée, ne mettant pas en danger d’autres libertés.

Clairement, j’ai des doutes sur le type de mesure proposée par Cisco. Par exemple, comment feront-ils pour laisser mon poste linux entrer sur l’internet, lui qui n’a pas, n’a pas besoin, d’anti-virus ? Comment sera détectée la présence ou l’absence d’un anti-virus sur mon disque dur ? Est-ce qu’il faudra un anti-virus agréé ? Est-ce qu’un "programme espion" sera installé ? Et quelles autres informations pourra-t-il obtenir ? Pour les revendre à qui ? Quelles garanties aurai-je de ne pas être considéré, avec toutes les idées tordues qui sont les miennes, comme un cyber-danger pour le réseau ?

Bref, avec une telle technique, c’est le fondement même de l’architecture de l’internet (routage transparent des paquets IP) qui est relativisée. Et comme le dit si bien Larry Lessig : "code is law" : ce qui est inscrit dans le code du réseau s’impose à tous les utilisateurs, présents et futurs.

Or dans le coeur du réseau, il y a le routage, et dans l’industrie du routage, il y a Cisco, Cisco et.... Cisco. Un monopole qui peut détourner le fleuve de l’internet s’il lui prend des désirs d’installer des protocoles nouveaux, comme celui qui est proposé aujourd’hui contre les virus, ou d’installer des vitesses séparées pour les divers protocoles, pour les divers utilisateurs, ou encore s’il installe des "bretelles" permettant des "écoutes électroniques" (les fameux "wiretap" demandés par le Pentagone après le 11 septembre).

Quand on parle de la "gouvernance" de l’internet, on laisse souvent dans l’ombre le "gouverneur". Qui par delà l’association de nommage, peut s’occuper des choix des utilisateurs.

Pour notre bien évidemment, pour nous protéger du "mal"....

Il y a quelques siècles, on appelait ça "l’aristocratie éclairée". Et dire qu’il y a des malandrins en guenilles qui ont préféré les risques collectifs de la République.

Hervé Le Crosnier