SMSI-70 Le Massachusetts met le Roi nu-pieds

Bonjour,

J’ai découvert le Massachusetts au travers d’une rengaine des "Bee Gees", et le voici qui revient sur le devant de ma scène sans même entrainer son institut de technologie.

Car cet état vient de jeter un sacré pavé dans la mare, disons même dans le marigot, du marché des logiciels.

Son secrétaire à l’administration et à la finance, Eric Kriss, vient de transmettre aux responsables des achats de technologie de l’Etat une note demandant l’usage de "logiciels ouverts et de normes ouvertes" (open standard, open source). http://www.usatoday.com/tech/news/techpolicy/­2003-10-20-open-source-mass_x.htm

Rien de spécial pour la société civile concernée par l’informatique et les réseaux, qui a fait depuis longtemps deux choix essentiels :
- contrer le monopole de Microsoft, qui d’une position dominante sur un des secteur de la technique informatique (les "systèmes d’exploitation") étend sa main-mise sur tous les secteurs des technologies de l’information, jusque et y compris l’art en images (Corbis) les médias ou la banque en ligne.
- défendre une conception ouverte de la production des logiciels et de leur usage. Les sources ouvertes garantissent qu’aucun piège n’est tendu dans le dos des utilisateurs (des "back doors", ou simplement des logiciels trappes qui rapportent à un "centre" des informations sur votre propre usage de votre propre ordinateur).

Mais quand il s’agit d’un Etat qui prend une telle position, c’est tout différent. Les Etats pèsent par le poids de leurs budgets d’acquisition (les administrations sont considérées comme représentant 10% des achats de matériel informatique). Ils pèsent aussi par leur capacité à indiquer des directions pour l’industrie.

Alors évidemment notre cher monopole se récrie. Il a déjà réussit à bloquer des tentatives semblables au Texas ou en Orégon, au nom du fait que sa technologie "propriétaire" serait alors d’emblée exclue des appels d’offre publics.

Bien joué ! La politique d’un Etat doit, selon eux, rester "technologiquement neutre" suivant le mot à la mode. Un des groupes de lobbying dirigé par Microsoft s’appelle ainsi "L’initiative pour le choix logiciel" (Initiative for software choice).

Car dans l’esprit libéral, s’il y a décision politique, il n’y a plus de "choix" économique.... Autant dire que les décisions collectives ne sont plus possibles, et que les orientations des grandes transnationales sont la seule issue. Même si elles conduisent à une domination à 95% du marché des systèmes d’exploitation par une même entreprise. Belle image de la "liberté" et du "choix"...

Heureusement, le monde bouge, et vite.

Alors restons attentifs. De Paris à Munich, du Japon au Brésil, de l’Afrique aux pôles, les Etats et les structures administratives commencent à percevoir que leurs propres données sont en danger en l’absence de transparence des codes logiciels ; que leurs dépenses ne peuvent plus être maîtrisées, tant les monopolistes tiennent les ficelles des "nouvelles versions incompatibles", nécessitant des matériels super-puissants.

Certes, ces décisions publiques restent "officieuses", irriguent les couloirs et rendent crédibles les solutions libres alternatives... mais n’osent pas encore définir un retour des puissances publiques sur la scène de l’investissement, de la régulation au nom du bien collectif, et sur la normalisation ouverte.

Mais le chemin est entamé, et c’est pour bientôt que le logiciel va changer de nature économique, politique et culturelle. Le logiciel va devenir un bien d’infrastructure, relevant de décisions publiques fortes, rendues intelligibles par des actions pédagogiques et militantes, en association avec la société civile.

Oui, la liberté avance à grands pas dans le domaine logiciel... A moins que les monopolistes, le réseau mondial du "secteur privé" et leur représentant au SMSI, le Comité de Coordination du Business, ne réussissent à imposer des formules restrictives dans la "Déclaration des Etats".

De telles formules, qui excluraient les logiciels libres ou les réduiraient à une simple "méthode de développement", qui demanderaient aux Etats de ne pas choisir (sous couvert de "neutralité technologique"), pourraient devenir des armes aux mains des monopoles, de Microsoft en particulier (mais n’oublions pas nos amis de Cisco, Verisign, AOL ou Disney...).

Ce qui se joue au SMSI autour de la question centrale des logiciels libres est plus qu’un remake des négociations de l’OMC (sur les "obstacles techniques au commerce"), plus qu’une mise en scène, la main sur le coeur, des bienfaits de l’informatique et de la générosité de son actionnaire numéro un, comme dans une vulgaire "Déclaration de Davos"...

Ce qui se joue, c’est le "métalangage" des années à venir : sera-t-il possible de faire reconnaître que le logiciel ne peut pas être un bien économique comme les autres, et que les Etats et les autres collectivités publiques peuvent définir des politiques (géographiques, archivistiques,coopératives, pédagogiques...) qui ont pour objet de reprendre la main sur un secteur essentiel à l’économie et à la société du 21ème siècle.

Au nom du bien commun. Et pour un projet ouvert à l’"examen public".

Ce faisant, c’est aussi la nature même de la démocratie représentative médiatique que nous connaissons qui serait bousculée : avec le logiciel libre, un des éléments clés de l’avenir devient libre et disponible à tous, ouvert aux usagers et bénéficiant de l’expertise de tous pour la renvoyer au service de tous.

D’ici à ce que ça donne des idées pour étendre ce processus du logiciel à toutes les décisions administratives.

La révolution indépendante, douce, soft, libre....

Ah ! si le Massachusetts savait qu’on rejoue 1783 sans le prévenir...

Hervé Le Crosnier

Posté le 22 octobre 2003

©© Vecam, article sous licence creative common