SMSI-72 Fichier, fichage, fichez-moi la paix !

Bonjour,

Ce lundi 20 octobre, 107 gendarmes et 66 policiers commencent à procéder à des prélevements biologiques sur plus de 1300 prisonniers.

Ces prélèvements doivent servir à constituer une banque de données de séquences génétiques, afin d’aider ultérieurement à la recherche de coupables et à l’établissement de preuves.

Le FNAEG (Fichier national automatisé des empreintes génétiques) commence à grandir. On trouvera sa définition officielle sur le site du Minitère de l’Intérieur : http://www.interieur.gouv.fr/rubriques/b/b7_a­ide_aux_victimes/fiche_fnaeg

Au passage, admirez la poésie de l’URL : nous sommes bien dans ce domaine si largement partagé de "l’aide aux victimes".

Prévu à l’origine pour les auteurs de crimes sexuels, le prélèvement biologique est maintenant étendu à un grand nombre de crimes et même de délits.

Suspect un jour, suspect toujours.

Et alors, direz-vous, si ça sert à retrouver des coupables de crimes monstrueux.

Je dois vous dire que j’ai toujours un problème quand on commence des grandes opérations humanitaires de ce type par des prisonniers : personne empêchée par excellence, le prisonnier garde des droits, une dignité. Il est condamné, et ce temps à purger doit lui servir à se reconstruire lui-même. Ce n’est pas, du moins ce ne devrait pas être, une vengeance de la société contre lui.

Et voilà qu’on lui demande de remplir un fichier biologique. Un fichier, dont la presse à cent sous dit qu’il servira à trouver les auteurs de crimes sexuels. Et si le prisonnier est condamné pour une attaque de supermarché, un recel de magnétoscope, une bagarre de rue,... comment peut-on prétendre que la collecte de ses empreintes génétiques n’est pas une atteinte à ses droits. Le voilà devenu susceptible du pire. Voyou certes, mais tout de même !

Plus généralement, les Droits de l’Homme sont un art difficile qui doit concilier les capacités à trouver les coupables, et les risques de laisser les représentants de la Loi se faire entraîner dans une spirale contraire à la dignité humaine. La question de la torture, dont les zélateurs estiment qu’elle aiderait à empêcher des crimes plus grands encore, est un exemple de ces extrêmités que l’on peut atteindre quand on ne regarde que le but et non le chemin.

Dans notre Fichier généralisé d’empreintes génétiques, il y a une disproportion entre l’ouverture d’une enquête génétique auprès de personnes soupconnées, après réquisition d’un juge, et la constitution d’une banque de données de milliers, de millions de personnes.

L’équilibre des Droits de l’Homme est rompu quand on utilise des moyens qui placent chacun dans une position de coupable potentiel.

Une fois cette logique même des Droits de l’Homme brisée, pour la noble cause, ça va de soi, où peut s’arrêter l’usage d’un tel fichier ?

Nous n’avons pas fini de coupler la société de l’informatique, sa puissance de calcul, et l’information génétique, et sa capacité à caractériser chacun et chacune. Et ce FNAEG n’est qu’un des premiers avatar du "biopouvoir" qui cherche à s’installer (clonage, organismes génétiquement modifiés, eugénisme, fichage génétique,...).

C’est ça aussi la "société de l’information".

Et le pire est à craindre.

Au passage, les communiqués de presse des spin-doctors de l’administration pénitentiaire, repris par tous les commentateurs, font état d’un "retard français" bien inquiétant. Le fichier français ne contiendrait "que" 12 000 personnes, quand celui de la Grande-Bretagne dépasserait le million et demi....

Va falloir rattraper le PIB britannique, pas question de se laisser distancer. Le "Privé Intercepté Brutalement" comme nouvelle mesure de la paranoia des nations.

Hervé Le Crosnier

Posté le 21 octobre 2003

©© Vecam, article sous licence creative common

1 commentaire(s)
> SMSI-72 Fichier, fichage, fichez-moi la paix ! - 19 décembre 2003

Tout à fait d’accord. Quel plaisir de voir que le tout sécuritaire ne fait pas que des adeptes. La première des sécurités, c’est la liberté. La première des libertés c’est celle de l’individu face à l’Etat.
P.H.R
Avocat. P.H.Rustique@wanadoo.fr