SMSI-75 Padam Padam

Bonjour,

Entre deux "petits papiers", il m’arrive d’avoir une vie normale, et d’aller acheter ma lessive, mon lait et mon picrate dans un de ces temples modernes de la consommation.

Ce matin, juste à l’entrée du Carrefour de mon quartier un stand célébrait les 40 ans du décès d’Edith Piaf.

Force cédés, versions numériques des originaux. Bof, j’ai déjà les vinyls en 25 cm. Y grattent, mais j’aime ça, le côté déjà usé, déjà utilisé. Mais pour les ceusses qu’ont remisé leur platine, y’a tout c’qui faut dans le stand. Un bonne quinzaine de titres. Y’a bien sûr la compil du moment, double galette... et la compil bonus "Piaf la môme de Paris", un disque "édité en partenariat avec expo Piaf à la Mairie de Paris". Tiens v’là-t-y pas qu’y s’mettent au musique-bizness.

18,72 euros.

Mon sang n’a fait qu’un tour. 18,72. Pour une compil de chansons qui mériteraient d’être étudiées dans les écoles.

Alors j’ai fait la tournée. "Eternelle : les plus grandes chansons d’Edith Piaf", deux cédés 20,97 euros. Et les rituels "Olympia" 58 (13,21 euros), 61 (13,21) et 62 (idem).

"Une voix, et dans cette voix toute la chanson" comme criait de sa voix nasillarde la présentatrice du spectacle. Et plein de pognon pour les zoteurs... ou leurs zayant-droit.

Ah, les zayant-droits dans leurs bottes, qui cherchent pas à vivre de la voix d’une morte. Pas eux... Non, ils rentabilisent leurs investissements. La coke à la Dame et le champ’ pour Marcel Cerdan. Y’a quarante ans que ça dure. Et ils en ont encore pour trente... à moins que d’ici là on augmente la durée de "protection" pour le "bien de la création". Sacrément protégée. Quarante ans à manger les pissenlits par la racine, mais "protégée". Puisqu’ils le disent.

Et c’est bien la musique qui est "protégée", pas le matériel. Faut pas croire. Tiens, un double cédé, c’est deux fois plus... Pas parce que ça coûte deux fois plus cher à produire (le dernier Murat, qu’est tout double lui aussi, il fait rien de plus que 17,90). Non, c’est le "génie" à l’état brut dont on vous vend deux fois plus : "Carnegie Hall 56-57 : "Son plus prestigieux concert pour la première fois réédité et remastérisé". Là c’est carrément 23,14. Mais bon, un concert sur deux ans, ça mérite... Pour la pitié tarifée, le Murat y peut repasser. Y’a des zayant-droits qu’on les dents plus longues.

Ah, mais c’est "remastérisé"... donc nouveaux droits, nouvelle protection. C’est dit sur la pochette. Y’a du travail ici et maintenant, des studios de numérisation à rentabiliser, en plus de l’investissement dans le portefeuille de copyrights du rentier EMI.... faut bien faire tourner la boutique. Et pour ce job, on apprend que les morts peuvent faire autre chose que de voter.

Dans la collec’ y’a même "La vie en rose" qui date de 1952... Eh, 52, c’est plus de cinquante ans là, dites-moi. Parce que pour un enregistrement, les cinquante ans c’est en principe le droit pour tout éditeur de reproduire sans demander d’autorisation et sans reverser de droits (sauf symboliques au parolier et au compositeur). Mais c’tui là il est au même prix que les autres pourtant. Où est la merveilleuse "concurrence" qu’ils appellent de tous leurs voeux ?

Bon, de toute façon, ces disques de plus de cinquante berges, on pourra bientôt plus les diffuser pas cher. Dans le projet de loi portant sur l’application en France de la Directive européenne sur le droit d’auteur, cette maigre liberté va sauter.

Mais Le Crosnier y déraille. Pourquoi râler ainsi ? De toute façon, Piaf "tout le monde connaît", alors ça ne prive personne. Et c’est pas sur ce plan là qu’il va nous faire le coup du "domaine public", du "patrimoine global" et toutes les foutaises qu’il ramène à chaque fois.

Je me souviens, fin des seventies, un rocker new-yorkais devenu culte se traînait de conférence de presse en scène avec une cassette de Piaf, qu’il agitait comme un signe de connivence devant les journalistes esbaudis. Alan Vega voulais faire partager sa découverte de la voix même de la romance. Des soupirs du désir sur le sable chaud, des inflexions de l’amour. Et il faisait cela en direction de jeunes gens qui n’avaient jamais entendus la Dame.

Si vous voulez comprendre la France de l’après-guerre, ses mythes, ses espoirs, et la fantastique volonté de trouver l’amour malgré la misère... c’est Piaf qui fait le résumé, c’est elle qui vous guide et vous entraîne dans la sarabande. C’est bien un élément indispensable de la culture aujourd’hui. Et avec l’accélération du temps lié aux médias, ce devrait vraiment être du "domaine public".

J’aime la musique populaire. Je voudrais la faire partager. Mais le "domaine public" est fort restreint. Donc les prix sont élevés, et la concurrence impossible, la diffusion réglementée... Tout le monde connaît, même si les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître.

Mais c’est juste une histoire de bizness. Un coup de fric. On recommencera dans dix ans. On retrouvera peut être même encore des chansons poussives que la Dame n’avait pas voulu sortir, mais qui peuvent faire causer dans le poste, le temps du lancement publicitaire. Respect de l’artiste, de son oeuvre.... tout de suite les grand mots, c’est du bizness qu’on vous dit. D’abord c’est la Mairie de Paris qui co-produit.

Padam, Padam, Il me fait l’coup du souviens-toi

Mais c’est pour financer la "création". Philantropes par dessus le marché. C’est qu’y faut accumuler le capital primitif, car maintenant la création, elle est chère vous savez. Piaf n’y suffira pas. Heureusement que Brel a eu la bonne idée d’aller cracher ses poumons aux Marquises y’a tout juste trente ans. Dix de rab pour récupérer la monnaie... pour la création, je répète, pas pour priver la jeunesse.

Au fait, le premier procès que nos défenseurs du mort orphelin ont déclenché sur internet, c’était pas contre un étudiant qui n’avait rien trouvé de mieux que de reproduire les textes de Brel sur sa page web pour faire partager ses émotions. Ah le mauvais voleur de pommes... cours devant, si je t’attrape tu vas voir comment j’te sauverai la création. Cré vingt Dieu.

Hervé Le Crosnier

Posté le 12 octobre 2003

©© Vecam, article sous licence creative common

1 commentaire(s)
> SMSI-75 Padam Padam - 23 novembre 2003, par edith

merci encore pour ses papiers. un peu de bon sens enfin...