Bonjour,

Je vous avais lâchement abandonné en plein Genève pour revenir à des préoccupations plus terre à terre : la rentrée, le document numérique, l’ordinateur de salon...

Mais il est temps de reprendre le fil des débats avec les grands de ce monde de l’information. Au dernier épisode, on se demandait s’ils arriveraient à terminer la "prepCom 3" avec un texte consensuel. Le cas échéant, vous savez que je l’aurais traité d’insipide, reflétant la lacheté à aborder les questions de fond (propriété intellectuelle, financement de la solidarité numérique, droits de l’homme,...). Dix-huit papiers ont dû vous suffire pour mesurer ma mauvaise foi, la bile acide qui me ronge et la jalousie acariâtre qui m’anime envers celles et ceux qui réussissent, ces leaders globaux, brushing sur fond bleu télévision.

Et bien rassurez-vous : ils ont encore échoué.

C’est que le carrefour est sacrément encombré : plus vous avancez les pions des grands mots (e-liberté d’e-xpression, e-éducation, e-solidarité, e-croissance, e-developpement, e-sécurité, e-gouvernance, e-tutti-frutti) et plus vous réveillez l’idée que la fracture est vraiment trop patente, trop grande, trop injuste, trop inadaptée aux compétences économiques, culturelles, citoyennes du monde actuel. Que cette fracture est avant tout sociale, et que tous les e-mplâtres ne le cacheront plus.

Pas question de mettre tous ces e- dans le même panier.

Alors le Sud négocie âprement, entre appels au développement et préservation du contrôle de ses Etats sur l’information-censure. Le Nord défend les intérêts de ses industries méga-concentrées et de son modèle... et la "déclaration" tourne court.

Faudra donc remettre le manuscrit sur la table, refaire un "round" de négociation. Un mois et demi de marchandages et on se revoit ensemble. Du 10 au 14 novembre, dans la ville bon marché de Genève.

Et la société civile dans tout ça ?

A-t-elle les moyens de revenir, de suivre le débat, faute de pouvoir l’infléchir, comme on s’en est aperçu la semaine passée ?

Peu importe, on a bien choisi la date : c’est en plein durant le FSE. Le quoi ? Le "Forum Social Européen". Comment ?

TF1, Canale 5 et Fox News n’en ont pas encore parlé, alors nos chers gouvernants ne pouvaient pas savoir.

La Société civile cherche à se coordonner, à réfléchir ensemble, malgré les divergences, les différences d’appréciation, de stratégies, de langues... Les Forums sociaux (mondiaux, comme à Porto-Alegre et demain à Bombay ; régionaux, en Europe, Asie, Afrique... ; et locaux, comme dans ma bonne vieille ville de Caen ce week-end) sont les lieux de cette confrontation-coordination.

Choisir ces dates pour tenir une nouvelle réunion du SMSI, quel merveilleux pied de nez des gouvernants envers la Société civile. On veut bien vous voir quand vous écoutez sagement, mais maintenant la récréation est finie. les Grands ont besoin de tranquilité.

Bon, faut pas croire que c’est une maladie e-mondiale. C’est aussi arrivé près de chez vous. Tiens, ces fabuleux élus de la Région Paris Ile de France qui viennent de refuser la subvention promise au FSE, qui doit se tenir à Saint-Denis, en région parisienne. Pas rien : 300 000 euros en jeu.

Que l’argent public serve à boucher le trou du Crédit Lyonnais, c’est dans l’ordre de leurs choses. Qu’il serve à l’opposition civile pour débattre, et s’organiser...faut quand même pas pousser mémé dans les orties.

C’est la démocratie moderne : ceux qui ne sont pas d’accord ne méritent vraiment pas qu’on leur laisse la parole. Tiens, un des fiers représentants de ces penseurs uniques ne disait-il pas, en 92 déjà, qu’on ne devrait même pas considérer leurs votes...

Allez, je ne serais pas à Genève en novembre. J’irais avec la diversité, la vie, l’émotion, la solidarité, l’innovation, l’espoir dans les assemblées du FSE, à Saint-Denis.

Et pour tout dire, je commence même à penser que je ne mettrais pas les pieds au SMSI en décembre. Y’a des événements alternatifs plein d’énergie, d’art et de citoyenneté qui se préparent aux alentours. Ce sera plus drôle...

Et pour sûr bien plus e-fficace.

Hervé Le Crosnier