SMSI-83 Une déclaration de principes contraire aux intérêts des citoyens

Bonjour,

Cette semaine les "petits papiers" devraient prendre un tour particulier, car je suis à Genève, dans l’action, et donc dispose de moins de recul et de capacité à écrire sur des sujets généraux.

Vendredi dernier, une nouvelle mouture de la Déclaration de Principes (le texte signé par les Etats) a été fournie.

Celle-ci a mis sens dessus dessous la société civile. Ce texte marque un recul par rapport aux versions précédentes (qui n’étaient pourtant pas fameuses, comme j’ai déjà eu l’occasion de m’en entretenir ici).

Je vous transmets ci-après la traduction en français de la réaction de l’assemblée de la société civile, qui sera lue demain (mardi) devant les délégué(e)s des Etats.

Il apparaît clairement que le texte des Etats manque de souffle. Il s’agit principalement d’un enregistrement des décisions de construire une société de l’information basée sur le commerce et éloignée des besoins des peuples, des citoyens et de l’extension de la démocratie. Une déclaration si limitée ne semble guère pouvoir mobiliser la société pour répondre aux "défis du millénaire". Le délégué d’ATD-Quart-Monde ajoute : "ce qui nous préoccupe, c’est que contrairement à la Déclaration du Millénaire, nous laissons en arrière ceux qui sont les plus marginalisés".

Je ne vais pas paraphraser ici ce que dit très bien le texte de la société civile joint en fin de message.

Sur la suite à donner.

La "société civile", avec toutes les limites et les difficultés à définir ce concept, particulièrement dans un domaine très centré sur la technologie comme le nôtre, va essayer deux actions :

- produire des amendements au texte afin d’infléchir les positions des Etats, mais sans se limiter à ajouter ou enlever un mot par ci un mot par là. Il s’agit de choisir quelques points forts et de proposer des rédactions alternatives.

- écrire une déclaration indépendante, ayant sa propre logique et cherchant à proposer une société de l’information qui vise à atteindre la Paix, l’égalité et la justice. Cette déclaration pourra être signée par toutes les organisations de la société civile qui le souhaiteront afin d’irriguer un véritable débat dans le monde, basé sur les intérêts des peuples, des citoyens et limitant la mise en place d’une société de contrôle.

Je vous reparlerai de ces rédactions.

Hervé Le Crosnier


Déclaration de la Société Civile en réponse au projet de Déclaration du SMSI Présentation au sous-comité 2 le 22 septembre


Nous, représentants issus de la société civile, exprimons notre forte préoccupation à la lecture de la Déclaration publiée le 19 septembre 2003.

La société de l’information décrite dans ce document est uniforme, technocratique, et médiocre. Elle manque d’une vision qui placerait les peuples et les citoyens en son centre : il est fait peu ou pas mention des pauvres, des travailleurs, des groupes marginalisés tels que les peuples indigènes, les réfugiés, les handicapés ; la diversité des peuples, des cultures et des manières de vivre y occupe une place encore insuffisante.

Tout au long du processus du Sommet, nos contributions pour dessiner une vision commune d’une société de l’information inclusive, démocratique et durable, n’ont pas été sérieusement prises en compte.

Concernant ce document, nous exprimons deux préoccupations majeures :

- Bien que le début de la Déclaration se réfère de façon importante aux principes de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et à la Déclaration du Millénaire, les paragraphes suivants ne reflètent pas un véritable engagement à soutenir ces principes dans la réalisation d’une Société de l’information. Les droits existants, tel que l’article 19, devraient être cités intégralement et réaffirmés plutôt que de se trouver fractionnés au gré des préférences individuelles des Etats.

- Certaines préoccupations essentielles ont été exprimées d’une manière qui altère profondément leur signification alors que d’autres soulevées par la société civile tout au long de ces derniers 18 mois ont été retirées.

En particulier : 1. Le concept de Média communautaire est absent du document. Ceci traduit un mépris total de l’apport d’un tel média alternatif pour promouvoir la participation citoyenne et le renforcement de la diversité culturelle et linguistique.

2. L’alphabétisation, l’éducation et la recherche, composantes essentielles de la société de l’information et de la connaissance, ne peuvent être confinées dans la section « Renforcement des capacités ». L’éducation universelle constitue un principe essentiel à la constitution d’une société participative.

3. Le Renforcement des capacités pour tous n’inclue pas seulement la capacité à utiliser les TICS, mais aussi la capacité de création, d’innovation et de citoyenneté active. Il doit également reconnaître les droits fondamentaux dans le cadre du travail et des normes de travail pour tous ceux qui oeuvrent au sein de la société de l’information.

4. La valeur et les bienfaits des logiciels libres et à source ouverte ne sont ni reconnus comme ils le devraient, ni soutenus dans ce document. Leur réel potentiel est sous estimé, celui-ci va bien au-delà de leur faible coût.

5. La section sur un Environnement Propice aborde surtout la question d’un environnement législatif favorisant l’avancée d’une industrie guidée uniquement par une logique marchande, aux détriments des besoins des citoyens.

6. La référence aux Droits de Propriété Intellectuelle manipule la notion de juste équilibre. Elle menace l’innovation, le domaine public, et les droits des citoyens. Elle ne fait qu’encourager une plus grande concentration de richesse et de pouvoir entre les mains d’un petit nombre. Un cadre légal et de moyens économiques doivent être mis en place pour que les bibliothèques, écoles et universités publiques puissent nourrir le domaine public et faciliter la libre circulation des publications scientifiques.

7. Le rôle de la société civile en matière de Gouvernance de l’Internet est complètement nié, alors que des pouvoirs de contrôle accrus sont accordés au gouvernement et au secteur privé.

8. Les discussions concernant le Renforcement du climat de Confiance ont laissé place à un agenda hautement politisé caractérisé par un langage se référant à l’intégrité du champ militaire et à l’utilisation des ressources informationnelles à des fins criminelles et terroristes. Tout cela aux dépens des droits des citoyens, en particulier la liberté d’association, de mouvement, d’expression et le droit à la vie privée.

9. S’il est fait référence au Rôle des femmes, leur place essentielle dans la construction d’une société de l’information n’est toujours pas reconnue. La Déclaration doit éviter les formules décrivant les femmes comme « assistées », pour se concentrer sur leur rôle primordial en tant qu’agents de changement.

10.De plus, une place largement insuffisante est accordée au rôle de la société de l’information dans la mise en oeuvre des engagements pris au cours des précédentes conférences des Nations Unies.

Le document dans sa forme actuelle renforce, au lieu de le corriger, le déséquilibre en termes de pouvoir et de développement qui existe à la fois entre les nations et au sein même des nations.

Nous appelons fermement les gouvernements à garder comme priorité première le développement humain et à empêcher les logiques marchandes contrôlent chaque fois davantage les processus de gouvernance internationale.

Ce texte n’est pas un document que la société civile puisse endosser et nous nous interrogeons sur le degré de soutien qu’il rencontrera auprès des autres parties présentes.

Tel qu’il est, le document actuel n’est que le reflet du consensus d’une élite.

Préparé par le groupe Contenus et Thèmes de la société civile sur mandat de la plenière de la société civile, le 22 septembre 2003.

Posté le 22 septembre 2003

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