SMSI-85 Solidarité numérique

Bonjour,

Le Prepcom3 (réunion de préparation du Sommet de Genève de décembre) se tient depuis lundi à Genève. Je n’y suis pas encore, mais je peux suivre les débats par le mail... un bel outil :-)))

Frédéric Couchet, de APRIL (Association pour la Promotion de l’Informatique Libre) est dans la salle et nous envoie un compte-rendu quotidien

Dans sa relation de la première journée, il insiste sur le terme "solidarité numérique", qui par delà le texte de la Francophonie semble devenir un joker dans la négociation.

Et c’est tant mieux.

Le terme "fracture numérique" est évidemment inadapté pour décrire réellement la situation, ni les objectifs qui peuvent en découler dans le domaine des réseaux d’information.

La "fracture" est, il est facile de s’en rendre compte, bien plus grave que "numérique". Elle est profondément "existentielle" : l’existence de millions est menacée : ils/ elles vivent avec moins de 2 euros par jour ; ils/elles sont marginalisé(e)s dans leur pays, fut-il un pays riche ; il/elles sont déporté(e)s, vivent dans des camps, en raison des multiples stratégies guerrières et des limites du droit international,...

Dans ces conditions, la "fracture numérique" peut apparaître comme un leurre. Ce qui serait dommage, car il me semble que les technologies de l’information et de la communication peuvent être aussi des technologies de libération, d’égalité et de construction d’un monde en Paix. La "fracture numérique", qui ferait abstraction des autres et profondes "fractures" du monde (dont la fameuse "fracture sociale" de présidentielle mémoire) se réduirait forcément à un ensemble de projets d’infrastructure... dont les bénéfices reviendraient aux entreprises riches des pays riches qui les mèneraient.

La "solidarité numérique" est plus modeste.

Elle est aussi plus opératoire : comme toute "solidarité", elle renvoie à des stratégies de redistribution sociale. On peut donc imaginer du concret (dans le "Plan d’action") qui fixe des objectifs. Pas de village sans internet, réaliser l’accès au réseau dans toutes les universités du monde, réserver une part de la diffusion mondiale sur les médias à des productions issues des pays les plus pauvres... La solidarité ne manque jamais d’imagination, surtout quand elle part de l’expression des besoins des personnes concernées.

Mais la "solidarité" a aussi besoin de mécanismes économiques et de bases financières.

Pour la "solidarité par redistribution", on peut imaginer des mécanismes financiers pour donner les capacités d’action aux projets solidaires. Jusqu’à présent, dans les stratégies de redistribution, c’est l’impôt qui finance la solidarité. On doit donc imaginer ce qui peut être source de revenus globaux dans le domaine numérique : la taxation des noms de domaines a été envisagée, ou aussi celle des bits échangés... Chacune a des avantages et des inconvénients, mais on peut débattre collectivement des moyens de collecter des sommes qui seront attribuées à ces projets de solidarité numérique. La démocratie est soeur de la solidarité. Reste à trouver les organismes collecteurs internationaux qui soient à la fois indépendants et transparents, permettant un contrôle par la société civile pour garantir que les poduits financiers sont bien utilisés dans des opérations qui rendent le pouvoir et le contrôle aux bénéficiaires.

Car en sens inverse, il existe aussi la "solidarité par charité". Des prestataires de réseaux ou de routeurs qui financent des infrastructures dont ils géreront ensuite l’évolution et le renouvellement ; des entreprises cherchant à recycler leurs ordinateurs en bout de course (que les déchets aillent ailleurs que dans leur riche jardin) ; ou même de donner des logiciels, une stratégie généreuse pour pas cher qui, comme nous l’avons vu dans un message précédent, provoque un sacré "retour sur investissement" dès lors que les formés peuvent ultérieurement acheter... les produits sur lesquels ils ou elles ont été formé(e)s.

Charité bien ordonnée commence par soi-même.

Enfin, il existe aussi une "économie solidaire", qui partant des besoins, avec les acteurs de terrain, trouve un moyen de financer des opérations qui rendent la vie plus collective, les solidarités sociales plus affirmées... Une économie qui associe les bénéficiaires à la définition et à la réalisation des projets... mais aussi à leurs bénéfices éventuels. Les bourses au grain entre coopératives du Sahel utilisant internet semblent des exemples de ce type. Les coopératives cybercentre aussi.

Le financement collectif par redistribution des infrastructures numériques, de la formation et de la maintenance ; le refus d’une version "charitable" qui masquerait les avantages ultérieurs pour les "donneurs" ; et l’expérimentation par les usagers d’une économie centrée sur leurs besoins et la construction de leur vie collective... trois axes de réflexion ouverts par le retour du beau mot de solidarité.

Oui, la "solidarité" est l’amorce d’un véritable débat politique quand la "fracture" renvoie à des paroles creuses, qui ne désignent jamais les responsabilités et le devoir de redistribution de ces responsables. La "solidarité" fixe des objectifs communs, quand la "fracture" renvoie aux "fracturé(e)s" l’image même de leur ségrégation.

Et puis ce terme de "solidarité" qui tend largement à disparaître des débats internationaux sonne clair. Il sonne comme la fin des propagandes sur le "développement" qui ont conduit à accentuer la charge de la dette et enfermer dans leur situation les endettés, tout en maintenant un flux financier régulier du Sud vers Nord.

Bon, ce n’est qu’un début... la solidarité n’est que numérique. Mais c’est en allant dans ce sens là qu’on pourra construire aussi des solidarités plus fondamentales.

Des solidarités existentielles.

Hervé Le Crosnier

Posté le 17 septembre 2003

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