SMSI-86 Tel est pris qui croyait prendre

Bonjour,

Et si pour une fois je soutenais Microsoft ?

Nos amis de Seattle viennent d’être condamnés à payer la modique somme de 521 millions de dollars à Eolas, une entreprise spin off de l’Université de Californie.

Internet Explorer (mais aussi les autres navigateurs web, qui pourraient tomber bientôt pour le même motif) permet de lancer à l’intérieur des pages web un "plug-in" pour lire des documents multimédias. Or ce type d’usage serait couvert par un brevet de 1994 déposé par la société Eolas. (http://news.com.com/2100-1032_3-507... )

En clair, chaque fois qu’une micro-télé s’installe dans votre navigateur, qu’un widget de contrôle apparaît pour écouter de la musique, ou qu’un module Flash est intégré dans les pages de votre site préféré... Eolas espère toucher des royalties.

Les plug-ins sont pourtant devenus des outils banals. HTML, le système de codage des pages web permet l’insertion de tels outils (l’élément

) et les technologies comme Java (avec ses applets), Flash ou RealVidéo, pour ne citer que quelques unes s’appuient sur cette capacité. Les navigateurs permettent des applications externes car c’est aux périphéries de l’internet que s’inventent, pas à pas, de nouveaux formats, de nouveaux outils... qui seront intégrées dans le navigateur. C’est vrai depuis Mosaic (ah Mosaic) en mode "helper" (application externe)... il suffisait de breveter le fait que l’application soit à l’intérieur de la fenêtre du navigateur pour se lancer dans la grande course à l’extorsion de fonds dite "brevets de logiciels".

Allons voir sur le site web de nos inventeurs (http://www.eolas.com/ ) On y apprend que ces gens ont une véritable vision : "To create and develop the inventions that allow information technologies to enhance the quality of life for everyone.". C’est beau comme une déclaration du SMSI.

Parmi les nombreux brevets déposés par Eolas, on trouve celui qui nous concerne :

U.S. Patent 5,838,906, Filed in October, 1994, Issued November 17, 1998 Inventors : Michael D. Doyle, David C. Martin and Cheong Ang

http://164.195.100.11/netacgi/nph-Parser?Sect1=PTO1&Sect2=HITOFF &d=PALL&p=1&u=/netahtml/srchnum.htm&r=1&f=G&l=50&s1=%275838906%27.WKU. &OS=PN/5838906&RS=PN/5838906

Bon, j’ai quelques notions d’informatique, je connais quelques mots d’anglais, mais vraiment j’ai du mal avec le discours des brevets. Il s’agit de décrire ce que l’on fait en ne laissant pas voir comment on fait. Il s’agit aussi de couvrir le champs le plus large. A la différence du Droit d’auteur, le brevet ne couvre pas la "forme", mais l’application. Le déposant doit donc rester le plus général possible.

Mais au moins le résumé est clair : "First demonstrated publicly in 1993, this invention lifted the glass for the first time from the hypermedia browser, enabling Web browsers for the first time to act as platforms for fully-interactive embedded applications. The patent covers Web browsers that support such currently popular technologies as ActiveX components, Java applets, and Navigator plug-ins. Eolas’ advanced browser technology makes possible rich interactive online experiences for over 500 million Web users, worldwide."

C’est grâce à la technologie Eolas que des millions d’utilisateurs du web peuvent voir des vidéos, utiliser des menus en Flash et écouter David Bowie en s’adonnant à leur sport de glisse favori. Heureusement que le ridicule ne tue plus.

Dire qu’il y a des gens pour prétendre que les brevets protègent l’innovation. Imagine-t-on un instant que l’on prenne au sérieux ce genre de brevets... alors, plus aucune idée nouvelle ne peut être échangée, améliorée par les petits pas qui font passer d’un cadre général à une application informatique opérationnelle. Il ne sufit pas d’avoir une idée, il faut aussi développer les logiciels, les contrôler, les rendre plus efficaces, plus sûrs, adaptables... Bref, c’est un chemin continu qui mène de l’idée aux 500 millions d’utilisateurs du web.

Pour l’idée elle même, on peut aller loin, en lisant par exemple Neuromancien de William Gibson, un fabuleux roman de science-fiction de 1983 qui décrit la visualisation en couleurs et 3-D des banques de données entre autres visions que les ingénieurs ont ensuite cherché à rattraper.

Non, les brevets de logiciels ne protègent pas l’innovation, ils la brident, ils l’interdisent, ils font siffler sur la tête de chaque développeur les épées de Damoclès.

Ce qui est plus drôle, c’est de voir la réaction de Microsoft, grand défenseur des brevets : payer Eolas, et chercher un moyen d’outrepasser le brevet. Par exemple en intercalant un bouton de confirmation entre l’appel d’un plug-in et son affichage. Ou en rusant pour capter les vidéos dans une "frame" de la page en cours, car le brevet ne couvrirait que l’appel à une source différente. Bref jouer au chat et à la souris en mobilisant une arme de juristes en lieu et place d’ingénieurs.

Car n’attendez pas de Microsoft qu’il s’en prenne aux brevets de logiciels... depuis cinq ans, le maître mot de sa stratégie contre le logiciel libre en général, et Linux qui lui taille des croupières en particulier, est l’extension d’un portefeuille de brevets. Une stratégie développée dans deux documents connus sous le nom de "Halloween".

Le brevet logiciel est contraire à l’esprit même de l’informatique, qui passe son temps à faire fonctionner ensemble des briques éparses, à rendre modulaires, échangeables, structurés les développements. Tout est interdépendant. Les composants, les objets logiciels, la logique client-serveur, tout cela, au coeur même du code informatique, plaide pour refuser les blocages, les freins, les interdits que les brevets déposent sur la route des développeurs.

Nous parlerons une autre fois des autres aspects liés à la recherche (les brevets d’algorithmes) qui visent à réduire la voilure des connaissances qui peuvent être librement utilisées. Imaginez des brevets sur la mathématique...

Mais nous devons dire ici que nous ne pouvons renvoyer le débat sur les brevets de logiciels en dehors du SMSI. Leur validation internationale (comme le propose une Directive européenne en débat) signifierait la fin des innovations techniques partant de la périphérie du réseau.

C’est le propre de l’informatique de faire circuler les idées, les bonnes idées, très rapidement entre les développeur... et de les rendre en quelques mois ou quelques années aussi banales que d’utiliser un plug-in Flash dans la majeure partie des sites internet. N’en déplaise à Eolas comme à Microsoft

Hervé Le Crosnier

Posté le 15 septembre 2003

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