SMSI-92 Coup de gong géopolitique en Asie

Bonjour,

Surprise, lors d’une rencontre des Ministres asiatiques à Phnom Pen la semaine passée : le Japon, allié à la Corée du Sud et à la Chine projette d’investir largement pour favoriser le développement d’un système d’exploitation libre, adapté aux besoins du marché asiatique, basé sur Linux.

C’est comme un coup de gong dans un temple zen : la vibration n’a pas fini de s’étendre et d’emplir l’espace des négociations internationales.

L’industrie informatique japonaise est aussi une industrie de l’électronique grand-public (Sony, Matsushita,Fujitsu...). Or les outils électroniques intègrent de plus en plus un système d’exploitation pour gérer leur "intelligence" interne (leur capcité à s’adapter à des usages différenciés).

C’est la raison pour laquelle on voit de plus en plus de produits électroniques ayant un noyau linux, système d’exploitation libre, mais aussi modulaire et de petite taille.

En décidant d’investir un milliard de yen (environ 85 millions d’euros) pour ce projet, le Ministre du commerce du Japon Takeo Hiranuma met la barre très haut. D’autant qu’il repasse une couche en déclarant que "Microsoft Windows domine partout, bien que les utilisateurs veulent aussi tester d’autres produits. Il est donc important de travailler à des alternatives" ("However Microsoft Windows dominates everywhere, although people also want to test different products. Therefore it is important to work on alternatives.")

Après tout, est-ce illégitime pour un gouvernement d’utiliser des investissements collectifs pour créer l’infrastructure qui permet le développement économique de son propre pays ? Jusqu’à présent, tous les gouvernements l’ont fait pour les routes, les écoles, la recherche, les satellites,... Et quand l’industrie électronique des pays, tout comme l’infrastructure de communication ou d’élaboration de la pensée, est dominée par une plate-forme et une seule, il semble de bonne politique de redresser la barre.

Quand de surcroît cette plate-forme est "étrangère", il convient aussi de ne pas sombrer dans la naïveté du crédo "mondialiste" qui n’est en réalité qu’"unilatéral". Rappelons-nous que les Etats-Unis, au plus haut niveau, par la voix de leur Ministre de la Défense, ont proféré il y a seulement quelques mois des menaces de rétorsion envers la France qui avait fait l’affront de ne pas les suivre dans une aventure guerrière.

Et si ces rétorsions passaient par la limitation de l’accès aux informations et aux logiciels créées par des entreprises... disons très liées au gouvernement étatsunien ? Par la fermeture de l’accès à des serveurs implantés aux Etats-Unis ?

Impossible dites-vous ... Rappelez-vous que ce fut le cas il y a dix ans pour l’Afrique du Sud de l’apartheid. Pour la bonne cause évidemment. Mais il y a quelques mois on nous a tellement parlé du "bien" et du "mal", que les "bonnes causes" ont maintenant tendance à ressembler aux décisions des dominants.

La décision du Japon, de la Corée du Sud et de la Chine marque donc un réel infléchissement des relations mondiales sur le développement de l’infrastructure essentielle de la "société de l’information". C’est autant une annonce "géopolitique" qu’une annonce de développement industriel et de recherche.

« Nous voudrions voir le marché décider qui sont les gagnants dans le secteur du logiciel », a déclaré Tom Robertson, directeur des marchés publics pour l’Asie de Microsoft, dans un entretien par téléphone avec Reuters. « Les gouvernements ne devraient pas être en position de décider des vainqueurs. »

La réponse de Microsoft ne s’est pas faite attendre. On les voit même pousser leurs feux pour que le gouvernement des Etats-Unis fasse appel au tribunal de l’Organisation Mondiale du Commerce (le fameux ORD, Organse de Réglement des Differends qui a mis le feu au Roquefort).

C’est clair, toute décision collective des Etats ou d’un groupe d’Etats, est une entrave au libre commerce. Et ce n’est ni à l’ONU et encore moins au SMSI que ces questions vont être posées, débattues, marchandées et tranchées. Mais devant l’OMC.

Il conviendrait que les Etats, dans leur Déclaration au SMSI, écoutent un peu la société civile, qui insiste pour que les projets, les orientations et les plans d’actions qui relèvent des sujets de notre fameux "Sommet mondial de la Société de l’Information" ne soient pas en réalité tranchés et orchestrés dans d’autres instances.

Faute de quoi, ce sont les politiques de soutien et d’investissement dans les domaines de l’infrastructure de l’information et de la communication qui seraient rendues impossibles.

Alors le "marché" monopolistique décidera tout seul. A Seattle. Dans les bureaux de verre du véritable gouvernement mondial de la société de l’information. Entre Bill et Steve.

Hervé Le Crosnier

Posté le 10 septembre 2003

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