SMSI-96 De quelle "information" parlons-nous ?

Bonjour,

Quelle information aux légendes dorées au fond de la cour ?

La "Société de l’information" reste une formule magique pour englober de nombreuses applications et de nombreux projets qui visent à ré-organiser le monde autour de la production, de la gestion, de la circulation et de l’usage de l’information. Loin d’ête un "septième continent" comme le prophétisait Jacques Attali, le "cyberspace" est la première réalisation d’un nouveau système nerveux pour nos économies.

La "société de l’information" est entièrement imbriquée dans la "société de consommation", qui dépend de "l’ére de l’énergie" (capacité à transformer les matières pour en faire des produits utiles aux humains) et de "l’ère de la terre" (dans laquelle l’énergie, principalement solaire au travers de la photosynthèse, mais aussi de plus en plus fossile pour l’intégration des nombreux intrants des cultures productivistes, sert à produire ce que nous mangeons).

Le but de la "société de l’information" reste fondamentalement le même que celui des cycles productifs qui l’ont précédée. En vision positive : donner à chacun un toit, de quoi manger et une vie en Paix qui lui permette de chercher l’amour... le reste étant gadgets compensatoires, attributs de pouvoir... En vision négative, accéder pour soi et ses proches au plus vaste stock de richesses pour les plaisirs qu’elle procure, car selon le principe bien connu d’Adam Smith, c’est l’égoisme de chacun qui fait le bonheur de tous... et tant pis si au passage un bon quart de l’humanité vit en dessous de tout, craint pour son toit et pour son repas, soumis aux menaces climatiques, aux guerres, aux déportations massives.

Qu’est-ce donc qui change suffisamment pour qu’on ait besoin d’imaginer un nouveau mot pour synthétiser une nouvelle ré-organisation du monde et de ses centres de pouvoir.

"L’information" dont on parle dans cette "société de l’information" se retrouve schématiquement dans trois parties du processus productif :

- l’information est incorporée dans les produits : matériaux à "mémoire de forme", produits agricoles génétiquement manipulés (dotés d’un programme modifiant l’expression de leur code génétique), nouveaux outils intégrant des fonctions de gestion liées à un traitement de l’information (capteurs "intelligents" ou plus simplement et prosaïquement tous ces outils "personnalisable" qui entourent les riches des pays riches).

- l’information est de plus en plus présente et prégnante dans les processus de production : flux tendus, circulation des marchandises, routage des productions pour une "usine flexible" (le rêve de General Motors), outils de contrôle et d’évaluation, ... et l’usage de plus en plus important des réseaux d’information pour capter le client (baisse des coûts de transaction) et organiser la Firme, surtout quand elle s’étend sur le monde entier (couts de coordination).

- enfin, l’information devient un produit à part entière qui est à l’origine d’un nouveau marché des biens numériques. Un marché qui est lui-même une extension du marché antérieur des biens culturels, ou de l’information au sens des nouvelles et des analyses (presse et médias).

C’est évidemment schématique, mais il me semble que l’on doit tenir compte de ces trois aspects de la ré-organisation du monde si l’on veut tenter de définir et d’orienter la "Société de l’information", comme tentent de le faire les Etats au sein du SMSI.

Mais gaffe, le "déplacement des frontières" qui est à l’oeuvre est à la fois un déplacement des zones de pouvoir (de la production et son organisation "scientifique", vers le management et le marketing, c’est-à-dire l’adaptation au client, secteur "informationnel" par excellence), mais aussi des secteurs qui produisent les "bien de consommation courante" (ceux qui permettent aux humains de se nourrir, se vêtir, se loger... et espérer aimer) vers ceux qui organisent la "sphère mentale" dans laquelle ces biens seront achetés (la publicité, les "faiseurs d’opinion", mais aussi les secteurs qui organisent la transmission des savoirs, qui définissent "ce qu’il faut savoir" aujourd’hui, renforçant en retour le poids de leur propre secteur dans la construction sociale mondiale).

Dès lors, le segment qui permet la plus grande "plus-value" est celui qui est le plus déconnecté des contingences de la vie quotidienne. Hypervalorisé, doté d’ubiquité, omniprésent, chaleureux comme les médias "chauds" qui le font vivre, ce segment nous fait oublier que la base de l’économie, sa "raison d’être", c’est d’offrir aux hommes, aux femmes et aux enfants qui vivent sur cette Terre les moyens de vivre. Simplement et fondamentalement.

Mais ça ne rapporte plus d’être paysan ou maçon, alors qu’il nous faut bien chaque jour manger et dormir sous un toit. La dévalorisation économique s’ajoute à la dévalorisation mentale.

Or plus de la moitié de l’humanité vit dans les zones rurales, dans lesquelles ces activités sont et restent au coeur de la vie elle-même.

Gardons-nous que la "société de l’information" et son miroir aux alouettes ne provoque un "exode rural globalisé". Et cherchons au contraire à rendre plus douce la vie près de la terre. Non pas en incorporant l’information dans le produit (semences "sous brevet" ou "sous copyright"), mais dans le paysan (extension de l’éducation, participation à la vie culturelle et à la citoyenneté grace à ces nouveaux outils de mise en réseau).

En défendant le droit à la sécurité alimentaire, c’est aussi ce que viennent discuter les paysans du monde regroupés dans "Via Campesina" lors du Sommet.. de l’OMC à Cancun.

Tâchons de nous en souvenir quand nous débattrons de la "Société de l’Information" à Genève.

Hervé Le Crosnier

Posté le 7 septembre 2003

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