SMSI-97 Technobéatitude ou démocratie ?

Bonjour,

Certes, comme le dit la "Déclaration des Etats" pour le SMSI : "La suprématie du droit, accompagnée par une réglementation souple, stable et applicable, tenant compte des réalités nationales, est indispensable pour renforcer la confiance, la fiabilité et la sécurité dans la société de l’information".

Oui, sans droit, sans règlementation, sans tenir compte des réalités, aucun monde ne peut promouvoir une société vivable pour tous. Sans cette organisation essentielle, ce sont les mafias qui prolifèrent dans un monde de peur.

Mais il convient aussi de s’interroger sur les modèles techniques et de design qui sont à la base de la société de l’information. Sur la technoscience.

Est-ce que la technoscience, dans sa croyance positiviste à pouvoir résoudre tous les problèmes qui émanent de la technique, ne nous mets pas en danger ? Est-ce que par delà les lois, et donc l’action consciente des citoyens (je rêve, c’est sur, mais ce rêve de la démocratie est quand même magnifique)... est-ce donc que la façon dont sont réfléchis les systèmes, dont sont organisés les réseaux, ne pèse pas aussi sur la "sécurité" du monde ?

La NRC (Nuclear Regulatory Commission), organisme de contrôle étatsunien des centrales nucléaires, vient d’adresser aux exploitants un mémo les incitant à plus de sérieux et de contrôle dans l’usage de l’internet.

A l’origine une étude sur un incident survenus dans la centrale de Davis-Besse dans l’Ohio. Un incident heureusement sans gravité, qui n’a pas affecté les "services de sécurité"... heureusement, heureusement... Un sous-traitant (sous-traitant dans un domaine où la sécurité est essentiel... je passe) se serait inconsidérément connecté à l’internet, et aurait ainsi permis le passage d’un virus qui affecte le serveur Microsoft SQL... dont les "patchs" de sécurité n’auraient pas été mis en oeuvre dans cette centrale. Bref, petit dégât aurait pu devenir grand.

Heureusement (dans ce domaine de l’énergie nucléaire, combien de fois faut-il croiser les doigts ?) l’exploitant a fait face : il a "demandé à ses employés d’être plus diligents avec les patches". C’est Associated Press qui se dit. Sans rire.

Au bilan, nous avons un exemple d’un double noeud provoqué par la technosphère. Une technique dangereuse est pilotée par ordinateur. Pas mal, compte-tenu des "faiblesses humaines", comme à Tchernobyl, au hasard. Mais le pilote lui-même est soumis aux aléas d’une technique peu fiable, encore instable, qui évolue à une vitesse grand V (cette merveilleuse "innovation") sans que l’on s’arrête pour réfléchir aux erreurs dans la conception même d’une "société de l’information" et d’un "réseau mondial interconnecté". On en revient donc à soumettre la fiabilité technique de l’ensemble à un nouveau corps de métier, les "administrateurs systèmes", qui doivent repérer les difficultés, installer les "patches" et maintenir tant leur savoir-faire que leur omniprésence (24/24) et leur omni-science (deux heures de retard sur un virus et vous passez pour le dernier des ringards, vous manquez de "diligence"). Ils sont pourtant aussi fragiles que les autres ces sur-hommes-systèmes... et donc.

Et donc, imaginez que l’on va incorporer l’internet dans les automobiles. Un réseau public fragile sera-t-il associé aux "réseaux internes de sécurité" ? Un virus de la sphère "de l’entertainment" provoquera-t-il une absence de freinage ? Une alerte sur la mécanique sera-t-elle directement transmise au constructeur, qui vous attendra au péage avec les pièces de rechange, et bloquera votre véhicule le temps d’installer le patch ?

Et donc, imaginez que l’on va interconnecter les frigidaires, les machines à laver, les mobylettes de "deux minutes pizza" et que les conducteurs regarderont les cours de la bourse au lieu de la route.

On doit aussi poser une question citoyenne essentielle : où nous mène la technoscience. Devons-nous accepter toutes les innovations du technocentre ? Comment remettre la technologie aux mains des citoyens ?

Il y a là un véritable espace nouveau à conquérir : espace d’information (rendre compréhensible les débats techniques), espace de débat (maîtriser les conséquences sur la société) et espace de démocratie (décider au nom de l’intérêt général, même si cela va à l’encontre des "innovations" scientistes).

Une société de l’information ne peut pas se résumer à la plaidoirie pour un monde techno-meilleur, mais doit dès l’origine incorporer un design qui permette à la fois la séparation des réseaux de sécurité et des réseaux d’échange et qui permette les véritables décisions citoyennes, après un débat éclairé... et non la fuite en avant "parce que la technique le permet". Oui, je parle aussi là des OGM, du clonage, des biotechnologies, de l’informatique embarquée, de l’infosphère... bref de toutes ces technosciences qui forment la "société de l’information".

Comment, vous pensez que les chef d’Etat ne peuvent pas comprendre et que la Déclaration doit se limiter à leur sphère d’intérêt traditionnelle...

Et pendant ce temps là, le technocentre règle notre vie, en dehors de la loi, la règle et les réalités nationales. On se réveillera trop tard, comme toujours.

Ou bien allons-nous prendre le chemin d’un contrôle démocratique de la technoscience... en commençant par l’information, son stockage, sa diffusion et son usage.

Qui disait que le SMSI n’avait pas de véritables enjeux ?

Hervé Le Crosnier

Posté le 5 septembre 2003

©© Vecam, article sous licence creative common

1 commentaire(s)
> SMSI-97 Technobéatitude ou démocratie ? - 23 octobre 2003, par bastien

et oui.
Habermas, La Science et la technique comme idéologie , 1978 :
"Pour réconciler technique et démocratie, il convient de promouvoir une discussion effective entre notre savoir et notre pouvoir technique d’une part, notre savoir et notre vouloir politique d’autre part".
Salutations amicales