Le concept d’information

Article de jean Zin, membre du GRIT.

L’information se définit objectivement comme improbabilité (physique et quantitative) et subjectivement par une réduction de l’incertitude (cognitive et qualitative). Au niveau d’un signal (téléphonique par exemple ou sonnerie), une information constitue une improbabilité par rapport au bruit de fond considéré comme purement aléatoire (mouvement brownien). Pour constituer une information l’improbabilité du signal doit être redondante, c’est-à-dire se répéter d’une certaine façon pour signifier son intentionnalité par son insistance (comme une sonnerie) ou bien simple conséquence d’un changement d’état durable, signalant un événement physique (mouvement, changement d’intensité ou de seuil). Pour le cerveau notamment, les signaux trop répétés finissent pas être ignorés. Seul le changement importe dans la perception, l’imprévu, l’écart entre la représentation et la sensation. Au niveau du sens (de la sémantique) qui nous est beaucoup plus familier on sait bien que les informations quotidiennes ne parlent pas des trains qui arrivent à l’heure, ce qui serait une information si cela devenait l’exception, mais des événements plus ou moins exceptionnels de la journée qui peuvent changer nos représentations préalables et nos stratégies à venir.

On peut sans doute dire de toute existence qu’elle est improbable (voir l’improbable miracle d’exister ). L’improbabilité ne suffit donc pas à définir l’information, même si on a ainsi l’assurance de pouvoir traiter toute existence comme une information. L’information a un caractère subjectif inéliminable comme "réduction de l’incertitude" qui présuppose une représentation préalable mais surtout un récepteur pour lequel cette information fera sens. C’est le paradoxe de l’information, qu’on retrouvera pour la finalité, qu’elle est constituée comme telle par le récepteur qui lui donne sens. C’est fondamental car "ce qui limite la vérité ce n’est pas le faux mais l’insignifiant" comme disait René Thom et trop d’information tue l’information. Une information n’est telle que si elle permet de lever l’incertitude d’un sujet, participer à sa décision, provoquer une réaction. Une information sans effets est une information perdue ou même un simple bruit. L’information est une notion cognitive et non pas physique.

Une autre propriété fondamentale de l’information, qui se déduit des deux précédentes, c’est son caractère de signe pour quelqu’un et donc sont caractère indirect qui renvoie à autre chose qu’elle-même. C’est ce qui achève d’opposer complètement l’information à la matière ou à l’énergie et devrait empêcher d’en faire une notion physique comme certains physiciens le font. Par son caractère improbable l’information s’oppose déjà comme discontinuité à la continuité du signal physique ou de lois mathématiques. Surtout, et contrairement à l’énergie d’une force physique, il n’y a absolument aucune proportionnalité entre une information et ses effets (un signal électrique très faible peut commander une puissance très importante). C’est disproportionnalité est à l’origine de la productivité étonnante des technologies informatiques. Le caractère physique discontinu, non linéaire, de l’information se double de son caractère subjectif de signe pour le récepteur, de son codage ou de sa numérisation qui permet une reproduction parfaite malgré l’entropie et les pertes de signal, grâce à la répétition ou bien aux codes de redondance cyclique. On ne peut donc absolument pas confondre l’information avec l’énergie ou la matière qui ne peuvent pas du tout se reproduire, mais se dégradent inexorablement par le bruit ou l’entropie. La capacité de reproduction de l’information à l’identique vient de son caractère numérique et contrôlable, mais ce qui en fait la puissance c’est de renvoyer au signifié au-delà du signe, d’être un simple pointeur sur autre chose. C’est parce que l’information désigne indirectement par un codage quelconque une existence concrète dans sa temporalité, son mouvement, une présence ou un absence (un oui ou un non, une décision à prendre), qu’elle peut échapper à l’entropie par sa reproduction à l’identique malgré le temps qui passe, tout comme la vie. Nous vivons actuellement la révolution numérique qui nous donne les moyens de résister à l’entropie et à la violence d’une société énergétique sans avenir. Ce n’est pas dire que tout se réduit à l’information, que le signal pourrait ne pas être physique et qu’il n’y a plus de problème énergétique mais plutôt qu’il faut réduire notre consommation d’énergie grâce à l’optimisation informatisée et l’organisation politique. Comprendre le rôle de l’information comme signe pour quelqu’un devrait éviter de confondre l’auto-organisation biologique en réseaux avec des ordres spontanés purement physiques, quasi-cristaux, fractales ou structures dissipatives (ne serait-ce que parce que la vie s’oppose à la dissipation d’énergie). De même, il ne faut pas confondre l’information avec la communication matérielle elle-même car ce qui constitue l’information comme signe immatériel, ce n’est pas son support physique, c’est qu’elle fasse sens pour un récepteur, déclenche une rétroaction, un mouvement, une régulation. Il n’y a donc pas d’information en soi car un signe désigne toujours quelque chose pour quelqu’un mais cela n’empêche pas qu’une information est la même pour tous ceux qui y sont sensibles (il fait jour pour tous ceux qui sont éveillés, tout ce qui est vivant), c’est ce qui constitue notre monde commun, notre biosphère où circulent flux de matières, d’énergie et d’informations.

On peut déduire aussi de la définition de l’information par son improbabilité, son caractère d’information imparfaite. Un information jamais n’abolira le hasard ni les informations suivantes qui la contrediront par leur improbabilité. C’est un principe de base de la cybernétique, des régulations et du pilotage par objectif de corriger constamment le tir, depuis les premières DCA automatisées, en se réglant sur les effets constatés. C’est le caractère im-parfait de l’information, c’est-à-dire le caractère imprévisible du monde et de notre action, qui constitue l’information (ou la perception) comme apprentissage et mise au point permettant d’ajuster notre action au résultat, causalité à partir des effets, causalité par la fin à l’opposé des causes matérielles ou énergétiques qui s’épuisent dans leur passé, leur émission initiale. C’est ce qui fait de la vie comme processus toujours "in formation", la capacité de parer à l’imprévu et de s’opposer à l’entropie en se régénérant et se reproduisant mais aussi en s’adaptant petit à petit, en se corrigeant sans cesse, par des circuits récursifs où l’effet devient cause, procédant par feed-back du milieu, intériorisation de l’extérieur. La conscience elle-même peut être définie comme manque d’information (étonnement, interrogation et vérification, "Penser c’est perdre le fil" dit Valéry).

Il faut comprendre enfin le concept d’information comme un concept biologique , inséparable de la vie elle-même qu’on peut définir comme ce qui s’oppose à l’entropie, ce qui réussit à durer dans un monde souvent chaotique et plein de mauvaises rencontres, ce qui arrive à faire face à l’imprévu et à se reproduire. Il n’y a de récepteurs qu’au niveau biologique, dès la biochimie caractérisée par une activation ou désactivation de récepteurs, introduisant des "réactions conditionnelles" au principe des régulations et d’une causalité par les effets, introduisant donc la finalité tournée vers l’avenir dans la chaîne des causes matérielles aveugles. La vie peut se définir comme rapport à soi, condition de sa durée et qui préfigure d’une certaine façon la conscience de soi que permettra seulement le langage mais qui est déjà intégration du flux d’informations extérieures et auto-sensibilité de nos sensations.

Avec la parole et le langage on n’est plus au niveau d’une simple boucle de régulation. Une nouvelle rupture s’opère, un changement de niveau, basé certes sur l’information, comme le biologique est basé sur la chimie, mais comportant son efficace propre, imposant ses structures à nos représentations ainsi que son exigence d’universalité et de réciprocité tout en apportant une bien plus grande souplesse et inventivité, l’histoire accélérant considérablement l’évolution.

Il faut éviter toute confusion des niveaux entre réflexe et réflexion, finalité biologique et projet humain préconçu mais plus encore entre information vitale et phénomènes physiques. La finalité biologique ne présuppose aucune volonté mais seulement la capacité de se réguler par feed-back de l’environnement. La finalité est ce qui donne sens à l’information. Comme organisme vivant nous sommes le produit de flux d’informations, d’énergie et de matières ainsi que d’une différenciation du milieu dans la stratégie d’adaptation. Comme êtres humains, nous sommes le produit d’une histoire et porteur de finalités humaines, d’un désir de désir, désir de reconnaissance qui nous implique dans l’accumulation des connaissances et la responsabilité collective face aux informations données par des sciences plus ou moins sûres mais de plus en plus inquiétantes.

Bien qu’on ne puisse l’appliquer complètement à tous les organismes vivants, l’information semble bien inséparable de l’apprentissage, de la représentation et du sens qui en conservent les traces. En tout cas, l’évolution témoigne elle-même d’une sorte d’apprentissage et d’intégration de l’improbabilité du monde, d’une complexification qui est une optimisation et une spécialisation des organismes, du moins en l’absence de stress trop important qu’on peut définir comme une information à laquelle il est impossible de répondre et qu’on ne peut intégrer. A notre niveau c’est le langage et l’histoire qui ont accéléré l’évolution par l’accumulation d’informations et de savoirs. Aujourd’hui, les techniques de l’information à l’ère du numérique qui bouleversent aussi bien la production que la consommation, devraient permettre de passer de la violence hiérarchique et de l’entropie des sociétés énergétiques à une société de l’information en réseaux plus écologique et durable, prenant en charge la responsabilité de notre avenir. Cette société de l’information est une société vivante où ce qui manque justement c’est le savoir et l’information, privilégiant dès lors la réflexion et l’autonomie ainsi que l’évaluation de nos actions, instituant des régulations par rétroactions et donc une production en réseaux réglée par la consommation mais qui ne peut se passer d’un projet collectif explicite et de la solidarité sociale assurant une protection à tous.

Insister sur la séparation de l’information avec la matière ou l’énergie n’est pas dire que les phénomènes physiques n’existent pas (brisures de symétrie, catastrophes, entropie), mais qu’avec l’information, l’organisation, l’échange, la parole, la science, nous disposons d’autres ressources et même d’une puissance démesurée par rapports aux moyens matériels ou l’exploitation de la force de travail. Plutôt que de nous enfermer dans nos singularités et laisser nos sociétés et nos vies exposées à l’entropie physique, nous devons utiliser les informations disponibles pour préserver notre avenir, résoudre ensemble les problèmes collectifs, construire un projet politique qui nous rassemble dans nos diversités et permette un véritable développement humain basé sur les réalités locales. L’enjeu on le voit est considérable, contre le libéralisme (le monde des causes, des lois naturelles et d’un obscur originaire) le retour aux régulations, aux finalités humaines, aux lumières de la raison et du dialogue politique, mais délestés de l’idéologie du progrès comme du volontarisme étatique et violent au nom de la réduction des risques et du principe de précaution qui est un principe vital : passage de l’histoire subie à l’histoire conçue, de l’irresponsabilité au souci des conséquences de nos actes, investissement dans l’avenir pour donner sens à notre existence et rendre notre monde durable malgré sa dégradation naturelle, donner forme à l’humanité à venir, sauver cet improbable miracle d’exister . Repartir vers le futur. Il faut cesser de croire au progrès ou à la providence pour prendre en main notre destin et préserver notre avenir, résister à l’entropie au-delà de notre vie même. Encore faudrait-il en avoir vraiment envie. C’est cela l’enjeu de l’information et du sens, de l’inquiétude de vivre.

15/01/03

Posté le 15 janvier 2003

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1 commentaire(s)
Le concept d’information - 27 février 2007, par BARTHEZ

bonjour c’est barthez qui voudrais avoir des informations precises sur ce domaine qui est un peu complexe.