15 - Déclaration du Cap : Débrider le potentiel des ressources éducatives partagées

Capetown Open Education Declaration : cette déclaration a été rédigée lors d’une rencontre tenue au Cap (Afrique du Sud) en septembre 2007. L’objectif de cette conférence était d’amplifier les efforts pour promouvoir les ressources libres dans les pratiques pédagogiques.

La conférence s’est tenue sous l’égide de l’Open Society Institute et de la Fondation Shuttleworth. L’original en anglais et la liste des signataires peuvent être retrouvés à http://www.capetowndeclaration.org/

Nous utilisons ici la traduction réalisée par Marie-Pierre Emery pour la revue Problèmes politiques et sociaux, N° 978, publiée par la Documentation Française en novembre 2010.

Nous sommes à la veille d’une révolution mondiale en matière d’enseignement et d’apprentissage. Les éducateurs du monde entier travaillent actuellement à constituer sur l’internet un vaste fond commun de ressources éducatives, libres et accessibles à tous les utilisateurs. Ils construisent un monde où chacun peut accéder à la somme du savoir humain et contribuer à l’enrichir. Ils préparent aussi l’avènement d’une nouvelle forme de pédagogie selon laquelle les éducateurs et les apprenants créent, façonnent et font évoluer ensemble le savoir tout en approfondissant leurs compétences et leur compréhension du monde.

Ce mouvement émergent d’éducation libre conjugue la tradition bien établie du partage d’idées efficaces entre les éducateurs et la culture collaborative et interactive de l’internet. Il se fonde sur la conviction que chacun doit avoir la liberté d’utiliser, d’adapter à ses besoins, d’améliorer et de rediffuser des ressources éducatives sans contrainte. Les éducateurs, les apprenants et tous ceux qui partagent cette conviction se rejoignent dans cette démarche planétaire qui vise à rendre l’éducation plus accessible et plus efficace.

L’expansion du mouvement de collecte de ressources éducatives libres à l’échelon mondial a ouvert la voie à cette entreprise. Ces ressources consistent en matériels de cours, plans de cours, manuels, jeux, logiciels et autres matériels sous licence libre appuyant l’enseignement et l’apprentissage. Elles contribuent à rendre l’éducation plus accessible, surtout dans les régions et pour les publics ayant des moyens limités à consacrer au matériel d’apprentissage. Elles alimentent également une culture participative de l’apprentissage, de la création, du partage et de la coopération dont ont besoin des sociétés du savoir qui évoluent rapidement.

Toutefois, l’éducation libre ne se limite pas aux ressources éducatives libres. Elle s’inspire également des technologies ouvertes qui facilitent l’apprentissage collaboratif et flexible et le partage libre de pratiques pédagogiques permettant aux éducateurs de bénéficier des idées les plus efficaces de leurs collègues. Elle peut aussi s’étoffer pour inclure de nouvelles méthodes d’évaluation, d’accréditation et d’apprentissage collaboratif. La compréhension et l’adoption d’innovations telles que celles-ci sont des facteurs essentiels pour l’avenir à long terme de ce mouvement.

La réalisation de ce projet se heurte à de nombreux obstacles. La plupart des éducateurs ne sont pas au courant de l’existence d’une réserve grandissante de ressources éducatives libres. De nombreux gouvernements et établissements d’enseignement ignorent les bienfaits de l’éducation gratuite ou n’en sont pas convaincus. Les différences existantes entre les systèmes de licence pour les ressources libres entretiennent une certaine confusion et provoquent des incompatibilités. Enfin, il est évident que la majorité de la population mondiale n’a pas encore accès à des ordinateurs ou aux réseaux qui font partie intégrante de la plupart des systèmes actuels d’éducation libre.

Il est possible de surmonter ces obstacles, mais à condition de travailler ensemble. Nous invitons les apprenants, les éducateurs, les formateurs, les auteurs, les écoles, les lycées, les universités, les éditeurs, les syndicats, les associations professionnelles, les responsables de l’action publique, les gouvernements, les fondations et ceux qui partagent notre vision à s’engager à réaliser et à promouvoir l’éducation libre, et notamment les trois stratégies suivantes qui visent à augmenter la portée et l’impact des ressources éducatives libres :

— Éducateurs et apprenants. En premier lieu, nous encourageons les éducateurs et les apprenants à participer activement au mouvement d’éducation libre en voie d’émergence. Cette participation consiste à : créer, utiliser, adapter et améliorer les ressources éducatives libres ; adopter des pratiques éducatives liées à la collaboration, à la découverte et à la création de connaissances ; et inviter ses condisciples et ses collègues à s’impliquer. La création et l’utilisation de ressources libres doivent être considérées comme partie intégrante de l’éducation et appuyées et récompensées en conséquence.

— Ressources éducatives libres. En deuxième lieu, nous appelons les éducateurs, les auteurs, les éditeurs et les établissements d’enseignement à diffuser librement leurs ressources. Ces ressources éducatives libres devraient être partagées gratuitement par le biais de licences libres facilitant l’usage, la révision, la traduction, l’amélioration et le partage pour tous les utilisateurs. Ces ressources doivent paraître sous des formats qui facilitent l’utilisation et l’annotation, et qui soient compatibles avec une multiplicité de plateformes techniques. Lorsque c’est possible, elles devraient aussi être disponibles en formats accessibles aux personnes handicapées et à celles qui n’ont pas encore accès à l’internet.

— Politique d’éducation libre. Troisièmement, les gouvernements, les conseils scolaires, les lycées et les universités devraient faire de l’éducation libre une priorité. Les ressources éducatives, financées par l’impôt, devraient théoriquement être des ressources éducatives libres. Les processus d’accréditation et d’adoption devraient donner la préférence aux ressources éducatives libres. Les banques de ressources éducatives devraient chercher à inclure des ressources éducatives libres au sein de leurs collections et à les mettre en avant.

Ces stratégies ne sont pas que des bonnes politiques. Elles constituent un investissement judicieux dans l’enseignement et l’apprentissage du XXIe siècle. Elles vont permettre d’orienter des fonds jusque-là consacrés à des manuels onéreux vers l’amélioration de l’apprentissage. Elles vont aider les enseignants à exceller dans leur travail et offrir de nouvelles opportunités de visibilité et d’impact à l’échelon mondial. Elles vont accélérer l’innovation dans l’enseignement. Elles vont permettre aux apprenants eux-mêmes de mieux contrôler leur apprentissage. Ces stratégies se justifient pour tous les intéressés.

Des milliers d’éducateurs, d’apprenants, d’auteurs, d’administrateurs et de responsables de l’action publique sont déjà impliqués dans des initiatives d’éducation libre. Nous avons maintenant l’occasion de développer ce mouvement pour y adjoindre des millions d’éducateurs et d’établissements de toutes les régions du monde, riches et pauvres. Nous avons la possibilité d’atteindre les responsables de l’action publique, en travaillant ensemble pour saisir les opportunités à venir. Nous avons l’occasion d’impliquer les entrepreneurs et les éditeurs qui développent des modèles économiques libres et novateurs. Nous avons l’occasion de former une nouvelle génération d’apprenants qui recourront aux matériels éducatifs libres, s’autonomiseront par leur apprentissage et partageront leurs nouvelles connaissances et leurs nouveaux acquis avec d’autres. Et, fait plus important, nous avons l’occasion d’améliorer considérablement la vie de centaines de millions de personnes dans le monde en leur offrant des opportunités d’éducation et d’apprentissage gratuites, de qualité et adaptées à leur contexte local.

Nous, les soussignés, invitons tous les particuliers et toutes les institutions à se joindre à nous pour signer la déclaration du Cap sur l’éducation libre, et, ce faisant, à s’engager à appliquer les trois stratégies exposées plus haut. Nous encourageons également les signataires à adopter des stratégies supplémentaires en matière de technologie éducative libre, de partage libre de pratiques pédagogiques et d’autres approches promouvant la cause plus large de l’éducation libre. Tout engagement en ce sens de la part de particuliers ou d’institutions – et toute tentative de mieux articuler notre vision – contribueront à l’avènement d’une société dispensant une éducation pour tous libre, flexible et efficace.

Posté le 2 mai 2011

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