12 - Biopiraterie

Cet encart est extrait d’un document du Collectif français contre la biopiraterie, un réseau fondé à l’initiative de la Fondation France-Libertés. On pourra consulter de plus amples informations et participer aux actions de ce collectif à partir de leur site : http://www.biopiraterie.org.

Les savoirs autochtones privatisés par des sociétés commerciales

Les « industries du naturel » constituent un secteur en forte croissance (10 à 20 % par an [1]). Elles puisent largement leurs matières premières dans la biodiversité des pays en voie de développement [2]. C’est ce que certains ont appelé « la ruée vers l’or vert ». Pour trouver l’ingrédient nouveau, accélérer les processus de recherche et de développement dans un contexte très concurrentiel, ces industries pillent sans contrepartie l’extraordinaire réservoir de connaissances accumulées par les peuples autochtones et détenteurs de savoirs locaux en Amérique, Asie, Océanie ou Afrique. Elles identifient, sans information ni consentement préalable des communautés locales, des ressources biologiques pouvant avoir une valeur commerciale, et se les approprient par le biais de brevets pour les exploiter dans des conditions qui souvent, contribuent à l’érosion de la diversité biologique.

Une injustice économique et morale

Les brevets, droits de propriété exclusifs, permettent à des acteurs privés de s’approprier l’intégralité des revenus générés par l’exploitation de ressources naturelles, sans reconnaître la contribution des connaissances autochtones, alors que la collaboration de celles-ci permet dans certains cas augmenter jusqu’à 300 fois les chances d’identification des principes actifs [3].

En niant l’existence et les contributions des cultures des peuples autochtones et détenteurs des savoirs locaux, les acteurs privés ôtent à ces derniers l’opportunité de valoriser leurs richesses dans un contexte mondial, ce qui les accule de plus en plus à abandonner leurs modes de vies traditionnels. En ce sens, la biopiraterie menace la diversité culturelle au moment même où cette dernière est reconnue comme « un facteur essentiel du développement durable » lors du Sommet Mondial pour le Développement Durable de Johannesburg en 2002.

Le neem, un cas historique qui fait jurisprudence en Europe

Le cas du neem [4] est à ce jour la plus importante victoire obtenue sur la biopiraterie par la société civile. Il a permis de créer la première jurisprudence européenne en la matière. Le neem ou margousier indien (azadirachta indica), tire son nom du perse signifiant « arbre libre ». Depuis des siècles il a été introduit et fleurit en Afrique, en Amérique centrale et du Sud, dans les Caraïbes et en Asie. C’est en Inde que cet arbre est le plus utilisé. On fait mention de son usage dans des textes écrits il y a plus de 2000 ans, dans l’agriculture comme insecticide, en médecine humaine et animale, et en cosmétique. Il est aussi vénéré comme « l’arbre libre » à travers la religion et la littérature dans de nombreuses cultures locales.

Au début des années 1990, les propriétés du neem ont fait l’objet d’une série de 64 brevets déposés par plusieurs entreprises privées, dont un brevet sur les vertus fongicides par le géant de l’agrochimie W.R. Grace. Alors même que l’Inde avait librement diffusé l’usage et les connaissances sur le neem depuis des siècles, ces entreprises se sont approprié cette ressource importante en quelques années. Une conséquence directe fut l’augmentation de la demande en graines de neem par ces acteurs industriels. W.R. Grace installa une usine de traitement du neem qui capta une grande partie des graines disponibles, faisant augmenter leur prix au-delà de ce que les populations locales pouvaient payer. Auparavant, les graines de neem étaient en accès libre et étaient largement utilisées pour produire de l’huile indispensable pour l’éclairage et le chauffage.

Le combat pour faire annuler ces brevets mobilisa la société civile indienne, avec Vandana Shiva en tête de file, et la communauté internationale, l’IFOAM [5] (Linda Bullart) avec le soutien des députés verts européens (Magda Aelvoet). Après dix ans, il déboucha sur une réussite historique auprès de l’Office Européen des Brevets, qui annula le brevet déposé par W.R. Grace, en reconnaissant l’antériorité des savoirs traditionnels indiens sur le neem.

Cette victoire juridique a pu être obtenue parce que les activistes indiens ont su retrouver un manuscrit védique décrivant les propriétés fongicides du neem. Or la majeure partie des savoirs traditionnels ne possède pas de trace écrite, et se trouve de ce fait en situation difficile dans le monde juridique des brevets.

Cet exemple permet d’observer une partie des conséquences directes que peut avoir la biopiraterie sur les populations locales : le brevetage des propriétés fongicides du neem a non seulement eu des effets néfastes sur l’économie, mais également un impact sanitaire et culturel négatif sur les populations locales, privées d’accès à cet élément majeur de leur mode de vie. En ce sens, la coalition qui s’est battu contre ce brevetage a dénoncé les atteintes à la souveraineté alimentaire de l’Inde.

[1] Datamonitor (2005), Organic monitor (2007).

[2] Environ 380 000 tonnes de produits naturels sont importées en France depuis les pays en développement chaque année pour la seule industrie cosmétique (source : CGI, 2008).

[3] Conférence « Biodiversidad, biotechnologia y propriedad intellectual », Juillet 2006.

[4] A briefing paper on the first legal defeat of a biopiracy patent : The Neem Case. Linda Bullart, mai 2005.

[5] International Federation of Organic Agriculture Movements – Fédération internationale des mouvements d’agriculture biologique.

Posté le 2 mai 2011

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