8 - La chaîne de la communication dans les sciences de la santé : des chercheurs aux praticiens, l’impact du libre accès

Traduction de The chain of communication in health science : from researcher to health worker through open access, article publié dans la revue en ligne Open Medicine, 2009, 3 (3), p. 11-119. Les données chiffrées ont été actualisées par les auteurs en août 2010. Traduit de l’anglais par Samir Hachani

La chaîne de la communication dans les sciences de la santé : des chercheurs aux praticiens, l’impact du libre accès

Les secteurs privés et publics dépensent chaque année, à l’échelle du monde, des milliards de dollars en recherche biomédicale et en recherche ayant un rapport avec la santé. Malgré cela, dans nombre de régions du monde, les systèmes de soins sont loin d’atteindre les résultats de santé fixés par les Objectifs du Millénaire pour le Développement des Nations-Unies. Les raisons de cet écart sont complexes, mais un des facteurs clés constamment cité est l’incapacité à concrétiser les résultats de la recherche en des pratiques et politiques effectives. Dès lors, il n’est pas surprenant que les organismes de santé et les organismes de financement dans le monde s’intéressent de plus en plus à la « traduction du savoir », développant des mécanismes qui « renforcent la communication entre les chercheurs en santé et les utilisateurs du savoir relatif à la santé, augmentent la capacité de transmission du savoir, et accélèrent la transcription du savoir en des applications de santé bénéfiques » [1]. Simultanément, les agences de financement de la recherche reconnaissent qu’un composant essentiel du processus de traduction du savoir repose sur la distribution la plus large possible des résultats des recherches primaires qu’ils ont soutenues. Selon Robert Terry, un ancien haut conseiller au Wellcome Trust, la plus grande agence de financement médicale privée caritative en Grande Bretagne, « financer la recherche ne constitue que la première moitié du travail. Une partie fondamentale de notre mission est d’assurer la plus large dissémination possible et un accès sans restrictions aux fruits de cette recherche » [2]. Le Wellcome Trust estime que maximiser l’accès aux recherches qu’il finance augmentera les applications de santé et les avantages susceptibles d’en être tirés. En conséquence, depuis 2005, le Trust assortit ses subventions d’une condition : le dépôt d’une copie électronique des articles scientifiques résultants du financement dans l’entrepôt en libre accès de PubMed Central UK et ce dans les 6 mois suivant la publication [3].

Le Research Councils UK, dont le Medical Research Council est l’un des membres, fut un des premiers organismes à exiger le dépôt d’articles scientifiques dans les entrepôts institutionnels en accès libre. Plus récemment, le NIH (National Institutes of Health – États-Unis), la plus grande organisation de financement médical au monde, a imposé aux chercheurs de soumettre dans PubMed Central les manuscrits des articles de revues contrôlées par les pairs produits par les recherches ayant bénéficié du financement du NIH. Cette exigence a été renforcée par le vote du Public Access Policy (Consolidated Appropriation Act) par le Congrès des États-Unis en 2008 [4]]. De la même manière, les Instituts de Recherche en Santé du Canada (IRSC – Canadian Institutes of Health Research, HICR) ont mis en place une politique de libre accès en imposant aux auteurs ayant reçu un financement de l’IRSC de rendre leurs publications disponibles librement au bout de six mois. De plus, ils exigent des bénéficiaires de ses subventions le dépôt des coordonnées bioinformatiques, atomiques et moléculaires, dans les bases de données publiques appropriées, immédiatement après la publication des résultats de la recherche (par exemple le dépôt des séquences d’acide nucléique dans GenBank) [5].

Ces exemples sont représentatifs d’agences qui ont compris que « l’accès en temps opportun et sans restrictions aux résultats de la recherche est une caractéristique qui définit la science et qui est essentielle pour faire progresser notre connaissance et notre compréhension de la maladie et de la santé humaines » [6]. Ce sont maintenant 252 grands organismes de recherche et structures de financement qui développent des politiques similaires et sont répertoriés dans la base de données du Registry of Open Access Repositories Material Archiving Policies (ROARMAP), et 20 autres pour lesquels ce genre de recommandations est en phase de mise en place [7]. On sait pertinemment que les limites à l’accès aux publications de la recherche, imposées par le coût des revues et par les restrictions du copyright, conduisent à l’inefficacité. Elles engendrent des retards dans les découvertes et l’isolement des chercheurs. Par-dessus tout, elles détruisent le lien continu entre les chercheurs et les usagers de la recherche. Les organismes de financement demandent de plus en plus à ceux qui sollicitent des bourses de fournir les adresses des sites web institutionnels dans lesquels ils ont déposés les publications qu’ils citent, les experts scientifiques des financeurs ne disposant pas toujours d’un abonnement aux journaux cités [8]. Bien au-delà des autres chercheurs, les utilisateurs des résultats scientifiques incluent aussi les décideurs et les acteurs politiques, les travailleurs de la santé, les organisations non gouvernementales et le grand public lui-même. Le libre accès pour tous devient un enjeu vital pour le succès du processus d’échange des connaissances. Il augmente considérablement les chances de traduire la recherche médicale en une réelle amélioration de la santé publique.

Cet article traitera de l’impact de l’accès libre sur les publications dans le domaine de la recherche sur la santé publique, et détaillera les stratégies permettant de rendre les articles accessibles et réutilisables. Nous essaierons de fournir des exemples de réussites d’ores et déjà enregistrées, et nous conclurons avec quelques recommandations pour optimiser le retour sur investissement global de la recherche biomédicale.

Inadaptation à l’objectif

La chaîne de transfert du savoir en santé humaine débute au sein des laboratoires de recherche, dans les départements des universités, dans les instituts ou les entreprises spécialisées… tous lieux de production des nouvelles connaissances. Elle se poursuit ensuite jusqu’à la communauté en général au travers des publications contrôlées par les pairs. Cette chaîne peut être interrompue à n’importe quel chaînon en raison de problèmes techniques, légaux ou financiers. Si le lien primaire entre les chercheurs originaux et les utilisateurs est brisé, rien de nouveau ne peut émerger pour soutenir les services de santé dans le monde. L’investissement global placé dans la recherche est gaspillé [9].

Traditionnellement, les chercheurs ont publiés leurs résultats dans des revues dont le contrôle par les pairs assure l’authenticité et la précision. De nos jours, cependant, les revues sont devenues des véhicules moins efficaces pour la dissémination du savoir parce que le prix de leurs abonnements a augmenté beaucoup plus que l’inflation, éliminant les lecteurs, notamment dans les nations les plus pauvres. Selon une étude de l’OMS, les instituts médicaux dans les pays aux revenus les plus bas ont perdu la capacité d’acheter ne serait-ce qu’une seule revue [10], ce qui conduit leurs chercheurs à travailler dans une bulle, isolés des découvertes ayant lieu dans le reste du monde.

Inquiétudes mondiales pour la santé

Les inquiétudes liées aux difficultés d’accès à l’information issue des recherches ont débouché sur plusieurs initiatives. Pour que celles-ci réussissent, elles doivent se doter d’outils de publication électronique et conduire à l’indépendance de la recherche. En 1982, un rapport de l’Unesco, par la suite relayé par de nombreuses organisations internationales, déclara que « l’assimilation de l’information scientifique et technique est une condition préalable au développement des pays » [11]. L’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) et la FAO (Food and Agriculture Organization), qui appartiennent au système des Nations-Unies ont mis en place les programmes de soutien Access To Research Initiative (HINARI) et Access To Global Online Research in Agriculture (AGORA) au travers desquels des revues scientifiques commerciales partenaires fournissent un accès gratuit aux universités et bibliothèques des instituts membres dans les pays dont le PNB per capita est inférieur à 1000$ US. Même si ces programmes ont comblé des vides, leur influence demeure limitée et ils ne suffisent pas à consolider les savoirs essentiels d’un pays dans toutes les disciplines de recherche [12].

Partout les communautés scientifiques ont besoin de liberté, d’une part pour accéder à l’ensemble du savoir mondial au rythme des besoins imposés par leurs travaux, et d’autre part pour faire connaître leurs propres résultats de recherche auprès de la communauté scientifique internationale. C’est seulement lorsque les actuelles différences de savoir Nord-Sud, Sud-Nord et Sud-Sud seront éliminées que la recherche pourra s’amplifier afin de répondre aux besoins croissants, notamment dans le domaine de la santé. L’irruption de nouveaux foyers de maladies infectieuses inconnues, la menace de la grippe aviaire, le fléau du SIDA, l’actuelle mortalité enfantine due au paludisme et autres maladies négligées ne peuvent trouver de réponses que par une mobilisation des efforts coopératifs des chercheurs. L’urgence du changement climatique, les inquiétudes environnementales, de même que la nécessité d’intensifier la recherche agricole, montrent l’importance du partage des résultats de recherche avec ceux qui n’ont pas les moyens de faire face à l’inflation des abonnements aux revues et aux autres limitations à l’accès.

Conséquences sur la santé publique d’un accès réduit aux recherches en cours

Les conséquences de la privation de l’accès à l’information sont maintenant reconnues. Quelques exemples en soulignent le danger.

Gavin Yamey en fournit plusieurs dans son article « Limiter l’accès des plus pauvres à l’information biomédicale : une violation des droits humains qui met en danger la santé mondiale » [13]. À l’image de ce médecin d’Afrique du Sud dont l’accès à l’information se résumait aux résumés des articles postés sur internet, et qui modifia un programme de prévention du SIDA périnatal à la suite de la simple lecture d’un résumé. Yamey insiste : si le médecin avait eu accès à l’article en texte intégral, il aurait sans aucun doute réalisé que les résultats étaient basés sur des données incomplètes, obtenues par le suivi à court terme d’un petit groupe de patients et qu’ils avaient peu de chances d’être applicables à la situation qu’il devait gérer. La décision de modifier le traitement basée seulement sur les conclusions du résumé pourrait avoir conduit à une augmentation de la transmission périnatale du virus du SIDA… mais ce médecin n’avait pas les moyens pour acheter le texte intégral de l’article. Des limitations similaires concernant l’accès à la recherche privèrent un professeur de l’Université Makerere, principale université en Ouganda de la capacité à répondre à une proposition de bourse afin d’entamer une recherche sur la « Maladie de nodding », une maladie dont le principal symptôme consiste en un profond et inconscient hochement de tête de la part des victimes, souvent des enfants, quand on leur présente de la nourriture. Or cette maladie est très répandue dans sa zone, et affecte de nombreux enfants du sud Soudan.

Un autre exemple de rupture dans la chaîne de l’information a conduit Olayinka Ayankogbe, maître de conférences en médecine familiale au Départment of Community Health and Primary Care du Collège de Médecine de l’Université de Lagos au Nigéria, à écrire un message dans le Forum HIFA 2015 [14] pour affirmer que « les progrès principaux dans le traitement des maladies endémiques faits au Nord sont ‘étrangers’ à la plupart des docteurs praticiens ici même, à Lagos. Prenons l’exemple du SIDA. Les informations concernant les thérapies les plus récentes et les plus avancées sont, dans le meilleur des cas, limitées aux quelques professeurs spécialisés au sein des universités. La plupart des généralistes ne savent pas grand-chose. Le moins que l’on puisse dire est que cette différence d’information est terrible, si ce mot lui-même est assez fort » [15].

Un autre cas démontrant l’importance du libre accès aux publications mais aussi aux données est apparu au cours de la Conférence Berlin 5 (Accès libre, de l’expérience à l’impact : conséquences de la dissémination des connaissances) qui s’est tenu à Padoue en Italie au mois de septembre 2007. Ilaria Capua y délivra une communication sur son travail concernant la grippe aviaire et la découverte par son laboratoire de séquences génétiques importantes pouvant conduire au confinement du virus. Mais elle perturba l’assistance en précisant qu’on l’avait initialement découragée de placer ses données dans la base de données gratuite et en libre accès GenBank [16]]. Parce qu’elle était pleinement convaincue de l’importance du partage des données, Ilaria Capua a lancé le projet global GISAID, The Global Initiative on Sharing Avian Influenza [17] afin de partager largement l’information sur la grippe aviaire.

En sens inverse, l’efficacité du partage de l’information scientifique d’une manière ouverte ne fut jamais aussi manifeste qu’au début de l’épidémie du SRAS en 2003. Au plus fort de cet épisode, il y eut une ouverture et une disponibilité sans précédent pour un partage immédiat de l’information scientifique critique. Grâce à la collaboration de 13 grands laboratoires et de 10 pays, le coronavirus responsable du déclenchement de l’épidémie fut rapidement identifié et son génome séquencé au bout de quelques semaines seulement [18]. Dans un communiqué de l’OMS, le Dr. Klaus Stöhr, qui a coordonné le réseau collaboratif de recherche, confirma : « Dans ce monde globalisé, ce genre de collaboration est la seule manière d’avancer dans le combat contre les maladies émergentes » [19].

Une solution à l’horizon

Depuis 2001, la communauté universitaire mondiale a commencé à prendre des mesures correctives. Elle est en train d’adopter largement les recommandations de l’Initiative pour l’Accès Ouvert de Budapest (BOAI – Budapest Open Access Initiative [20]). Internet a rendu possible deux recommandations de cet appel qui ont le potentiel de libérer, au service de tous, l’information auparavant enfermée dans des publications onéreuses :

— le dépôt par l’auteur lui-même de copies de l’article final accepté et contrôlé par les pairs dans son entrepôt institutionnel [21] interopérable (une recommandation connue sous le terme d’auto-archivage par l’auteur) ;

— la publication dans les revues en accès libre.

L’option de l’entrepôt institutionnel, ou auto-archivage, est de plus en plus adoptée par les organismes de financement et les universités dans le monde comme le montre la figure 1. L’auto-archivage peut être réalisé grâce à l’installation de logiciels libres conformes au protocole de moissonnage de métadonnées OAI-PMH, protocole largement adopté à l’échelle internationale. Ceci permet à tous les entrepôts institutionnels de faire l’objet de recherches documentaires par l’intermédiaire des moteurs généralistes comme Google ou Yahoo ! ou par des systèmes de recherche spécialisés tels que OAISTER, comme s’ils constituaient une seule et même ressource. Il est important de noter que 63 % des journaux enregistrés dans la base de données SHERPA/RoMEO [22], base qui décrit les politiques de copyright des éditeurs, acceptent un tel auto-archivage [23]. Cette option peu onéreuse est particulièrement adaptée aux pays à bas revenus [24].

Le choix de diffuser un journal en libre accès nécessite le développement de nouveaux modèles de financement qui permettent l’accès gratuit à tous les lecteurs tout en assurant le recouvrement des coûts de publication par des mécanismes économiques alternatifs, tels

Figure 1 : L’augmentation des obligations d’auto-archivage décrétées par différentes institutions, de 2001 au début de 2010.

que le paiement par l’auteur, mécanisme par lequel les auteurs ou leurs organisations payent les coûts d’administration du document au moment de la publication, ou d’autres services payants, comme la publicité ou les soutiens institutionnels. Pas un des journaux en accès libre publiés dans les pays en voie de développement ne fait payer ni les auteurs ni les lecteurs. Tous recouvrent leurs coûts par des moyens alternatifs. Les méthodes pour quitter le modèle du paiement à l’acte de lecture ont été, à juste titre, largement débattues. Il a été démontré que le passage au modèle de l’auteur–payeur ne constitue pas réellement une aide aux chercheurs dans les pays aux bas revenus, mais se traduit par une simple permutation du fardeau du lecteur vers l’auteur.

Progrès dans le développement des revues et entrepôts institutionnels en accès libre

Le Directory of Open Access Journals [25] inventorie maintenant quelque 5252 journaux en accès libre, dont 26 % sont publiés dans les pays en voie de développement. Les plateformes de Bioline International [26] et de Scientific Electronic Library Online [27] (SciELO) sont des exemples de services fournissant la distribution en libre accès des publications scientifiques émanant de pays en voie de développement, fournissant ainsi à la recherche régionale une visibilité indispensable. SciELO est né au Brésil et a été étendu à d’autres pays. Bioline International est un partenariat Canada-Brésil qui met à disposition des éditeurs de 16 pays en voie de développement ou d’économies en transition un mécanisme de diffusion numérique. Dans le même ordre d’idées, la maison d’édition Medknow[(http://www.medknow.com/]] à Mumbay, Inde, fournit un accès libre à quelque 128 revues biomédicales publiées principalement en Inde. Ces services, ainsi qu’un certain nombre de revues de sociétés savantes de pays en voie de développement, constituent environ 26 % de l’ensemble des journaux en accès libre. Contrairement à la majorité des éditeurs commerciaux des pays industrialisés, ces éditeurs n’ont aucune inquiétude quant aux préjudices qui pourraient être causés par le libre accès à leurs revues, bien au contraire. L’expérience confirme en effet qu’un gain en visibilité conduit à une amélioration de la qualité, une augmentation des soumissions d’articles, des citations et in fine à un accroissement des abonnements aux versions imprimées [28]. Autre expérience significative, celle du BMJ Group (British Medical Journal), qui avait d’abord expérimenté un libre accès complet avant de revenir à l’accès payant pour les articles autres que les articles de recherche de son journal phare. En 2008, le BMJ « a étendu son expérience d’accès libre en présentant BMJ Unlocked [29], qui permet aux auteurs soumettant une communication scientifique à l’un des 19 journaux spécialisés du groupe de payer un forfait permettant de placer leur travail en libre accès » [30].

Le Registry of Open Access Repositories [31] (ROAR) inventorie 1829 entrepôts en accès libre au 4 août 2010 (ce nombre augmente en moyenne d’un entrepôt chaque jour). Environ 17,5 % de ces entrepôts sont installés dans des instituts et des universités de pays en voie de développement. Le Directory of Open Access Repositories [32] administre une liste similaire. Le coût relativement faible de la mise en place et de la maintenance des entrepôts institutionnels en font un moyen très adéquat de distribution des résultats de recherche locaux permettant de réduire les écarts en matière de transmission du savoir.

Progrès du libre accès : quel impact ?

Les chercheurs ne prennent le temps de télécharger un article que s’ils ont besoin de celui-ci pour leur propre recherche. Une preuve de la valeur du libre accès peut donc être déduite des statistiques d’utilisation. Bien qu’il soit toujours difficile de mesurer l’impact réel de chaque résultat de recherche spécifique sur le progrès général de la science, il est néanmoins démontré que le nombre de téléchargements d’une ressource d’information scientifique est un indicateur du nombre de citations à venir de cette même source et donc de son impact sur la communauté scientifique [33].

Figure 2 : Usage des publications en accès libre émanant des pays en développement sur le site de Bioline International de 2002 à 2009.

L’utilisation des journaux en accès libre dans les pays en voie de développement a été significatif dès le début [34] et augmente régulièrement en proportion du nombre de documents rendus disponibles. Les statistiques de Bioline International montrent un volume croissant d’utilisations, y compris le téléchargement de textes intégraux, de 2002 à 2009 (Figure 2), pour dépasser les 4.4 millions cette dernière année, indiquant le besoin très significatif pour un type de recherches auparavant indisponible.

Figure 3 : Carte des consultations et usages de journaux de Bioline, montrant la répartition des usagers entre le 27 mars 2010 et le 27 avril 2010.

La carte présentée en figure 3 montre l’origine des usagers de Bioline International. Elle indique une très large utilisation, évidement non exclusive, en provenance des régions en voie de développement, ce qui suggère la reprise des liens scientifiques interrompus entre pays en voie de développement voisins, qui font souvent face à des problèmes de santé et d’environnement similaires. Les revues de SciELO ont elles aussi connu une augmentation importante des usages. La figure 4 montre ainsi le nombre d’accès sur une période de dix ans au site chilien de SciELO.

En Inde, les revues publiées par Medknow montrent des augmentations constantes de l’utilisation des versions en ligne en libre accès, améliorant régulièrement les facteurs d’impact, comme le montre la figure 5 pour le Journal of Postgraduate Medecine publié par cette

Figure 4 : Nombre de visiteurs uniques sur 10 ans (année 2010 incomplète) du site chilien de SciELO. On peut repérer l’accroissement très rapide lors du passage en accès libre.

maison d’édition. Avant qu’une version en ligne ne soit disponible sur une base de données en libre accès en 2002, l’augmentation du facteur d’impact était faible, après 2002 elle devint beaucoup plus rapide, pour doubler entre 2003 et 2004.

Figure 5 : Facteur d’impact des journaux publiés par MedKnow, 2000–2008.

Bien que certains éditeurs aient exprimé des doutes sur la stratégie de publication en accès libre, qui selon eux conduirait à une perte des revenus sur les abonnements, dangereuse pour la survie de leurs journaux, l’expérience montre que ce n’est pas le cas. Les principaux journaux de recherche en physique des hautes énergies n’ont pas vu d’effets négatifs suivre l’utilisation très répandue par la communauté des physiciens de l’archive en libre accès arXiv [35], créée en 1991. L’éditeur indien de revues biomédicales Medknow signale au contraire une augmentation des abonnements depuis que les versions en ligne sont disponibles en libre accès (Figure 6). Bien plus, la qualité des revues de dimension nationale s’est améliorée, résultat de la visibilité accrue. Les soumissions d’articles se sont multipliées, y compris par des contributeurs internationaux attirés par l’évolution du facteur d’impact. [36]

Figure 6 : Abonnements pour 8 journaux biomédicaux publiés par Medknow, 2003–2009.

Les entrepôts institutionnels intègrent des logiciels statistiques qui enregistrent les usages, et ceux-ci, comme dans le cas des journaux en libre accès, augmentent rapidement. Par exemple, l’entrepôt institutionnel de la Universidad de Los Andes [37] au Vénézuéla avait enregistré 770 273 téléchargements en 2008, mais au cours des six premiers mois de 2009, ce chiffre avait déjà atteint 1 122 56 téléchargements. Les entrepôts institutionnels sont utilisés par des chercheurs des pays développés au même titre que ceux des pays en voie de développement. En dix-huit mois, de janvier 2008 à juin 2009, les téléchargements effectués sur l’entrepôt institutionnel de l’Universidad de Los Andes se répartissent en 55,6 % provenant du Vénézuéla ou de l’université elle-même, 30,4 % venant d’Amérique Latine et 7,3 %, soit plus de 138 000, provenant du reste du monde, y compris de pays en voie de développement lointains et de pays en Europe et en Amérique du Nord (l’origine de 6,7 % des téléchargements n’a pu être identifiée). Il y a clairement un besoin pressant pour ce genre d’informations qui étaient auparavant inaccessibles en raison de fortes contraintes économiques. De plus, cet entrepôt institutionnel a placé la Universidad de Los Andes « sur la carte », dans le champ de vision de la communauté de recherche internationale, et ce au plus grand bénéfice de cette Université.

Ces statistiques indiquent en creux l’influence négative des anciens mécanismes de communication. Ceux-ci empêchaient nombre de chercheurs et de travailleurs de la santé d’accéder aux informations dont ils avaient besoin. Les bénéfices complémentaires découlant du rétablissement de liens entre chercheurs et utilisateurs ne sont pas facilement mesurables. Il est en effet impossible d’évaluer les conséquences de rencontres fortuites ou de partenariats, ni le sentiment d’encouragement qui surgit quand les acteurs ont le sentiment d’appartenir à un collectif.

Infrastructure

Il existe actuellement de nombreux projets d’infrastructure en libre accès à grande échelle. En Europe, The Digital Repository Infrastructure Vision for Europe [38] (DRIVER) a été établi pour aider et développer les entrepôts institutionnels. Un programme similaire, Online Research Collection Australia [39], a été mis au point en Australie. Plusieurs groupes travaillent sur de nouveaux outils logiciels pour améliorer les fonctionnalités du réseau d’entrepôts institutionnels, à l’image du protocole SWORD [40] mis au point récemment pour faciliter le transfert de fichiers entre entrepôts. D’autres logiciels destinés à mesurer la valeur ajoutée pour les instituts, les auteurs et les éditeurs sont en cours de développement, notamment sous l’impulsion d’un programme global d’évaluation financé par le Joint Information Systems Commitee (JISC) en Grande-Bretagne.

Souder les divers chaînons de transmission de l’information scientifique

On peut conclure, sur la base des données statistiques d’utilisation et d’expériences individuelles maintenant disponibles, qu’un développement de l’accès libre améliore très rapidement la diffusion de la littérature de recherche biomédicale mondiale. Néanmoins, les opportunités du libre accès restent trop peu connues et sous-utilisées par les pays pauvres. Des efforts doivent être entrepris pour augmenter la prise de conscience de cet effet positif parmi les décideurs politiques, les responsables de la recherche et les praticiens des soins de santé.

Les annonces du site web de l’Open Access Directory témoignent d’une activité mondiale soutenue, mais cependant limitée principalement au monde industrialisé. Des groupes dédiés tels que le réseau Electronic Information for Libraries [41], le Electronic Publishing Trust for Development [42], le tout récent Open Access Scholarly Information Sourcebook [43] en coopération avec les agences pour le développement, et les éditeurs et administrateurs d’entrepôts dans les pays en voie de développement, font tous d’énormes efforts pour informer et former au libre accès. Mais ces efforts mériteraient d’être consolidés par le soutien des agences internationales. Dans le domaine de la santé, l’OMS a un rôle majeur à jouer afin d’encourager l’établissement de revues et d’entrepôts en libre accès. Il est dès lors très encourageant de noter que dans son document Stratégie et plan d’action pour la santé publique, l’innovation, et les droits de propriété intellectuelle, l’Assemblée Générale de l’OMS déclare parmi ses objectifs : « promouvoir l’accès public aux résultats des recherches financées par les gouvernements, encourager fortement tous les chercheurs financés par les gouvernements à soumettre une version électronique de leurs manuscrits finaux contrôlés par les pairs à une base de données en libre accès » [44].

Certes, d’autres problèmes subsistent : améliorer la connectivité, étendre les liens en aval dans la chaîne de communication, développer l’enseignement et la formation, et traduire les contenus, aussi bien en terme de langue qu’en capacité d’adaptation aux situations locales. Nous pouvons toutefois souligner les efforts déployés pour aplanir les difficultés de communication. Comme l’ont montré les débats du HIFA 2015 Forum, les communications mobiles et les autres technologies émergentes commencent à avoir un impact significatif sur la transmission de l’information dans les zones isolées, et les infrastructures de communication constituent bel et bien une priorité constante dans le monde en voie de développement [45].

Krishnan Ganapathy, neurochirurgien à Chennai, en Inde, ancien président de la Neurological Society of India et actuel président de Apollo Telemedicine Networking Foundation déclara dans une interview [46] :

« Nous n’avons vraiment commencé à utiliser les téléphones mobiles que très récemment. […] En Inde, par exemple, 750 millions d’indiens vivent dans des zones suburbaines et rurales où vous n’avez tout simplement pas de spécialistes. Maintenant moi, en tant que neurochirurgien, je peux, à défaut de soins, fournir des conseils à ces personnes. De même, tous les autres spécialistes sont capables de faire la même chose. C’est ce que nous avons fait ces neufs dernières années avec un certain succès. […] En Inde, la croissance des téléphones mobiles est exponentielle. […] Dans la ville où je vis [Chennai], entre 1998 et 2008, la pénétration du téléphone mobile a augmenté par un facteur de 133 ».

Tous les efforts en cours, entrepris par les décideurs politiques, les chercheurs, les experts en informatique et les professionnels du développement, montrent clairement qu’au moins une voie a été trouvée pour améliorer les conditions de tous ceux qui ont besoin d’accéder à l’information de santé. Restaurer le lien entre la recherche fondamentale et ceux qui l’utilisent est essentiel pour conserver intacte la chaîne de la connaissance.

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Leslie Chan est professeur au département des sciences sociales de l’Université de Toronto Scarborough. Sa recherche porte sur le rôle de l’ouverture sur l’extension mondiale des savoirs. À ce titre, il est un des fondateurs de Bioline International (http://www.bioline.org.br) et de Open Access Scholarly Information Sourcebook (http://www.openoasis.org).

Chercheur indien en sciences de l’information et scientométrie, Subbiah Arunachalam participe à la direction du Centre for Internet and Society de Bangalore et de l’Electronic Publishing Trust for Development (http://www.epublishingtrust.org).

Après des recherches en microbiologie, Barbara Kirsop est devenue la responsable du UK National Collection of Yeast Cultures (NCYC). De 1986 à 1994 elle fut présidente de la World Federation for Culture Collections. Membre fondatrice de Bioline International, et de l’Electronic Publishing Trust for Development.

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[1] Canadian Institutes of Health Research. Knowledge translation overview. http://www.cihr-irsc.gc.ca/e/7518.html

[2] Alma S. « Open access and the health sciences in the developing world : an overview » Making the eHealth Connection : Global Partnerships, Local Solutions conférence ; July 13 August 2008 ; Rockefeller Foundation’s Bellagio Center, Bellagio, Italy. 2008. http://ehealth-connection.org/wiki/...

[3] Wellcome Trust. Position statement in support of open and unrestricted access to published research. http://www.wellcome.ac.uk/About-us/...

[4] National Institutes of Health Public Access. Overview [http://publicaccess.nih.gov/

[5] Canadian Institutes of Health Research. Policy on access to research outputs. 2007 http://www.cihr-irsc.gc.ca/e/34846.html Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC). Politique sur l’accès aux résultats de la recherche, septembre 2007. http://www.cihr-irsc.gc.ca/f/34846.html

[6] Canadian Institutes of Health Research. Open access to health research publications : CIHR unveils new policy [Media release]. 2007 http://www.cihr-irsc.gc.ca/e/34851.html : Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC). Libre accès aux publications sur les recherches en santé : Les IRSC lancent une nouvelle politique. http://www.cihr-irsc.gc.ca/f/34851.html

[7] Registry of Open Access Repository Material Archiving Policies (ROARMAP). Policy register ; http://www.eprints.org/openaccess/p...

[8] Terry R. « Funding the way to open access » PLoS Biol 2005 ; 3 (3) : e97 http://www.plosbiology.org/article/info %3Adoi %2F10.1371%2Fjournal.pbio.0030097

[9] Godlee F, Pakenham-Walsh N, Ncayiyana D, Cohen B, Packer A. « Can we achieve health information for all by 2015 ? » Lancet 2004 ; 364 (9430) : 295–300 http://image.thelancet.com/extras/0...

[10] Aronson B. « Improving online access to medical information for low-income countries » N Engl J Med 2004 ; 350 (10) : 966–968

[11] United Nations Educational, Scientific and Cultural Organization. Draft Medium-term Plan (1984–1989). Second part, VII : « Information systems and access to knowledge », General Conference Fourth Extraordinary Session ; Paris (1982).

[12] Notons que ces accords commerciaux sont fragiles, comme en témoigne le retrait en janvier 2011 des principaux éditeurs des revues médicales, notamment Elsevier et Springer du projet HINARI. L’événement est considéré par l’éditorial du Lancet, principale revue médicale, comme « un pas en arrière pour la science, la santé et le développement dans les pays les plus pauvres ». Voir : Publishers of medical journals are restricting free access to researchers in developing countries, qui offre des liens vers les principaux articles consacrés à ce recul : http://infojustice.org/archives/880

[13] Yamey G. « Excluding the poor from accessing biomedical littérature : a rights violation that impedes global health » Health and Human Rights 2008 ; 10 (1).

[14] Le Forum HIFA 2015 (Health Information Forum) que l’on peut trouver à http://www.hifa2015.org est un groupe électronique de discussion mondial qui s’est fixé un but ambitieux mais réaliste : « En 2015 chaque habitant du monde aura accès à un soignant réellement informé ».

[15] Ayankogbe OO. Response to : Report : Access to health information and knowledge sharing. Health Information Forum 2015. 2008 Aug 6.

[16] Kirsop B. Berlin 5 : Open Access from practice to impact. Padua, September 19-21, 2007. Electronic Publishing Trust for Development. 2007 Sep 26. [Texte intégral

[17] SeedMagazine.com. « Revolutionary minds : Ilaria Capua » [Video]. (accessed 2009 Jun 25).

[18] WHO Regional Office for the Western Pacific. SARS : How a global epidemic was stopped. Geneva World Health Organization ; 2006.

[19] World Health Organization. Coronavirus never before seen in humans is the cause of SARS [Media release]. 2003.

[20] BOAI : Budapest Open Archive Initiative, Appel lancé le 14 février 2002. http://www.soros.org/openaccess/fr/...

[21] Le terme anglais est IR : Institutional repository.

[22] http://www.sherpa.ac.uk/romeo/

[23] Les lecteurs intéressés par le sujet de l’auto-archivage et les entrepôts ouverts pourront consulter avec intérêt le Southampton SelfArchiving FAQ (http://www.eprints.org/openaccess/s...) sur le site web de Eprints, l’un de ces logiciels libres pour l’accès ouvert.

[24] Chan L, Kirsop B, Arunachalam S. « Open access archiving : the fast track to building research capacity in developing countries » SciDev.Net. 2005 Feb 11. http://www.scidev.net/en/features/o...

[25] http://www.doaj.org/

[26] http://www.bioline.org.br/

[27] http://www.scielo.org/

[28] Basé sur des conversations personnelles par Leslie Chan avec des éditeurs dont les journaux sont sur Bioline International. Voir, par exemple, « Dr. Paul Nampala explain the benefits of Open Access for African Crop Science Journal » [Vidéo], 28 mai 2008. Voir aussi la présentation de D.K.Sahu « Eight facts and myths about open access journals : an experience of eight years and eighty journals » à Open Access to Sciences Publications : Policy Perspectives, Opportunities and Challenges, 24 mars 2009 à New Delhi, Inde.

[29] http://adc.bmj.com/info/unlocked.dtl

[30] Godlee F « Open access to research » BMJ 2008 ; 337 : a1051 http://www.bmj.com/cgi/content/full... ?view=long&pmid=18669562

[31] http://roar.eprints.org/

[32] http://www.opendoar.org/

[33] Brody T, Harnad S, Carr L. « Earlier web usage statistics as predictors of later citation impact » Journal of the American Association for Information Science and Technology 2006 ; 57 (8) : 1060. http://eprints.ecs.soton.ac.uk/10713/. Norris M, Oppenheim C, Rowland F. « The citation advantage of open-access articles » Journal of the American Society for Information Science and Technology 2008 ; 59 (12) : 1963–1972.

[34] Kirsop B, Chan L. « Transforming access to research literature for developing countries » Serials Review. 2005 ; 31 : 246 – 255. http://hdl.handle.net/1807/4416

[35] http://arxiv.org/ Gentil-Becco A, Mele S, Holtkamp A, O’Connell HB, Brooks TC. « Information resources in high-energy physics : surveying the present landscape and charting the future course » Journal of the American Society for Information Science and Technology. 2009 ; 60 (1) : 150–160.

[36] Sahu DK. « Eight facts and myths about open access journals : an experience of eight years and eighty journals » Open Access to Science Publications : Policy Perspective, Opportunities and Challenges ; March 24, 2009 ; New Delhi, India. 2009. http://openmed.nic.in/3240/

[37] http://www.saber.ula.ve/

[38] http://www.driver-community.eu/

[39] http://www.apsr.edu.au/orca/

[40] http://www.swordapp.org//

[41] http://www.eifl.net/

[42] http://www.epublishingtrust.org/

[43] http://www.openoasis.org/

[44] Sixty-first World Health Assembly. Global strategy and plan of action on public health, innovation and intellectual property. Resolution 61.21, Annex (2.4) (b) ; May 24, 2008 ; http://apps.who.int/gb/ebwha/pdf_fi...

[45] Voir les rapports du Balancing Act‘s newsletter News Update. http://www.balancingact-africa.com/

[46] Sasaki D. Krishnan Ganapathy : Without India there is no mHealth. MobileActive.org. 2008 Jul 31. http://mobileactive.org/krishnan-ga...

Posté le 2 mai 2011

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