Un "rapport d’étonnement" au FM S&D de Belem

ce qui m’a frappé, ce que je retiens…

Table A Science et démocratie : quels sont les problèmes ?

Le fonctionnement de la recherche est mis à mal par la pensée libérale qui tente de l’orienter vers des travaux débouchant dans des délais aussi brefs que possible vers des applications relevant du marché. Pour mener à bien ce mouvement, si on prend l’exemple de la France, un système institutionnel est mis en place : réorganisation des Universités, démantèlement des grands organismes, politiques de recherche. Un comparatif sur ce point entre les systèmes des différents pays devrait être assez rapide à faire ; il en a été peu question au FM S&D. Pour prendre un exemple au niveau des politiques de recherche, deux très grands programmes, l’un américain, l’autre européen, tentent de tracer une « roadmap » pour les recherches orientées par le marché sur les thèmes des NBIC ou du BANG ou, dit plus simplement, des « technologies convergentes ». Derrière ces programmes gouvernementaux libéraux se développent une activité d’exploration des nano-particules et nano-objets (dont nano-machines) autour de l’idée que la nature travaille comme un ingénieur et qu’elle est éminemment plastique ; qu’on peut réduire le biologique au physico-chimique. De tels programmes ne font pas qu’articuler la recherche et la technologie vers une privatisation généralisée, elles tentent de les inscrire dans une vision socio-politique utopique non mise en débat démocratique.

C’est en ayant ceci en tête, à travers les travaux sur ces thèmes de l’association citoyenne Vivagora et d’autres (l’ETC Group, représenté par Silvia Ribeiro, a été un groupe pionnier sur la mise à jour et la contestation de ces modèles) que j’ai participé aux deux journées du FM. Je ne suis pas sûr qu’il y ait une science citoyenne, mais il me semble qu’on peut parler d’une posture de « chercheur citoyen ». Un chercheur qui considère comme essentiel à sa fonction et à son métier de ne pas se réfugier derrière une prétendue neutralité de la science et de dire « haut et fort quand il considère que la science dérive ». Durant ces quelques jours, cette expression lue dans le livre récent d’un lanceur d’alerte bien connu (Christian Velot) a été exprimée sous diverses formes par des hommes et des femmes de diverses cultures.

Une autre approche a retenu mon attention ; celle de la bio-diversité des savoirs, bien représentée par les fortes personnalités des chercheuses brésiliennes travaillant sur et avec les peuples indigènes. La valeur de la méthode scientifique n’est remise en cause par personne ( mais l’orientation qu’on lui fait prendre, si !!!). En revanche, d’autres formes de savoir ont montré leur utilité – les peuples indigènes vivent dans des conditions extrêmes (en tout cas pour nous, observateurs occidentaux) en se basant sur d’autres savoirs que le savoir scientifique. Plus, on le sait – ceci n’a pas été particulièrement développé au FM mais était dans touts les esprits-, l’industrie pharmaceutique a pillé des savoir faire thérapeutiques et, par le jeu des brevets, s’est approprié les bénéfices de leurs usages. Comment faire dialoguer et « s’ensemencer réciproquement » les différents types de savoirs, au bénéfice des peuples ?

Table B : Accès aux connaissances : construire les biens communs

Je cherche à relier ce thème à la question de l’intervention citoyenne dans la politique de recherche. Celle-ci n’aura lieu que si la connaissance scientifique est disponible en bien commun, qu’un plan d’action est mis en place pour la rendre accessible ; et que si les autres types de savoirs (les savoirs traditionnels de toute nature) deviennent audibles au plus grand nombre. Peut-on parler d’une « éducation scientifique populaire », loin de la seule volonté des puissants de faire accepter « par le peuple » des politiques scientifiques parfois inadmissibles (cf ce qui se prépare dans plusieurs secteurs des nanos, le geo-engineering ou les nouvelles formes de guerre bactériologique) ; loin aussi de se limiter à la seule analyse - très nécessaire- des risques encourus en termes de santé et d’environnement. Il faut inventer des formes modernes d’accès à la connaissance (la numérisation est une voie royale, encore faut-il que se développent des usages des techniques numériques plus développés qu’aujourd’hui – cartes heuristiques et bientôt « espaces » heuristiques, techniques de simulation, mémorisation assistée, etc…-, des pratiques de mutualisation des connaissances et de capitalisation adaptées à différents milieux concernés par tel ou tel aspect de la recherche en marche.

Table C : Les nouvelles confrontations sociales, culturelles et politiques

J’ai entendu la proposition de « ré-institutionnalisation de la science », avec quelques propositions dont l’une était la « participation intégrale des mouvements sociaux à ce mouvement » . Au cours du FM, on a commencé à déplier le terme de « démocratisation de la science », processus à plusieurs plans : l’accès aux universités (enseignants et étudiants issus des milieux populaires –et indigènes !-, permettant que des thèmes portés par différents groupes sociaux s’inscrivent dans l’agenda des recherches –Reiner) ; la démocratisation du milieu des universitaires et chercheurs ; les liens plus étroits entre les chercheurs et le terrain (chercheurs indiens et brésiliens travaillant avec les paysans et les peuples indigènes) ; la démocratisation des connaissances scientifiques vers les citoyens et la participation de ceux-ci aux choix de politiques scientifiques. Qui sont les « sujets » de la démocratisation de la science, demande une chercheuse indienne ?

Si des zones de résistances/ alternatives existent et ont été mises en débat (en particulier les archives ouvertes, et les expériences indiennes du Peoples Science Movement), il a été surtout question de critique de la situation actuelle. Je reprendrais volontiers l’écoute, ou la lecture, de ce que nous a proposé Alfredo Berno de Almeida prenant ses distances par rapport aux pratiques classiques de la recherche et de la transmission des connaissances (le manuel, le labo, la vulgarisation/simplification, la « participation » (vocabulaire imposé, selon lui, par la Banque Mondiale !), et ses propositions de nouvelles méthodes -les « cartes sociales ».

Table D : Science et Démocratie dans un monde soutenable

L’approche par le monde soutenable m’apparaît comme originale. Dans l’esprit, c’est la manière opérationnelle de décliner la nécessaire démocratisation des choix de politiques scientifiques, abordée par les formes de luttes et les résistances dans la table C précédente et de manière plus « éthique » dans la table E. En réalité, dans cette section, je retiens surtout l’approche de Raghunandan sur le lien entre chercheurs et artisans ruraux (l’approche Peoples Sciences Movment sera amplifiée et plus structurée dans la dernière table E par Gangadharan) ; mais aussi le souhait de Louise Vandelac que de nouveaux indicateurs modifient la perception des problèmes par la société (tel qu’a pu le faire « l’empreinte écologique » et les recherches de nouveaux indicateurs de richesse par le Collectif Richesses de Patrick Viveret). Ian Illuminato nous a décrit un monde bien insoutenable des nano-particules, mais sans ouvrir de réflexion particulière sur les formes de luttes ou les alternatives . Les « Amis de la Terre » souhaitent un moratoire sur les nanos. Comment le mettre en œuvre ?? Ne faut-il pas mieux distinguer entre le « peut-être utile » et le « dangereux absolu », objet de mobilisation vers un moratoire ?

Table E : Responsabilité sociale, quelle coopération entre les sciences et la société ?

On recroise alors une des questions les plus ouvertes de notre rencontre du FM : comment articuler une légitime demande des chercheurs à construire librement des problèmes de recherche (alors qu’ils sont aujourd’hui très contraints par les orientations vers la techno-science rappelées plus haut) et la participation souhaitée des mouvements sociaux aux politiques de recherche et d’innovation. C’est très heureux que cette question ait été mise en lumière au FM. Bien entendu, elle est restée très ouverte. Dans les diverses étapes de la rédaction du texte final, on sentait que les représentants des chercheurs entendaient que l’intervention des mouvements sociaux soit maintenue à l’extérieur d’un périmètre aussi large possible hors de leurs organisations et de leurs labos… ! Janine Guespin rappellera judicieusement que la recherche de la vérité, qui structure l’identité du chercheur est une autre posture que celle qui conduit à des choix sociaux sur les politiques scientifiques.

* *

En temps que représentant d’une association citoyenne sur le champ scientifique, Vivagora, mon impression est que les acteurs sociaux de ce type étaient minoritaires et que les outils permettant une participation assez large des citoyens ont été peu évoqués. Il a été souligné, mais trop peu, qu’on ne saurait restreindre la participation citoyenne aux questions des risques. L’expertise citoyenne doit se construire et se faire entendre sur un large spectre. « L’empowerment scientifique des citoyens » est un sujet crucial de nos sociétés modernes.

A l’examen de ce qui a été dit, un assez grand recouvrement s’est fait entre les tables. Ce qui n’est pas surprenant pour une première rencontre. En particulier, l’idée de distinguer les formes de luttes nouvelles pour la démocratisation de la science et les formes de coopération entre science et société était assez artificielle.

Une utile distinction a été rappelée, trop rapidement : celle de Latour, reprise à Belem par Yves Le Bars : entre « science faite » (à transmettre, en la rendant accessible et en en montrant les impacts possibles), et « science en train de se faire », la recherche en cours, avec les choix de politiques scientifiques, la concurrence entre les labos, l’introduction des logiques de brevets, la « composition » des acteurs au sens de Bruno Latour.

Quelques thèmes utiles ont été juste évoqués – en faire une liste complète serait bien utile

**Quelle expertise les chercheurs doivent-ils donner, pour empêcher que les seuls experts auprès des pouvoirs publics ne viennent des entreprises ?? (Hervé)

**Quels renforcements opérer des organismes réglementaires (et non pas des Agences, « faux nez » des pouvoirs publics, sans avancées démocratiques )

Posté le 24 juin 2009

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