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Anupam Chander, University of California, Davis - School of Law

Madhavi Sunder, University of California, Davis - School of Law

En 1848, la réforme dite du « Grand Mahele[1] » instaura sur Hawaï des droits de propriété inconditionnels, répartissant ainsi les terres de l’Archipel entre les mains du roi et celles des chefs[2]. Deux ans plus tard, une loi étendit l’obtention de ces droits aux gens du peuple qui cultivaient la terre[3] et l’interdiction faite aux propriétaires de céder leurs terres à des étrangers fut levée, dans le but d’attirer des capitaux[4.] La combinaison de ces deux éléments, soit l’établissement de droits de propriétés semblables à ceux du monde occidental et l’autorisation de cession à des non-natifs, eut de lourdes conséquences sur la répartition des terres de l’archipel : « Les parcelles furent assez rapidement cédées par les chefs et les gens du peuple, réduisant un grand nombre de ces derniers en main d’œuvre sans terre[5] ». En raison de leur méconnaissance de la réforme du régime foncier, mais également de part une double difficulté administrative à revendiquer une terre et géographique à la topographier, relativement peu de natifs « roturiers » acquérirent un titre de propriété.[6] En 1896, alors que les blancs détenaient 57% des surfaces imposables, les Hawaïens de souche n’en possédaient que 14%[7]. Aujourd’hui, beaucoup de leurs descendants considèrent le passage d’un principe de terres communes à celui de terres privées comme l’un des facteurs déterminants de l’appauvrissement de leurs aïeux. Aussi, la division des terres instaurée par le grand Mahele fut une étape charnière du projet de colonisation d’Hawaï.

Pour un grand nombre d’habitants des pays en voie de développement, l’ADPIC - l’accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle touchant au commerce[8]- est l’héritier direct du Grand Mahele. Tout comme lui, l’ADPIC instaure des droits de propriété issus des systèmes en vigueur en occident ainsi que le droit pour les étrangers d’acquérir des titres de propriétés. Pour mettre en œuvre un tel régime, l’ADPIC exige de tous les pays membres de l’OMC la mise en place de standards substantiels de protection de la propriété intellectuelle. Quant à l’accès à la propriété pour les étrangers, l’ADPIC impose à chaque état membre des obligations relatives au traitement national, soit notamment une égalité de traitement entre étrangers et nationaux. Ce cocktail, composé de droits inébranlables à la propriété privée et de droits d’entrée aux étrangers, conduit à un transfert constant de la « propriété » des « productions » intellectuelles des pays en voie de développement vers le monde développé.[9]

En réalité, cette mécanique est plus impeccablement huilée que celle du Grand Mahele et ses conséquences plus spectaculaires encore. Une étude menée par les Nations Unies en 1974 révélait que 84% des brevets accordés dans les pays en voie de développement étaient détenus par des étrangers[10]. Une disparité qui a toujours cours aujourd’hui : En 1998, dans l’Afrique Sub-Saharienne (hors-mis l’Afrique du Sud), 35 brevets furent attribués à des résidents africains, 741 à des étrangers non-résidents[11]. Par ailleurs, en 2001, moins de 1% de l’ensemble des brevets attribués aux États-Unis était accordé à des personnes originaires de nations en voie de développement[12]. Et entre 1999 et 2001, ces derniers représentaient également moins de 2% des demandes de brevet déposées auprès des autorités internationales en charge du Traité de Coopération en matière de Brevets[13].

Un chapitre de cette histoire nous est familier. Il est de fait admis publiquement que le système légal international administrant la propriété intellectuelle favorise les pays occidentaux[14]. Par contre, le rôle joué par les biens communs dans la création et la préservation de cette ’inégalité à l’échelle de la planète est largement méconnu. Aussi, notre contribution à l’écriture de cette histoire consiste à faire la lumière sur les parcelles que l’ADPIC à délibérément laissé « désenclavées »[15], rompant ainsi l’équilibre existant auparavant dans la sphère du domaine public mondial. Préalablement à l’instauration de l’accord de droit sur la propriété intellectuelle, Orient et Occident bénéficiaient mutuellement des inventions et idées émanant de leur domaine public respectif – l’Occident parce que l’Orient ne protégeait pas officiellement ses savoirs, et l’Orient, parce que les lois régissant la propriété intellectuelle sur le plan international restaient vagues et largement inefficaces au delà des frontières nationales.

Rares sont les médicaments et pesticides, nouvellement commercialisés, dont la composition résulte du seul éclair de génie des chercheurs de laboratoires pharmaceutiques ou de l’industrie agricole. Les scientifiques cherchent souvent l’inspiration dans les entrailles de mère nature et dans les savoirs propres aux communautés traditionnelles, les amenant ainsi à explorer cultures et territoires très éloignés de leur siège social. Un médicament aussi banal soit-il, comme l’aspirine, est un dérivé de composantes actives dans certaines plantes, en l’occurence pour cet analgésique du quotidien de la salicine des saules blancs[16]. De fait, le nom d’aspirine découle en partie d’un genre d’arbustes, les spirées, qui contiennent de la salicine[17]. En médecine, cette quête singulière d’inspiration a conduit à la création d’un champ d’étude dédié, l’ethnopharmacologie, qui publie sa propre revue depuis 1979[18]. « Confrontés à la maladie ou à des problèmes de santé, nos lointains ancêtres ont découvert une myriade d’agents thérapeutiques issus des royaumes animal et végétal »[19]. Tel est le postulat sur lequel se fonde ce champ d’étude. Et les auteurs de la revue associée de préciser qu’« un grand nombre de composantes utilisées aujourd’hui dans la fabrication de médicaments (l’atropine, l’ephedrine, la tubocurarine, la digoxine ou encore la réserpine) provient de l’étude de remèdes indigènes [20] ». Aussi, les innovations dans les secteurs pharmaceutiques ou agricoles soumis aux droits de la propriété intellectuelle, jaillissent elles souvent des sources de savoir et autres ressources génétiques qui relèvent du domaine public.

La controverse suscitée par l’exploitation brevetée du Margousier illustre cette réalité. [21] Le margousier, arbre indigène du sous-continent indien, porte en Sanskrit le nom « sarva-róga nívarini » qui signifie « celui qui peut guérir toutes les affections et les maladies » [22], une appellation qui suggère le grand nombre d’applications médicales dont il peut faire l’objet : « une improbable variété d’usages traditionnels dans les secteurs agricoles, médicaux, cosmétiques, dentaires ou encore dans la conception de pesticides et de contraceptifs. »[23] Au cours des années 80, divers pays occidentaux se sont employés à breveter des applications issues de cette mine d’or végétale.[24] Initiatives qui démontrent l’antériorité à la mise en œuvre de l’ADPIC de l’exploitation des savoirs traditionnels et autres données génétiques. En réalité, l’ADPIC n’aurait en rien modifié le sort du Margousier. De même, l’accord de droit sur la propriété intellectuelle ne peut être tenu responsable de la disparité patente dans l’attribution de brevets entre citoyens des deux mondes, l’un développé, l’autre en voie de développement.[25]

Si la « controverse du Margousier » illustre l’exploitation des productions intellectuelles de l’est et du sud par l’Occident, force est de reconnaître que le mouvement inverse existe également. Logiciels, films des studios Disney ou encore médicaments des contrées du couchant sont depuis longtemps copiés et commercialisés dans les pays en voie de développement, et ce souvent sans versement de royalties. GlaxoSmithKline par exemple, géant de l’industrie pharmaceutique, invoque la perte de 50 millions US$ en ventes potentielles d’un de ses produits brevetés (le Tagamet, prescrit dans le traitement des ulcères), du à la création de copies génériques locales dans certains pays du sud, l’Argentine notamment.[26]

Les pays développés n’en sont pas à leur coup d’essai pour mettre un terme à la copie. Conventions sur les brevets, droits d’auteur ou copyrights encadrent leurs démarches depuis plus d’un siècle. La Convention de Paris pour la Protection de la Propriété Industrielle, signée en 1883[27], et la Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques, adoptée trois ans plus tard[28], toutes deux administrées par l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI)[29], étaient censées garantir aux détenteurs de droits de propriété intellectuelle une protection à l’échelle internationale. Mais en pratique, et ce en dépit d’une large adhésion, ces systèmes de protection sous l’égide de l’OMPI se sont souvent révélés inefficaces et les pays développés échouèrent la plupart du temps à faire valoir leurs droits.[30] Il est important de souligner que les niveaux de protection induits par ces conventions restaient faibles, ne requérant auprès des breveteurs d’inventions que des standards a minima.[31] Au final, tant sur les territoires nationaux que sur le reste du globe, ces systèmes n’offraient pas aux détenteurs de droits de propriétés intellectuelles d’outils de règlement de différends suffisants pour obtenir réparation en cas de violation.

De ce fait, pour les laboratoires pharmaceutiques argentins la composition du Tagamet rentrait dans la sphère du domaine public. Et la fabrication de médicaments génériques, tout comme la reproduction d’inventions dans d’autres secteurs industriels, n’a cessé de champignonner dans les pays en voie de développement, [32] ne faisant finalement que refléter un système à l’œuvre depuis de nombreuses décennies ; un régime international gouvernant la propriété intellectuelle aux allures d’impeccable mécanique d’exploitation intensive des savoirs et savoir faire de toutes les régions du monde, sans exception.

La mise en œuvre de l’ADPIC fit table rase de ces pratiques. En lieu et place de « communs » internationaux parmi lesquels les productions intellectuelles potentiellement exploitables par tous – ou du moins par des personnes vivant en dehors des frontières du pays producteur – l’accord a construit une forteresse pour protéger la propriété intellectuelle de ses états membres.[33] Les pays du sud tentèrent de résister à ce processus de marchandisation de la propriété intellectuelle, notamment durant les négociations commerciales de l’Uruguay Round, au cours duquel ils prônèrent une flexibilité maximale autorisant chaque état à déterminer pour toute nouvelle production intellectuelle le niveau de protection requis.[34] Peine perdue : l’ADPIC impose à ses membres l’instauration d’une liste exhaustive de normes minimales de protection pour tout brevetage. Les états défenseurs d’une pratique plus souple, obtinrent néanmoins l’octroi de périodes de transition pour implémenter au sein de leurs frontières ces obligations nouvelles.[35]

L’ampleur de ce bouleversement majeur pour les pays en voie de développement fut révélé au grand jour peu de temps après la naissance de l’OMC. Suite à une plainte déposée par les États-Unis pour non mise en œuvre de certaines obligations de protection[36], l’Inde, classé parmi les pays en voie de développement par l’accord, fit l’objet de la première demande de règlement de différend dans le cadre de l’ADPIC.[37] Si des délais d’implémentation avaient effectivement été accordés aux pays du sud pour toute une série d’obligations, certaines règles devaient quant à elles s’appliquer immédiatement. Les États-Unis accusèrent l’Inde de n’avoir pas mis en place un système de « boite aux lettres » destinée à recevoir les demandes de brevets et à établir un ordre de priorité afin d’accorder pleine brevetabilité une fois la législation entrée en application.[38] Ils dénoncèrent également l’absence sur le sous-continent indien de droits exclusifs de marketing pour les détenteurs étrangers de brevets. Le rapport de l’organe de règlement des différends donna raison aux États-Unis, obligeant l’Inde à mettre ses lois en conformité, démontrant par la même occasion la force impérieuse de l’ADPIC.

Son avènement transforma radicalement le patrimoine mondial de la production intellectuelle. Les pays en voie de développement doivent protéger sans faillir les œuvres intellectuelles de leurs pairs développés, sous peine d’être privés de privilèges commerciaux. L’Argentine ne peut désormais plus narguer bravement les laboratoires pharmaceutiques occidentaux. Pourtant, si l’ADPIC métamorphose les anciens resquilleurs du sud en bons élèves du modèle occidental[39], il laisse également le champ libre aux pays riches pour exploiter le jus de cerveaux de leurs cadets économiques, préservé dans un bocal dont l’étiquette « patrimoine mondial des biens intellectuels » n’a jamais été décollée. Les savoirs traditionnels et ressources génétiques de ces pays ne sont pas brevetables et sont toujours exploitables par quiconque le désire.[40]

Au delà du cadre de l’ADPIC, le patrimoine mondial des savoirs traditionnels et ressources génétiques subsiste donc bel et bien. Il est cependant voué à une exploitation asymétrique des richesses le composant. Pourquoi les entreprises des pays du sud ne pourraient-elles pas exploiter ces ressources nationales de la même manière que leurs concurrentes étrangères du monde développé ? Après tout, une entreprise originaire de Mumbai est plus à même de connaitre la médecine traditionnelle ayurvedique et les plantes indigènes que n’importe quelle société suisse.

Mais le poids de cet avantage en faveur des « locaux » ne pèse que trop peu dans la balance, et ce pour plusieurs raisons :

- Des opportunités locales de commercialisation restreintes : en raison d’un pouvoir d’achat limité sur leur marché domestique, les entreprises des pays en voie de développement peuvent difficilement justifier d’investissements extensifs en recherche et développement nécessaires à la transformation de données géntiques et autres savoirs traditionnels en produits pharmaceutiques ou agricoles brevetables. Dans des pays comme l’Inde, le Nigeria et l’équateur, où le revenu national brut par habitant est respectivement de 480 US$, 290 US$ et 1450 US$[41], la clientèle locale ne peut pas s’offrir des médicaments vendus aux tarifs européens. De par leur population, l’Inde, ses 1,4 milliards d’habitants, et le Nigeria, qui en compte 130 millions, présentent un avantage en nombre potentiel de consommateurs sur l’équateur et ses 13 millions de citoyens.[42] Mais le critère de la taille de la population est loin d’être suffisant ; difficile par exemple pour une entreprise du Bangladesh, et ses 133 millions d’habitants, de rentabiliser localement des investissements sur un médicament alors que le produit intérieur brut par personne n’est que de 360 US$.[43]

- Une carence en investissements publics extensifs pour la recherche : dans les pays hautement industrialisés, et ce afin de soutenir le développement industriel, des programmes de recherche financés par l’état sont mis en œuvre au sein des universités et des instituts de recherche. De plus les politiques gouvernementales permettent souvent les transferts technologiques des institutions publiques vers les entreprises privées. Les nations en voie de développement n’ont généralement pas ce type de programme de développement ou de recherche financés sur fonds publics.

-  Le cout du capital : Les marchés intérieurs de capitaux des pays en voie de développement sont fragiles, rendant couteuse toute levée de fonds. Au regard des sommes indispensables à investir pour breveter produits pharmaceutiques et agricoles, et du temps nécessaire à leur rentabilisation, les taux d’intérêt élevés pratiqués en local représentent un facteur de non-compétitivité pour les entreprises de ces pays. Et si elles cherchent des financements sur les marchés internationaux de crédit, elle se voient proposer des conditions similaires, les taux d’intérêt d’emprunts pour les entreprise y étant calqués sur ceux des marchés nationaux (le risque souverain étant perçu comme compris dans le risque commercial). Ce coût élevé de l’emprunt, qu’il soit national ou international, rend difficile d’accès et de pratique toute activité nécessitant de forts investissements en capital.

-  L’inexpérience : Pour un grand nombre d’entreprises des pays membres de l’OMC, le dépôt d’une demande de brevet sur un produit pharmaceutique ou agricole est une pratique récente, initiée par le cadrage cœrcitif de l’ADPIC. Elles n’ont donc pas l’expérience des démarches de brevetage que peuvent avoir les entreprises occidentales baignant elles depuis longtemps dans les eaux houleuses de telles procédures. Pour faire le lien avec ce qui s’est déroulé à Hawaï, les natifs de l’archipel qui souhaitaient faire valoir leurs droits ont été dérouté par l’étrangeté du régime occidental de propriété qui leur était imposé.[44] Même aux États-Unis, les avocats spécialisés en brevets, les universités et les entreprises déploient des ressources financières importantes pour former les personnels scientifiques au brevetage de leurs inventions. Preuve que les droits exclusifs à la propriété intellectuelle ne coulent pas de source.

Certains rétorqueront que rien n’oblige les entreprises des pays en voie de développement à se restreindre à leur marché national, qu’il y a suffisamment d’acheteurs à séduire sur les vastes et profonds marchés occidentaux et qu’elles bénéficieraient de surcroit des protections de l’ADPIC si elles tentent leur chance à l’étranger. Mais c’est là une vision bien optimiste. En premier lieu, elles trouveront sans doute ardu de concurrencer les grandes firmes pharmaceutiques occidentales sur leur propre terrain, du moins dans les gammes de produits non génériques. Ces puissants laboratoires y gardent l’avantage de la notoriété de leur marque. Dans un second temps, vendre des produits de marque dans les pays occidentaux exige une grande puissance financière pour apaiser les dieux marketing et brevetage, dont les grâces vont difficilement à des entreprises dont la capacité à lever des fonds est limitée pour les raisons évoquées plus haut. Des sommets escarpées, que franchissent parfois des entreprises du sud, pour obtenir des brevets tant sur leur territoire qu’au delà de leurs frontières.[45] Ce ne sont toutefois que les exceptions qui confirment la règle, comme le montre la flagrante disparité entre brevetages accordés aux pays industrialisés et ceux détenus par les pays en voie de développement.[46]

De fait, cette disparité dans la capacité à soumettre des brevets entre fabricants des deux hémisphères économiques justifie l’adhésion de l’industrie pharmaceutique occidentale à un cadre légal international coercitif. Selon elles, seuls les géants du secteur détiennent le capital et les savoir faire nécessaires à la transformation des savoirs traditionnels et ressources génétiques en traitements éprouvés. [47] Et de telles mégastructures ne peuvent agir de la sorte que si elles assurent la rentabilité de leurs investissements au travers d’un monopole incassable sur les droits liées aux inventions[48].

Le régime de la propriété intellectuelle qui en découle favorise de façon radicale les pays développés. Les œuvres intellectuelles des contrées du sud restent dans la nasse du domaine public, tandis que celles produites par les contrées du nord sont jalousement gardées par les multinationales. Bien que les entreprises indiennes aient été certainement consciente de la valeur marchande du Margousier, elles se sont trouvées incapables d’investir les sommes suffisantes pour en breveter les dérivés de par le monde. Aussi, les bénéficiaires patents des ressources du domaine public issues du savoir traditionnel sur les propriétés du Margousier et sur l’arbre lui même sont des multinationales capables de convertir ces ressources en produits brevetables à potentiel marchand. Pour reprendre les mots de James Boyle, « le curare, le batik, les mythes et la danse ’Lambada’ suintent en abondance des pays du sud...dans le même temps le Prozac, les jeans levis, les romans de Grisham et le film ’Lambada !’ y sont massivement déversés... »[49] Les premiers ne font l’objet d’aucun droit de propriété intellectuelle, les seconds sont eux protégés.[50] In fine, le régime international de propriété intellectuelle génère un transfert de richesse des pays les plus pauvres vers les plus riches. En 1999, la balance dans les pays en voie de développement entre sommes perçues et celles versées au titre des royalties et droits de licence penchait nettement en faveur des premières pour un montant de 7,5 milliards US$, et ce alors que l’échéance accordée pour implémenter sur leur territoire les obligations imposées par l’ADPIC était loin d’être arrivée à son terme.[51] De leur coté, les États-Unis ont perçu entre 1991 et 2001, quelques 8 milliards US$ de royalties et droits de licence supplémentaires, versements principalement liés à des transactions commerciales sur leurs brevets.[52] Quel monde étrange que celui dans lequel nous vivons, dans lequel technologies et ressources coulent à flot, sans contrepartie, des pays pauvres vers les pays riches, alors que le flux inverse serait éminemment plus logique.

Il n’était certes pas dans l’intention des savants de perpétuer cette inégalité, mais leur perception romantique du domaine public a pourtant contribué à la renforcer. Une vision romanesque, selon laquelle une ressource légalement accessible à tous peut être équitablement exploitée par tous, qui ne fait que camoufler les froides réalités d’un monde gouverné par l’inégalité. Et la métaphore d’un patrimoine public à l’eau de rose a des conséquences plus fâcheuses encore. Il justifie le fait de laisser les ressources génétiques et savoirs des pays en voie de développement dans la sphère publique ; pour un bénéfice universel de ce riche patrimoine ouvert à tous.

[1]. Sally Engle Merry, Colonizing Hawai’i : The Cultural Power of Law 93 (2000).

[2]. Id. at 93-94.

[3]. Id. at 94.

[4]. Id. at 95.

[5]. Id. at 94.

[6]. Id.

[7]. Agreement on Trade-Related Aspects of Intellectual Property Rights, Apr. 15, 1994, art. 67, Marrakesh Agreement Establishing the World Trade Organization, Annex 1C, Legal Instruments— Results of the Uruguay Round vol. 31, 33 I.L.M. 81 (1984) [hereinafter TRIPS]. For an overview of TRIPS, see J.H. Reichman, Universal Minimum Standards of Intellectual Property Protection under the TRIPS Component of the WTO Agreement, 91 Int’l Law. 345 (1995).

[8]. The text of the TRIPS treaty organizes three categories of development status : “developed,”“developing,” and “least developed” countries. TRIPS, supra note 82. We use the term “developing” to refer to the latter two categories.

[9]. A. Samuel Oddi, The International Patent System and Third World Development : Reality or Myth ?, 1987 Duke L.J. 831, 843 n.61. [10]. Commission on Intellectual Property Rights, Integrating Intellectual Property Rights and Development Policy 22 (2002), http://www.iprcommission.org/graphi... [hereinafter IPR Commission Report]. In the United States, by contrast, the corresponding figures for residents and nonresidents in 1998 were 80,292 and 67,228, an almost equal division of patent holders between the U.S. and the rest of the world. Id.

[11]. Id. at 12. For a breakdown of United States patents by country of origin, see U.S. Patent & Trademark Office, Patent Counts by Country/State and Year, January 1, 1977 - December.31, 2001 (2002), at http://www.uspto.gov/web/offices/ac... (last visited Sept. 2, 2004).

[12]. IPR Commission Report, supra note 85, at 12.

[13]. See World Bank, Global Economic Prospects and the Developing Countries 133 tbl.5.1 (2002) (providing data that illustrates imbalance in favor of the Western world), http://www.worldbank.org/prospects/... (last visited Sept. 2, 2004).

[14]. Bayer Aspirin, 100 Years of Aspirin, at http://www.bayeraspirin.com/questio... (last visited Apr. 8, 2004).

[15]. Folk medicine has long employed this ingredient ; as far back as 400 B.C., Hippocrates prescribed willow bark as a pain reliever in his medical tracts.

[16]. For a description of the Journal of Ethnopharmacology, see Elsevier, at http://authors.elsevier.com/journal... (last visited Aug. , 2004).

[17]. Id.

[18]. Id.

[19]. Contrary to the dynamics of the neem patents, the editors of the Journal of Ethnopharmacology “[r]ecogniz[e] the sovereign rights of States over their natural resources,” and observe that “ethnopharmacologists are particularly concerned with local people’s rights to further use and develop their autochthonous resources.” Id. at 91.

[20]. Shayana Kadidal, Subject-Matter Imperialism ? Biodiversity, Foreign Prior Art and the Neem Patent Controversy, 37 IDEA 371, 371 (1997) (internal italics omitted).

[21]. Id. at 372-73 (citations omitted).

[22]. Vandana Shiva et al., The Enclosure and Recovery of the Commons : Biodiversity, Indigenous Knowledge and Intellectual Property Rights 47-50 (1997) (listing some of the U.S. patents on neem).

[23]. See supra notes 84-87 and accompanying text. Assemblies of the Member States of WIPO, The Impact of the International Patent System on Developing Countries : A Study by Getachew Mengistie, Thirty-Ninth Series of Meetings, Geneva, at para. 1.1.2, WIPO Doc. No. A/39/13 Add.1, 6 (Aug. 15, 2003) (“In developing countries, the proportion of patent grants to foreigners tends to be much higher than patents granted to their own nationals.”)

[24]. See Oddi, supra note 84, at 845.

[25]. Paris Convention for the Protection of Industrial Property, Mar. 20, 1883, 13 U.S.T. 2, 828 U.N.T.S. 107.

[26]. Berne Convention for the Protection of Literary and Artistic Works, Sept. 9, 1886, 102 Stat. 2853, 828 U.N.T.S. 221.

[27]. For a discussion of the role of these conventions and of WIPO on international intellectual property protection, see Lawrence R. Helfer, Adjudicating Copyright Claims Under the TRIPS Agreement : The Case for a European Human Rights Analogy, 39 Harv. Int’l L.J. 357, 366-67 (1998).

[28]. For example, at crucial times in its own history, the United States ignored the intellectual property claims of foreign states as it freely appropriated from the store of foreign creativity and knowledge. Cf. IPR Commission Report, supra note 85, at 18.

[29]. J. H. Reichman, Universal Minimum Standards of Intellectual Property Protection Under the TRIPs Component of the WTO Agreement, in Intellectual Property and International Trade : The TRIPs Agreement 21, 29 (Carlos M. Correa & Abdulqawi A. Yusuf eds., 1998).

[30]. Martin J. Adelman & Sonia Baldia, Prospects and Limits of the Patent Provision in the TRIPS Agreement : The Case of India, 29 Vand. J. Transnat’l L. 507, 510, 524-32 (1996) (describing how the lack of pharmaceutical patent protection in developing countries like India enabled developing countries to take advantage of technology developed elsewhere).

[31]. TRIPS, supra note 82, at arts. 9-40.

[32]. Christopher May, A Global Political Economy of Intellectual Property Rights 87 (2000).

[33]. TRIPS, supra note 82, at arts. 65-66 ; see also World Trade Organization, Press Release, WTO Council approves LDC decision with additional waiver, http://www.wto.org/english/news_e/p... (providing for an additional waiver for obligations of least developed countries until January 1, 2016).

[34]. See supra note 83 for a description of classification system.

[35]. WTO Appellate Body Report on TRIPS : India—Patent Protection for Pharmaceutical and Agricultural Chemical Products, AB-1997-5, WTO Doc. No. WT/DS50/AB/R (Dec. 19, 1997), http://www.wto.org/english/tratop_e....

[36]. Id.

[37]. J. H. Reichman, From Free Riders to Fair Followers : Global Competition Under the TRIPS Agreement, 29 N.Y.U. J. Int’l L. & Pol. 11, 16 (1996-97) (asserting that, with the perpetuation of the protectionist trend in developed countries, developing countries can create a competitive edge by adopting a pro-competitive strategy in implementing the minimum standards of TRIPS to become “fair followers in the worldwide quest for technical innovation”).

[38]. The same is true, of course, of traditional knowledge and genetic resources in the developed world, but given their limited reach and resources it is unlikely that companies in the developing world would be the first to exploit such knowledge and resources.

[39] World Development Report 2004 : Making Services Work for Poor People 252 (2003).

[40]. Id.

[41]. Id.

[42]. See supra notes 1-6 and accompanying text.

[43]. See Gardiner Harris & Joanna Slater, Bitter Pills : Drug Makers See ‘Branded Generics’Eating Into Profits, Wall St. J., Apr. 17, 2003, at A1.

[44]. See supra notes 9-12 and accompanying text.

[45]. See Nadia Natasha Seeratan, Comment, The Negative Impact of Intellectual Property Patent Rights on Developing Countries : An Examination of the Indian Pharmaceutical Industry, 3 Scholar 339, 378-79 (2001) (presenting the Western pharmaceutical industry’s viewpoint that without strong patent protection developing countries would unfairly profit from the research done by developed countries).

[46]. Id.

[47]. Boyle, supra note 22, at 125.

[48]. Id.

Traduction : Laurent Vannini

Cet article est un extrait de "la fable du domaine public", publié pour la première fois dans la Revue californienne de Droit [Vol.92:1331 2004]

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Posté le 2 février 2009

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