Panel D – Sciences et démocratie dans un monde soutenable

Notes sur les interventions des plénières

Angelika Hilbeck, Institut fédéral Suissse de technologie, Suisse, Modératrice du panel

Je suis chercheur en biologie, et je cherche à rester proche des mouvements sociaux et environnementaux. Or nous devons entendre et comprendre que cela est devenu de plus en plus difficile pour de nombreux chercheurs dans notre domaine.

Reiner Braun – Physicien, Institut Max Plank et INES (International Network Of Engineers And Scientists For Global Responsibility), Allemagne

Reiner Braun Que veut dire « durable » ? C’est un équilibre de différentes idées économiques, sociales et environnementales. Notre problème est de définir ce qui est utile dans les différents secteurs. Comment hiérarchiser les intérêts sociaux et économiques ?

Intéressons-nous au partage des informations entre les individus, la société et les générations. Il nous faut respecter les cultures humaines et l’environnement. La véritable question est dans les mains des pays les plus développés. Ces pays exploitent depuis deux cents ans le reste du monde. Le changement de comportement est donc principalement celui du Nord.

Qu’est-ce que cela veut dire pour la recherche ? D’abord le développement d’inter et de trans-disciplinarité dans la recherche, et la démocratisation des institutions scientifiques elles-mêmes.

Démocratisation de la science c’est changer la hiérarchie des valeurs - dans les institutions scientifiques. Il faut définir un processus démocratique pour définir les axes de recherche, et les sujets d’enseignement. Cela veut dire la fin du mandarinat, l’organisation démocratique à l’intérieur des université, et de nouvelles relations avec la société.

Les changements à l’Université ne se feront pas sans changer la place de l’Université dans la société toute entière. C’est lié à une plus grande participation de tous les mouvements et syndicats.

Les scientifiques ont des responsabilités pour créer de la démocratie durable. Prenons l’exemple des changements climatiques : à l’origine peu de chercheurs, puis un consensus global qui rend évident les changements majeurs nécessaires pour protéger la planète. Nous avons un même processus qui se déroule actuellement concernant l’agriculture. Un groupe de scientifiques opposés au courant majoritaire de l’industrie agro-alimentaire essaie de définir de nouvelles règles culturales, et commence à gagner un impact mondial déterminant.

Les chercheurs doivent sortir de leur tour d’ivoire. Quand les combats de la société et ceux des chercheurs se rencontreront, cela construira réellement des idées nouvelles.

Michel Doucin, ambassadeur de la France chargé de la bioéthique auprès de l’ONU.

Michel DoucinPourquoi notre pays a-t-il nommé une personne chargé de la diplomatie dans un domaine complexe qui regroupe des industries, des associations de la société civile et des gouvernements ?

Il y a en France un débat vif sur la bio-éthique, et des propositions d’actions concernant la place des scientifiques dans la société.

La bioéthique représente les questions posées par les sciences biologiques et médicales, en terme de respect des droits de l’homme, de durabilité, d’éthique et de morale.

La France est « légaliste ». Elle a la volonté d’inscrire dans la loi les préoccupations citoyennes. Ce qui nous a permis d’avoir une Loi de bio-éthique dès 1987. Nous en organisons aujourd’hui la révision. Cette loi de plus de 100 pages touche toutes les questions bio-médicales.

Prenons l’exemple du clonage des cellules souches. On a commencé à cloner les animaux, à la suite de la brebis Dolly. Rappelons-nous que Dolly fut conduite à l’abattoir au bout de 6 ans, au lieu des 12 habituels pour ces animaux, car elle avait des maladies de sénescence très précoce. On voit qu’il nous faut prendre du temps avant de valider les expériences scientifiques, car elles posent des questions à plus long terme. Il faut y penser quand on parle aujourd’hui de « clonage thérapeutique ».

Ce débat n’est pas limité aux scientifiques et aux politiques, mais doit intégrer l’ensemble de la société. Il y a des orientations diverses entre les scientifique. Mais la biologie a aussi des éléments qui interpellent le religieux. Par exemple quand décide-ton du début de la vie humaine ? Se confond-elle avec la vie biologique, ou avec le développement de la conscience ? On voit que cela a des conséquences importantes, notamment sur la question du droit à l’avortement.

Nous souhaitons organiser une grande série de débats, en mobilisant les divers « conseils consultatifs éthiques » qui existent dans de nombreux secteurs. Mais nous souhaitons aussi élargir au delà du territoire national. Nous cherchons des interlocuteurs internationaux afin d’échanger au mieux les méthodes et les questions. Nous cherchons en ce domaine autant des scientifiques, que des ONG ou des mouvements sociaux, afin que le débat couvre réellement des intérêts globaux de la société.

D. Raghunandan, All Indian People Science Network, Inde

D. RaghunandanJe voudrais vous parler aujourd’hui de l’aspect « alternative de développement » du travail de l’AIPSN.

Le processus capitaliste et ses structures nous invite à séparer la science des autres connaissances. Tous les sujets scientifiques sont l’objet de contestations.

La question de la relation entre la science et la technologie ne me semble pas avoir été suffisamment suivie hier. La technologie est sociale, et ouvre toujours plusieurs options. Il y a différentes manière de produire... et chaque manière porte en elle des relations différentes à la société. Il n’est que penser à la question de la production d’énergie.

Les solutions techniques entre l’énergie solaire et nucléaire portent des modèles différents. Les relations des gens avec le savoir et les compétences sont mise en jeu. Quel rôle jouent les institutions scientifiques pour aider les gens à imaginer une bonne science qui offre de réelles solutions.

Il y a dans la société, à côté des chercheurs, de nombreux groupes qui portent un savoir technologique, à l’image des paysans.

Un autre exemple est celui des potiers qui travaillent avec les céramiques traditionnelles. Il s’agit de transformer l’artisanat de céramique par un débat permet de mécaniser leur production tout en conservant les forces de la méthode traditionnelle, et son adaptation aux usages locaux. Ce fut l’objet d’un travail conjoint mené par notre association et des communautés de potiers. Le processus manuel est devenu plus formel. On remplace le four à feu par un four à biogaz. Ils ont dès lors appris à fabriquer plusieurs types de céramiques. Ce type de transfert de technologie et d’évolution à partir des techniques connues des populations est répété dans de nombreux secteurs, souvent importants, comme le travail du cuir.

Ceci nous donne des exemples de stratégies pour des systèmes durables, avec un faible entropie.

Ce que l’on appelle les externalités (équité, durabilité,...) doivent pouvoir être internalisées dans la recherche. Pour nous, l’équité est la garantie d’une bonne science. « Equity is a good science »

Ian Illuminato, Friends of the Earth, États-Unis

Ian IlluminatoJe voudrais vous parler des risques des nanotechnologies. Les nanotechnologies s’occupent de la matière à l’échelle de l’atome, le nano-mètre.

Les recherches en nanotechnologie sont largement portées par les militaires, qui veulent créer de nouvelles armes plus ciblées et des moyens de renseignement sur le champ de bataille. Mais au delà, les technologies de tous les domaines pourraient être transformés, par exemple avec l’invention de nano-caméras capable de filmer depuis l’intérieur du corps humain.

Les produits contenant des nano particules sont d’ores et déjà commercialisés, comme dans les crèmes de soin. Beaucoup imaginent que les nanos vont s’intégrer dans la chaîne alimentaire, pour produire de nouveaux aliments, mais aussi dans les emballages... alors que nous ne savons pas quels sont les phénomènes de migration des éléments de l’emballage vers le contenu. Les entreprises utilisent les nano principalement pour produire la « junk food », ce qui met en jeu des questions de santé publique.

Nous ne connaissons pas les chemins par lesquels les nano produits peuvent pénétrer dans les cellules et briser les barrières cellulaires. La toxicité des nano produits n’est pas étudiée précisément, alors qu’ils sont dispersés dans l’environnement et les produits industriels.

Louise Vandelac, Professeur de sociologie et environnement à l’Université du Québec à Montréal.

Louise VandelacIl y a une continuité des technosciences du vivant, depuis la reproduction artificielle, la transgénèse végétale et animale (porc, saumon,...) et la nano-toxicologie.

Le paradoxe est de voir à quel point on ne prend pas au sérieux ce que l’on dit depuis trente ans sur l’état de la planète, comme si tout pouvait continuer comme avant. C’est dorénavant la sécurité de la planète qui est en jeu.

Du strict point de vue économique, il y a longtemps que l’on sait que l’intégration de l’écologie est porteur de développement. Pourtant, cela n’est pas mis en oeuvre. Faut-il par exemple confier la protection de la planète aux ministres de l’environnement, sans pouvoir sur les entreprises ? Ou bien est-il temps que cela dépende réellement des ministres de l’industrie, riche en pouvoirs et moyens ?

Nous sommes à la convergence de plusieurs phénomènes, chacun appelant des approches nouvelles pour la recherche :
- les changements climatiques, qu’il faut aussi voir comme une invitation à travailler collectivement entre les chercheurs (à l’image du GIEC) et à inventer de nouveaux indicateurs (tels l’empreinte environnementale),
- le phénomène du « nuage brun »,
- la question de la démographie, avec un enjeu sur les termes choisis. Faut-il parler de surpopulation, ce que l’on pourrait réduire à « dites-moi que je suis de trop »... ou d’empreinte écologique ?

Avec ces nouveaux indicateurs on peut construire des mappemondes qui montrent l’ampleur des dégâts et des problèmes environnementaux. Dans ces nouveaux indicateurs, il y a aussi des indicateurs économiques, et le nouveaux champ de l’éco-économie est en plein développement.

De même, le modèle du cycle de vie rompt avec le modèle linéaire qui a dominé la production jusqu’à présent.

L’ensemble des technologies se sont imposées dans un même discours sirupeux. Avec l’idée qu’il y aura toujours une solutions technologique aux problèmes créés par la technologie.

Il n’y a aucun lieu de débat sur l’impact réel, sur les modèles concernant la sécurité environnementale ou la santé publique. C’est à ce travail préalable qu’il faut s’attacher pour mettre la science en démocratie.

Notes sur le débat :

Bertrand Monthuber, France, Ancien Président de Sauvons la Recherche

J’ai un peu de frustration à ce stade. Il faut préciser les termes. On mélange la question sur les décisions de la recherche, ou sur les usages en aval ? Que souhaite-t-on contrôler ?

Il faut regarder concrètement ce que la première solution voudrait dire : par exemple le créationisme est une opinion, mais pas une démarche scientifique. Pourtant des groupes voudraient s’en serrvir pour décider des projets de recherche.

Nous sommes chacun partagés : nous avons envie du téléphone mobile, mais nous interrogeons sur les effets des ondes. La question sociale de la technologie est à prendre en compte.

Claude Henry, Vecam et Vivagora, France

Il y a un modèle général qui porte à croire que la nature fonctionne comme une machine. C’est au fond toute la question des nanotechnologies. Il nous faut travailler comme citoyens ce modèle épistémologique.

(notes prises en direct par Hervé Le Crosnier, seul responsable des erreurs qui se seraient glissées)

Posté le 12 février 2009

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