Panel C : Formes émergentes de luttes pour la démocratisation des sciences

Notes sur les interventions des plénières

Mariana Tamari, Epidemia, Brésil, Modératrice du Panel

La connaissance est un élément central des secteurs de pointe du capitalisme. Nous sommes dans la société de la connaissance, ces facteurs ont généré des disputes politiques dans toute la société, par exemple dans les domaines des OGM, des logiciels libres. Il y a des combats entre le capital et les intérêts sociaux. C’est ce que nous espérons présenter ici.

Sergio Amadeu, Rede Libre, Brésil (ancien haut fonctionnaire responsable de l’implentation des logiciels libres dans l’administration brésilienne)

Le mouvement des logiciels libres est l’un des nombreux mouvements de technoactivistes au Brésil.

La science et la technologie sont des éléments stratégiques essentiels au capitalisme contemporain. On parle de « capitalisme cognitif ». La logique de l’innovation se substitue à la logique de la répétition propre au monde industriel. Il ne suffit plus de produire des biens, mais inventer en permanence. Le science devient productrice de valeur.

La science travaille avec des connaissances codifiées. Le contrôle capitaliste de la science est dans le processus de distribution de l’information. Le contrôle de la connaissance est un élément essentiel dans le modèle de distribution des richesses. Le capitalisme informationnel détient les moyens de bloquer la circulation de la connaissance et c’est au travers de cela qu’il accumule le capital.

il y a plusieurs éléments centraux dans ce processus :
- les Traités internationaux, comme les ADPIC (Accords sur les Droits de Propriété Intellectuelle touchant au Commerce) au sein de l’OMC
- le système national des brevets
- le système de financement public et privé des savoirs scientifiques. Ici il n’y a pas de ressources pour financer les technologies ouvertes, si bien que le financement dit ce que nous devons faire. Nos indicateurs sont fermés. Dans mon université, on nous demande « combien de brevets avez-vous déposés » ?
- la capture de l’activité des centres de recherche des universités par les grandes entreprises. Quand Monsanto finance les recherches biologiques, devinez ce qui sera étudié dans les laboratoires.

Ajoutons à ces mécanismes de privatisation, la concentration des épines dorsales des réseaux haut débit qui sont partagées par un très petit nombre d’entreprises.

La convergence médias-informatique et télécommunications n’est qu’une face de la tendance de concentration de divers groupes dans le numérique. Qu’est ce qui entraîne Google à entrer dans le marché du mobile ? Dans les réseaux, il y a une tendance naturelle au monopole. Il y a de moins en moins d’entreprises qui maîtrisent ce marché du numérique.

Nous pensons que cette concentration représente un grand danger pour la diffusion de la connaissance.

Mais il y a dans le numérique un aspect positif fabuleux, c’est la capacité à créer des communs de la science. L’exemple des logiciel libres est significatif. Nous construisons des choses concrètes.

Marcos barbosa – Scienta Studia, Université de Saõ Paulo, Brésil

Le titre de cette table fait mention de nouvelles façons de lutter pour la démocratisation de la science. Ces luttes impliquent les scientifiques, mais cela concerne aussi les sciences humaines et les mouvements. Finalement, cela s’adresse à tous.

Devant la crise financière, il y a une tendance à penser le néolibéralisme comme une privatisation de l’économie, du marché et de l’international. Le neolibéralisme est une tendance à transformer tout en marché, entraînant à sa suite tous les domaines, comme la science, l’éducation, l’université. Le tendance à la marchandisation du capitalisme se ressent très fortement dans les universités.

Les processus du capitalisme marchand à l’université se traduisent par : déterminer les projets de recherche qui doivent être financés et ceux qui seront abandonnés importance de la propriété intellectuelle modification en profondeur du travail même des chercheurs

La science n’est pas une marchandise. Ce sur quoi je voudrais insister concerne le troisième aspect concernant le régime de travail des chercheurs. Comment est évaluée la production scientifique ? Le poids de l’évaluation, suivant des modèles qui changent de surcroît chaque année, occupe une place de plus en plus importante dans la carrière des chercheurs. La recherche est partout mesurée de la même façon. Le chercheur est considéré comme un producteur de technologie intellectuelle. Cela connaît des variations selon les pays, mais le phénomène est le même partout.

Nous mesurons de façon quantitative la recherche, la réflexion et l’enseignement supérieur. Il faut faire pression sur les chercheurs pour maximiser leur production. Cela passe par une forme de taylorisme dans la réforme libérale de l’Université. Il y a d’autres raisons à ce taylorisme universitaire, mais on peut s’accorder sur les conséquences néfastes.

La première question concerne le stress qui pèse sur les chercheurs. Il s’agit de produire plus, d’être compétitif. Les investissements sont variables, les sujets n’ont pas forcément de durée. Les femmes scientifiques ont là aussi un double poids entre leur vie personnelle et ses charges et la vie universitaire.

La question de la responsabilité sociale des chercheurs doit être posée. Les pratiques scientifiques doivent être interrogées. Quelles sont les conséquences sociales des travaux de recherche ? Il faut que le chercheur ait du temps pour commencer à réfléchir à cette question.

La réflexion sur la propre pratique du chercheur n’a rien a voir avec les articles publiés dans les revues spécialisées. Ces interrogations ne comptent pas dans les CV des chercheurs. C’est une perspective volée au travail productif. Le taylorisme crée des individus aliénés qui n’ont pas de conscience de l’enjeu de leur travail dans la société. Même ceux qui se posent ces questions, ceux qui font des projets avec les mouvements sociaux sont souvent bloqués dans leur travaux, car les résultats de ce type de projet ne fait pas partie de l’évaluation néolibérale.

Le combat pour une science démocratique que nous souhaitons engager ici est essentiel. Il faut travailler avec la partie, aujourd’hui très petite, de la communauté scientifique qui en est consciente. Le changement du régime de travail des chercheurs dans les universités devient une revendication essentielle. la fin du taylorisme universitaire est la base principale de la capacité à mobiliser les chercheurs.

Cécile Sabourin, Fédération Québécoise des Professeures et Professeurs d’Université, Québec

Quel impact des politiques publiques dans les Universités ?

Cette question dépasse les cadres nationaux. L’OCDE travaille depuis plus de 20 ans à ce que les universités participent au régime économique. Depuis la publication en 96 de ce rapport de l’OCDE, les pays ont mis en place une nouvelle façon de gérer les universités, et une nouvelle façon de concevoir les connaissances dans les universités. La recherche est soumise à des critères économiques. Les orientations de la recherche viennent des besoins du milieu des affaires et des lobbies qui définissent les répartitions des crédits.

On a imposé la construction d’équipes de recherches de plus en plus grosses, hiérarchisées, internationalisées. Cela découpe plus encore les travaux de recherche. Cela accentue l’hyper spécialisation.

Les Universités n’ont guère de choix. Le financement public diminue. Les programmes sont orientés de façon à ce que la liberté de choix diminue en permanence. La recherche publique et la culture universitaires vont devenir de plus en plus difficile à maintenir, y compris dans l’Université publique. Pour obtenir des fonds, on se conforte aux désirs des organismes subventionnaires. Des chercheurs ont abandonné leur liberté académique de façon à pouvoir obtenir les fonds leur permettant de poursuivre la cairrière à laquelle ils aspirent, depuis la stabilité de l’emploi jusqu’à la reconnaissance.

On a vu se développer une grande diversité dans les ressources accessibles aux enseignants- chercheurs. Plus les programmes sont ciblés sur les activités économiques, en incluant la défense et la sécurité, plus les ressources sont disponibles. Le modèle privilégie les secteurs économiques de rentabilité à court terme, ce qui en échange ébranle la structure de recherche fondamentale, l’essence même de la notion de communauté scientifique.

Dans notre fédération de syndicats d’enseignants, nous voulons mieux comprendre le corps professoral. Qui sont les scientifiques ? Pourquoi leur diversité rend difficile la revendication d’une politique différente ? Certains chercheurs sont satisfaits des politiques choisies. Mais même ceux-là deviennent déboussolés par les changements fréquents des politiques scientifiques.

Un tel travail passe par le rétablissement d’un dialogue interne à l’Université. Les chercheurs sont dans un processus compétitif pour des ressources, et donc ont des difficultés à cette réflexion collective. Il faut aussi comprendre les effets sur les personnes des nouvelles formes de gestion publique. Il faut accentuer les pratiques de collégialité plus saines, refuser la mise en compétition permanente. Même si certains chercheurs apprécient cette compétition qui correspond à leur modèle d’excellence.

Un mouvement mondial permettrait à tous de mieux comprendre ce problème.

Asha Misra et Kashinath Chatterjee, All Indian People Science Network, Inde.

Asha MisraComme nous le savons, il n’y a pas beaucoup d’expérience différentes dans la communauté scientifique. Ce que nous essayons de faire en Inde est de regrouper dans un réseau toutes ces expériences, et d’échanger avec les communautés de base. Dans notre pays, les mouvements collectifs sont limités par les diversité ethniques. Notre expérience a donc à voir avec les racines de la science.

Nous avons expérimenté une caravane de la science en 1987, ce qui a permis d’envisager les divers moyens de promouvoir et échanger la culture scientifique avec les populations. Ce fut un événement fondateur pour notre mouvement. Une des conséquences en a été la capacité à fixer de réels objectifs populaires pour l’éducation scientifique.

Alfredo Wagner Berno de Almeida, Universidade Federal do Amazonas, Coordenador do PNCSA, Brésil

Dans les trois dernières années, il y a eu en Amazonie trois événements en relations avec les questions de propriété intellectuelle. Ces trois conférences de Shamans avaient pour titre : « droit de propriété intellectuelle, biodiversité et protection des connaissances traditionnelles »

Dans le titre de ces conférences, les sujets de luttes étaient déjà inscrits. La démocratisation de la science passe par la reconnaissance des savoirs des peuples, et la réactivation de l’idée de connaissance scientifique.

Nous devons penser ce que nous allons démocratiser. Il y a une lutte contre le biologisme. les Shamans appellent cela la socio-bio-diversité, c’est déjà une forme de rupture.

Une deuxième lutte nécessaire serait contre le géographisme, qui limite la science à l’idée qu’il y aurait des faits naturels liés à des territoires.

Les shamans ont envoyés une lettre à l’OMC disant, toutes les connaissances traditionnelles sont en danger d’être mise en commerce. Les shamans disent que leurs connaissances n’ont jamais été pensées sur le modèle des brevets. Ce modèle vient de la France du 19ème siècle. C’est un instrument utile au capitalisme de la deuxième révolution industrielle. Le capitalisme est présent de deux façon en Amazonie : l’une qui détruit la forêt, et l’autre qui la met en « réserves » au nom de la biodiversité.

En Amazonie, il y a une grande diversité ethnique. Mais l’identité collective est justement fortifiée par cette diversité ethnique. Nous avons un mouvement contraire à ce qui existe dans d’autre continents. Ce sont les mouvements sociaux qui ont amené l’Amazonie à la résistance. Nous essayons de faire une rupture avec cette idée naturaliste et positiviste des sciences, et rompre avec un modèle scientifique,qui a tout transformé en procédures.

Nous ne sommes pas partisan de la vulgarisation de la connaissance : il ne s’agit pas de simplifier, mais de complexifier.

Je m’oppose à l’idée que la participation des communautés serait un bien. La participation, la recherche action,... est un vocabulaire porté par la banque mondiale et ce type d’organismes.

Notre responsabilité de scientifiques est très complexe. Nous devons réfléchir aux méthodes. Le sens, la carte et le musée : pendant longtemps, la culture matérielle s’est classifiée en fonction des objets... qui peuvent être pris par les musées occidentaux. Nous essayons d’aider les communautés sociales à construire leurs propres cartes socio-géographiques, et pour cela à utiliser l’informatique et le GPS. Mais cela rompt avec l’idée de laboratoire. Le laboratoire est importé dans les communautés et ce sont elles qui choisissent ce qu’elles veulent étudier et conserver sur leurs propres cartes.

(notes prises en direct par Hervé Le Crosnier, seul responsable des erreurs qui se seraient glissées)

Posté le 12 février 2009

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