Panel B : Accès aux connaissances : construire les biens communs

Notes sur les interventions des plénières

Valérie Peugeot, VECAM, France, modératrice du panel Valérie PeugeotŒ En présentant cet atelier, je voudrais distinguer les notions de biens publics, relevant de la responsabilité des pouvoirs publics et issus de la nature ou de l’histoire (patrimoine, domaine public de la culture) et les biens communs, qui sont en permanence construits et reconstruits par les communautés qui les ont créés.








Amit Sengupta, Secrétaire général de All Indian People Science Network, Inde

Il nous faut commencer à comprendre les diverses expériences qui se partagent ici, dans ce Forum. Les nouvelles façon de penser la recherche sont importantes.

Permettez-moi de débuter avec des choses élémentaires. La situation crée la conscience.

Ne négligeons pas l’impact du néolibéralisme sur la façon dont la science est produite et celle par laquelle elle est reçue.

Amit SenguptaQuelles sont les raisons de la grande transformation ? Il y a un brouillage de la différence entre la science et la technologie. Traditionnellement, le savoir est transformé en produits qui vont sur un marché. Mais si tout nouveau produit de recherche doit se transformer en quelque chose qui va se vendre sur un marché, nous nous retrouvons dans une course pour produire de plus en plus d’artefacts technologiques pour répondre au marché.

Dès lors, le financement de la recherche est de plus en plus contrôlé par les forces économiques.

Cette situation nous conduit à la crise de la santé publique actuelle, dans laquelle des millions de morts de l’épidémie de SIDA pourraient être évités par la recherche. Ils ne meurent pas parce qu’il n’y a pas de connaissances permettant de trouver une solution. Ils meurent parce que les recherches existantes et les réussites ne sont pas partagées.

Nous sommes arrivé à une situation dans laquelle le simple travail de la pensée est conçu comme une propriété privée. Heureusement, des communautés sont en train de développer des méthodes pour partager leurs savoirs, et garantir le maintien de cette liberté. Je peux parler ici du mouvement des logiciels libres, mais aussi de celui de la biologie ouverte.

Nous avons atteint aussi une conscience commune qu’il n’existe qu’une seule planète, et que la façon dont nous allons l’utiliser est essentielle.

La tentative d’enfermer le savoir derrière des barrières juridiques artificielles est voué à l’échec, car la connaissance est faite pour circuler.

Mais nous devons aussi aller plus loin : nous ne pouvons pas considérer comme scientifiques seulement ceux qui travaillent dans les institutions. Il faut aussi prendre en compte toutes les autres personnes qui peuvent construire les communs de la connaissance.

Viviana Muñoz Tellez – South Centre, Organisme multilatéral du G77 basé à Genève.

Viviana Munoz TellezIl nous faut définir le périmètre des savoirs traditionnels, et évaluer la façon dont le système légal international les traite.

Les savoirs traditionnels sont aussi liés aux sciences formelles. Il y a une conception générale d’une supériorité de la science occidentale. Il n’y a pas de reconnaissance de ce qui émane des populations et de la façon dont elles créent et diffusent leurs savoirs.

Les connaissances traditionnelles ne sont pas uniquement des connaissances qui apparteriennent au domaine public, dans lequel chacun pourraient se servir. Cela aboutirait à déposséder les peuples de leurs savoirs et de la façon dont ils sont renouvelés à chaque transmission entre générations. Les connaissances traditionnelles appartiennent aux communs du savoir.

Nous devons regarder avec attention l’expérience de la proposition d’une nouvelle loi au Kerala. Celle-ci établit une « licence des communs » qui permet aux communautés de partager les bénéfices en cas de vente, mais refuse les brevets sur les connaissances qui seraient placées sous cette licence. C’est une expérience importante à suivre.

Pascale de Robert, Anthropologue à l’Institut pour la Recherche pour le Développement , travaillant en Amazonie au MNHN (France/ Brésil).

La Corbeille de la femme étoile : Ce titre énigmatique fait référence au mythe amazonien de la diversité agricole.

Pascale De robertJe voudrais commencer le débat à partir d’une expérience de terrain. Comment les instruments légaux peuvent protéger la diversité biologique et la diversité culturelle élaborées par les populations locales.

Le contexte de l’Amazonie fait coexister des modèles économiques différents. D’une part le modèle d’une zone de développement, avec le soja et l’agro-business et de l’autre le modèle socio-gouvernemental qui s’intéresse aux populations locales, et crée des zones protégées. Dans la région des Kayapo, où je travaille, les deux modèles sont implémentées.

Les terre indigènes sont reconnues depuis 1988 comme moyens de subsistance des populations autochtones. Or elles sont appropriées. Les plantes de la forêt elles-mêmes sont victimes de la biopiraterie.

Il faut comprendre ce qui se passe pour les chercheurs dans cette région. C’est très difficile aujourd’hui de faire de la recherche ici sans faire de la politique. La recherche scientifique est faite pour accompagner les processus de développement autonome des populations indigènes.

Je voudrais vous montrer la mise en place d’une plantation de pommes de terre sucrées. dans laquelle l’intervention de Socioambiental a un place importante.

Quel est le chemin administratif que nous avons du parcourir pour mener cette recherche ? Il y a de nombreux organismes concernés. Il nous a fallu deux ans, et plusieurs dossiers pour pouvoir lancer la recherche après avoir eu l’autorisation de la communauté. Ces exigences légales se présentent contre la biopiraterie, mais font aussi tort aux initiatives conjointes des chercheurs et des communautés.

La diversité agricole est le résultat de nombreux échanges de graines et de techniques agricoles. Ces connaissances peuvent être mise en commun. Et peuvent utiliser les méthodes modernes, comme par exemple l’usage de GPS pour les plantations.

Je voudrais pour terminer évoquer ici la « Déclaration de Belèm », rédigée par l’International Society for Ethnobiology en 1988. Elle a maintenant vingt ans. C’était la première fois qu’une organisation scientifique internationale reconnaissait que l’établissement de « mécanismes en vue d’indemniser les peuples autochtones pour l’utilisation que d’autres font de leurs connaissances et de leurs ressources biologiques » était une obligation fondamentale. Cette déclaration engage tous les anthropologues à respecter un principe éthique dans leurs recherches.

Pablo Ortellado GPOPAI, Grupos de Pesquisa em Politicas para o Accesso à Informação, Université de Sao Paulo, Brésil

Pablo OrtelladoJe vais vous parler de l’accès aux savoir, qui est la finalité de la science, de la publication des articles, des livres,...

L’idée que les résultats des recherches doivent être publiés est une forme de « communisme de la recherche ». Partager les résultats est essentiel, entre chercheurs d’une même discipline, mais aussi entre les générations et pour éclairer les recherches des autres disciplines. La façon traditionnelle de publier consiste à passer par des éditeurs privés. Il y a une contradiction entre l’organisation interne de la science, basée sur le partage, et les intérêts privés des éditeurs. 60% des journaux scientifiques sont contrôlés par trois conglomérats.

Avec l’internet, il est devenu possible pour les communautés scientifiques de communiquer directement les résultats de leurs travaux. Les initiatives en ce sens ont été fédérées par diverses rencontres et déclarations, dont la plus célèbre est l’Initiative de Budapest pour l’Accès Ouvert en 2001.

Il y a eu ensuite d’autres expériences comme la volonté du MIT d’ouvrir ses cours (opencourseware).

Les possibilités ouvertes par l’internet d’un côté et le rôle monopoliste du marché de l’autre créent une situation conflictuelle.

Il ya plusieurs points de blocages dans la capacité à mettre la science au mains du public : 65% des journaux scientifiques permettent aux chercheurs de déposer leur préprint dans les archives publiques de leur université. Mais il faut que les chercheurs le fassent eux-même, ce qui limite le succès. De plus les archives ouvertes ne sont pas facile à interroger.

Il y a des pays dans lesquels les gouvernements rendent obligatoire le dépôt dans des archives ouvertes, mais l’organisation réduit la réalité des dépôts.

Il reste donc un grand travail à faire pour que les publications scientifiques soient réellement en accès ouvert et aisé.

Mais au delà, nous devons d’ores et déjà poser la question des livres scientifiques, notamment des livres pour l’enseignement. C’est le mouvement débutant pour les Ressources éducatives ouvertes. Nous venons de rédiger un rapport sur cet aspect pour le Brésil, et nous espérons des avancées en ce sens pour favoriser la création de communs de la connaissance.

James Love (Knowledge Ecology International – Washington et Genève)

James LoveJe voudrais vous présenter deux initiatives concernant les formes nouvelles que pourrait prendre le financement de la recherche en vue de créer des biens communs de la connaissance.

La première concerne un système pour financer les médicaments. Chacun connaît les difficultés pour accéder à des médicaments en raison des prix trop élevés. Mais l’accès n’est pas la seule question en jeu. La production de médicaments adaptés aux maladies et situations sanitaires des pays pauvres est tout aussi importante.

Nous proposons un système de prix (au sens de récompenses délivrées par un jury), qui seraient versés aux organismes qui travaillent sur des médicaments pour ces populations et qui les mettent dans le domaine public. On peut partager ces prix entre organismes selon les niveaux de vie des pays, par un système de prix différenciés. De même, l’apport préalable de la connaissance ouverte partagée pour aboutir aux produits peut être évaluée pour répartir la somme réservée.

Cette idée de remplacer les revenus du marché par des prix et des bourses commence à recueillir un bon accueil, notamment à l’OMS, mais rencontre aussi une forte opposition des industries du médicament.

Une autre proposition concerne l’OMC. Il s’agit de prendre au pied de la lettre l’objectif de l’OMC et de le détourner pour favoriser la création de biens communs. On pourrait dire que cette proposition s’intilule « Hacking WTO ».

Il s’agit de créer dans l’OMC un mécanisme pour que les États s’engagent à mettre dans le domaine public de la connaissance des produits et services et des savoirs. En faire une partie de l’OMC va lier les États à la réalisation des objectifs de mise en commun des savoirs. Ce n’es t plus la libéralisation des services, mais celle des biens publics qui peut devenir un nouveau moteur d’une autre mondialisation.

Quelques notes sur le débat dans la salle

José Correa, Université de Saõ Paulo, Brésil

Il y a dans ce FSM de Belèm un manifeste sur les biens communs qui est en train d’être écrit et proposé par des organisations des mouvements sociaux du Brésil. Nous en sommes encore au stade d’une écriture collective. Nous allons construire ce document d’ici au 31.

La logique de la propriété intellectuelle est renvoyée auprès de l’OMPI où il y a eu une confrontation entre les pays de la périphérie contre l’etablishment des États-Unis. La communauté scientifique a on seulement besoin de s’emparer de ce débat, mais aussi une appropriation, une prise de décision et de positionnement de la partie critique de la communauté autour de la propriété intellectuelle. Sommes-nous pour ou contre le système de droit de propriété immatérielle qui existe ?

Eliane ?? FSU-France

Concernant les publications scientifiques ouvertes, nous sommes dans un domaine où règne une très grande différence selon les pays ou les disciplines. Seules les revues volontaires renseignent leur politique. Dans les sciences humaines et sociales, moins de 10% des revues de SHS avaient renseignés leur politique d’auto-archivage dans ROMEO.

L’auto-archivage demande des moyens importants. Il y a une division des grandes archives en petites archives institutionnelles, ce qui augmente le temps d’embargo (durée entre la publication privée et la mise à disposition ouverte).

Il faut se méfier de l’optimisme en ce domaine, car le conflit entre les intérêts des chercheurs et celui des éditeurs est important.

Christophe Aguiton, SUD, France.

Sur la différence entre les communs du savoir et les communs matériels.

Il y a plusieurs traditions sur le savoir. Celle des universitaires, qui pensent que le savoir doit être ouvert, alors que des communautés, par exemple les paysans, veulent partager avec des gens qui sont comme eux, ce qui est différent.

Il y a une vraie contradiction entre mettre en commun des savoirs et empêcher la mainmise sur ces savoirs par les entreprises du Nord. Un des outils est l’équivalent des « appelations géographiques ». Le savoir est commun, mais le nom est réservé.

(notes prises en direct par Hervé Le Crosnier, seul responsable des erreurs qui se seraient glissées)

Posté le 12 février 2009

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