Living Knowledge : appropriation citoyenne de la science

La conférence "Living Knowledge 3" s’est tenue à Paris du 30 août au premier septembre, à l’initiative de la Fondation sciences citoyennes et du réseau international des boutiques de sciences

La conférence "Living Knowledge 3" s’est tenue à Paris du 30 août au premier septembre. A l’initiative de
- La Fondation sciences citoyennes http://sciencescitoyennes.org
- Le réseau international des boutiques de sciences http://scienceshops.org

Les thèmes tournaient autour de l’appropriation citoyenne des sciences et techniques, et son complément, l’intégration des questions posées par les citoyens dans la recherche. Il est significatif qu’elle soit organisée conjointement par une association de réflexion et de mobilisation sur le statut de la science et de la technoscience dans les sociétés modernes, et par un réseau de service aux associations et communautés, cherchant à proposer des études, solutions, analyses et recherches à partir de leur demande.

Plus de 300 participants sur 20 pays ; de nombreux compte-rendus d’expériences de "recherche action" ou de "community based and participatory research" (recherches participatives appuyées sur les communautés, ce dernier terme ayant une connotation différente de celle qui prévaut en France) ; des questions théoriques et des propositions administratives (Communauté Européenne et Région Ile de France, ou Gouvernement du Canada)... la dynamique qui s’y est fait jour a été des plus enthousiasmante.

La forte présence de la biologie et de la médecine, des techniques informatiques et nucléaires à côté des sciences sociales montre que ces questions de création d’un nouveau rapport entre la recherche et les citoyens touche toutes les activités. La "recherche coopérative" accorde deux savoirs distincts : celui des chercheurs, dotés de méthodologies et s’interrogeant sur leurs propres pratiques et celui des "praticiens" et des groupes concernés (par exemple les paysans sélectionnant les "semences fermières" travaillant avec des biologistes de l’INRA).

L’"expertise" est répartie, et trouver la bonne conjugaison fait avancer les communautés, qui apprennent collectivement, autant que la recherche. Une des issues de cette conférence nous invite à nous interroger sur cette notion d’"expertise", sur son usage politique et les tenants réels de sa validité scientifique.

Ainsi, traditionnellement, le "transfert de technologie" se fait des Universités en direction du secteur marchand. Ce fut donc très intéressant de voir la DG "développement durable " de la Commission européenne lancer une nouvelle appellation : "research for the benefit of special groups", avec deux branches : l’une pour les entreprises, l’autre pour la société civile. De même, la proposition de la Région Ile-de-France, qui commence à être imitée, d’initier des PICRI, (Partenariat Institutions Citoyens pour la Recherche et pour l’Innovation)(http://www.picri.fr).

La dynamique des "conférences de consensus" développée par Jacques Testard est elle aussi une nouvelle définition sociale de l’"expertise" : les citoyens font des propositions suite à des séances plénières (hearings) de questions à des spécialistes ayant des propositions différentes, parfois opposées. Mais à la différence de l’"opinion" qui pourrait se dégager d’un tel exercice, les "conférences de consensus" organisent un processus de formation préalable, afin que les citoyens qui vont prendre position collectivement (tirés au hasard et ayant accepté de suivre cette formation) aient acquis dans les trois mois qui précèdent les moyens de comprendre réellement les enjeux. Un processus démocratique nouveau, particulièrement adapté aux technologies de rupture, mais qui peut être élargi dans bien des situations (communes, régions, parlements, inter-associations)

Car modifier la perception des groupes et des citoyens est un des résultats d’une recherche participative. Il s’agit de développer un paradigme inverse de la "recherche hélicoptère" (Syed M. Ahmed, Winconsin) dans lesquelles les scientifiques arrivent dans les communautés, prennent les idées, les échantillons, les données et repartent les exploiter dans leurs universités (pour éventuellement y déposer des brevets comme dans le phénomène dit "biopiraterie").

Un tel engagement avec les communautés n’est pas sans mettre à risque le chercheur, comme nous a rappelé dans une très émouvante communication Ignacio Chapela, de l’Université de Berkeley, qui travaillait sur le long terme avec des communautés indigènes d’Oaxaca sur l’analyse de la terre et des plantes au niveau microscopique et génétique. Quand cette communauté a pu se doter d’un système d’analyse d’ADN, et l’utiliser sur les variétés locales, on s’est aperçu que des gènes modifiés étaient présents sur les maïs... dans l’endroit même où cette céréale est née et a été cultivée et sélectionnée durant des millénaires. Ce qui a grandement fâché l’industrie, et fait connaître au chercheur la puissance de leurs forces de blocage et de sanction. (la saga complète dans deux articles :
- The sad saga of ignacio Chapela, John Ross http://www.theava.com/04/0218-chapela.html
- Tuez le messager (traduction d’un article de Justin Gerdes, Mother Jones) http://www.france.attac.org/spip.php?article231 )

La question de la protection scientifique et juridique des "lanceurs d’alerte" devient un élément essentiel d’une nouvelle politique scientifique.

Car la recherche participative est aussi un moyen d’organiser un nouveau "contrat de recherche", face à la tendance réductionniste et calculatoire des programmes de recherche actuels. Les méthodes et conceptions de la science ont été bouleversées avec les modes d’évaluation et de financement de la recherche. Dans la stratégie européenne dite "de Lisbonne", la "société du savoir" développe les recherches qui favorisent la "compétitivité", en oubliant l’étude des impacts sur la santé, la durabilité et la compréhension sociale.

Helen Wallace de Genewatch (http://genewatch.org) nous a montré que cette dynamique pousse par exemple à la création du secteur de recherche des "Nutrigenomics", avec l’idée que les aliments doivent être adaptés aux caractères génétiques des individus. Une telle conception fait disparaître à la fois la clinique médicale, et la notion de symptôme, pour renvoyer à des dispositions individuelles... et donner des médicaments "personnalisés" à des gens en bonne santé... qui représentent un marché plus solvable.

La conclusion de Angelika Hilbeck de Zurich représente bien le nouveau défi de la recherche : « organiser un financement pour favoriser les "biens publics" et pas seulement les "publics" ».

Organiser le partage global des connaissances par des programmes audacieux et croisés, intégrant toutes les composantes de la société. La privatisation du savoir, liée à la perte d’autonomie des Universités dans le monde entier, et à l’absence de financement pour les laboratoires indépendants, se traduit par deux coins plantés dans la recherche publique : « ce que nous (l’entreprise ayant financé la recherche) savons ne peut pas être partagé (pas de publication) et ce que nous craignons ne peut pas être recherché (pas de financement) ».

Après une telle conférence, la proposition présentée par Gus Massiah de l’ONG CRID (Centre de Recherche et d’Information pour le Développement) d’organiser un nouveau lien entre les mouvements sociaux et la recherche scientifique et technique a été fortement applaudie. Il s’agit de préparer, dans le cadre du prochain "Forum social mondial" qui se déroulera à Bélem (Brésil) en janvier 2009, la tenue d’une conférence sur la science et la technique, en mobilisant les chercheurs et les universitaires du monde entier pour ce dialogue constructif d’une science coopérative, ouverte sur les problèmes de la société et associée aux mouvements citoyens.

Un appel est en cours de rédaction (ouverte) et sera proposé à signature à la mi-septembre avant d’être rendu public fin octobre, le temps de trouver des relais dans tous les continents et suivant plusieurs choix et orientations, dans la tradition des forums sociaux. Vous pouvez participer (ou suivre) ce débat pour l’instant uniquement sur une liste de discussion ouverte : http://le-forum.net/wws/info/wsf-fsm-st

Quand la demande des communautés en analyses, études, rapports, formation populaire et outils techniques rencontre l’offre d’une science ouverte, participative, la "société de la connaissance" prend un tour nouveau, réellement ancré dans le savoir partagé.

Hervé Le Crosnier

Disclaimer : j’étais membre du comité organisateur local de l’événement, même si je suis resté peu actif. La conférence, sa tenue (impeccable) et son intensité doit beaucoup à Claudia Neubauer et toute l’équipe de la Fondation Sciences citoyennes, qui a été applaudie et remerciée chaleureusement par les participants.

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Posté le 12 septembre 2007

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