Léa Eynaud

Léa Eynaud

Le mouvement des communs comme creuset de rencontre entre le monde du numérique et les écologistes

Une thèse qui revient sur l’histoire
et l’activité de Vecam

En décembre 2024, Léa Eynaud a brillamment soutenu sa thèse de sociologie intitulée Le mouvement des communs comme creuset de rencontre entre le monde du numérique et les écologistes - Chronique d’une attention à l’immatériel.

En mettant ce travail à disposition en ligne, nous souhaitons lui donner la visibilité qu’il mérite, au-delà des cercles académiques. De plus, dans la mesure où le réseau francophone des communs et Vecam sont au cœur de son objet de recherche, il nous semble utile de partager cette thèse qui vient utilement compléter le travail de « compostage » de Vecam réalisé par Anne Bellon.

Résumé de la thèse

Au cours des dernières années, le mouvement des communs a fait l’objet d’une attention grandissante, notamment à la suite des travaux d’Elinor Ostrom. La présente thèse éclaire un aspect sous-exploré de cette actualité, à savoir le rôle joué par ce mouvement dans la rencontre entre le monde du numérique et les écologistes. Plus précisément, nous montrons comment la catégorie de « communs » et les acteurs qui ont fait mouvement à son entour ont posé les fondements d’une reconfiguration profonde du monde du numérique, marquée par l’appel à cheminer vers les low tech et la remise en question d’un imaginaire autour duquel il s’était construit : l’idée du Net comme espace proprement « immatériel » – un espace où tout n’est qu’information.

Pour relater ce tournant, notre recherche s’appuie sur une enquête sociologique alliant ethnographie, conduite d’entretiens et exploration sociohistorique des réseaux d’acteurs. Nous nous centrons à cet égard sur le Réseau francophone des communs, un collectif d’acteurs lancé en 2012 par l’association VECAM, elle-même active dans le domaine de l’internet citoyen. Inscrite dans une perspective pragmatiste, notre enquête restitue le rôle aussi crucial que discret joué par ce réseau dans l’avènement progressif d’un mouvement des communs. Mais elle replace aussi et surtout cette actualité sur le plan d’une histoire au temps long, éclairant le travail d’articulation des mondes dont le mouvement des communs est à la fois le produit et l’occasion, à la rencontre entre les écologistes et l’univers des réseaux.

L’« immatériel » ressort comme un élément clé de cette dynamique de mise en relation. En restituant les réélaborations successives de cette catégorie, mais aussi en pointant l’attention dont elle a fait l’objet au sein du mouvement, notre recherche conclue sur l’importance d’une écologie politique attentive à l’« immatériel », et ce en un triple sens : comme coupure inaugurale vis-à-vis de la matérialité du monde (terrestre) sur laquelle le numérique s’est bâti en tant que monde (social), tout d’abord ; comme problème public ensuite, l’immatériel nourrissant une cécité collective vis-à-vis de l’impact écologique des technologies ; et comme enjeu d’une (re)connaissance enfin, la focalisation sur l’information emportant avec elle tout une histoire, un champ de luttes et d’expérimentations avec lesquels devra composer la transition.

Table des matières

Remerciements

Sigles et acronymes

Table des illustrations

Introduction générale de la thèse

Chapitre 1. Une certaine origine du mouvement : Jacques Robin, VECAM et les « biens communs de l’humanité » (1950-2000)

I. À la lisière entre information et écologie : retour sur la (pré)histoire du GRIT (1950-2001)

1. Jacques Robin, le Groupe des Dix et la révolution informationnelle

L’écologie scientifique, principe d’une refondation de l’économie au cœur des écosystèmes

Une écologie politique attentive à l’ère informationnelle : legs du Groupe des Dix à la revue Transversales

VECAM, 1995-2001

1. Une entrée particulière dans la société de l’information

Un combat en faveur de l’appropriation sociale des outils numériques

Par-delà le monde du numérique : du droit à communiquer à l’écologie politique

III. Les biens communs de l’humanité : principe d’une lutte multiforme contre la propriété

1. Les « biens communs de l’humanité » au cœur de la pensée écologique : de Garrett Hardin au GRIT

2. L’information contenue au cœur du vivant : un second champ « vital » des luttes en faveur des « biens communs de l’humanité »

3. Les « biens communs de l’humanité » appliqués aux réseaux : anatomie d’un discours en faveur de l’accès universel à l’information

Chapitre 2. Défendre l’information comme « commons » : de la culture numérique au mouvement du libre, retour sur un champ d’action au cœur de l’économie immatérielle

I. Genèse du numérique en tant que « monde hors-du monde » : une histoire contre-culturelle des luttes en faveur de l’immatériel

1. De la terre à l’immatériel : chronique d’une désincarnation

2. Trajectoire métaphorique de l’internet comme « commons »

3. John Perry Barlow et la frontière électronique : une métaphore libertarienne au cœur de l’univers des réseaux

II. Les legal scholars du Berkman Center : une entrée particulière dans la défense du Net

1. Lawrence Lessig : du droit constitutionnel à la culture libre en passant par l’architecture du Net

2. Des critical legal studies à la société informationnelle en passant par le droit d’auteur : retour sur le parcours de James Boyle

3. Repenser les imaginaires qui guident l’interprétation du droit : James Boyle face aux cyberlibertariens

III. Du prisme cybernétique à la mise en regard stratégique : quand l’écologie devient une source d’inspiration politique

1. Substituer l’analogie à la métaphore : James Boyle et l’idée d’un « environnementalisme pour le Net »

2. Les « commons of the mind » et leur « enclosure » (1997-2001) : actualité d’une vieille métaphore juridique

3. Un discours étayé pour défendre l’information comme « commons » : l’apport des legal scholars aux luttes dans la société de l’information

Chapitre 3. Des luttes en faveur de l’immatériel au Forum social mondial : l’affirmation des « biens communs » comme mot d’ordre de la transition

I. Quand VECAM s’empare des « commons » : un détour par l’A2K

1. Le mouvement Access to Knowledge (A2K) : du médicament au libre en passant par le SMSI

2. Convergence avec les mouvements de lutte contre la biopiraterie : le cas des acteurs de la biodiversité cultivée

3. Contribution de VECAM à la dynamique internationale

II. Les « biens communs » de l’information : une notion qui met l’histoire de VECAM au travail

1. Genèse de la conférence de 2005 : une entrée par la culture libre

2. Une catégorie issue de la culture libre : quand l’immatériel met au travail l’héritage de VECAM

3. Quand le GRIT s’envolait en terres immatérielles : Philippe Aigrain comme passeur

III. Le Forum social mondial de Belém en 2009 et l’avènement des « biens communs » comme mot d’ordre

1. Du Forum mondial sciences et démocratie au « Manifeste pour la récupération des biens communs » : VECAM et les « biens communs » au cœur du Forum social mondial de Belém

2. Le FSM et les « commons » : avant et après Belém

Entre rupture et médiation : l’apport de VECAM au paradigme de la transition

Chapitre 4. Un mouvement ancré dans la pratique : Elinor Ostrom, la diversité des « ressources » et l’immatériel au cœur de l’actualité politique des communs (2009-2017)

I. La construction progressive d’un mouvement international des (biens) communs

1. Genèse d’une rencontre décisive : VECAM et le CSG

2. De l’échelle internationale à la francophonie : la contribution de VECAM à la construction du mouvement

3. Penser les communs et rallier les « acteurs de terrain » : les deux missions clés du Réseau francophone des (biens) communs

II. Assurer la convergence entre deux mondes : Understanding Knowledge as a Commons comme opérateur théorique de médiation

1. Des connaissances aux ressources naturelles : relier deux grandes « familles » de communs

2. La pensée d’Elinor Ostrom comme langage théorique sur l’action

3. Faire du lien dans la différence : la ressource comme gage d’un ancrage dans la diversité des univers de pratique

III. Une spécificité du mouvement des communs : diversité des ressources et empirisme ostromien à l’heure de la pensée du commun

1. L’actualité scientifique du commun : retour sur le cheminement intellectuel de Pierre Dardot et Christian Laval

2. Des « biens communs » au commun ? Le Réseau francophone face à Pierre Dardot et Christian Laval

3. Benjamin Coriat et Le retour des communs

4. Le Réseau francophone des communs, porte-drapeau du triptyque ostromien

Chapitre 5. « Faire atterrir les communs numériques » : entre déconstruction et reconnaissance de l’immatériel comme catégorie de l’expérience

I. Le Réseau francophone, entre numérique et écologie : enquête sur une rencontre en tension

1. Les acteurs de la « transition écologique » : un public expressément visé

2. Faire mouvement à la croisée des mondes : un projet difficile à concrétiser

3. Le recours aux outils techniques comme entrée spécifique dans le « faire mouvement »

4. Ne pas faire de l’écologie une dimension transverse au mouvement : un choix en conscience qui a eu des conséquences

II. La pensée d’Elinor Ostrom comme canal vers l’écologie politique : Lionel Maurel et la confrontation à la matérialité du monde

1. De l’immatériel à la ZAD : un autre regard sur les techniques

2. Décroissance numérique et « communs négatifs » : l’immatériel au prisme de l’Anthropocène

3. Changer d’épistémologie ? De l’éviction de la « ressource » aux vertus heuristiques de l’empirisme ostromien

III. Une certaine défense de l’« im-matériel » : l’écologie politique de VECAM comme préalable à l’« atterrissage »

1. Une écologie politique attentive à l’entrée dans l’ère informationnelle : poursuite d’un engagement historique de VECAM

2. Faire éprouver l’« im-matériel » : le rôle social du RFC

3. Aux sources de l’utopie numérique : l’ouvrage de Fred Turner comme ressort d’une adhésion progressive aux low tech

IV. Technocritiques : de la déconstruction de l’immatériel aux low tech

1. Raviver l’héritage des luddites : une technocritique interne au monde du numérique

2. La culture numérique comme « critique éclairée » des techniques

3. Un appel pragmatique : reconnaître le numérique comme un écosystème en propre

4. Philippe Aigrain, la technocritique et l’héritage de Transversales

Conclusion générale de la thèse

Bibliographie