Edith CRESSON. Commissaire Européen
Etre citoyen, c'est-à-dire vivre dans la cité sur un pied
d'égalité réelle avec les autres, va bien au-delà
du simple respect des régles formelles qui régissent notre
vie collective. La véritable citoyenneté ne peut être
pour chaque individu que le fruit d'un long apprentissage. Si cet apprentissage
dépend de sources et d'influences multiples, l'une d'entre elles
est essentielle : je veux parler ici, vous vous en doutez bien, du rôle
essentiel que joue l'école en ce domaine. Or, avec l'avènement
du multimédia 3 nous commençons à vivre une mutation
en profondeur de tout ce qui concerne l'éducation et la formation.
De toutes les technologies nouvelles que nos sociétés ont
du intégrer au cours de ce siécle, aucune n'aura eu sans
doute un impact aussi fort sur les différents aspects de notre
vie.
Au cours de ces derniers siécles, chaque nouvel outil de communication
a modifié en profondeur le fonctionnement notre société.
Ils ont élargi notre champ d'action et nous offert des perspectives
de développement qu'on imaginait pas avant eux. Mais à chaque
fois, il a fallu se battre pour que ceux-ci soient au service de l'individu,
de sa libération et de son épanouissement. En ce domaine
l'histoire s'est constamment répétée : que ce soit
avec l'imprimerie, mais aussi avec la radio et encore, d'une certaine
manière aujourd'hui, avec la télévision.
Le multimédia est un outil d'une ampleur exceptionnelle. Il provoque
même chez certains un engouement qui leur fait perdre tout sens
critique. Pourtant, nous le savons tous, cette sorte de technologie n'est
pas neutre. Ses qualités mêmes sont a double tranchant :
sa convivialité, sa mobilité, la simplicité de son
usage, son coût relativement accessible pour la plupart des individus:
tout ceci est bien sûr particulièrement attrayant, mais peut
également ouvrir la voie à de dangereux dérapages.
Je ne voudrais pas m'étendre trop longtemps sur les usages pervers
qu'on a déjà pu enregistrer : trafic de toutes sortes, propagande
insidieuse de milieux révisionnistes ou réseaux d'information
pour pédophiles ...Sur ce dernier point, j'ai d'ailleurs été
amené à intervenir l'an dernier à la Commission qui
s'est saisie de ce problème. C'est pourquoi, au-delà de
l'appropriation purement technique de cet outil performant, nous devons
veiller a ce qu'il prenne sa juste place, sans débordements, dans
notre société. Nous ne pouvons pas bien sûr nous priver
des bénéfices considérables qu'il nous offre. Mais
nous devons le maîtriser : il ne sera que ce que notre société
voudra en faire. Ce contrôle social est indispensable. Pour toutes
ces raisons, il est bon que 1 école s'en saisisse et que les responsables
de la démocratie locale s'y investisse avec le plus grand nombre
de citoyens.
En entrant à l'école, en faisant irruption dans le champ
de la pédagogie, on voit bien que cet outil touche à quelque
chose d'essentiel qui est à la base même de notre contrat
social. Au-delà de ce qui ne peut être considéré
comme une aventure technologique de plus, comme notre siécle en
a déjà tant connu, il nous appartient de tout mettre en
oeuvre pour que se maintienne le lien si fort en notre pays entre l'éducation
et la démocratie. Il nous faut donc découvrir les nouveaux
moyens qui nous permettront de continuer à faire entrer dans les
faits cette nécessite" comme le réclamait Condorcet "d'établir
entre les citoyens une égalité de fait, et rendre réelle
1'égalité politique reconnue par la loi." Et il continuait,
je le cite. "Tel doit être le premier but d'une instruction nationale.
"
Se pose donc à nous, aujourd'hui cette question importante pour
l'évolution de notre démocratie : le multimédia triomphant
sera-t-il une chance supplémentaire pour l'exercice de la citoyenneté
ou, au contraire, risque-t-il d'aggraver les exclusions que nous constatons
trop souvent aujourd'hui?
1 - Entrer dans la société de l'information : à la
fois une nécessité et une chance La période que nous
vivons est marquée par le double phénomène d'une
explosion de l'information et de la multiplication des émetteurs.
Ceci obligera désormais chacun d'entre nous à être
capable d'en maîtriser le flux, et ceci tant pour sa vie privée
que dans sa vie professionnelle. Sur le plan économique la véritable
richesse résidera désormais davantage dans la maîtrise
de l'information que dans l'appropriation des biens matériels.
L'école a donc à jouer un rôle primordial dans le
nouveau paysage qui se dessine devant nous. C'est elle qui devra en effet
fournir à l'élève - donc au citoyen de demain - les
compétences, les savoirs et les références qui lui
permettront de rechercher les informations dont il a besoin, de les sélectionner,
de les exploiter et d'en vérifier les sources. C'est-à-dire
de participer pleinement à la vie de sa communauté, sur
le plan économique, culturel ou politique. D'une façon plus
large, l'avènement de la société de l'information
est au coeur des problèmes aujourd'hui posés aux Européens
:
- elle a en effet commencé dans de nombreux secteurs d'activité,
à modifier la nature et organisation du travail.
- elle aura une incidence de plus en plus marquée sur les contenus
et les conditions d'accés au savoir.
- elle nous commande de réfléchir à l'évolution
sociale et économique de nos sociétés, si nous voulons
maintenir à la fois notre place dans la compétition mondiale
et conforter notre modéle culturel, afin de bien répondre
aux attentes et aux besoins de nos concitoyens.
Cette évolution profonde nous offre une chance qu'il nous faut
saisir pour adapter et rénover notre conception et nos systèmes
d'éducation et de formation:
- en les organisant désormais comme un processus permanent d'intégration
et d'adaptation;
- en se saisissant des nouveaux outils que nos apportent l'évolution
des technologies;
- en renouant les méthodes pédagogiques pour un usage optimal
de ces outils
2 - Le multimédia en Europe : quelle est la situation?
Or, en tous ces domaines, les Européens, et les Français
en particulier, ont beaucoup à faire pour se mettre au bon niveau.
Ainsi, on évalue qu 'en France le taux d'équipement atteint
un micro-ordinateur pour trente élèves, quand aux Etats-Unis
il est déjà d'un micro-ordinateur pour huit élèves.
Le même retard se constate quand on examine l'accés à
Intemet des écoles européennes ou la mise en réseau
des équipements disponibles. Moins de 10% des écoles européennes
disposaient d'un accés à Internet en 1995 contre 50% des
écoles publiques aux Etats-Unis et même 65% pour les écoles
secondaires.
Concernant la mise en réseau des équipements, elle ne concerne
que 5% des écoles françaises ou allemandes. Seuls les pays
scandinaves parviennent à un niveau vraiment opérationnel
avec plus des trois-quarts d'écoles connectées.
Au-delà du problème que nous pose ce retard en matière
d'équipements, il convient également de S'interroger sur
la valeur pédagogique de ces technologies. Les expériences
d'enseignement s'appuyant sur ces outils sont encore trop récentes
ou trop limitées pour qu'on puisse en mesurer tout l'impact. Il
existe cependant quelques évaluations auxquelles nous pouvons nous
référer avec confiance. Celles réalisées par
l'Office of technological assessment, aux Etats-Unis, par le National
council for education technology, en Grande-Bretagne ou par différents
industriels assistés par de pédagogues (IBM, Apple). Toutes
font apparaître une amélioration tregrave;s sensible des
performances tant des élèves que des enseignants. Celle-ci
se traduit entre autre par une augmentation de la capacité d'assimilation
et un moindre échec scolaire. Elles nous montrent également
que le potentiel pédagogique fourni par ces technologies repose
en fait sur une participation accrue de l'élève à
l'acte pédagogique. Le multimédia est donc un moyen complémentaire
et performant d'acquisition des connaissances.
Le caractère convivial de ces technologies stimule la créativité,
les capacités de communication et d'adaptation, en particulier
pour les individus en difficulté d'insertion.
Mais tous ces éléments positifs ne doivent pas nous faire
oublier que l'outil ne fait pas de miracles à lui seul. Pour en
tirer le meilleur parti, il réclame en particulier une formation
spécifique des enseignants. Leur fonction qui jusqu'à présent
était principalement de dispenser des connaissances doit en effet
évoluer vers un rôle d'accompagnement d'élèves
rendus plus autonomes dans leur apprentissage.
3 - L'action de la Commission
Ce constat général a conduit la Commission à adopter
à la fin de l'an dernier un plan d'action "pour mieux apprendre
dans la société de l'information". Il repose sur quatre
grandes lignes d'action :
- l'organisation en Europe d'un réseau d'écoles par l'interconnexion
des réseaux existants;
- la stimulation d'une production de contenus multimédias européens
d'une haute qualité pédagogique;
- la formation des enseignants, pour les rendent aptes à l'intégration
de ces nouveaux instruments dans leur pratique;
- l'information des différents acteurs sur les opportunités
pédagogiques offerts par ces outils. Ces quatre objectifs sont
en bonne voie de réalisation. -
- Ainsi, le "réseau européen des écoles" sur Internet
sera inauguré avant la fin de cette année. Il s'appuiera
sur un ensemble de services d'information et d'assistance pédagogique
destinés aux enseignants, aux élèves et aux parents.
- De même tous les gouvernements de l'Union sont aujourd'hui résolus
à former de manière systématique et continue les
enseignants à l'utilisation des nouvelles technologies comme support
de leur enseignement..
C'est dans cet esprit qu'ont été conçus les premiers
NetDays européens. Il se dérouleront, comme vous le savez,
a travers les quinze Etats membres, du 18 au 25 octobre 1997. Ces journées
exceptionnelles s'annoncent déjà comme le franchissement
d'un seuil décisif dans l'utilisation d'Intemet par les écoles.
Elles s'appuient en effet sur une mobilisation remarquable tant des autorités
publiques que des industriels sur l'ensemble du territoire de l'Union.
Tout nous permet d'attendre de cette vaste opération, qui se répétera
dans les années à venir, une appropriation plus large et
mieux intégrée d'Internet aux pratiques pédagogiques,
sans oublier le vaste champ d'expérimentation ainsi ouvert par
les nouvelles connexions entre écoles.
Pour en illustrer toute la dimension, je voudrais seulement souligner
que plus de 300 projets multimédias ont été préparés
par les écoles et les collectivités locales avec le soutien
des entreprises des technologies de l'information et de la communication.
Le domaine couvert par ces projets est tregrave;s étendu. Ils portent
en effet à la fois :
- sur des thèmes proprement scolaires (histoire, géographie,
mathématique),
- mais aussi culturels (découverte musicale, initiation à
l'archéologie, cinéma, musée),
- certains d'entre eux traitent de l'actualité (lutte contre le
racisme, droits de l'homme, environnement...).
Ces projets donneront lieu à des échanges entre plus de
10000 écoles en Europe disposant d'un accés à Intemet.
En outre, la plupart d'entre eux proposent des journées "portes
ouvertes" et des conférences avec la participation de personnalités
politiques et industrielles locales, régionales, nationales ou
européennes. Faire entrer nos écoles dans la société
de l'information exige effectivement un effort de tous. Les Partenariats
entre les secteurs public et privé sont donc de toute évidence
la clé du succés d'une telle initiative. C'est dans cet
esprit que quinze entreprises du secteur multimédia se sont organisées
dans un "Partenariat Européen pour l'Education" (European Education
Partnership) pour mobiliser leurs ressources en faveur de nos écoles,
avec le soutien des autorités publiques à tous les niveaux.
Ce "Partenariat Européen pour l'Education" est une contribution
décisive du secteur privé que la Commission européenne
souhaite encourager au sein d'une "fondation privée pour le multimedia
éducatif". Cette fondation aura pour vocation de rassembler les
principaux acteurs en Europe du multimédia, de l'audiovisuel, des
télécommunications et de l'enseignement afin de promouvoir
l'usage des nouvelles technologies à l'école et dans tous
les lieux où l'on apprend. Sa mission, qui a reçu le soutien
des 15 ministres de l'éducation de l'Union, sera de concilier les
intérêts des industriels, des organisations et des autorités
publiques au sein d'une structure légère dont les contours
seront dessinés par les acteurs qui s'y impliqueront.
- Elle agira en tant que centre de réflexion sur 1 évolution
des technologies et des pratiques éducatives.
- Elle jouera le rôle de pôle de référence et
d'échange entre les acteurs pour la diffusion des "bonnes pratiques"
de partenariat privé-public.
- Elle devra favoriser la création de nouveaux partenariats dans
les Etats membres et les régions, et de mettre en relation les
associations déjà constituées au niveau local ou
national.
- J'ajouterais enfin que cette fondation sera également amenée
à jouer un rôle actif dans le parrainage de projets pédagogiques
basés sur l'usage des réseaux d'information et de communication.
Je ne puis donc que me féliciter de constater que Parthenay participe
au premier rang a ce vaste mouvement d'ensemble. En connectant aujourd'hui
deux écoles primaires (l'une privé, l'autre publique), votre
ville se place au coeur de la démarche qui commande notre entrée
dans le XXIème siécle.
Je voudrai profiter de la circonstance qui m'est offerte aujourd'hui pour
insister sur le fait que si les Etats membres et la Communauté
européenne ont un rôle déterminant à jouer
et des responsabilités importantes en ce domaine, les échelons
régionaux et locaux sont décisifs pour la réussite
de la mutation en cours. Du fait de leur proximité des besoins
tels qu'ils sont exprimés concrétement, ils sont en effet
des acteurs privilégiés et indispensables.
Je sais que cela ne représente pour vous que la première
étape d'une action pédagogique de fond, menée depuis
plus d'un an et demi pour favoriser une appropriation concréte
des nouveaux outils d'information par les citoyens eux-mêmes. Ouverte
sur la cité, l'école parait devoir être un lieu stratégique
dans cette démarche sociale des nouvelles technologies.
Conclusion
Je souhaiterai d'ailleurs témoigner à quel point cette orientation
est désormais partagée par l'ensemble des européens.
En effet, tout au long du vaste débat qui a caractérisé
l'année européenne pour l'éducation et la formation
tout au long de la vie, en 1996, il était intéressant de
constater combien les acteurs concernés ont exprimé leurs
préoccupations quant à l'accés pour tous des outils
de la société de la connaissance. Tous ont manifesté
avec force l'importance qu'ils attachaient au phénomène
de l'exclusion. En nous appuyant sur cette prise de conscience, il est
clair que désormais nous pouvons aller plus avant.
Il faut que tous les jeunes européens, sans discriminations, puissent
entrer de plain-pied dans la révolution du multimédia. Dans
le bouleversement en cours, tout "décrochage" d'une partie de la
jeunesse aurait des conséquences dramatiques pour l'avenir de notre
société. Ces nouveaux outils qui nous sont aujourd'hui proposés
par la technologie doivent nous permettre d'offrir à chacun sa
chance, non seulement pour l'accés à l'emploi mais aussi
comme citoyen à part entière. C'est donc avec le plus grand
intérêt que je prendrai connaissance de vos travaux et de
la réflexion.
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