L’action de groupe est-elle vraiment collective ?

Judith Rochfeld, professeur de droit privé à Paris 1 et co-coordinatrice du Dictionnaire des biens communs, discute le billet de Valérie Peugeot « RGPD : quelle place pour l’action collective ? », en matière de protection des données personnelles. Elle montre que le caractère collectif de l’action collective peut être plus ou moins fort selon les configurations légales choisies par le législateur. Et suggère la création d’un fonds de financement de ces actions, condition de leur efficacité.

Certes, la mise en place d’une action « de groupe » pour renforcer la protection des données personnelles constitue une avancée certaine pour éviter que l’individu isolé ne porte seul la responsabilité et la charge de la protection de ses données.

Il ne faut toutefois pas penser que la question est totalement réglée par la reconnaissance d’une telle action. Le vocable peut effectivement recouvrir nombre de réalités.

Une première compréhension, assez intuitive, renvoie ainsi à l’action de groupe, reconnue par la loi dite « Hamon » de 2014, affinée et étendue par celle dite « pour une Justice du XXIe siècle » du 18 novembre 2016 : des consommateurs entrent dans une action déclenchée par une association, se fondant pour convaincre le juge sur quelques cas-types, aux fins de demander la réparation de leur préjudice personnel (matériel, limite d’ailleurs le texte). Il y a bien un « groupe procédural », mais qui agit en coalition de cas particuliers, chacun continuant à porter son propre intérêt individuel. Pour le droit des données, auquel ce type d’action a été étendu (avec des différences puisque le groupe procédural ne se forme pas), l’association qui agit ne peut demander que la « cessation » de la violation des textes applicables [1].

Une deuxième compréhension est plus collective et se manifeste d’ailleurs dans les actions traditionnelle des associations : elles agissent non pour représenter des intérêts individuels coalisés mais défendre un intérêt collectif (par exemple la protection de l’environnement). C’est d’ailleurs le type d’action qui a connu la plus forte résistance tant la différence entre intérêt collectif et intérêt général n’est pas toujours facile à tracer. Or, dans notre tradition française très ancrée sur l’Etat, la défense de l’intérêt général revient à ce dernier. Néanmoins, on a pu constater, notamment à partir de 2007, une plus grande ouverture des juges à ces actions (même hors objet statutaire), ce dont témoigne bien par exemple l’admission d’actions d’associations sur le fondement des « biens mal acquis ».

Pour la défense des données, cela signifierait que l’on admettrait qu’une association puisse agir, non pour faire cesser la violation que subit chaque personne concernée (action en cessation), mais l’intérêt collectif de cette protection en tant que telle, voire — si les propositions récentes devaient aboutir — une réparation de la lésion de ce préjudice collectif, fût-il moral (action en réparation du préjudice moral collectif). Cela aurait des conséquences sur le préjudice réparable : à l’instar de ce qu’a connu le droit de l’environnement, avec la loi « reconquête de la biodiversité » du 8 août 2016 notamment, on détacherait le préjudice des personnes et l’on s’attacherait à réparer le dommage collectif pour lui-même ; dans le cas d’un préjudice écologique, cela renvoie à une réparation en nature ou à une compensation dans le cas où cette réparation n’est pas possible.

Bien évidemment, des difficultés surgissent pour une application aux données : celle du « chiffrage » de cette lésion. Comment évaluer le montant d’un tel dommage immatériel et, de là, fixer celui de la réparation ? Autre difficulté : le montant de cette réparation doit constituer une incitation suffisante à agir ; trop bas, il ne poussera pas ces corps intermédiaires fragiles que sont les associations à supporter les coûts et les efforts soutenus que requièrent ces actions. C’est pourquoi, à défaut, pour l’heure, d’une telle source de financement des porteurs d’actions collectives, il pourrait être utile de penser à un fonds de financement de ces actions, quitte à ce que les mesures de compensation à venir lui soient destinées. Un fonds, dont le projet de loi relatif à la protection des données personnelles actuellement en discussion, pourrait être le véhicule.

[1Nota bene : le préjudice collectif peine à trouver une consécration en droit français. Le droit de la responsabilité civile est actuellement en voie de réforme et le dernier avant-projet rendu public (en 2017) a ainsi supprimé l’allusion qui y était faite (il évoquait le "préjudice individuel ou collectif" comme réparable), renvoyant sa reconnaissance à des droits spéciaux (à l’instar de la consécration du préjudice écologique), le tout pour juguler ce type de revendications.