Vecam http://www.vecam.org/ Réflexion et action pour l'internet citoyen fr SPIP - www.spip.net Vecam http://vecam.org/local/cache-vignettes/L144xH41/siteon0-dd267.png http://www.vecam.org/ 41 144 1 - Les biens communs, une utopie pragmatique http://vecam.org/article1304.html http://vecam.org/article1304.html 2011-05-02T21:00:00Z text/html fr Valérie Peugeot Information, savoir et culture sont chaque jour un peu plus le cœur battant de nos sociétés. Éléments premiers d'une part croissante de notre activité économique, ils contribuent à façonner nos manières de faire société. Nos apprentissages et nos modes cognitifs, notre engagement dans le travail rémunéré tout comme notre autonomie par rapport à ses institutions, nos relations aux autres, nos pudeurs et nos exhibitions, notre espace-temps, nos attentions et inattentions, l'accord de notre confiance et la (...) - <a href="http://vecam.org/rubrique135.html" rel="directory">Libres savoirs, les biens communs de la connaissance</a> <div class='rss_texte'><p>Information, savoir et culture sont chaque jour un peu plus le cœur battant de nos sociétés. Éléments premiers d'une part croissante de notre activité économique, ils contribuent à façonner nos manières de faire société. Nos apprentissages et nos modes cognitifs, notre engagement dans le travail rémunéré tout comme notre autonomie par rapport à ses institutions, nos relations aux autres, nos pudeurs et nos exhibitions, notre espace-temps, nos attentions et inattentions, l'accord de notre confiance et la construction de nos choix, nos déplacements, notre connaissance de soi, nos rapports aux objets, notre distance ou notre attachement à l'égard de la res publica… autant de champs bousculés, voire transformés par cette ébullition créative que l'on appelle société de la connaissance.</p> <p>Si l'on admet que la connaissance et son vecteur, l'information, sont à l'ère informationnelle ce que l'énergie, les matières premières et la force de travail furent aux sociétés agricole et industrielle, alors les conditions de leur circulation, appropriation et partage deviennent cruciales. La période dans laquelle a émergé la société de l'information – années 1980-2000 – a coïncidé avec une époque de radicalité de la pensée économique libérale dans les pays occidentaux. Simple coïncidence ou facteur déterminant ? Sans rentrer dans ce débat, on observe aujourd'hui que les régimes juridiques qui régissent les conditions de propriété et de redistribution des ressources informationnelles et des connaissances sont totalement imprégnés de cette philosophie. Les logiques de marché y règnent en maître, et les régulations nationales et internationales poussent inlassablement dans le même sens, celui du renforcement des droits de propriété sur l'immatériel, au détriment de tout autre modèle plus équitable. La durée du droit d'auteur est périodiquement rallongée ; les brevets couvrent maintenant des domaines auparavant exempts de toutes formes de propriété, comme le vivant, les découvertes ou les mathématiques ; le domaine public devient un espace de déshérence et non de valorisation des œuvres de l'esprit ; les exceptions aux droits de propriété prévues pour les enjeux de santé publique sont contournés par des traités bilatéraux ; des dispositifs techniques viennent verrouiller la circulation des créations ; les savoirs collectifs ancestraux sont confisqués par des acteurs privés… Dans un même temps, les conditions du renouvellement de ces ressources cognitives – l'enseignement, la formation devenue indispensable tout au long de la vie – sont renvoyées à des acteurs publics dont les moyens et l'autonomie ne cessent de baisser.</p> <p>La connaissance ne peut être assimilée à du pétrole ou de l'acier. L'accaparement du savoir nourrit bien entendu un système inégalitaire, tout comme celui des terres ou des matières premières ; lorsque des entreprises de l'industrie informationnelles dégagent des bénéfices nets de plus de 15 % et nourrissent une finance internationale débridée, cela se fait bien entendu au détriment des populations exclues de cette redistribution. Mais la concentration des biens informationnels et cognitifs et les limites à leur circulation ont d'autres effets tout aussi fondamentaux : ils contribuent à long terme à un assèchement de la créativité et de la diversité culturelle en concentrant les investissements dans les mains de quelques acteurs homogènes ; ils dépouillent des populations de leurs savoirs historiques et ce faisant privent des communautés de leurs propres ressources, notamment en matière agricole ; ils privent des malades de l'accès aux soins au nom de la rentabilisation de l'invention… Culture, santé, survie alimentaire tout autant que justice sociale sont donc en jeu.</p> <p>Face à cette logique, d'autres manières de penser la mise à disposition de la connaissance, l'accès au savoir et la rémunération des créateurs ont vu le jour. Dans le monde paysan, dans celui de la défense des malades, dans l'univers du logiciel, de la recherche scientifique ou de la création artistique, chez les peuples autochtones, dans le design numérique…, les communautés se sont multipliées pour affirmer et expérimenter la possibilité de placer des savoirs en régime de biens communs. Ces biens communs sont pensés tout à la fois comme un statut alternatif à la privatisation du savoir et comme un mode de gouvernance par une communauté dédiée. Accès aux savoirs, biens communs de la connaissance, deux facettes d'une même question, la première mettant l'accent sur l'obstacle à lever, la seconde sur les réponses apportées.</p> <p>Éparses dans un premier temps, ces initiatives émanant de communautés spécifiques ont commencé depuis une demi-décennie à se décloisonner, à s'articuler. Ce livre, en rassemblant des auteurs relevant de ces différentes communautés, voudrait marquer ce temps très particulier où des acteurs souvent marginaux, en résistance, se rassemblent et prennent conscience qu'ils participent d'un même horizon de sens et construisent des alternatives à part entière.</p> <p>Si ce temps est aujourd'hui possible, nous le devons à une série de facteurs.</p> <p>En premier lieu, les communautés de biens communs du numérique qui ont vu le jour entre le début des années 80 et les années 2000 (depuis le logiciel libre jusqu'aux Creative Commons et aux revues scientifiques ouvertes en passant par les archives en accès libre…) ont montré leur robustesse et leur pertinence, gagnant toujours plus d'utilisateurs et/ou de contributeurs. Toutes n'occupent pas une place essentielle dans leur secteur (la recherche, la culture, l'éducation…). Mais leur appropriation et leur pertinence a minima questionnent les modèles économiques existants, à l'image des journaux scientifiques marchands qui se voient contraints, du fait de l'existence des revues en accès libre, de proposer un modèle de diffusion ouvert à côté du modèle traditionnel. Les actions de ces communautés interpellent les institutions les plus arc-boutées sur le renforcement des droits de propriété intellectuelle, et diffusent une culture de l'alternative dans la société, à l'image des mouvements de partage et de création construisant une « free culture ».</p> <p>Autre virage essentiel, nous assistons ces dernières années à un rapprochement théorique entre les communautés de biens communs liées à des ressources naturelles et celles dédiées à des connaissances numérisables. Nous le devons notamment à la double impulsion d'Elinor Ostrom et de Charlotte Hess, marquée par la publication en 2007 de leur livre fondateur Understanding knowledge as a commons. Même si des différences substantielles existent entre ressources naturelles et connaissances, notamment leurs propriétés économiques, cette confrontation/collaboration théorique est absolument essentielle, ne serait-ce que parce qu'elle permet de réinscrire les communs de l'immatériel dans une histoire qui leur donne un surcroît de légitimité.</p> <p>Enfin, l'apparition de nouvelles communautés autour du « open hardware » jette de façon très concrète un pont entre matériel et immatériel : en concevant et fabricant des objets mécaniques ou électroniques dont les modèles de conception sont rendus publics et réutilisables, de telle manière que n'importe qui peut décider de les fabriquer, les distribuer et les utiliser, ces acteurs de la production coopérative (P2P production) s'inspirent du logiciel libre pour en appliquer les règles au monde du tangible.</p> <p>Articulation des mouvements engagés dans la défense de l'accès au savoir, décloisonnement intellectuel et opérationnel des biens communs de la connaissance et de ressources naturelles, montée en puissance des démarches et des produits ou services qui relèvent de cette dynamique : ces convergences donnent toute leur actualité et leur pertinence aux perspectives ouvertes par les communs.</p> <p>Le dépassement du dualisme réducteur État/marché qui structure la pensée politique depuis plus d'un siècle et demi constitue l'une de ces perspectives et non la moindre. Alors que partis politiques, syndicats, mouvements militants se situent historiquement sur une ligne partant du tout État pour aboutir au tout marché en passant par tous les métissages possibles, les communs nous enseignent qu'il existe, non pas une troisième voie, mais une autre manière de penser et de faire en politique comme en économie ; une approche qui ne se situe ni contre le marché ni contre l'État mais à côté et s'articule avec ces deux pôles parfois de façon très poreuse. Lorsque l'État du Kérala en Inde édicte une législation pour accompagner les communautés (médecine ayurvédique, plantes médicinales villageoises) dans la protection de leurs savoirs traditionnels, gérés historiquement sous forme de communs, il évite de les placer dans un domaine public, où chacun, et donc prioritairement les mieux dotés, pourrait puiser sans retombées envers les communautés dépositaires. Il y a là articulation positive entre les communs et l'État. Lorsqu'un site web comme Flickr, propriété de Yahoo ! laisse le choix à ses utilisateurs de placer leurs photos en droit d'auteur classique ou en contrat Creative Commons et ouvre un espace dédié aux œuvres du domaine public, nous sommes là aussi dans une coopération positive, cette fois-ci entre marché et communs. Cette mise en lumière d'une complémentarité remplaçant la concurrence entre les trois formes de régulation que sont le marché, l'État et les communs s'explique aussi par le pragmatisme de ces derniers. Les défenseurs des communs ne cherchent pas à construire une narration globale mais répondent à des besoins très concrets, souvent très locaux quand il s'agit de communs matériels, auxquels des communautés doivent faire face : assurer l'entretien d'une forêt, transmettre un savoir médicinal, trouver une ressource éducative librement accessible adaptée à un enseignement, créer des objets qui puissent être conçus et produits localement, renouveler la biodiversité cultivée par l'échange des semences… C'est souvent pour résoudre des objectifs personnels que des développeurs créent des logiciels libres, et c'est parce qu'ils souhaitent accéder aisément aux publications des autres que des chercheurs placent leurs résultats en accès libre. C'est l'agglutination progressive de ces expériences de gouvernance « en communs » qui fait promesse et non une idéologie in abstracto dont nul ne sait ni comment ni quand elle adviendra, ni ne peut deviner à l'avance les effets secondaires, dont on sait qu'ils peuvent être catastrophiques.</p> <p>Ce processus d'agglutination est d'ailleurs l'un des enjeux majeurs auxquels doivent faire face les communs : comment les différentes expériences peuvent-elles se féconder au-delà d'une reconnaissance mutuelle ? Là encore, la dialectique entre les communs matériels et ceux de la connaissance constitue une expérience sociale enrichissante. Mais d'autres questions doivent être affrontées. Celle du passage à l'échelle n'est pas la moindre. Les communautés gérant des biens communs de ressources naturelles sont pour l'essentiel ancrées à l'échelle locale. Les communs sont-ils en capacité d'apporter des réponses à des enjeux planétaires comme la question climatique ? Ou de gérer des biens globaux comme les océans ou le spectre électromagnétique ?</p> <p>La réaction du marché à la diffusion des biens communs, notamment numériques, peut également considérablement changer la donne. Car si les communs ne se construisent pas contre le marché, ce dernier peut néanmoins les percevoir comme une menace. Cette réaction défensive est particulièrement outrancière dans le champ des œuvres culturelles, où on a cherché à disqualifier les communs et les logiques de partage en les assimilant à du vol. Heureusement, dans d'autres secteurs industriels, la réaction n'est pas toujours aussi radicale, certains acteurs du marché ayant bien compris que le renouvellement de l'innovation passe par des modèles plus ouverts que ceux de la R&D traditionnelle. Ainsi voit-on se multiplier des projets de « recherche ouverte » rassemblant des acteurs hétérogènes – entreprises, collectivités locales, ONG… – et imaginant d'autres conditions de circulation des fruits de l'innovation.</p> <p>Autre complexité pour les acteurs des communs, celle de l'appropriation de la démarche par des acteurs civiques et sociaux issus de la société pré-informationnelle. La philosophie des communs essaime relativement facilement dans le monde du numérique, en raison des qualités intrinsèques de l'immatériel. Les biens numériques sont dotés de propriétés qui précédemment n'appartenaient qu'aux biens publics : non excluabilité et non rivalité, reproduction illimitée pour un coût marginal proche de zéro. Cette situation ouvre par nature une brèche dans la pensée économique et politique et invite au renouvellement des théories. Plaquer des modèles historiques sur l'immatériel ne fonctionne tout bonnement pas. En revanche, pour les syndicats, les mouvements paysans ou les ONG qui œuvrent dans des secteurs économiques traditionnels, les alternatives proposées par les communs sont moins évidentes. Surtout dans la période que nous vivons, quand cohabitent une grille de lecture des rapports de production et des rapports sociaux venant de l'époque à prédominance industrielle, et l'analyse de la nouvelle situation du travail immatériel et de sa place dans l'économie en général. Cette nouvelle étape dans le décloisonnement est désormais essentielle.</p> <p>Aujourd'hui les acteurs impliqués dans les différentes communautés de biens communs n'ont pas de prétention à être « le » mouvement mais à poursuivre des chemins originaux tout en intensifiant les échanges théoriques et pragmatiques tirés de leurs expériences, de leurs succès comme de leurs échecs, avec un cercle toujours plus large.</p> <p>C'est à cette dynamique que cet ouvrage entend, modestement, contribuer. Ce sont les mouvements existant autour du partage de la connaissance, de son renouvellement collectif, évitant l'accaparement par quelques monopoles de l'ère informationnelle qui sont aujourd'hui porteurs de ce nouveau questionnement. En essayant de suivre les expériences de construction des communs menées dans les deux dernières décennies, dans leur diversité, comme dans leurs nombreuses similarités, nous voulons offrir au lecteur un éventail aussi large que possible des utopies pragmatiques et des mouvements concrets qui existent autour des communs de la connaissance. En espérant ainsi contribuer au nécessaire renouvellement de la pensée transformatrice dont le monde a tant besoin.</p></div> <div class='rss_ps'><p>***********************************************************************************</p> <p><span class='spip_document_1078 spip_documents spip_documents_left' style='float:left; width:150px;'> <img src='http://vecam.org/IMG/jpg/2010_valerie_opt150x174-2.jpg' width="150" height="174" alt="" /></span></p> <p><i>Valérie Peugeot est présidente bénévole de l'association Vecam (<a href="http://vecam.org/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow'>http://vecam.org/</a>), après en avoir été la coordinatrice entre 1999 et 2004. Vecam a été créé en 1995 afin de mettre en débat les questions politiques et sociales liées aux technologies de l'information et de la communication. Les actions récentes de Vecam touchent aux questions des biens communs informationnels, de la propriété immatérielle, aux rapports entre sciences et société et à la mobilisation des TIC dans des dynamiques participatives.</p> <p>À titre professionnel, Valérie Peugeot travaille comme prospectiviste au sein du laboratoire de sciences sociales et humaines d'Orange labs (R&D de France télécom). Médias sociaux, futur du web, ouverture des données du web, internet des objets, usages des communautés créatives, besoins spécifiques des pays en développement, innovation ouverte… sont quelques-unes des sujets récemment étudiés dans ce cadre.</i></p> <p>***********************************************************************************</p></div> 2 - Autour du Manifeste pour la récupération des biens communs http://vecam.org/article1305.html http://vecam.org/article1305.html 2011-05-02T20:00:00Z text/html fr Frédéric Sultan Creative Commons Le Manifeste pour la récupération des biens communs a été élaboré lors du Forum Social Mondial de Belém, en février 2009. Il peut être paraphé sur le site : http://bienscommuns.org Le Manifeste pour la récupération des biens communs, que vous pourrez lire ci-après a été élaboré lors du Forum Social Mondial de Belém au Brésil en février 2009. C'est une invitation lancée aux citoyens à s'approprier (récupérer) eux-mêmes, les biens communs. Une telle démarche suppose d'éclairer le sens attaché à la notion « (...) - <a href="http://vecam.org/rubrique135.html" rel="directory">Libres savoirs, les biens communs de la connaissance</a> / <a href="http://vecam.org/mot17.html" rel="tag">Creative Commons</a> <div class='rss_chapo'><p><i>Le Manifeste pour la récupération des biens communs a été élaboré lors du Forum Social Mondial de Belém, en février 2009. Il peut être paraphé sur le site : <a href="http://bienscommuns.org/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://bienscommuns.org</a></i></p></div> <div class='rss_texte'><p>Le Manifeste pour la récupération des biens communs, que vous pourrez lire ci-après a été élaboré lors du Forum Social Mondial de Belém au Brésil en février 2009. C'est une invitation lancée aux citoyens à s'approprier (récupérer) eux-mêmes, les biens communs. Une telle démarche suppose d'éclairer le sens attaché à la notion « d'appropriation » des biens communs et de proposer quelques pistes en ce sens. La transformation en profondeur de la société passe à la fois par la lutte contre l'accaparement des biens que l'on considère communs, l'invention de nouvelles formes de partage et de coopération et par l'adoption par le plus grand nombre de cette notion dont on sait qu'elle est bien plus complexe que le simple abandon de la propriété privée.</p> <p>Les acteurs investis dans la multitude d'initiatives qui se reconnaissent spontanément dans l'idée des biens communs démontrent que c'est possible et même une réalité tangible et qui fonctionne dans de nombreux domaines. En quelques mois, Le Manifeste pour la récupération des biens communs a réuni près de 1200 signatures personnelles et d'organisations sociales et citoyennes originaires de 40 pays sans même avoir été porté par aucune campagne véritablement structurée. Cela peut être interprété comme un indice de la volonté de s'emparer de la notion de biens communs, même si le sens qui est donné à ce terme peut être variable, pour servir de levier de changement.</p> <p><strong>L'expérience des mouvements sociaux et citoyens</strong></p> <p>Par appropriation des biens communs, il faut entendre, l'usage, l'expérience personnelle et collective des communs et la politisation de cette expérience. Quelques exemples suffisent à montrer à la fois le foisonnement, la diversité et la richesse de l'expérience des mouvements sociaux au cours des dernières décennies dans ce domaine : autour des savoirs et des cultures, il existe les réseaux d'échanges de savoirs ; les mouvements de défense des savoirs ancestraux qui luttent contre la biopiraterie ; les organisations de chercheurs qu'on a pu voir rassemblées au Forum Mondial Sciences & Démocratie au Brésil (2009) puis en France (2010) ou à Dakar (2011) ; les éducateurs et les bibliothécaires mobilisés pour permettre la circulation des connaissances ; les mouvements pour la culture libre, Creative Commons ou encore Wikipédia, projets emblématiques et populaires… Autour de la question production/consommation, les mouvements paysans luttent pour l'accès à la terre, pour la circulation des semences et contre les OGM ; les AMAP, le mouvement coopératif dans sa grande diversité, les mouvements pour la sobriété et la décroissance qui considèrent les monnaies comme biens communs et qui contribuent à la recherche d'indicateurs de développement alternatifs. Autour des ressources naturelles s'organisent les luttes pour le droit universel à une eau potable et salubre ; et pour la préservation du vivant (notamment les ressources marines et la biodiversité). Dans le domaine des techniques et de l'innovation, le mouvement du logiciel libre est l'un de ceux qui ont fait éclore la question des biens communs dans la société. Il est rejoint sur ce terrain par tous ceux qui défendent l'innovation ouverte et plus généralement, le renouvellement des formes de partage de la propriété intellectuelle (licences de plein droit – license of right, Eco-Patent Commons, patent pools, etc.). La défense de la neutralité de l'internet est un enjeu sur lequel se construit, à échelle mondiale, une réflexion sur les biens communs.</p> <p>Cette liste pourrait encore s'allonger, mais elle illustre largement, à la fois l'importance de l'expérience des mouvements sociaux et à quel point la notion de biens communs joue un rôle clef dans les alternatives qu'ils portent.</p> <p>Dans ce contexte, le Manifeste pour la récupération des biens communs, dans la logique des Forums sociaux, ouvre un espace de croisement, d'échange et de renforcement mutuel de ces mobilisations. Ce manifeste est d'abord une chambre d'écho des expériences où les biens communs apparaissent d'évidence comme l'une des clefs de la transformation de la société. S'il n'est ni le premier, ni le seul – les appels se sont multipliés ces derniers mois [<a href='#nb1' class='spip_note' rel='footnote' title='Ce livre comporte quelques exemples, tels le Manifeste du Domaine Public (...)' id='nh1'>1</a>] –, il tient une place originale car il révèle un peu plus la montée en puissance de la notion de biens communs dans les projets des mouvements sociaux et citoyens en dehors du cercle des spécialistes de ce sujet. Ce mouvement est général et le prix Nobel d'économie, accordé en novembre 2009 à Elinor Ostrom pour ses travaux sur la gouvernance des communs, a encore élargi son audience.</p> <p><strong>La définition, enjeu de l'appropriation des biens communs</strong></p> <p>À la suite de l'élaboration du Manifeste pour la récupération des biens communs, quelques rencontres et échanges organisés autour de cette initiative, nous [<a href='#nb2' class='spip_note' rel='footnote' title='Quelques personnes membres de l'association Vecam (http://vecam.org) et du (...)' id='nh2'>2</a>] ont permis de réaliser à quel point il est nécessaire de nourrir la réflexion sur la notion de « biens communs », tant du point de vue des mécanismes que des enjeux.</p> <p>Pour la plupart des personnes non spécialistes de ce sujet, l'expression « biens communs » ouvre une boîte de Pandore. Que sont-ils et que ne sont-ils pas ? Sont-ils gratuits ou bien quelle est leur valeur ? Et comment peuvent-ils être correctement gérés s'ils ne sont pas la propriété d'une personne à part entière ? Doit-on parler de biens communs, de biens publics, de biens des communautés, de biens mondiaux ou de l'humanité ?</p> <p>Les biens communs recouvrent en même temps la substance du bien qu'il faut souvent préserver d'un accaparement, les règles qui en permettent le partage, et enfin l'organisation collective et démocratique qui les gouverne. Une part de la complexité de cette notion vient de cette imbrication. Une autre est liée à la diversité et l'ampleur des domaines concernés.</p> <p>Pour permettre l'appropriation de cette notion, nous devons éclairer les enjeux qu'elle recouvre. Les débats que nous avons conduits nous ont rapidement amenés à devoir démêler le « Bien Commun » au singulier des « biens communs » au pluriel. L'usage du terme au singulier présente certains risques. Il revient souvent à attacher à la préservation de certains biens, une valeur morale qui dépasse l'échelle de la communauté concernée et renvoie à l'humanité ou à l'universel. Du même ordre, la notion de « bien commun de l'humanité », a pu servir d'argument dans les instances internationales. L'UICN [<a href='#nb3' class='spip_note' rel='footnote' title='UICN : Union internationale pour la conservation de la nature (...)' id='nh3'>3</a>] et le WWF International [<a href='#nb4' class='spip_note' rel='footnote' title='WWF International (http://www.wwf.org)' id='nh4'>4</a>], les deux principales organisations diffusant le « conservationnisme » [<a href='#nb5' class='spip_note' rel='footnote' title='Le conservationisme représente un courant dans les milieux de la protection (...)' id='nh5'>5</a>], ont prôné sous ce vocable des formes de gestion des territoires qui retiraient aux communautés locales toute souveraineté sur ce qui constitue pourtant les bases de leur société. Pendant les années 80 et 90, le régime de gouvernance des territoires en Amazonie a été au cœur de ces luttes. Et ce sera à l'initiative des peuples autochtones que les mouvements écologistes signeront la Déclaration d'Iquitos [<a href='#nb6' class='spip_note' rel='footnote' title='« En 1986, la COICA (Coordinadora de las Organizaciones Indigenas de la (...)' id='nh6'>6</a>], temps fort de leur prise de conscience de l'importance du respect de leurs modes de vie pour la préservation de l'Amazonie et de la Terre [<a href='#nb7' class='spip_note' rel='footnote' title='Culture, nature, nationalisme et internationalisme, L'exemple des Yanomami (...)' id='nh7'>7</a>].</p> <p>Il existe pourtant une vision alternative du « Bien commun de l'humanité ». François Houtart [<a href='#nb8' class='spip_note' rel='footnote' title='François Houtart, fondateur du CETRI, professeur émérite de l'Université (...)' id='nh8'>8</a>] propose d'en faire un nouvel horizon politique en édictant une Déclaration Universelle du Bien Commun de l'Humanité [<a href='#nb9' class='spip_note' rel='footnote' title='Pour une déclaration universelle du bien commun de l'humanité, (...)' id='nh9'>9</a>] qui appellerait à l'utilisation durable et responsable des ressources naturelles, à privilégier la valeur d'usage plutôt que la valeur d'échange, à généraliser la démocratie à tous les rapports sociaux et à toutes les institutions tout en respectant la multiculturalité ; tout cela pour l'élaboration d'une éthique du Bien commun de l'humanité. Une telle déclaration universelle, outre qu'elle serait un instrument pédagogique, pourrait donner au foisonnement des initiatives à la base, un horizon politique et éthique ambitieux.</p> <p>Autre enjeu soulevé par la notion de biens communs, la confusion entre propriété, gratuité et liberté d'usage d'un bien. Même lorsque leur usage est gratuit, comme dans le cas des logiciels libres, les biens communs ne sont les biens ni de tous, ni de personne. Ils sont, au contraire, les biens de collectifs, à différentes échelles ; à chaque logiciel libre correspond une communauté composée de développeurs et d'utilisateurs, et c'est pour cette raison qu'il est possible et nécessaire d'en revendiquer l'autogestion.</p> <p>Enfin, l'accès aux biens communs n'est pas résolu par le seul fait de les rendre publics, de les mettre à la disposition de tous. Miguel Said Vieira, dans sa présentation « Biens communs globaux, biens communs de la connaissance et solidarité internationale » [<a href='#nb10' class='spip_note' rel='footnote' title='À lire sur le blog du manifeste pour la récupération des biens communs : (...)' id='nh10'>10</a>], montre que cette condition à elle seule ne résout pas les difficultés d'accès liées aux différences sociales. L'accès au logiciel libre, par exemple, pour être réel, nécessite l'accès à internet et donc à l'électricité, aux infrastructures des réseaux, à l'éducation et à la culture.</p> <p><strong>Les Communs dans l'imaginaire des mouvements alternatifs</strong></p> <p>Pour sortir de ces confusions, certains tentent d'établir des listes de biens à considérer comme communs, pour les distinguer de ceux qui bénéficieraient d'un autre régime de propriété. Les listes ainsi obtenues rassemblent un vaste ensemble d'éléments qui peuvent paraître très différents : les biens immatériels, tels que la connaissance, les créations de l'esprit, les semences, qui ne souffrent pas de la rareté car leur usage est non-rival et non-exclusif ; les biens matériels tels que l'eau, les terres cultivables, l'air, l'énergie, les ressources naturelles, etc., qui eux nous sont comptés, et jusqu'aux notions telles que la santé, l'éducation, les monnaies, etc.</p> <p>Le Manifeste pour la récupération des biens communs, ne vise pas tant à établir une telle liste qu'à nourrir l'imaginaire des mouvements sociaux en contribuant à rendre visible et à relier entre elles la multitude de pratiques sociales et politiques en rapport avec les biens communs. C'est une dynamique d'appropriation des biens communs et de politisation de l'économie, qui s'inscrit dans la lignée de l'éducation populaire et contribue à l'émancipation individuelle et collective.</p> <p>Cet imaginaire se fonde sur des valeurs de partage, de préservation des ressources pour les générations à venir et de participation démocratique à la gestion des biens communs. Ces valeurs s'incarnent dans ces pratiques sociales très diverses. Il est en effet illusoire de penser que la disparition de la propriété ou le libre accès aux biens communs serait à lui seul la solution pour rendre la société meilleure. Des pratiques coopératives et des régimes de propriété variés correspondent aux différentes natures de biens et aux contextes de leur exploitation. L'usage des terres agricoles est un exemple de domaine dans lequel les conséquences du choix des régimes de production peuvent être paradoxaux. En étudiant les différentes formes de propriété du foncier, Marc Dufumier [<a href='#nb11' class='spip_note' rel='footnote' title='Agricultures et paysanneries des Tiers-mondes, Marc Dufumier, Khartala, (...)' id='nh11'>11</a>] montre que les formes collectives de propriété ne sont pas toujours les plus profitables et à même de répondre aux besoins (alimentaires) des populations. Les kolkhozes n'ont-ils pas tous disparu et la dé-collectivisation massive (Chine, Vietnam, etc.) montré toute son efficacité pour nourrir les populations ? L'expérience montre que les terres sont toujours gérées de manière plus efficace lorsqu'elles le sont sous la responsabilité directe du paysan qui les occupe. Marc Dufumier constate encore que les groupes industriels qui accaparent les terres et ont des pratiques destructrices de l'environnement (culture intensive et usage massif d'intrants) préféreront souvent disposer des terres dont la propriété foncière appartient à l'État. En l'absence d'investissement dans le foncier, il leur est plus facile de les abandonner lorsqu'elles sont épuisées.</p> <p><strong>De la liste des Communs à l'inventaire des régimes de production</strong></p> <p>L'appropriation des biens communs a donc à voir avec une certaine maîtrise de ce que Philippe Aigrain appelle les régimes de production, c'est-à-dire des conditions faites aux transactions entre producteurs et utilisateurs. Les licences Creative Commons, qui sont parmi les plus populaires aujourd'hui, avec leur dispositif de formalisation de la transaction entre auteurs et utilisateurs, simple et facile à utiliser, nous permettent de défendre des règles de droit fondées sur nos valeurs. Ces licences sont, pour les mouvements sociaux, un moyen de lutte contre la privatisation des créations de l'esprit. D'autres systèmes, marchands on non, existent. Pensons aux AMAP, aux réseaux d'échanges de savoirs, aux monnaies locales par exemple. Ces licences, contrats et systèmes d'échange, traduisent dans un dispositif pratique, les principes que nous cherchons à défendre. L'appropriation des biens communs exige de les faire rentrer dans le quotidien et de les rendre aussi banals que la transaction commerciale.</p> <p>Dès lors, il pourrait être utile, pour contribuer à l'appropriation des biens communs, d'entretenir un inventaire de ces pratiques, afin de décrypter pour chaque régime de production, ses avantages et inconvénients et de disposer d'une mémoire de l'expérience des mouvements sociaux. Ne serait-il pas en effet plus utile de disposer d'une documentation exhaustive des expériences faites dans l'appropriation de biens communs plutôt que de la liste de ce qui devrait être classé dans cette catégorie ?</p> <p>Cette forme de documentation de l'expérience des biens communs par les citoyens eux-mêmes, à côté de la connaissance théorique, est certainement le fonds sur lequel les mouvements sociaux peuvent s'appuyer pour politiser cette notion. Les Forums sociaux mondiaux, qui ont donné naissance au Manifeste pour la récupération des biens communs sont un des lieux privilégiés pour que cette question devienne l'un des piliers d'une alternative sociale et politique capable de redessiner les perspectives et les luttes engagées par les mouvements sociaux.</p></div> <hr /> <div class='rss_notes'><p>[<a href='#nh1' id='nb1' class='spip_note' title='Notes 1' rev='footnote'>1</a>] Ce livre comporte quelques exemples, tels le Manifeste du Domaine Public promu par le réseau Communia, ou la Déclaration du Cap sur les Ressources éducatives libres.</p> <p>[<a href='#nh2' id='nb2' class='spip_note' title='Notes 2' rev='footnote'>2</a>] Quelques personnes membres de l'association Vecam (<a href="http://vecam.org/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow'>http://vecam.org</a>) et du groupe Richesse.</p> <p>[<a href='#nh3' id='nb3' class='spip_note' title='Notes 3' rev='footnote'>3</a>] UICN : Union internationale pour la conservation de la nature (<a href="http://uicn.org/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://uicn.org</a>)</p> <p>[<a href='#nh4' id='nb4' class='spip_note' title='Notes 4' rev='footnote'>4</a>] WWF International (<a href="http://www.wwf.org/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://www.wwf.org</a>)</p> <p>[<a href='#nh5' id='nb5' class='spip_note' title='Notes 5' rev='footnote'>5</a>] Le conservationisme représente un courant dans les milieux de la protection de la nature qui sépare celle-ci des humains qui vivent sur les aires « protégées ».</p> <p>[<a href='#nh6' id='nb6' class='spip_note' title='Notes 6' rev='footnote'>6</a>] « En 1986, la COICA (Coordinadora de las Organizaciones Indigenas de la Cuenca Amazonica) a établi des contacts avec les mouvements écologistes européens et américains pour les convaincre que les peuples indigènes sont les meilleurs gardiens de la biosphère amazonienne et que la sauvegarde de ce milieu est nécessairement liée à celle des peuples qui l'habitent et l'entretiennent depuis des siècles. En octobre 1989, une délégation de la COICA se rend aux États-Unis pour persuader les représentants des deux courants écologistes (environnementalistes / conservationnistes) qu'il faut dialoguer et faire alliance. », in Revendications et stratégies politiques des organisations indigènes amazoniennes, Françoise Morin, Université Toulouse Le Mirail.</p> <p>[<a href='#nh7' id='nb7' class='spip_note' title='Notes 7' rev='footnote'>7</a>] Culture, nature, nationalisme et internationalisme, L'exemple des Yanomami et des Peuples du Bassin Amazonien, Pierrette Birraux-Ziegler, <a href="http://civilisations.revues.org/index1621.html" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://civilisations.revues.org/ind...</a></p> <p>[<a href='#nh8' id='nb8' class='spip_note' title='Notes 8' rev='footnote'>8</a>] François Houtart, fondateur du CETRI, professeur émérite de l'Université catholique de Louvain (UCL).</p> <p>[<a href='#nh9' id='nb9' class='spip_note' title='Notes 9' rev='footnote'>9</a>] Pour une déclaration universelle du bien commun de l'humanité, <a href="http://www.cetri.be/spip.php?article1153" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://www.cetri.be/spip.php?article1153</a></p> <p>[<a href='#nh10' id='nb10' class='spip_note' title='Notes 10' rev='footnote'>10</a>] À lire sur le blog du manifeste pour la récupération des biens communs : <a href="http://bienscommuns.org/blog/?p=1223" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://bienscommuns.org/blog/?p=1223</a></p> <p>[<a href='#nh11' id='nb11' class='spip_note' title='Notes 11' rev='footnote'>11</a>] Agricultures et paysanneries des Tiers-mondes, Marc Dufumier, Khartala, 2004.</p></div> <div class='rss_ps'><p>***********************************************************************************</p> <p><span class='spip_document_1049 spip_documents spip_documents_left' style='float:left; width:150px;'> <img src='http://vecam.org/IMG/jpg/frederic_sultan150x148.jpg' width="150" height="148" alt="" /></span></p> <p><i>Frédéric Sultan est membre de Vecam, association qui milite pour la démocratisation des enjeux liés aux technologies d'information et de communication et membre de AITEC, association mobilisée pour développer l'expertise citoyenne.</p> <p>Il a coordonné le premier Forum mondial Sciences & Démocratie en 2009 et participé à la rédaction de ce manifeste. Il a coordonné des initiatives et des projets internationaux tels que Fragments du monde, I-Jumelages et Diaspora Knowledge Network.</p> <p>Après une carrière de permanent d'associations dans le secteur social et culturel, il a travaillé à Vecam (2000 à 2008) puis fondé la société coopérative Gazibo qui fournit des services de consulting, de formation et d'animation autour de l'usage collaboratif des outils numériques.</i></p> <p>***********************************************************************************</p></div> 3 - Manifeste pour la récupération des biens communs http://vecam.org/article1306.html http://vecam.org/article1306.html 2011-05-02T19:00:00Z text/html fr Creative Commons La privatisation et la marchandisation des éléments vitaux pour l'humanité et pour la planète sont plus fortes que jamais. Après l'exploitation des ressources naturelles et du travail humain, ce processus s'accélère et s'étend aux connaissances, aux cultures, à la santé, à l'éducation, aux communications, au patrimoine génétique, au vivant et à ses modifications. Le bien-être de tous et la préservation de la Terre sont sacrifiés au profit financier à court terme de quelques-uns. Les conséquences de ce (...) - <a href="http://vecam.org/rubrique135.html" rel="directory">Libres savoirs, les biens communs de la connaissance</a> / <a href="http://vecam.org/mot17.html" rel="tag">Creative Commons</a> <div class='rss_texte'><p>La privatisation et la marchandisation des éléments vitaux pour l'humanité et pour la planète sont plus fortes que jamais. Après l'exploitation des ressources naturelles et du travail humain, ce processus s'accélère et s'étend aux connaissances, aux cultures, à la santé, à l'éducation, aux communications, au patrimoine génétique, au vivant et à ses modifications. Le bien-être de tous et la préservation de la Terre sont sacrifiés au profit financier à court terme de quelques-uns.</p> <p>Les conséquences de ce processus sont néfastes. Elles sont visibles et connues de tous : souffrance et mort de ceux qui ne peuvent accéder aux traitements brevetés et que la recherche orientée vers un profit commercial néglige, destruction de l'environnement et de la biodiversité, réchauffement climatique, dépendance alimentaire des habitants des pays pauvres, appauvrissement de la diversité culturelle, réduction de l'accès à la connaissance et à l'éducation par l'établissement du système de propriété intellectuelle sur la connaissance, impact néfaste de la culture consumériste.</p> <p>Le Forum Social Mondial de 2009, à Belém, Pará, au Brésil, se déroule au moment particulier où la globalisation néolibérale, dominée par des marchés financiers hors de tout contrôle public, échoue spectaculairement. Il se produit aussi au moment où émerge une prise de conscience qu'il y a des biens d'usage commun à tous les êtres humains, et à la nature elle-même, lesquels ne peuvent en aucun cas être privatisés ou considérés comme des marchandises.</p> <p>Cette prise de conscience s'appuie sur une vision de la société qui place le respect des droits humains, la participation démocratique et la coopération au cœur de ses valeurs. Les initiatives alternatives se développent dans de nombreux domaines pour la défense de l'eau et des fleuves, de la terre, des semences, de la connaissance, de la science, des forêts, des mers, du vent, des monnaies, de la communication et des intercommunications, de la culture, de la musique et des autres arts, des technologies ouvertes et du logiciel libre, des services publics d'éducation et de santé, de l'assainissement, de la biodiversité et des connaissances ancestrales.</p> <p>Les signataires du présent Manifeste, lancé au Forum Social Mondial de 2009, appellent tous les citoyens du monde et leurs organisations à s'engager dans l'action pour la récupération et la mise en commun des biens de l'humanité et de la planète, présents et à venir, afin que leur gestion soit assumée dans une démarche participative et collaborative par les personnes et les communautés concernées et à l'échelle de l'humanité dans la perspective d'un monde soutenable.</p> <p>Les signataires appellent tous les citoyens du monde et leurs organisations à approfondir la notion de biens communs, à partager leurs approches et leurs expériences pour la dé-privatisation et la dé-marchandisation des biens communs de l'humanité et de la planète, à articuler les luttes de leurs propres organisations, en renforçant mutuellement leurs campagnes et leurs initiatives.</p></div> PREMIÈRE PARTIE http://vecam.org/article1331.html http://vecam.org/article1331.html 2011-05-02T18:45:00Z text/html fr Creative Commons Bien que les communs de l'immatériel – connaissances scientifiques, éducation, web… – soient au cœur de cet ouvrage, nous avons tenu à inviter des contributeurs engagés dans des communautés liées aux semences, aux médicaments ou encore aux objets du numérique. Un même fil rouge relie ces différents engagements : rendre aux savoirs, savants ou profanes, leur capacité de circulation et de partage, assurer aux communautés qui en sont à l'origine une maîtrise des conditions de cette circulation, assurer (...) - <a href="http://vecam.org/rubrique135.html" rel="directory">Libres savoirs, les biens communs de la connaissance</a> / <a href="http://vecam.org/mot17.html" rel="tag">Creative Commons</a> <div class='rss_texte'><p>Bien que les communs de l'immatériel – connaissances scientifiques, éducation, web… – soient au cœur de cet ouvrage, nous avons tenu à inviter des contributeurs engagés dans des communautés liées aux semences, aux médicaments ou encore aux objets du numérique. Un même fil rouge relie ces différents engagements : rendre aux savoirs, savants ou profanes, leur capacité de circulation et de partage, assurer aux communautés qui en sont à l'origine une maîtrise des conditions de cette circulation, assurer l'équilibre entre intérêts collectifs – qu'il s'agisse de santé publique, de sécurité alimentaire ou d'accès à la science – d'une part et rétribution des différents acteurs de la chaîne de valeur marchande de la création et de l'innovation.</p> <p><img src="http://vecam.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-1d287.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> Les communs de la recherche scientifique et de la santé <br /><img src="http://vecam.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-1d287.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> Nourrir l'humanité : les semences et les savoirs paysans <br /><img src="http://vecam.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-1d287.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> Contenus culturels, contenus éducatifs : les outils d'une circulation universelle <br /><img src="http://vecam.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-1d287.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> Partager en réseau ouvert : les communs du numérique</p> <p>**************************************************************</p> <h3 class="spip">Les communs de la recherche scientifique et de la santé</h3> <p>Après nous avoir rappelé les principes essentiels des biens communs tels qu'élaborés par Elinor Ostrom, Charlotte Hess invite la communauté scientifique à poursuivre la recherche théorique dans le champ des communs. <br />— <i><a href="http://vecam.org/article1307.html" class=''>4 - Inscrire les communs de la connaissance dans les priorités de recherche</a>, Charlotte Hess</i>.</p> <p>Amit Sengupta et Prabir Purkayastha rappellent la science à ses ambitions premières, tandis que Jean-Claude Guédon et Philippe Aigrain nous exposent les multiples initiatives qui d'ores et déjà « restaurent la république des sciences. <br />— <i><a href="http://vecam.org/article1308.html" class=''>5 - Replacer les besoins humains au cœur de la science</a>, Amit Sengupta et Prabir Purkayastha</i>. <br />— <i><a href="http://vecam.org/article1309.html" class=''>6 - Connaissance, réseaux et citoyenneté : pourquoi le libre accès ?</a>, Jean-Claude Guédon</i>. <br />— <i><a href="http://vecam.org/article1310.html" class=''>7 - De l'accès libre à la science ouverte</a>, Philippe Aigrain</i>.</p> <p>L'étude menée par Leslie Chan, Subbiah Arunachalam et Barbara Kirsop montre à travers des indicateurs exigeants l'impact positif des initiatives de libre accès en matière de sciences de la santé. <br />— <i><a href="http://vecam.org/article1311.html" class=''>8 - La chaîne de la communication dans les sciences de la santé : des chercheurs aux praticiens, l'impact du libre accès</a>, Leslie Chan, Subbiah Arunachalam et Barbara Kirsop</i>.</p> <p>Mais Gaëlle Krikorian nous rappelle que le partage des informations de santé se heurte à un mouvement pro-propriété intellectuelle. Celui-ci a su se doter d'institutions internationales fortes, et sort renforcé par des accords diplomatiques bilatéraux qui privent en grande partie les pays les plus pauvres d'un accès aux médicaments. <br />— <i><a href="http://vecam.org/article1312.html" class=''>9 - Accès à la santé ou renforcement des droits de propriété intellectuelle : enjeux des normes internationales</a>, Gaëlle Krikorian</i>.</p> <p>**************************************************************</p> <h3 class="spip">Nourrir l'humanité : les semences et les savoirs paysans</h3> <p>Guy Kastler nous aide à cheminer dans les dispositifs juridiques internationaux complexes et dans leurs détournements qui confisquent peu à peu aux paysans leurs droits les plus élémentaires sur les semences. Processus illustré par l'histoire du maïs mexicain, une semence imprégnée de mythes et de culture, confrontée aux multinationales de l'agro-industrie que nous décrivent Adelita San Vicente Tello et Areli Carreón. Si ce sont essentiellement les paysans du Sud qui sont victimes de la biopiraterie, l'appauvrissement de la diversité biologique et la marchandisation systématique des semences concernent l'ensemble de la paysannerie mondiale. Parce qu'elles sont le support des savoirs paysans, les semences, menacées d'enclosures par les régimes de propriété intellectuelle, participent pleinement des biens communs de la connaissance. <br />— <i><a href="http://vecam.org/article1313.html" class=''>10 - Les paysans sont-ils les protecteurs des semences locales ?</a>, Guy Kastler</i>. <br />— <i><a href="http://vecam.org/article1314.html" class=''>11 - Mainmise sur les semences du maïs dans son berceau d'origine et de diversité génétique</a>, Adelita San Vicente Tello et Areli Carreón</i>. <br />— <i><a href="http://vecam.org/article1315.html" class=''>12 - Biopiraterie</a></i></p> <p>**************************************************************</p> <h3 class="spip">Contenus culturels, contenus éducatifs : les outils d'une circulation universelle</h3> <p>Hala Essalmawi nous raconte le processus par lequel la nouvelle Bibliothèque d'Alexandrie a fait émerger dans les pays arabes et en Égypte, les licences Creative Commons. Elle nous montre comment ces contrats destinés à favoriser la circulation des contenus en ligne rencontre une histoire de partage culturel et s'impose comme un outil essentiel dans des régimes juridiques pour lesquels les droits de propriété intellectuelle sont récents. Dans la foulée de la Déclaration du Cap qui promeut les ressources libres dans les pratiques pédagogiques, Ahrash Bissell et James Boyle reviennent sur le mouvement de construction pas à pas de Ressources éducatives libres (REL/OER – Open Educational Ressources). Ils insistent sur l'interopérabilité technique autant que juridique nécessaire au partage entre enseignants et en direction des apprenants. <br />— <i><a href="http://vecam.org/article1316.html" class=''>13 - Partage de la création et de la culture : les licences Creative Commons dans le monde arabe</a>, Hala Essalmawi</i>. <br />— <i><a href="http://vecam.org/article1317.html" class=''>14 - Vers la création d'un bien commun au service de l'enseignement</a>, Ahrash Bissell et James Boyle</i>. <br />— <i><a href="http://vecam.org/article1319.html" class=''>15 - Déclaration du Cap : Débrider le potentiel des ressources éducatives partagées</a></i>.</p> <p>**************************************************************</p> <h3 class="spip">Partager en réseau ouvert : les communs du numérique</h3> <p>Au cœur du monde numérique, Hervé le Crosnier revisite l'expérience fondatrice des logiciels libres, mouvement structurant dans l'histoire des biens communs. Valérie Peugeot s'interroge sur la capacité du web de demain, un web tissé de données, à laisser circuler une portion de ces dernières librement. Michel Bauwens nous montre que le numérique peut aussi produire une forme de re-matérialisation, et que celle-ci s'envisage aussi autour de processus collaboratifs et ouverts, qui s'inscrivent dans la mouvance des biens communs. <br />— <i><a href="http://vecam.org/article1320.html" class=''>16 - Leçons d'émancipation : l'exemple du mouvement des logiciels libres</a>, Hervé Le Crosnier</i>. <br />— <i><a href="http://vecam.org/article1322.html" class=''>17 - Le web des données laisse-t-il une place au bien commun ?</a>, Valérie Peugeot</i>. <br />— <i><a href="http://vecam.org/article1323.html" class=''>18 - Du design ouvert aux fabrications coopératives</a>, Michel Bauwens</i>.</p></div> 4 - Inscrire les communs de la connaissance dans les priorités de recherche http://vecam.org/article1307.html http://vecam.org/article1307.html 2011-05-02T18:30:00Z text/html fr Charlotte Hess vecam-F Creative Commons Article inédit. Titre original : The Knowledge Commons as a Critical New Research Agenda. Traduit de l'anglais par Valérie Peugeot. Cet article est une voie d'entrée pour aborder les nombreuses publications, dans le monde anglo-saxon, sur le sujet des communs, et pour documenter l'émergence du concept de biens communs de la connaissance. Une très importante bibliographie nous a été fournie par Charlotte Hess, qui a créé et longtemps dirigé la Bibliothèque numérique des communs. Quand Elinor Ostrom (...) - <a href="http://vecam.org/rubrique135.html" rel="directory">Libres savoirs, les biens communs de la connaissance</a> / <a href="http://vecam.org/mot49.html" rel="tag">vecam-F</a>, <a href="http://vecam.org/mot17.html" rel="tag">Creative Commons</a> <div class='rss_chapo'><p><i>Article inédit. Titre original : The Knowledge Commons as a Critical New Research Agenda. Traduit de l'anglais par Valérie Peugeot.</p> <p>Cet article est une voie d'entrée pour aborder les nombreuses publications, dans le monde anglo-saxon, sur le sujet des communs, et pour documenter l'émergence du concept de biens communs de la connaissance. Une très importante bibliographie nous a été fournie par Charlotte Hess, qui a créé et longtemps dirigé la Bibliothèque numérique des communs.</i></p></div> <div class='rss_texte'><p>Quand Elinor Ostrom reçut le Prix Nobel d'économie en octobre 2009, ce fut en récompense de « son analyse de la gouvernance économique, en particulier sur les communs ». Bien que l'essentiel de son travail sur les biens communs ait porté sur la gestion commune des ressources naturelles, elle s'est également attelée à une approche de la connaissance comme bien commun complexe et global. Cet article s'inspire des travaux que nous avons menés ensemble sur les biens communs de la connaissance [<a href='#nb2-1' class='spip_note' rel='footnote' title='Understanding Knowledge As a Commons : From Theory to Practice, sous la (...)' id='nh2-1'>1</a>] ainsi que de mes travaux plus récents sur les nouveaux biens communs.</p> <p>Quelques années à peine après les débuts du World Wide Web au tournant des années 90, quand le public a commencé à utiliser l'internet et à y participer massivement, le terme « communs » est apparu de plus en plus fréquemment [<a href='#nb2-2' class='spip_note' rel='footnote' title='On trouvera des exemples dans Golich (1991) ; Boyle (1992) ; Felsenstein (...)' id='nh2-2'>2</a>]. Le concept des communs a immédiatement véhiculé l'idée qu'il s'agissait d'une ressource partagée. Certains, confrontés à un internet apparemment non régulé, annonçaient une nouvelle tragédie des communs, suivant les termes de Hardin. Pour d'autres, cette référence aux communs aidait à conceptualiser ce nouveau domaine virtuel, dont les territoires se situent quelque part entre les biens privés, les biens gérés par la puissance publique et les purs biens publics. Cette approche évoquait la structure horizontale de l'internet en même temps que l'importance de l'action individuelle respectueuse du bien commun. Les communs fournissaient un cadre d'analyse clair pour les nouvelles formes virtuelles d'actions collectives et de contradictions sociales. Ceci était d'autant plus utile que l'on commençait à observer sur le web des attitudes et phénomènes classiques liés aux ressources de propriété partagée (CPR – Common-Pool Resources) – congestion, parasitisme, phénomène du passager clandestin, conflits, abus, et « pollution » –, tout en notant que cette nouvelle manière de distribuer de l'information ne correspondait ni à la gestion d'une ressource privée, ni à celle d'une ressource publique, mais plutôt quelque chose que nous partagions tous. Pour certains, comme Howard Rheingold, il s'agissait d'une nouvelle forme de communauté virtuelle sympathique, quand d'autres n'y voyaient que des comportements asociaux.</p> <p><strong>Contexte de l'étude sur les communs</strong></p> <p>De façon assez surprenante, les communs ne sont devenus un champ d'étude reconnu que très récemment, il y a à peine quelques décennies [<a href='#nb2-3' class='spip_note' rel='footnote' title='Voir Understanding knowledge as a commons, op. cit. pour une description (...)' id='nh2-3'>3</a>]. Quand le biologiste Garrett Hardin écrivit son article séminal dans la revue Science en 1968, la plupart des gens n'avaient jamais entendu parler des communs. Aussi la première prise de contact avec ce concept les a amenés à penser que toute personne qui partage des ressources agit nécessairement en fonction de son propre intérêt et détruit les communs, à moins d'une intervention d'une autorité gouvernementale ou d'une privatisation.</p> <p>Le thème est devenu un sujet d'étude à part entière au milieu des années 80, quand un groupe interdisciplinaire d'universitaires s'est réuni pour fonder l'IASCP (International Association for the Study of Common Property)[Cette association a été rebaptisée en 2007 : International Association for the Study of Commons.]]. La plupart de ces chercheurs et praticiens travaillaient sur les systèmes des peuples autochtones pour la gestion commune des ressources naturelles, systèmes qui fonctionnaient plutôt bien. Leurs observations de terrain contredisaient radicalement la théorie de Hardin et la plupart s'attachaient à la réfuter en présentant des expériences réussies de gestion commune. C'est bien entendu ce à quoi s'est attachée avec succès Lin Ostrom à travers son livre fondamental, Governing the Commons : The Evolution of Collective Action (1990).</p> <p>Les premiers chercheurs de l'IASCP ont concentré leurs travaux sur les règles, les droits de propriété et les formes d'action collective. Ils ont étudié de près différents types de contradictions sociales qui fragilisent les communs comme le parasitage, la non-conformité, et la surconsommation. Ils ont également documenté les fragilités des communs face à différentes formes d'enclosure.</p> <p><strong>Les nouveaux communs</strong></p> <p>Cette toile de fond nous aide à réaliser à quel point l'étude de la connaissance comme bien commun est neuve, tout comme celle des autres nouveaux communs (Hesse, 2009). Les nouveaux communs sont des communs qui sont apparus, ont évolué ou ont été reconnus comme tels récemment. Parfois, ce sont de nouvelles technologies qui ont donné naissance à certains de ces nouveaux communs, en créant de nouveaux types de ressources partagées, comme le réseau internet ou les données génétiques. D'autres catégories de nouveaux communs sont constituées de ressources publiques partagées qui ont été requalifiées en communs, comme les arbres des rues, les trottoirs, les aires de jeu, les jardins publics, les hôpitaux, les sites historiques et les zones touristiques. Des ressources naturelles pour lesquelles apparaissent de nouveaux usages ou de nouvelles institutions, comme des paysages, des aires naturelles protégés, le contrôle des nuisibles en agriculture, ou l'usage des océans comme pistes de surf constituent également de nouveaux communs.</p> <p>Il convient de noter dans toute étude sur les nouveaux communs à quel point nous en savons peu sur eux et sur leur fonctionnement. Contrairement aux systèmes de gestion des ressources naturelles des peuples autochtones, il ne préexiste ni règle, ni communauté définie, ni histoire.</p> <p><strong>Connaissance</strong></p> <p>Ma recherche sur les communs de la connaissance se concentre spécifiquement sur les savoirs scientifiques, académiques et culturels, car en tant que bibliothécaires, une des questions majeures à laquelle nous sommes confrontés est l'avenir incertain des productions universitaires. La manière dont nous allons rassembler, organiser, diffuser et protéger ces communs des connaissances affectera en profondeur l'avenir de nos sociétés. Selon moi, l'étude des communs de la connaissance consiste à chercher les meilleures méthodes pour partager et protéger au mieux toutes les formes de connaissances nécessaires à l'émergence de nouveaux savoirs. Et ceci à une époque où les connaissances scientifiques doublent chaque année. Nous avons également besoin d'identifier dans ce déluge d'informations quelles seront à l'avenir les connaissances nécessaires à un développement scientifique, social, politique, artistique, économique et intellectuel. Les propos désormais classiques de Hayek constituent un utile rappel à l'ordre :</p> <p>« […] pour le plus grand nombre, ce serait une hérésie de suggérer que les connaissances scientifiques n'englobent pas l'ensemble de tous les savoirs. Une petite prise de recul montre cependant qu'il existe un ensemble à la fois important et désorganisé de connaissances qui ne peuvent être qualifiées de scientifiques, au sens où il ne s'agit pas d'un savoir établi selon des règles générales : ce sont les savoirs liés à des circonstances de temps et de lieu particulières. »</p> <p>Autrement dit, nous avons autant besoin de la moindre parcelle de savoir local que des connaissances scientifiques. À travers les communs des connaissances, nous commençons également à comprendre qu'il existe toutes sortes de savoirs partagés, imbriqués et entrelacés, chacun d'entre eux répondant à des exigences de temps et de lieu différentes.</p> <p>Les communs de la connaissance, en tant qu'ensemble, incluent toutes les formes de savoirs qui ont besoin d'être rendus disponibles pour faciliter la production de nouvelles connaissances, poursuivre un enseignement qui fasse sens et protéger la tradition d'une science ouverte. Conformément à l'idéal mertonien, reconnaître le rôle fondamental des communs de la connaissance appelle une meilleure compréhension de l'importance d'un accès équitable à l'information globale, et, dans le même temps, une protection des savoirs des peuples autochtones, ceci autant contre la piraterie que contre les menaces de leur propre disparition. C'est un élément fondamental de justice que de défendre l'accès libre et gratuit aux savoirs.</p> <p>Depuis l'essor d'internet, la nature de la connaissance en tant que ressource a été bouleversée. Pour une part, la connaissance est devenue un bien auquel tout un chacun, aux quatre coins du monde, veut accéder et qu'il ou elle s'attend à obtenir au moment précis où s'exprime son besoin. Des décisions fondamentales s'appuient sur l'accès à de nouveaux savoirs (quand le raz-de-marée atteindra-t-il la Thaïlande ? ou quel est le meilleur traitement pour le glioblastome ?) ; tout comme des choix parfaitement triviaux (qui sera le prochain « grand perdant » ?). Clifford Lynch a été le premier à formuler clairement les risques liés à ce changement :</p> <p>« La question dépasse largement celle de l'intégrité des éléments isolés comme les écrits, les images, les sons enregistrés, les vidéos, les fichiers de données, qui composent ces enregistrements. Les changements sont systémiques et souvent subtils. »</p> <p>Lynch désignait ainsi la fragilité croissante des publications numériques universitaires et les enjeux croissants de leur conservation.</p> <p><strong>La fragilité et vulnérabilité des communs de la connaissance</strong></p> <p>Les économistes utilisent fréquemment la « connaissance » comme une illustration adéquate de ce qu'est un bien public (cf. Figure A). La connaissance est considérée comme un bien non exclusif et non rival :</p> <p><span class='spip_document_1042 spip_documents spip_documents_center'> <img src='http://vecam.org/local/cache-vignettes/L400xH286/schema_biens_economiques400x268-e6c28.png' width='400' height='286' alt="" style='height:286px;width:400px;' /></span></p> <p><strong>Figure A. Schéma classique des différents types de biens économiques (d'après Ostrom & Ostrom 1997)</strong></p> <p>Ainsi, le savoir qui réside dans mon cerveau n'enlève rien au savoir qui se trouve dans le vôtre. Aujourd'hui cependant, l'idée de connaissance comme bien public disparaît de plus en plus. Les savoirs empaquetés sous forme numérique sont infiniment plus vulnérables aux enclosures, plus fragiles face aux risques de perte, et davantage susceptibles d'altération que les savoirs exprimés dans des livres et des journaux imprimés.</p> <p>Si les formats numériques facilitent l'accès aux contenus, ils permettent également de s'approprier ce qui fut longtemps « intangible ». Ce nouvel état de « susceptibilité d'appropriation par autrui » n'est pas spécifique au savoir. On observe des phénomènes similaires pour la plupart des biens communs globaux, comme par exemple lorsque l'on pollue le cosmos, ou que l'on drague le fond des mers avec des chalutiers (Buck, 1998). La multiplication des tronçonneuses dans les forêts, l'enregistrement sauvage de musique indigène (McCann) ou encore la capture par biopiraterie de codes génétiques (Shiva) constituent d'autres manifestations de cette « nouvelle vulnérabilité et susceptibilité d'appropriation ».</p> <p>Cette reconstruction de la rivalité rendue possible par les nouvelles technologies produit un changement fondamental dans la nature des ressources. Il existe de nombreuses méthodes pour clôturer les savoirs qui existent en format numérique. Conséquence de tout cela, de nombreux biens autrefois publics deviennent soit des biens communs, soit des biens à péage (clubs), voire même des biens privés. Ces nouvelles possibilités d'appropriation transforment des ressources partagées qui avaient jusqu'ici les qualités de non rivalité et de non exclusivité propres aux biens publics en ressources de propriété partagée (CPR) qui nécessitent d'être protégées et gérées pour éviter qu'elles ne soient clôturées.</p> <p><span class='spip_document_1041 spip_documents spip_documents_center'> <img src='http://vecam.org/local/cache-vignettes/L400xH269/agressions400x269-9b088.png' width='400' height='269' alt="" style='height:269px;width:400px;' /></span></p> <p><strong>Figure B. Les agressions envers les biens publics</strong></p> <p>La susceptibilité d'appropriation, et par conséquent la vulnérabilité du savoir en format numérique, vient renforcer la prodigieuse complexité de cette ressource. Les productions culturelles et universitaires numériques sont dans des situations qui renforcent cette complexité : coexistence de différentes strates de technologies informationnelles distribuées ; renforcement rapide des Droits de Propriété Intellectuelle (DPI) ; application d'anciens DPI inadaptés ; augmentation des usages concurrents et multiples par des communautés d'utilisateurs hétérogènes ; enjeu des migrations logicielles, concentration des bases de données essentielles ; incertitude économique ; et enfin absence fréquente de structures institutionnelles. Une situation qui accentue les défis de la maintenance et de la préservation sur le long terme des publications de recherche.</p> <p><strong>Deux récits : les enclosures face aux promoteurs des communs</strong></p> <p>L'historien Peter Linebaugh fait remonter le concept des communs à l'établissement en Angleterre de la Grande Charte (Magna Carta) et de la Charte des Forets (1215, 1217) [<a href='#nb2-4' class='spip_note' rel='footnote' title='Voir Linebaugh (2008), pp. 6, 22+, 82 ; L'introduction du livre de Peter (...)' id='nh2-4'>4</a>]. Il observe qu'à peine établis, les biens communs étaient menacés d'enclosure. Des menaces qui se sont concrétisées dans le « Mouvement des enclosures », très marqué dans l'Angleterre de la fin du XVIe siècle. Aujourd'hui, alors que différentes forces cherchent à privatiser ou dominer les ressources partagées, ces menaces d'enclosures sont toujours d'actualité. Cependant un contre-récit se met en place. Il repose sur l'action collective et puissante des promoteurs des communs qui en défendent les droits. Linebaugh cite l'exemple ancien du mouvement anglais des Levellers qui se sont battus durant toute la seconde moitié du XVIIe siècle pour le « droit, la liberté, la sécurité et le bien-être de tous les hommes, femmes et enfants en Angleterre ».</p> <p>On retrouve aujourd'hui dans les communs du savoir ces mêmes forces concurrentes, celle des enclosures et celle de l'action collective. Les enclosures dans le domaine des connaissances peuvent inclure la transformation en biens marchands (commoditization) d'idées intellectuelles jusqu'alors non marchandes, ainsi que des informations factuelles et des données. Elles concernent également les formes de privatisation et mainmise par de grandes compagnies sur des savoirs dont l'accès était jusqu'alors libre et souvent gratuit. Les enclosures peuvent aussi être liées à des pertes d'information découlant d'une mauvaise conservation, de restrictions gouvernementales ou au contraire d'un désengagement de leur part, ou encore à des formes de négligence ou d'abandon (la durée de vie moyenne d'une page web est seulement de 77 jours !) [<a href='#nb2-5' class='spip_note' rel='footnote' title='voir Internet Archive FAQs at http://www.archive.org/about/faqs.php' id='nh2-5'>5</a>].</p> <p>Aux débuts d'internet, les enclosures se manifestaient sous la forme de congestion du réseau, liée à la faiblesse de la bande passante (Huberman et Lukose ; Bernbom, 2000). Ceci débouchait sur un manque de ressources qui à son tour générait des inégalités d'usage comme l'apparition de passagers clandestins ou l'usage excessif par certains au détriment des autres. De nos jours, la congestion n'est quasiment plus un problème dans les pays occidentaux, mais demeure un obstacle à l'accès à l'internet dans les pays en développement. Dans la plupart de ces pays les baisses de tension électrique, le manque de matériel et de logiciel, de connectivité ou celui d'expertise informatique, génèrent des enclosures du savoir (voir aussi Brin, 1995 ; Hess, 1996 ; Bollier, 2002 ; Shulman, 2002). De façon quasi subliminale, dans un environnement numérique, on constate une « nature quasi privée du savoir technologisé » (Antonelli, 2002).</p> <p>Le renforcement rapide des droits de propriété intellectuelle a été à juste titre qualifié de « second mouvement des enclosures » (Boyle, 2003). Des chercheurs comme Larry Lessig, Pamela Samuelson, et Ben Klemens se sont émus devant la privatisation de pans entiers du domaine public, tels que des informations scientifiques, du code logiciel et des compilations de faits dans des bases de données (voir également Yochaï Benkler, 1999 et Edward Lee, 2003). Des lois d'enclosure, empêchant le libre partage de l'information se sont multipliées, à l'image du Digital Millennium Copyright Act [<a href='#nb2-6' class='spip_note' rel='footnote' title='NdT : Aux États-Unis.' id='nh2-6'>6</a>], de la Directive européenne sur les bases de données, du U.S. Copyright Term Extension Act. La course en avant aux brevets, en particulier dans le champ pharmaceutique et dans l'industrie logicielle, compromet le futur de la recherche scientifique (Maskus et Reichman, Reichman et Uhlir ; David, 2000 ; Rai, 1999). Michael Heller, à travers son article paru en 1998, La tragédie des anti-communs, dans lequel sont mises en avant les conséquences de la sous-utilisation de ressources intellectuelles due à l'excès de brevets, a ouvert un nouveau champ de recherche particulièrement fécond. Une recherche récente sur LexisNexis [<a href='#nb2-7' class='spip_note' rel='footnote' title='NdT : LexisNexis est une société américaine qui offre un accès à ses archives (...)' id='nh2-7'>7</a>] identifie 973 articles publiés dans les revues juridiques qui se réfèrent aux anti-communs [<a href='#nb2-8' class='spip_note' rel='footnote' title='Données actualisées au 6 décembre 2009.' id='nh2-8'>8</a>]. La pénétration des entreprises dans l'éducation supérieure, qui met en danger la tradition de la science ouverte au même titre que la liberté de penser des universitaires, constitue une autre source de profonde inquiétude. Kranich (2003), Webster (2002), Stuart (2004), Vaidhyanathan (2002) et d'autres ont tiré la sonnette d'alarme sur les nombreuses menaces qui planent sur l'avenir des bibliothèques universitaires : la restriction de l'accès aux publications scientifiques numérisées suite aux contrats imposés par les éditeurs ; la réduction de l'espace des usages légitimes (fair use [<a href='#nb2-9' class='spip_note' rel='footnote' title='NdT : Le fair use regroupe des exceptions au droit d'auteur qui autorisent (...)' id='nh2-9'>9</a>]) dans l'environnement numérique ; les prix prohibitifs des revues scientifiques ; la baisse des budgets des bibliothèques universitaires et la moindre attention de la part des universités ; l'absence d'infrastructures institutionnelles pour conserver les publications numériques académiques ; les problèmes liés aux migrations logicielles ; les incertitudes sur le cloud computing et la préservation des données à long terme…</p> <p>Au cours des dix dernières années, la multiplication d'articles dont le titre commence par « à qui appartient… ? » n'est pas un hasard. Elle reflète la préoccupation croissante des auteurs face à la marchandisation et la privatisation de biens qui étaient jusqu'alors publics ou partagés par des communautés. Les travaux sur les nouvelles enclosures dans tous les domaines de l'activité humaine couvrent entre autres les champs suivants : le travail de recherche lui-même (McSherry, 2002) ; la biodiversité (Gepts, 2004) ; la culture (Clerc, 2002 ; Scafidi, 2005) ; les idées (Evans, 2002) ; l'histoire (Foner, 2002) ; l'information (Branscomb, 1994) ; la vie et notamment les données génétiques (Magnus, 2002) ; les cultures autochtones (M. Brown, 2003) ; les données scientifiques (Elliott, 2005) ; les ondes hertziennes (Snider, 2002).</p> <p>Les effets de la mondialisation et des régulations et traités internationaux sur les savoirs traditionnels et la culture sont complexes et profonds. Les lois, les traités, les brevets industriels, la biopiraterie sur le matériel génétique, la marchandisation des cultures traditionnelles (McCann) sont autant de forces qui menacent les cultures des peuples autochtones aux quatre coins du monde (voir également Posey, 2002 et Joranson, 2008). Vandana Shiva a parfaitement décrit l'enclosure des savoirs traditionnels :</p> <p>« L'enclosure de la biodiversité et des savoirs est l'ultime étape d'une série d'enclosures qui ont commencé avec l'arrivée du colonialisme. Les terres et les forêts furent les premières ressources à être clôturées et à passer du statut de bien commun à celui de marchandise. Plus tard, ce sont les ressources aquatiques qui ont été à leur tour clôturées, à travers des barrages, l'exploitation des nappes phréatiques et les plans de privatisation. Aujourd'hui, c'est au tour de la biodiversité et des savoirs de se voir enfermés par les droits de propriété intellectuelle. »</p> <p>Il existe toute une série d'autres types d'enclosures et de menaces qui débouchent sur une fragilisation permanente des communs du savoir. En tant que membres de la communauté des biens communs de la connaissance, nous nous devons de veiller et de contrecarrer ces menaces formelles et informelles d'enclosure.</p> <p><strong>Action collective et gestion participative</strong></p> <p>Jusqu'ici je n'ai fait qu'évoquer la fragilité, la vulnérabilité et le risque d'enclosure des connaissances numérisées. Mais il existe également une approche plus joyeuse de cette question complexe des communs. Les communautés virtuelles de construction des communs ont créé avec succès des cultures du partage. Que ce soit à travers Wikipédia et Facebook (Schwartz, 2009) ou les communautés du logiciel libre, les promoteurs des communs du savoir ont démontré leur volonté et capacité à s'engager dans des actions de collaboration en ligne, travaillant ensemble autour d'un objectif partagé en mobilisant des méthodes inconnues jusqu'ici dans le monde physique (Schweik, 2007). Yochai Benkler constitue certainement l'un des commentateurs les plus clairs et inspirés de ce mouvement. Dans son livre majeur La Richesse des Réseaux, il énonce :</p> <p>« Alors que les collaborations entre un vaste nombre d'individus se répandent, l'idée même d'engager des actions qui appellent des coopérations avec d'autres devient de plus en plus accessible, et la variété de projets que les individus peuvent choisir de faire leurs ne cesse de croître en qualité. » (p. 9)</p> <p>C'est profondément encourageant de constater qu'il existe au moins autant, si ce n'est plus, d'initiatives de ce côté joyeux des communs. Les efforts respectifs de Steven Harnad et Peter Suber pour promouvoir un accès ouvert universel aux publications scientifiques, se conjuguent pour tenter de sécuriser l'avenir des versions numériques. Les efforts considérables de Reichman, Dedeurwaerdere et Uhlir pour amener les chercheurs internationaux et les décideurs politiques à construire un commun global en microbiologie sont particulièrement innovants. À contre-courant des traités d'enclosure mentionnés plus haut, on trouve aussi de nouveaux traités internationaux, à l'instar du Traité international sur les ressources phytogénétiques, qui ouvrent de nouvelles perspectives en s'efforçant de définir et de maintenir les biens communs de la biodiversité (Halewood et Nnadozie). Les actions collectives entreprises en faveur des biens communs de la connaissance sont tellement nombreuses qu'il serait impossible de vouloir toutes les lister ici, mais en voici quelques autres exemples, livrés sans ordre particulier : le travail de Leslie Chan sur Bioline International, une coopérative d'édition universitaire à but non lucratif qui promeut un accès libre aux publications scientifiques de qualité dans les pays en développement [<a href='#nb2-10' class='spip_note' rel='footnote' title='Voir l'article de Leslie Chan, Subbiah Arunachalam et Barbara Kirsop dans (...)' id='nh2-10'>10</a>] ; les licences Creative Commons et Science Commons ; l'existence de textes de référence internationaux comme l'Initiative pour l'accès libre de Budapest (BOAI – Budapest Open Access Initiative) ou les autres initiatives pour les Archives ouvertes (OAI – Open Archives Initiative) ; les consortiums de bibliothèques universitaires pour organiser et partager la conservation tels LOCKSS, CLOKSS et Portico ; SPARC [<a href='#nb2-11' class='spip_note' rel='footnote' title='The Scholarly Publishing and Academic Resources Coalition.' id='nh2-11'>11</a>] et SPARC Europe ; les prises de position du Wellcome Trust [<a href='#nb2-12' class='spip_note' rel='footnote' title='Organisation caritative britannique de soutien à la recherche (...)' id='nh2-12'>12</a>] et du NIH (National Institutes for Health [<a href='#nb2-13' class='spip_note' rel='footnote' title='NIH : Agence publique états-unienne de recherche médicale.' id='nh2-13'>13</a>]) en faveur d'un accès libre aux résultats de la recherche médicale financée sur fonds publics ; les centaines d'initiatives collaboratives portées par des chercheurs et universitaires à travers le monde pour partager les contenus de bases de données et de sites web ; le travail inépuisable en faveur d'une négociation internationale autour des communs porté par Tasmin Rajotte (Tansey et Rajotte) ; les recherches de Lewis Hyde sur l'économie du don et celles de Peter Barnes sur les copropriétés des communs. La liste est interminable. Ce qui démontre bien la capacité de résilience des communs et la diversité des méthodes de partage et de coopération imaginées par les humains.</p> <p>Les chercheurs actuels et futurs doivent s'efforcer de documenter et comprendre différents aspects des biens communs de la connaissance. Pour mener cette tâche à bien, nous avons besoin de développer un vocabulaire et une terminologie efficaces et partagés et des outils d'analyse adaptés. Simultanément, il est urgent que tous les usagers comme les producteurs de l'information deviennent les gardiens vigilants des biens communs globaux de la connaissance.</p> <p><strong>Le processus d'analyse</strong></p> <p>Tout comme nos collègues qui se sont penchés sur les communs des ressources naturelles, nous avons besoin d'adopter une approche interdisciplinaire, afin de comprendre les interactions complexes qui sont à l'œuvre dans le domaine de la connaissance. En l'espèce, il nous faudra mobiliser les sciences informatiques, l'économie, le droit, les sciences politiques, la sociologie, etc. Nous pouvons pour cela utiliser le formalisme IAD (Institutional Analysis and Development Framework), un outil déjà largement utilisé et extrêmement utile, élaboré par Ostrom et ses collègues dans le cadre de l'atelier de théorie politique et d'analyse politique de l'Université d'Indiana. Il constitue un outil particulièrement précieux pour mieux comprendre les variables et interactions à l'œuvre dans les communs (cf. figure C).</p> <p>Ostrom et moi-même avons déjà mobilisé cet outil dans plusieurs publications, et notamment dans le chapitre III de Understanding knowledge as a commons. Une recherche avec le terme « Institutional Analysis and Development framework » dans la DLC (Digital Library</p> <p><span class='spip_document_1043 spip_documents spip_documents_center'> <img src='http://vecam.org/local/cache-vignettes/L400xH277/iad_framework400x277-d5b2b.png' width='400' height='277' alt="" style='height:277px;width:400px;' /></span></p> <p><strong>Figure C. Le cadre IAD – Institutional Analysis and Development framework.</strong></p> <p>of the Commons) [<a href='#nb2-14' class='spip_note' rel='footnote' title='http://dlc.dlib.indiana.edu/dlc/' id='nh2-14'>14</a>] fournit 306 résultats qui correspondent à autant d'applications de cet outil. L'identification des composants de la partie gauche du schéma (les multiples caractéristiques biophysiques d'une ressource, les différentes communautés d'usagers, les fournisseurs de connaissance, les opérateurs techniques etc., l'inventaire des règles et normes qui sont autant de leviers) sont des tâches essentielles qui sont souvent négligées dans la littérature. Cette partie gauche, qui rassemble les « caractéristiques endogènes », permet de prendre pleinement conscience du fait que l'étude des communs, de tous les communs, est aussi l'étude des relations entre des personnes et une ressource. Vincent Ostrom avait l'habitude de résumer l'étude des communs de la façon suivante :</p> <p>« Il s'agit de comprendre comment des gens par nature faillibles sont capables de se réunir, munis de leurs savoirs imparfaits et de prendre les décisions et élaborer les règles appropriées afin de gérer et maintenir une ressource. »</p> <p>La partie centrale du cadre d'analyse, l'arène de l'action, contient les contraintes de temps et d'espace : qui fait quoi à quel moment. Les méthodes d'analyse de la théorie des jeux peuvent s'appliquer dans cette arène de l'action, permettant de voir comment les gens se comportent en fonction de certaines variables. Il s'agit de l'arène des contradictions sociales et des coordinations/non-coordinations.</p> <p>Ces deux premières parties débouchent sur les conséquences. Le plus souvent les chercheurs partent de la conséquence, comme la congestion, ou une autre forme d'enclosure, et essaient de remonter le fil. Elinor Ostrom (1990) a mené l'analyse d'un vaste ensemble de ressources naturelles de biens communs caractérisées par leur caractère durable. Elle en a dégagé huit principes d'agencement, partagés par ces formes robustes des communs :</p> <p>— Les frontières des groupes considérés sont clairement définies ;</p> <p>— Les règles régissant l'usage des biens collectifs répondent aux besoins et spécificités locales ;</p> <p>— La plupart des individus concernés par ces règles peuvent le cas échéant participer à leur modification ;</p> <p>— Le droit des membres des communautés à élaborer leurs propres règles est respecté par les autorités extérieures ;</p> <p>— Un système de contrôle des comportements des membres de la communauté est mis en place ; cette surveillance est prise en charge par les membres de la communauté eux-mêmes ;</p> <p>— Un système de sanctions graduées est utilisé ;</p> <p>— Les membres de la communauté ont accès à des mécanismes de résolution des conflits peu coûteux ;</p> <p>— Pour les biens de propriété collective (CPR) qui sont des sous-ensembles de systèmes plus vastes : l'appropriation, la fourniture, la surveillance, l'exécution, la résolution des conflits et les activités de gouvernance, sont organisées en strates différentes et imbriquées.</p> <p>Il va sans dire que ces principes d'agencement ne sont pas nécessairement applicables aux communs de la connaissance. Mais, comme l'affirme mon ami Howard Rheingold, ils constituent un bon point de départ. Parmi ces principes, ceux qui me semblent constituer le meilleur point de départ pour les savoirs sont les règles d'appropriation, la participation dans l'élaboration des règles et les mécanismes de contrôle et de sanction. À ceux-ci je me permets d'ajouter de bonnes règles de communication. Nous avons souvent eu l'occasion d'évoquer les défauts du scénario de Hardin sur la tragédie des Communs, ce scénario si souvent utilisé pour souligner que la gestion en communs « nous conduirait à la ruine ». Et pourtant, l'une des vérités qu'il contient est que sans gestion et communication, les communs sont effectivement destinés à la ruine.</p> <p>Les meilleurs indicateurs de succès des communs de la connaissance – comme pour tous les communs d'ailleurs – demeurent les critères essentiels de l'équité, de l'efficacité et de la durabilité. L'équité couvre les questions d'une juste appropriation de la ressource considérée. L'efficacité traite de la production et gestion optimale de cette ressource. Et la durabilité s'intéresse aux conséquences à long terme.</p> <p><strong>Définition des communs</strong></p> <p>Au cours de notre analyse de la connaissance comme bien commun, Ostrom et moi-même nous sommes inspirées du vaste champ d'études interdisciplinaires sur les ressources naturelles partagées, telles que les forêts, les pêcheries et la vie sauvage. L'essentiel de la littérature en la matière s'est concentrée sur la gouvernance économique des ressources à propriété partagée (CPR) ou sur les droits de propriété, notamment les régimes de propriétés collectives. La littérature sur les communs a ainsi bien démontré que les ressources à usage ouvert (CPR) sont vulnérables face au phénomène dit du passager clandestin, au non-respect des règles, à la pollution, la dégradation et même au risque d'épuisement. La maintenance de telles ressources repose sur l'auto-organisation, l'autorégulation, la gestion participative et l'action collective.</p> <p>Au fur et à mesure que nous progressions dans notre réflexion sur les connaissances comme ressources partagées, nous étions de plus en plus convaincues que ce sujet constitue en lui-même un nouvel objet de recherche majeur. L'ouvrage auquel contribue cet article l'illustre bien. Mais au fur et à mesure que nous étudiions les connaissances comme communs et que nous commencions à en découvrir la complexité, nous sommes tombées d'accord pour utiliser le terme plus générique de « communs », plutôt que celui de « ressource partagée ». Le problème étant que ce terme de « communs », dans ce contexte, n'a jamais été vraiment défini (en tout cas pas de manière qui nous satisfasse). Aussi avons-nous proposé une définition aussi générale que possible : les communs sont des ressources partagées par un groupe de personnes.</p> <p>Entretemps cependant, mes recherches sur les nouveaux communs menées depuis 2007 (Hess, 2009), ont permis d'élaborer un schéma cohérent de vulnérabilité, tel qu'illustré par la figure B ci-dessus. Aussi, je suggère dorénavant la définition suivante : les communs sont des ressources partagées par un groupe de personnes et qui sont vulnérables aux dégradations et aux enclosures. Cette définition présente quatre composantes : elle met l'accent sur la relation entre les ressources et un groupe, une « communauté » ; elle désigne le partage comme étant le modus operandi ; elle souligne que la vitalité des ressources communes est fragile ; et qu'il existe une compétition pour leur usage et appropriation. Elle implique également la nécessité d'intégrer la protection et la durabilité des communs dans le choix de règles et de décisions sur leur usage et leur appropriation.</p> <p><strong>Conclusion</strong></p> <p>L'ouvrage que vous tenez dans les mains rassemble une large gamme de perspectives, d'approches et d'opinions sur les communs de la connaissance. J'ai cherché dans le cadre de cet article à considérer les communs du savoir comme un nouveau champ de recherche à investir. La double nature des communs – dynamique d'enclosures à travers les privatisations et la marchandisation d'un côté ; ouverture, partage, collaboration et action collective de l'autre – est incompatible avec la vision de ceux qui considèrent les communs comme une panacée. Un processus analytique rigoureux peut nous éviter de « porter un regard romantique sur les communs » et nous amener à comprendre plus en profondeur ce champ d'étude complexe, afin de mieux maintenir et protéger les productions culturelles et universitaires et tout ce que nous regroupons sous le concept des communs de la connaissance.</p> <h3 class="spip">Références bibliographiques</h3> <ul class="spip"><li> Antonelli, C. 2002. « The Governance of the Knowledge Commons », Universita di Tornino Working Series Paper No.03/2002. <a href="http://dlc.dlib.indiana.edu/dlc/handle/10535/3909" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://dlc.dlib.indiana.edu/dlc/han...</a></li><li> Argyres, Nicholas S., and Julia Porter Liebeskind. 1998. « Privatizing the Intellectual Commons : Universities and the Commercialization of Biotechnology », Journal of Economic Behavior and Organization 35 (4) : 427-454.</li><li> Barnes, Peter. 2006. Capitalism 3.0 : A Guide to Reclaiming the Commons. 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Voir la bibliographie complète en fin d'article.</p> <p>[<a href='#nh2-3' id='nb2-3' class='spip_note' title='Notes 2-3' rev='footnote'>3</a>] Voir Understanding knowledge as a commons, op. cit. pour une description historique plus complète.</p> <p>[<a href='#nh2-4' id='nb2-4' class='spip_note' title='Notes 2-4' rev='footnote'>4</a>] Voir Linebaugh (2008), pp. 6, 22+, 82 ; L'introduction du livre de Peter Linebaugh (The Magna Carta Manifesto : Liberties and commons for All) est traduite dans cet ouvrage : « Manifeste pour la Grande Charte ».</p> <p>[<a href='#nh2-5' id='nb2-5' class='spip_note' title='Notes 2-5' rev='footnote'>5</a>] voir Internet Archive FAQs at <a href="http://www.archive.org/about/faqs.php" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://www.archive.org/about/faqs.php</a></p> <p>[<a href='#nh2-6' id='nb2-6' class='spip_note' title='Notes 2-6' rev='footnote'>6</a>] NdT : Aux États-Unis.</p> <p>[<a href='#nh2-7' id='nb2-7' class='spip_note' title='Notes 2-7' rev='footnote'>7</a>] NdT : LexisNexis est une société américaine qui offre un accès à ses archives d'articles de journaux, magazines, textes de lois et de jurisprudences. LexisNexis appartient à présent au groupe anglo-néerlandais Reed Elsevier [source Wikipédia].</p> <p>[<a href='#nh2-8' id='nb2-8' class='spip_note' title='Notes 2-8' rev='footnote'>8</a>] Données actualisées au 6 décembre 2009.</p> <p>[<a href='#nh2-9' id='nb2-9' class='spip_note' title='Notes 2-9' rev='footnote'>9</a>] NdT : Le fair use regroupe des exceptions au droit d'auteur qui autorisent dans certaines limites des usages libres des œuvres. Il n'a pas d'équivalent strict en droit français, les notions de « copie privée » et « d'usages à finalité éducative » étant ce qui s'en rapproche le plus ; mais ces notions elles-mêmes sont remises en question par les lois récentes sur la propriété intellectuelle.</p> <p>[<a href='#nh2-10' id='nb2-10' class='spip_note' title='Notes 2-10' rev='footnote'>10</a>] Voir l'article de Leslie Chan, Subbiah Arunachalam et Barbara Kirsop dans cet ouvrage : La chaîne de la communication dans les sciences de la santé : des chercheurs aux praticiens, l'impact du libre accès.</p> <p>[<a href='#nh2-11' id='nb2-11' class='spip_note' title='Notes 2-11' rev='footnote'>11</a>] The Scholarly Publishing and Academic Resources Coalition.</p> <p>[<a href='#nh2-12' id='nb2-12' class='spip_note' title='Notes 2-12' rev='footnote'>12</a>] Organisation caritative britannique de soutien à la recherche biomédicale.</p> <p>[<a href='#nh2-13' id='nb2-13' class='spip_note' title='Notes 2-13' rev='footnote'>13</a>] NIH : Agence publique états-unienne de recherche médicale.</p> <p>[<a href='#nh2-14' id='nb2-14' class='spip_note' title='Notes 2-14' rev='footnote'>14</a>] <a href="http://dlc.dlib.indiana.edu/dlc/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://dlc.dlib.indiana.edu/dlc/</a></p></div> <div class='rss_ps'><p>***********************************************************************************</p> <p><span class='spip_document_1050 spip_documents spip_documents_left' style='float:left; width:150px;'> <img src='http://vecam.org/IMG/jpg/charlotte_hess_opt150x217.jpg' width="150" height="217" alt="" /></span></p> <p><i>Charlotte Hess est depuis 2008 vice-directrice pour la recherche, les collections et la communication académique à la Bibliothèque de l'Université de Syracuse. Elle y promeut et défend les biens communs de la connaissance, l'accès libre et la constitution de collections significatives de publications numériques de recherche et de culture, leur organisation, distribution et préservation. Avant d'exercer à Syracuse Charlotte Hess appartenait au Workshop in Political Theory and Policy Analysis de l'Université d'Indiana, où elle a créé la Digital Library of the Commons (Bibliothèque numérique des Communs – 1999-2008). Elle a été membre du directoire de l'International Association for the Study of the Commons, au titre de responsable de l'Information, de 1997 à 2009.</p> <p>Charlotte Hess a écrit de nombreux textes et présentations publiques sur les biens communs de la connaissance, et plus récemment sur les nouveaux communs. Elle a collaboré avec Elinor Ostrom sur plusieurs travaux, notamment la publication du livre Understanding Knowledge as a Commons : From Theory to Practice. MIT Press, 2007.</i></p> <p>***********************************************************************************</p></div> 5 - Replacer les besoins humains au cœur de la science http://vecam.org/article1308.html http://vecam.org/article1308.html 2011-05-02T18:00:00Z text/html fr Amit Sengupta, Prabir Purkayastha Creative Commons Article inédit. Titre original : The Struggle to Bring Back the “Public” into Science. Traduit de l'anglais par Julie Vivona. Ce sont les demandes du capital mondial, par le biais du marché, qui dessinent de plus en plus les directions que prennent les avancées en matière scientifique. Et c'est aujourd'hui ce qui constitue l'obstacle principal au développement scientifique en tant que système de connaissance destiné à servir le public. L'ordre économique néolibéral a besoin de valoriser le gain immédiat (...) - <a href="http://vecam.org/rubrique135.html" rel="directory">Libres savoirs, les biens communs de la connaissance</a> / <a href="http://vecam.org/mot17.html" rel="tag">Creative Commons</a> <div class='rss_chapo'><p><i>Article inédit. Titre original : The Struggle to Bring Back the “Public” into Science. Traduit de l'anglais par Julie Vivona.</i></p></div> <div class='rss_texte'><p>Ce sont les demandes du capital mondial, par le biais du marché, qui dessinent de plus en plus les directions que prennent les avancées en matière scientifique. Et c'est aujourd'hui ce qui constitue l'obstacle principal au développement scientifique en tant que système de connaissance destiné à servir le public. L'ordre économique néolibéral a besoin de valoriser le gain immédiat et l'érige en moteur principal de la science. La logique de l'entreprise capitaliste s'éloigne d'une conception de la science en tant que système ouvert, car ses intérêts sont ceux d'un système de recherche privé, que l'on retrouve de plus en plus enraciné au cœur même du système éducatif. Dès lors, la nécessité de créer des monopoles privés devient le principal fil conducteur de la recherche scientifique, au détriment de l'idée de production de connaissances. C'est ce phénomène qui encourage, dans la production des recherches scientifiques, le dépôt de brevets – comme attribution d'une valeur marchande aux innovations – au détriment de la rédaction de publications mises à disposition de tous – celle-là même qui permet et alimente les communs de la connaissance. Simultanément, la demande du marché et la place de plus en plus centrale de la technologie dans les nouveaux produits assignent à la science la constante nécessité de créer des innovations qui pourront être mises sur le marché en tant que produits commercialisables. Il est de ce fait important de comprendre les problèmes émergents, liés à la fois à la production et la reproduction de la connaissance, si l'on souhaite comprendre la façon dont s'expriment aujourd'hui le savoir, la science et l'innovation.</p> <p><strong>La production de connaissances : La structure institutionnelle de la Science</strong></p> <p>Classiquement, le développement de connaissances scientifiques trouvait place au cœur des structures de l'enseignement supérieur. Ces dernières étant relativement indépendantes de l'État et du Marché, le système de production de nouvelles connaissances n'était pas intimement limité par les besoins immédiats des classes dominantes de la société. Le système universitaire avait ainsi la capacité de conserver une certaine indépendance ainsi qu'un certain pouvoir d'autorégulation. L'enseignement semblait avoir un objectif de plus grande envergure que celui de simplement servir le capital ou les besoins de l'État. Ainsi, le système éducatif prévoyait un espace de controverses – un espace dans lequel pouvaient naître de nouvelles idées, et pas seulement à l'intérieur des diverses disciplines, mais également concernant la société elle-même.</p> <p>Les notions classiques de science et de technologie faisaient partie de cette structure globale. La science était supposée produire de la connaissance nouvelle, qui pouvait ainsi être exploitée par la technologie pour créer des produits commerciaux. L'innovation avait pour rôle de convertir les idées en produits. Le système de la propriété intellectuelle est apparu pour protéger les idées utiles converties en objets.</p> <p>Les changements rapides de ce système en place depuis quelques siècles sont le résultat de deux types de transformations. Le premier est relatif à la transformation, sous un ordre néolibéral, du système universitaire de production de connaissances en machine à générer des bénéfices financiers, faisant des universités des entreprises de type commercial [<a href='#nb3-1' class='spip_note' rel='footnote' title='« Les Présidents d'Université parlent de plus en plus des étudiants comme des (...)' id='nh3-1'>1</a>]. D'autre part, la distinction entre la science et la technologie est devenue considérablement difficile à faire, et ces deux notions se sont beaucoup rapprochées, pour finir par devenir substituables l'une à l'autre. Par exemple, une découverte dans le domaine de la génétique peut, presque naturellement, donner naissance à un produit à la fois brevetable et commercialisable. C'est également le cas des innovations dans le domaine de l'électronique et de la communication. De nombreuses disciplines scientifiques se retrouvent ainsi de plus en plus proches des systèmes de production.</p> <p>Aujourd'hui, dans ce système éducatif altéré, les étudiants sont considérés comme des consommateurs et dans le monde entier les universités ont des structures qui s'apparentent à celles d'une entreprise commerciale. Dans un tel système de production de connaissances, l'analyse approfondie d'un sujet qui n'a pas d'application commerciale immédiate est largement moins prioritaire que ce que l'industrie considère comme de la recherche lucrative. Ainsi, la production de connaissances à long terme est dévaluée en faveur du gain immédiat et à court terme. En outre, les priorités de la recherche sont en train de glisser de celles qui s'inquiètent des besoins de la société à celles qui servent les besoins de ceux qui peuvent payer. Le système est de plus en plus financé soit directement par des entreprises, soit par des structures publiques affichant la priorité de servir les entreprises. De cette façon, la science n'est plus considérée comme une manière de développer des connaissances et d'améliorer le bien-être de la société, mais comme un moyen de générer toujours plus de profits pour les grandes entreprises… Les conséquences de cette évolution sont facilement identifiables. En Inde par exemple, dans les années 1970 et 1980, a eu lieu une véritable explosion de la production agricole (connue sous le nom de « révolution verte ») qui n'aurait pas vu le jour sans la science du domaine public. Aujourd'hui, c'est une poignée d'entreprises privées qui contrôle la « révolution génétique » – et ces mêmes entreprises sont considérées comme les leaders potentiels d'une seconde « révolution verte ».</p> <p>Aux États-Unis, c'est le Bayh-Dole Act qui caractérise le mieux ce virage vers la privatisation de la connaissance. Cette loi en application depuis 1980 a renversé le postulat quasi universel selon lequel les recherches financées par des établissements publics n'avaient pas à être protégées par des droits privés comme la protection de la propriété intellectuelle. Le Bayh-Dole Act autorise les universités, et autres institutions à but non lucratif, à faire breveter les résultats de recherches financées par la puissance publique. Il a créé les bases pour que le système universitaire américain travaille en étroite liaison avec un grand nombre d'entreprises. Le magazine américain consacré à l'économie Fortune, considère que le Bayh-Dole Act est responsable de l'augmentation des frais médicaux aux États-Unis. « Les Américains ont dépensé 179 milliards de dollars pour leurs ordonnances médicales en 2003, contre 12 milliards en 1980 » [<a href='#nb3-2' class='spip_note' rel='footnote' title='The Law of Unintended Consequences, « L'effet pervers », Magazine Fortune, (...)' id='nh3-2'>2</a>]. Ce même article affirmait également que le Bayh-Dole Act n'a fait que retarder les progrès de la science au lieu de les encourager. La découverte de nouvelles molécules, signe d'innovation dans l'industrie pharmaceutique, s'est en effet raréfiée [<a href='#nb3-3' class='spip_note' rel='footnote' title='Arti K. Rai, Jerome H. Reichman, Paul F. Uhlir, and Colin Crossman, « (...)' id='nh3-3'>3</a>]. Cela a permis à quelques sociétés, universités et scientifiques de s'enrichir à foison, aux dépens du développement scientifique et du commun des mortels. Malheureusement les fondamentalistes du marché souhaitent encourager pour le monde entier des initiatives similaires au Bayh-Dole Act, et d'autres mesures visant à convertir les systèmes éducatifs en complexes universitaro-industriels.</p> <p>Le système de production de connaissances a également subi des transformations du fait d'autres facteurs émanant des politiques néolibérales adoptées de par le monde. Les financements publics de la recherche ont souffert, en particulier dans les pays en développement, lorsque l'économie néolibérale a mis une pression générale sur les budgets gouvernementaux. Combiné à la confiance aveugle accordée au marché, cela a donné naissance à la conception selon laquelle l'avenir était à la privatisation complète des financements de la recherche. Il est aujourd'hui établi que les financements privés de la recherche déforment les priorités tout en vivant en réalité aux crochets des financements publics. Les sociétés privées se retrouvent en mesure de contrôler les priorités de la recherche et les voies qu'elle doit emprunter, non seulement parce qu'elles financent une partie de la recherche, mais en majeure partie parce que les fruits de la recherche financée par le domaine public sont mis à leur disposition.</p> <p>La décomposition du système des Nations-Unies a également ébranlé le mode de financement de la recherche scientifique par les puissances publiques, qui s'inscrivait dans la logique de collaboration entre les États-nations. Aujourd'hui le système des Nations-Unies lui-même fait la promotion des « Partenariats Public Privé ». Par exemple, la majeure partie du budget de l'Organisation Mondiale de la Santé provient de fondations et donateurs privés ou de gouvernements de pays du Nord qui souhaitent financer des programmes spécifiques pour lesquels ils ont un intérêt particulier.</p> <p><strong>Les innovations et leur copie : Brevets et droits d'auteur.</strong></p> <p>Jonas Salk, inventeur du vaccin contre la poliomyélite, s'est vu demander qui était le propriétaire du brevet de son vaccin. Il aurait répondu « les gens » ; une réponse que l'on n'attendrait plus des scientifiques d'aujourd'hui. Les deux dernières décennies ont vu la naissance d'une nouvelle catégorie de droits de propriété privée, la protection de la propriété intellectuelle, rassemblant sous une même enseigne des lois qui étaient auparavant disparates. De ce fait, différents types de lois de protection concernant la propriété privée, d'un côté le droit d'auteur ou le copyright, de l'autre la protection des propriétés industrielles telles que brevets, marques, secret professionnel et conceptions industrielles, ont été regroupés dans une même catégorie, plus générale : le Droit de la Propriété Intellectuelle (DPI). Le but de la manœuvre était double : d'abord, avancer le prétexte de la créativité individuelle pour légitimer essentiellement le droit d'entreprise ; ensuite, étendre au maximum la portée de ces droits.</p> <p>L'impact de ce nouveau régime juridique global de la propriété intellectuelle, combiné à celui du commerce mondial placé derrière la bannière de l'OMC, a conduit à la privatisation massive de nombre de ressources biologiques et de connaissances qui appartenaient jusque-là à tout le monde. Le règne du brevet s'est étendu au brevetage de formes de vie, de ressources génétiques, d'informations génétiques en biologie, ou encore au brevetage de méthodes et d'algorithmes en informatique. Il existe même des brevets sur les modèles d'affaires. Au-delà, le concept de droit d'auteur a été élargi pour inclure des logiciels et toute forme de ressource d'information électronique. Les ressources biologiques et les connaissances traditionnelles, détenues et entretenues par différentes communautés, sont piratées par des multinationales. Et de plus en plus, l'entreprise de la science, en tant qu'activité ouverte et collaborative, ayant pour objectif de créer de la connaissance, est ramenée à un nouveau jeu économique visant à la création de monopoles et de profits phénoménaux réalisés sur le dos des consommateurs.</p> <p>L'impact d'une telle appropriation est désormais visible. L'épidémie du sida a montré que c'est le profit potentiel des grands trusts pharmaceutiques qui décide de la vie et de la mort des victimes de cette épidémie. Il est impossible pour la majorité de la population mondiale de payer les remèdes qui permettraient sa survie et dont la propriété est protégée par un brevet. Si le régime de la propriété intellectuelle a causé des dommages à ceux qui sont malades, la situation est tout aussi dramatique en ce qui concerne l'agriculture. En exploitant les découvertes réalisées dans les domaines de la biotechnologie et de la bioinformatique, les entreprises semencières et les obtenteurs contrôleront bientôt toute l'agriculture mondiale et la production de nourriture. Alors que les prix des produits alimentaires atteignent déjà des sommets, on imagine aisément l'impact d'un tel monopole sur de larges secteurs des populations du globe.</p> <p>Le logiciel, création spécifique au XXe siècle, est à l'origine considéré sous le régime du copyright, une formule juridique pour créer des monopoles datant du XVIIIe siècle. Le problème de cette conception restreinte est qu'elle ne sait pas traiter la spécificité du logiciel (ce dernier a généralement une durée de vie très limitée, sa nature n'est pas comparable avec les créations littéraires, etc.). De même, alors que le logiciel n'entrait pas dans le cadre traditionnel des brevets, des interprétations récentes conduisent de nombreux pays à accepter le dépôt de programmes ou d'algorithmes. Alors que les technologies de l'information sont présentes dans la quasi-totalité des secteurs de l'activité humaine, cela pousse toutes ces activités sous le contrôle de brevets ou de droits d'auteur. C'est dans le « meilleur des mondes » [<a href='#nb3-4' class='spip_note' rel='footnote' title='NdT : Référence à l'ouvrage Brave New World, roman d'anticipation dystopique, (...)' id='nh3-4'>4</a>] de la propriété intellectuelle que nous entrons, sous le règne de « l'économie de la connaissance ».</p> <p>Les droits de propriété intellectuelle sont une tentative flagrante d'exclure la population du domaine de la connaissance par son enclosure, similaire à l'enclosure des ressources naturelles, manœuvre perpétrée depuis plus de 500 ans [<a href='#nb3-5' class='spip_note' rel='footnote' title='Voir dans cet ouvrage l'article de Peter Linebaugh. Histoire des communs : (...)' id='nh3-5'>5</a>]. Les DPI sont un stratagème juridique pour privatiser la connaissance au lieu d'étendre le domaine public. Toute enclosure de la connaissance est doublement pernicieuse : non seulement elle restreint l'accès au savoir, mais elle affecte aussi un prix sur une chose reproductible à l'infini. L'enclosure de la connaissance par le droit de la propriété intellectuelle est ainsi plus inique encore que ne l'étaient les précédentes initiatives d'enclosures. La lutte contre les droits à la propriété intellectuelle de différents types devient une bataille pour la préservation des ressources naturelles mondiales, et particulièrement la connaissance, sous toutes ses formes.</p> <p><strong>Les communs de la connaissance : la réponse à l'appropriation privée de la science</strong></p> <p>Tandis qu'un examen attentif de la déconnexion grandissante entre la production de connaissances et son appropriation privée s'avère nécessaire, de nouvelles méthodes de production de connaissances quant à elles, suggèrent différentes options de démocratisation du savoir. Aujourd'hui, le secteur des technologies de l'information a montré que les nouvelles technologies et méthodologies peuvent être développées par des communautés qui collaborent entre elles. Dorénavant, les questions se posent différemment : est-il possible d'envisager une telle approche dans d'autres domaines tels que, disons, la biologie ? Est-il possible d'avoir de nouvelles façons d'établir « les ressources créatives », permettant le développement de nouvelles technologies et méthodologies par des communautés qui auront collaboré entre elles [<a href='#nb3-6' class='spip_note' rel='footnote' title='Prabir Purkayastha, Satyajit Rath, Amit Sengupta, « Looking at Knowledge and (...)' id='nh3-6'>6</a>] ?</p> <p>Le monopole privé exercé sur la connaissance – au travers du cycle combiné de la production et de la reproduction de la connaissance – se traduit par la capacité à réaliser de gigantesques profits en usant de ce monopole pour vendre plus cher les produits, tels que les médicaments, les semences, les logiciels, etc. Le potentiel du concept des biens communs ne consiste pas seulement à empêcher l'existence de tels monopoles dans la diffusion des connaissances, mais également dans la production de connaissance elle-même. Les licences qui permettent de construire des ressources communes sont un des aspects de la lutte pour la production et la reproduction de connaissance. Le mouvement du logiciel libre a montré le pouvoir que pouvait avoir une structure en réseau dans la création de nouvelles connaissances et de nouveaux produits.</p> <p>L'impact de la privatisation du savoir et de la science est également en train de changer la façon même dont la science se fait. La science n'est plus cette activité collective et ouverte ayant pour but de créer du savoir nouveau pour comprendre la nature. C'est devenu un exercice secret, pour lequel une demande de brevet est déposée avant qu'un article ne soit publié. Les idées ne sont plus partagées, maintenant qu'elles ont une valeur commerciale. Paradoxalement, cela a lieu dans une situation pour laquelle les possibilités d'un travail public de collaboration sont devenues beaucoup plus étendues.</p> <p>C'est la compréhension de cette nécessité de faire revenir la science dans un cadre ouvert et collaboratif qui a donné naissance au mouvement des communs de la connaissance. Alors que les mouvements environnementaux et écologiques se sont penchés sur les ressources communes et ont lutté contre leur privatisation, le type de ressources qu'ils ont pris en compte sont des ressources limitées, telles que les pâturages, les forêts, les pêcheries, les océans, l'atmosphère… Ces ressources demeurent des ressources naturelles, qui autrefois semblaient renouvelables, mais dont nous savons aujourd'hui qu'elles sont limitées et susceptibles d'être surexploitées et dégradées. Les ressources en connaissance sont intrinsèquement différentes, dans la mesure où leur usage ne les dégrade pas. Une loi de la nature ou la connaissance d'un code génétique ne sont pas soustractifs, et ce faisant ne se dégraderont pas en raison de leur usage [<a href='#nb3-7' class='spip_note' rel='footnote' title='David Bollier, Silent Theft : The Private Plunder of Our Common Wealth, (...)' id='nh3-7'>7</a>].</p> <p>Jamais auparavant la société n'avait eu la capacité de rassembler communautés et ressources pour produire de nouvelles connaissances, comme elle le peut aujourd'hui.</p> <p>Ce qui empêche encore la libération de l'énorme potentiel de la collectivité pour la production de connaissances nouvelles et la conception de nouveaux produits, c'est le droit au monopole et la privatisation qui sont inhérents au système mondial de la protection par la propriété intellectuelle.</p> <p>Considérer la connaissance et la science comme des biens communs [<a href='#nb3-8' class='spip_note' rel='footnote' title='ohn Willinsky, « The unacknowledged convergence of open source, open access, (...)' id='nh3-8'>8</a>] est un paradigme différent du paradigme néolibéral dominant de la propriété intellectuelle. Cela a commencé avec le mouvement pour le logiciel libre qui soutenait qu'un code source de logiciel qui n'est ni révélé ni susceptible de modifications va à l'encontre des droits fondamentaux des consommateurs. Richard Stallman a créé la General Public Licence (GNU) [<a href='#nb3-9' class='spip_note' rel='footnote' title='NdT : La General Public Licence (GNU) est une licence qui fixe les (...)' id='nh3-9'>9</a>], en utilisant les armes mêmes du copyright – pour le vaincre et renverser le régime du copyright. Le copyleft permet aux autres d'utiliser et de modifier un logiciel libre, sous réserve que le nouveau code soit diffusé sous la même licence. Cette logique a engendré la création d'une communauté du logiciel libre, devenue une sérieuse concurrente aux multinationales informatiques. Cette communauté a reproduit la structure collaborative et ouverte existant autrefois de manière intrinsèque dans le monde scientifique, avec le potentiel multiplicateur de l'internet pour faire travailler des communautés en réseau afin d'élaborer des produits de qualité.</p> <p>Plusieurs tentatives similaires ont vu le jour dans d'autres secteurs pour combattre les enclosures engendrées par le droit de la propriété intellectuelle, et en particulier le brevetage systématique. En complément de la bonne vieille méthode qui consiste à classer la connaissance dans le domaine public, l'Open Source Drug Discovery[3[Bernard Munos, « Can open-source R&D reinvigorate drug research ? », Nature Reviews Drug Discovery,18 August 2006 ; doi:10.1038/nrd2131. The initiative on tropical diseases can be found in <a href="http://www.tropicaldisease.org/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://www.tropicaldisease.org</a>]], [<a href='#nb3-10' class='spip_note' rel='footnote' title='Le CSIR en Inde (Conseil en recherche scientifique et industriel) est très (...)' id='nh3-10'>10</a>] et la biologie en open source [<a href='#nb3-11' class='spip_note' rel='footnote' title='Wim Broothaerts, Heidi J. Mitchell, Brian Weir, Sarah Kaines, Leon M. A. (...)' id='nh3-11'>11</a>] sont des tentatives alternatives cherchant à placer des produits biologiques sous des licences ouvertes. Dans le même ordre d'idées, les licences Creative Commons [<a href='#nb3-12' class='spip_note' rel='footnote' title='NdT : Les licences Creative Commons constituent un ensemble de licences (...)' id='nh3-12'>12</a>] ont énormément emprunté à la General Public Licence pour étendre le concept au domaine de la création littéraire et artistique.</p> <p>L'enclosure des ressources communes ne s'exerce pas seulement dans les domaines scientifiques, mais également sur les connaissances traditionnelles. Les connaissances des communautés sont privatisées par les trusts pharmaceutiques ou d'autres entreprises globales sous différentes formes. Cela concerne à la fois les ressources biologiques sélectionnées par les communautés ou les connaissances et pratiques spécifiques. La lutte pour défendre les droits de ces communautés est aussi une lutte pour la protection du savoir traditionnel au travers du modèle des biens communs. Ces ressources communes n'appartiennent pas au domaine public [<a href='#nb3-13' class='spip_note' rel='footnote' title='Voir dans ce livre l'article de Madhavi Sunder et Anupam Chander La vision (...)' id='nh3-13'>13</a>], mais sont la propriété commune d'un groupe et ouvrent donc à des droits collectifs, en opposition aux droits de la propriété privée individuelle ou d'entreprise. Récemment, le concept de licences de biens communs a également été considéré [<a href='#nb3-14' class='spip_note' rel='footnote' title='Le gouvernement de l'État du Kérala en Inde a récemment mis en place une (...)' id='nh3-14'>14</a>] pour assurer la protection du savoir traditionnel.</p> <p>Science, société et démocratie</p> <p>Finalement, la question se pose : Comment réintroduire les préoccupations de la société dans les institutions scientifiques ? Comment démocratiser ces institutions pour que les priorités de la science soient déterminées par de plus grandes ambitions sociales ? Comment les maladies dont souffrent les populations pauvres peuvent-elles faire l'objet de recherches si le budget est géré par des entreprises qui n'ont aucun intérêt à développer des produits pour des gens qui ne pourront pas les payer ? Comment faire revenir sur le devant de la scène les problèmes des pays pauvres qui n'ont ni l'argent ni les ressources scientifiques pour les formuler ? Comment rétablir l'équité dans le développement du savoir scientifique ? Cela nous amène à un problème plus important encore, celui de savoir comment la société, dans son ensemble, peut exercer un contrôle sur l'entreprise de la science. Si la science aujourd'hui est un atout économique majeur, les objectifs plus vastes de la démocratie et de l'équité dans la société doivent également jouer un rôle dans le domaine scientifique. Il n'est pas surprenant de constater que bon nombre de questions cruciales du monde actuel nécessitent de comprendre la science. À défaut d'une telle compréhension sociale, quelques scientifiques travaillant dans des secteurs centraux vont défendre leurs propres positions comme étant les décisions scientifiques pour toute la société.</p> <p>Jusqu'à présent, les mouvements scientifiques se sont penchés sur cette question dans le contexte de la responsabilité sociale du chercheur. Dans ce cadre, les scientifiques doivent à la société d'être conscients des enjeux de leurs activités et les rendre publiques. Le chercheur a une double responsabilité : comprendre les implications de la science pour la société, et défendre un type de science adapté à toute la société. Le rôle des scientifiques dans le mouvement pour le désarmement nucléaire est sans doute le plus significatif de cette période. Le mouvement des travailleurs scientifiques, ainsi que les mouvements de vulgarisation de la science dans le contexte de l'éducation populaire, qui ont émergé au cours des années 1940 et 1950, se sont développés dans cette perspective.</p> <p>Aujourd'hui, la nécessité de mobiliser les scientifiques pour la démocratisation de la décision scientifique doit aller de pair avec un mouvement très puissant de vulgarisation de la science, ses enjeux et ses méthodes, auprès du grand public. Que l'humanité doive combattre le réchauffement climatique ou poursuivre le désarmement nucléaire, il ne suffit pas que les scientifiques le préconisent. Il y a une véritable nécessité de sortir la science de sa tour d'ivoire et de la démystifier, de sorte que les gens, concernés par de telles décisions, puissent également faire entendre leur voix. La science est une affaire trop sérieuse pour la laisser aux seuls scientifiques : elle est un élément de notre combat d'une bien plus grande envergure, pour l'équité et la démocratie dans la société.</p></div> <hr /> <div class='rss_notes'><p>[<a href='#nh3-1' id='nb3-1' class='spip_note' title='Notes 3-1' rev='footnote'>1</a>] « Les Présidents d'Université parlent de plus en plus des étudiants comme des consommateurs et de l'éducation et de la recherche comme des produits. Ils discutent labellisation et marché et dépensent aujourd'hui plus en lobbying à Washington que ne le font les organisations gouvernementales. », Jennifer Washburn, University, Inc. : The Corporate Corruption of Higher Education, Basic Books, 2005.</p> <p>[<a href='#nh3-2' id='nb3-2' class='spip_note' title='Notes 3-2' rev='footnote'>2</a>] The Law of Unintended Consequences, « L'effet pervers », Magazine Fortune, édition du 19 septembre 2005.</p> <p>[<a href='#nh3-3' id='nb3-3' class='spip_note' title='Notes 3-3' rev='footnote'>3</a>] Arti K. Rai, Jerome H. Reichman, Paul F. Uhlir, and Colin Crossman, « Pathways Across the Valley of Death : Novel Intellectual Property Strategies for Accelerated Drug Discovery », VIII Yale Journal of Health Law, Policy & Ethics 53-89, 2008.</p> <p>[<a href='#nh3-4' id='nb3-4' class='spip_note' title='Notes 3-4' rev='footnote'>4</a>] NdT : Référence à l'ouvrage Brave New World, roman d'anticipation dystopique, écrit en 1931 par Aldous Huxley, dont le titre traduit en français est Le meilleur des mondes.</p> <p>[<a href='#nh3-5' id='nb3-5' class='spip_note' title='Notes 3-5' rev='footnote'>5</a>] Voir dans cet ouvrage l'article de Peter Linebaugh. Histoire des communs : l'ombre portée de la Grande Charte</p> <p>[<a href='#nh3-6' id='nb3-6' class='spip_note' title='Notes 3-6' rev='footnote'>6</a>] Prabir Purkayastha, Satyajit Rath, Amit Sengupta, « Looking at Knowledge and Science as Commons, Background Paper », Workshop on Science Commons, Delhi, 18 th January, 2008.</p> <p>[<a href='#nh3-7' id='nb3-7' class='spip_note' title='Notes 3-7' rev='footnote'>7</a>] David Bollier, Silent Theft : The Private Plunder of Our Common Wealth, Routledge, 2002 ; ainsi que James Boyle, The Second Enclosure Movement and the Construction of the Public Domain, 2003, <a href="http://www.law.duke.edu/pd/papers/boyle.pdf" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://www.law.duke.edu/pd/papers/b...</a></p> <p>[<a href='#nh3-8' id='nb3-8' class='spip_note' title='Notes 3-8' rev='footnote'>8</a>] ohn Willinsky, « The unacknowledged convergence of open source, open access, and open science », First Monday, 2005, volume X, Number 8, <a href="http://www.firstmonday.org/issues/issue10_8/willinsky/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://www.firstmonday.org/issues/i...</a></p> <p>[<a href='#nh3-9' id='nb3-9' class='spip_note' title='Notes 3-9' rev='footnote'>9</a>] NdT : La General Public Licence (GNU) est une licence qui fixe les conditions légales de distribution des logiciels libres du projet GNU.</p> <p>[<a href='#nh3-10' id='nb3-10' class='spip_note' title='Notes 3-10' rev='footnote'>10</a>] Le CSIR en Inde (Conseil en recherche scientifique et industriel) est très impliqué dans les démarches de l'Open Source Drug Discovery pour la tuberculose. Plus de détails à l'adresse suivante : <a href="http://mtbsysborg.igib.res.in/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://mtbsysborg.igib.res.in/</a></p> <p>[<a href='#nh3-11' id='nb3-11' class='spip_note' title='Notes 3-11' rev='footnote'>11</a>] Wim Broothaerts, Heidi J. Mitchell, Brian Weir, Sarah Kaines, Leon M. A. Smith, Wei Yang, Jorge E. Mayer, Carolina Roa-Rodríguez & Richard A. Jefferson, « Gene transfer to plants by diverse species of bacteria », Nature 433 : 583-4. Feb. 10, 2005.</p> <p>[<a href='#nh3-12' id='nb3-12' class='spip_note' title='Notes 3-12' rev='footnote'>12</a>] NdT : Les licences Creative Commons constituent un ensemble de licences régissant les conditions de réutilisation et/ou de distribution d'œuvres (notamment d'œuvres multimédias diffusées sur Internet). Élaborées par Creative Commons, les premières versions ont été publiées le 16 décembre 2002.</p> <p>[<a href='#nh3-13' id='nb3-13' class='spip_note' title='Notes 3-13' rev='footnote'>13</a>] Voir dans ce livre l'article de Madhavi Sunder et Anupam Chander La vision romantique du domaine public.</p> <p>[<a href='#nh3-14' id='nb3-14' class='spip_note' title='Notes 3-14' rev='footnote'>14</a>] Le gouvernement de l'État du Kérala en Inde a récemment mis en place une politique de protection de la propriété intellectuelle dans laquelle il envisage de protéger les savoirs traditionnels au travers d'une variante d'une licence de type « biens communs ».</p></div> <div class='rss_ps'><p>***********************************************************************************</p> <p><span class='spip_document_1051 spip_documents spip_documents_left' style='float:left; width:150px;'> <img src='http://vecam.org/IMG/jpg/amit_prabir_opt150x112.jpg' width="150" height="112" alt="" /></span></p> <p><i>Amit Sengupta est secrétaire de l'Association AIPSN (All Indian People's Science Network), un réseau d'une quarantaine d'associations scientifiques et d'éducation populaire qui regroupe plus de 700 000 membres. Il a été l'un des principaux artisans du Forum Social Mondial de Mumbaï en janvier 2007. Il est membre du collectif d'animation du Forum mondial Sciences & Démocratie.</p> <p>Prabir Purkayastha est secrétaire du Delhi Science Forum, une des associations du réseau de l'AIPSN. Il est promoteur des logiciels libres en Inde, et fut une des chevilles ouvrières du Forum Social Mondial de Mumbai.</i></p> <p>***********************************************************************************</p></div> 6 - Connaissance, réseaux et citoyenneté : pourquoi le libre accès ? http://vecam.org/article1309.html http://vecam.org/article1309.html 2011-05-02T17:00:00Z text/html fr Jean-Claude Guédon Creative Commons L'art de se raconter des histoires Dans un livre important, Yochaï Benkler utilise une métaphore intéressante pour exprimer la façon dont les sociétés s'organisent : elles se racontent toutes des histoires, nous dit l'auteur, mais les circonstances entourant ces récits peuvent varier de bien des manières. Il sélectionne trois modalités de récits qui balisent assez bien trois phases de notre histoire : le monde pyramidal des églises et des royautés absolutistes, celui des mass-médias et enfin le monde (...) - <a href="http://vecam.org/rubrique135.html" rel="directory">Libres savoirs, les biens communs de la connaissance</a> / <a href="http://vecam.org/mot17.html" rel="tag">Creative Commons</a> <div class='rss_texte'><p><strong>L'art de se raconter des histoires</strong></p> <p>Dans un livre important [<a href='#nb4-1' class='spip_note' rel='footnote' title='The Wealth of Networks (New Haven, Conn., Yale U. Press, 2005). Traduction (...)' id='nh4-1'>1</a>], Yochaï Benkler utilise une métaphore intéressante pour exprimer la façon dont les sociétés s'organisent : elles se racontent toutes des histoires, nous dit l'auteur, mais les circonstances entourant ces récits peuvent varier de bien des manières. Il sélectionne trois modalités de récits qui balisent assez bien trois phases de notre histoire : le monde pyramidal des églises et des royautés absolutistes, celui des mass-médias et enfin le monde distribué ou réparti qui émerge (peut-être) avec l'internet. Plus précisément, voici comment Benkler décrit, de façon colorée pourrait-on ajouter, la diversité de ces récits d'une société à une autre :</p> <p><i>« En ce qui concerne sa façon de vivre et de raconter des histoires, chaque société suit un ensemble de coutumes. Dans les sociétés rouges et bleues, tout le monde est occupé toute la journée et personne ne raconte d'histoire, sauf le soir. Le soir, dans chacune de ces sociétés, tout le monde se réunit sous une grande tente et un conteur qui a été désigné s'assoit devant le public et raconte des histoires. Ce n'est pas qu'on interdise à qui que ce soit de raconter des histoires ailleurs. Mais, dans ces sociétés, en prenant en considération les pressions de l'emploi du temps, si quelqu'un décidait de s'assoir à l'ombre au milieu de la journée pour raconter une histoire, personne ne s'arrêterait pour l'écouter. Chez les rouges, le conteur occupe une position héréditaire et il décide seul (ou seule) des histoires à raconter. Chez les bleus, le conteur est élu chaque soir par simple majorité des voix. Tout membre de la communauté est éligible s'il se propose comme conteur de la soirée, et chacun a le droit de voter. Chez les verts, les gens racontent des histoires toute la journée, et partout. Tous racontent des histoires. Les histoires dans chacune de ces sociétés jouent un rôle très important pour comprendre et jauger le monde. Elles correspondent aux façons dont les gens décrivent le monde tel qu'ils le connaissent. Elles servent de terrain d'essai pour imaginer comment le monde pourrait être, et elles servent à séparer le bon et le souhaitable du mauvais et de l'indésirable. Les sociétés sont isolées les unes des autres et n'ont pas accès à d'autres sources d'information. »</i> [<a href='#nb4-2' class='spip_note' rel='footnote' title='The Wealth of Networks, p. 162.' id='nh4-2'>2</a>]</p> <p>Filons cette métaphore et voyons comment elle s'applique aussi à la production et transmission des connaissances. Laissant de côté le cas de figure des rouges, la situation des bleus, un peu plus complexe, mérite que l'on y arrête un peu. Les votes désignant le conteur du soir correspondent évidemment aux choix que chacun de nous faisons quand nous achetons un quotidien, un périodique, un livre ou un disque. Ce raisonnement s'étend, bien sûr, aux séances de cinéma et aux canaux de télévision. La conséquence est bien connue de chacun d'entre nous : une vaste majorité se concentre sur quelque choix et la diversité tend à décroître. Elle dépasse certes la diversité des récits des rouges, mais pas de manière écrasante. En bref, le système de décision régi par choix libre à travers la médiation d'un marché revient souvent à focaliser la perception des choix possibles sur seulement quelques-uns d'entre eux. En bout de ligne, même si le processus politique diffère du tout au tout de la société des rouges, le résultat, lui, ressemble étrangement à celui de la société autocratique derrière une façade de plus grande liberté et même de démocratie. Les bleus vivent dans le monde de la consommation.</p> <p>La dernière société, celle des verts, repose au contraire sur une immense variété d'histoires émergeant de partout et susceptibles d'être entendues par tous les groupes, même les plus marginaux. Ce monde est limité non pas de l'extérieur, mais simplement par la capacité d'attention et d'assimilation de chaque individu. En fait, la société des verts est réellement la seule qui donne sa place maximale à l'individu tout en construisant un ensemble qui le dépasse de plusieurs ordres de grandeur. Et puisque les histoires semblent circuler parmi les verts un peu à la manière des blagues ou des rumeurs dans nos sociétés, un intense travail de vérification s'impose : il faut « parler » et « parler » encore pour tenter de voir plus clair, de voir plus profondément, et ainsi de pouvoir prendre des décisions, condamnées à demeurer partielles, voire même partiales dans une certaine mesure. Cette dialectique de la proposition, de la vérification et de la décision fonde l'engagement personnel au sein des diverses dynamiques sociales que l'individu peut percevoir. C'est à la fois le prix et l'objectif d'un comportement d'individus citoyens.</p> <p>Le citoyen peut bien raconter des histoires totales, globales, mondiales, mais il n'exprime jamais que le point de vue d'une monade – pour reprendre la terminologie de Leibniz [<a href='#nb4-3' class='spip_note' rel='footnote' title='On trouvera quelques indications sur le concept de monade dans l'article de (...)' id='nh4-3'>3</a>] – sur ce monde indéfiniment et même peut-être infiniment complexe. De plus, ce même citoyen ne peut exister que dans la mesure où il se spécifie par des histoires un peu différentes des autres et où elles lui sont attribuées. Apparaît alors cette fascinante tension entre le besoin de différence et la nécessité de ne pas faire verser cette différence dans l'aliénation. Dans ce dernier cas, en effet, l'histoire racontée deviendrait incompréhensible et son conteur serait coupé de son auditoire. Le principe d'une différence distinctive fait donc surface et donne à nos monades des qualités qui les rapprochent en fait du concept de phonème en linguistique. En effet, le phonème n'existe que par le jeu d'un ensemble fini de distinctions par rapport à d'autres phonèmes. Situé quelque part entre l'atome et le tout, le phonème offre une métaphore utile pour penser le sujet en réseau, l'acteur qui pour exister doit se reposer sur un certain degré de reconnaissance émanant des autres. De la même façon, un citoyen dans la société des verts n'est ni l'émanation d'un pouvoir/parole au sommet, ni l'atome autarcique (et doté de « propriétés ») que voyaient apparaître de nombreux philosophes au XVIIe siècle, en particulier John Locke. Il se situe dans un réseau où il occupe une place si et seulement si celle-ci contribue de façon distincte au réseau. Telles sont les conditions de « l'existence » dans ce type de contexte, avec ce type d'individualité.</p> <p><strong>La République des sciences</strong></p> <p>La République des sciences, province tardivement révélée de la République des lettres, retient de celle-ci la recette fondamentale d'un échange de nouvelles idées, théories et thèses, entre pairs dispersés dans diverses grandes villes d'Europe. L'existence d'un embryon de système postal et la possibilité d'utiliser le latin comme véhicule de communication à peu près universel a permis de catalyser dans l'Europe des XVIe et XVIIe siècles une grande conversation sur la philosophie de la nature, qui n'a pas cessé de s'amplifier depuis. En essence, cette grande conversation entre virtuosi – pour reprendre le terme satirique dont se servit en particulier Thomas Shadwell [<a href='#nb4-4' class='spip_note' rel='footnote' title='On trouvera tout le texte de la pièce, The Virtuoso (1676) de Shadwell à (...)' id='nh4-4'>4</a>] pour se moquer de tous ces philosophes d'un nouveau genre – était ouverte à tous. En principe, seule l'intelligence et un brin d'éducation suffisaient. La République des sciences, dans ses principes de base, répondait donc en fait aux critères de la société des verts que nous décrit Benkler.</p> <p>Hélas, l'histoire nous montre aussi que l'état optimal d'une forme sociale ne correspond pas forcément à l'équilibre stable et, de ce fait le côté optimal de ce groupe ou ensemble peut se dissiper. Par exemple, il est bien connu que l'intervention de l'imprimé dans la conversation scientifique, notamment avec l'apparition des premiers « journaux scientifiques » à partir de 1665, engendra bon nombre de conséquences bénéfiques : les idées circulaient plus largement ; elles étaient mieux conservées, dans un état stable, et le même pour tous les lecteurs, ce qui permettait à la fois de créer des documents de référence et de régler des questions de priorité. La conversation, en somme pouvait à la fois s'élargir en audience et se standardiser dans ses modalités. Mais ces instruments puissants offraient aussi de nouveaux moyens pour exercer des formes nouvelles de pouvoir. Le véhicule de diffusion des connaissances, l'imprimé, devint partie prenante dans la construction du prestige et de la visibilité. Un auteur encore peu connu ou respecté pouvait espérer voir son ombre porter plus loin s'il arrivait à loger un texte dans une revue hautement appréciée par l'ensemble de la nouvelle République. Parfois, le nom de la revue faisait plus pour la visibilité d'un texte que la qualité intrinsèque du texte. De ceci découlait une grande évidence : quiconque disposait du pouvoir d'exclure dans le contexte de telles publications disposait du même coup d'un pouvoir redoutable (et redouté) sur la République des sciences. La fonction éditeur est donc venue compléter la fonction auteur, chère à Michel Foucault[Michel Foucault, « Qu'est-ce qu'un auteur ? », Bulletin de la Société française de philosophie, 63e année, No 3 (juillet septembre 1969), 73-104. Ce texte a été reproduit dans Michel Foucault, Dits et écrits. 1954-1988 (Paris, Gallimard, 1994), tome I, pp. 789-813, suivi d'un débat pp. 813-21.]]. D'un côté, elle étayait cette fonction auteur en lui donnant une assise non plus simplement personnelle, mais bien institutionnelle ; de l'autre elle métamorphosait la fonction auteur en lui ajoutant des paramètres dictés par des marchés. Ainsi, la société des verts philosophes de la nature incorporait toujours plus de caractéristiques de la société des bleus. À un certain point, que l'on peut dater autour de 1960, les deux fonctions se sont inextricablement greffées l'une sur l'autre, créant au passage des combinaisons plus ou moins heureuses pour l'évolution de la grande conversation savante du monde, ou du moins le rêve qu'elle incarnait. Un entrelacs de capital symbolique et de capital tout court a progressivement donné lieu à la construction de formes de pouvoir tout à fait extraordinaires dans lesquelles de très grandes maisons d'édition et de très grandes institutions et/ou laboratoires se sont alliés pour graduellement construire une sorte d'oligarchie mi-savante, mi-commerciale, excluant au passage une grande partie du monde. Une situation qui perdure aujourd'hui. Rappelons-nous une fois encore que le droit d'exclure est peut-être la plus puissante et souvent la moins discutable modalité de pouvoir.</p> <p>Au détour de cette perte graduelle du républicanisme scientifique, la grande conversation savante s'est organisée selon un principe de concurrence toujours plus intense et limité à quelques joueurs. La science repose fondamentalement sur un certain niveau de qualité permettant de produire toujours plus d'expériences et d'observations susceptibles d'être ensuite reliées au sein d'une belle histoire ou interprétation. Mais lorsque le système scientifique s'est recentré sur le principe de la concurrence, il s'est graduellement donné l'apparence d'olympiades permanentes dont la logique ne visait plus à identifier la qualité, mais bien à célébrer l'excellence.</p> <p>La différence entre qualité et excellence est essentielle. La qualité se détermine par rapport à des seuils en dessous desquels elle disparaît complètement, tandis que l'excellence se marque par des vainqueurs dans des compétitions qui semblent dire que rien ne vaut hors des meilleurs. Or, les conditions par lesquelles on entre dans la course influencent beaucoup les résultats. Les chercheurs de pays ou institutions plus pauvres ne sont pas aussi bien équipés que leurs collègues des pays et institutions riches ; ils ne disposent pas d'une documentation aussi complète et accessible et, de ce fait, ils ont peu de chances d'émerger parmi les vainqueurs de ces courses constantes qui règlent en fait les pyramides de l'autorité scientifique. Invisibles, reléguées dans la masse des tâcherons, sans grande possibilité de faire marque de quelque manière que ce soit, ces armées de chercheurs, même ceux susceptibles de sortir vainqueurs de certaines joutes, ne peuvent jamais pleinement jouer leur rôle et accomplir ce que leur valeur réelle et leurs connaissances leur permettraient de produire s'ils étaient situés dans les bonnes institutions. Une situation qui renforce le brain-drain, l'aspiration des chercheurs vers les pays et institutions les mieux dotés.</p> <p>La transformation de la République des sciences en oligarchie scientifique engendre donc beaucoup de pertes. Une bonne partie de la production scientifique des pays du Grand Sud est publiée dans des revues dédaignées et négligées par les grands centres de l'oligarchie, souvent en langue locale et non en globish, requis par les « publications internationales ». Effet d'entraînement, l'oligarchie scientifique, forte de l'audience et des citations de ses revues, concentre également les leviers d'orientation déterminants les choix politiques et financiers, plaçant ainsi les grands axes de la recherche entre les mains d'une minorité de scientifiques. Ceux-ci, évidemment, correspondent à l'image que l'on se fait généralement de l'excellence : prix Nobel ou grands prix nationaux (de quelques nations), directeurs de grands laboratoires, comités scientifiques de revues à forte audience, etc.</p> <p>De tout ceci résulte un paradoxe : les questions scientifiques, si théoriques soient-elles, ont vraisemblablement des réponses à valeur universelle. En d'autres mots, la validité de la réponse est la même partout. Mais la raison d'être de la question qui la précède est beaucoup moins évidemment d'intérêt universel. Très probablement, la question tend à répondre à des préoccupations qui correspondent souvent aux préoccupations théoriques des gens au sommet et aux besoins économiques des régions riches de la planète. Les rares scientifiques du Tiers-Monde qui arrivent à se faire reconnaître dans un tel système n'y parviennent qu'en s'inscrivant dans l'ordre des préoccupations dictées par l'oligarchie et l'instrument utilisé pour exprimer ces désirs s'appelle la quête de l'excellence. En bout de ligne, les pays pauvres subventionnent les pays riches en leur offrant une partie significative de leur potentiel scientifique pour résoudre des problèmes qui, le plus souvent, ne sont pas les leurs. Ainsi peut-on commencer à expliquer la faiblesse des études sur le paludisme ou d'autres maladies graves largement présentes dans la zone tropicale pauvre, mais pas en Europe ou en Amérique du Nord. Les raisons pour lesquelles il existe des maladies dites « négligées », alors même qu'elles touchent un grand nombre de personnes ne sont donc pas si mystérieuses ; au contraire, elles mettent en lumière de manière particulièrement exemplaire les inégalités face aux connaissances que subissent les chercheurs et, par voie de conséquence, les populations des pays pauvres.</p> <p><strong>Restaurer la République des sciences</strong></p> <p>De la perspective esquissée ci-dessus, il n'est pas difficile d'entrevoir les contours d'une action politique sur le système scientifique mondial. Même si les sciences se sont constituées en proclamant à haute voix qu'elles ne voulaient pas se mêler de politique – une attitude qui, selon Bruno Latour, n'a conduit qu'à un paradoxe, celui de produire une politique visant à exclure la politique [<a href='#nb4-5' class='spip_note' rel='footnote' title='La formule de Latour vise évidemment à marquer le fait que se déclarer (...)' id='nh4-5'>5</a>] – il n'empêche que cette petite société de plusieurs millions d'êtres humains ne peut échapper aux exigences de la vie en société, de la polis. Restaurer la République des sciences consiste au moins à redonner une chance à tous les participants, et cette chance elle-même se compose de plusieurs éléments. Des laboratoires, évidemment, mais, à défaut de grands laboratoires coûteux, l'accès aux données permet déjà de s'approcher du niveau expérimental ; il permet aussi de revisiter des résultats qui, autrement, demeurent confinés dans quelques limbes scientifiques, résultats condamnés à demeurer en garantie quasiment virtuelle des interprétations publiées, mais rarement ramenées à la lumière. L'accès libre aux données constituerait donc déjà un pas important dans la bonne direction.</p> <p>Cela dit, l'importance de l'accès libre aux publications scientifiques est encore plus importante ; non seulement l'accès libre facilite-t-il la réflexion des chercheurs partout où ils se trouvent, mais il permet également de dispenser une éducation de meilleure qualité en offrant de la science une représentation plus proche des frontières de la recherche.</p> <p>Comment obtenir l'accès libre ? D'abord en créant de nouvelles revues scientifiques en libre accès et en constituant pour cela des services pour l'édition et diffusion de telles revues. Chacun connaît Public Library of Science. Moins cité, mais pourtant encore plus passionnant est l'exemple de SciELO [<a href='#nb4-6' class='spip_note' rel='footnote' title='http://www.scielo.org' id='nh4-6'>6</a>] au Brésil, particulièrement éclairant dans ce contexte. Le projet de SciELO est de promouvoir les sciences nationales des pays d'Amérique Latine, et plus généralement des pays en développement, en offrant en libre accès des revues savantes et scientifiques de haute qualité, entièrement soutenues par des fonds publics. Ce soutien des fonds publics se justifie par ailleurs très aisément : l'argent public soutient déjà la recherche, les locaux, les salaires des chercheurs, les produits chimiques, et la phase de publication est partie intégrante du cycle complet de la recherche. De plus, la publication ne coûte environ que 1 à 2 % au grand maximum du coût de la recherche. Et parce que les revues ne valent réellement que par leur prestige et visibilité, tout est mis en œuvre pour introduire ces revues dans le Science Citation Index ou Scopus, tout en créant par ailleurs une mesure de l'impact de ces revues qui soit indépendante de ces dispositifs commerciaux. Bref, SciELO offre un point d'ancrage riche et extrêmement cohérent auquel pourraient se rallier de nombreux pays. L'Afrique du Sud l'a bien compris, elle qui a entrepris une expérience pilote à cet égard depuis l'été 2008.</p> <p>La deuxième façon d'obtenir l'accès libre repose sur la création de dépôts institutionnels, de dépôts nationaux, de dépôts thématiques pour les publications et les prépublications qui sont par ailleurs diffusées dans le système des revues. S'ils suivent des normes internationales comme OAI-PMH [<a href='#nb4-7' class='spip_note' rel='footnote' title='Le protocole OAI et ses usages en bibliothèques, François Nawrocki, janvier (...)' id='nh4-7'>7</a>] (Open Archive Initiative – Protocol for Metadata Harvesting), les travaux versés dans ces dépôts ne seront pas invisibles, bien au contraire, ils entreront même dans les canaux internationaux de diffusion de l'information scientifique. De plus, ces dépôts peuvent se coordonner entre eux pour former des consortia divers, ou bien peuvent servir de base à des développements variés, favorisant le « data mining », ainsi que la création de nouvelles formes de valeur symbolique.</p> <p>Le but ultime de ces développements tactiques et stratégiques correspond à la vision d'une recherche scientifique mondiale réellement placée au service de toute l'humanité et non pas simplement d'une minorité d'êtres humains. Il correspond également à une méthode visant à reconstituer l'ensemble de la grande conversation pour tout simplement en améliorer la qualité générale, ainsi que les procédures conduisant à privilégier certaines questions au moins pour un temps. Pour se limiter aux questions médicales, le problème de l'acné juvénile des adolescents de l'Atlantique-nord n'est probablement pas le domaine de recherche le plus urgent en ce moment sur la planète, et celui de la virilité faiblissante de nombreux occidentaux vieillissant aurait probablement pu attendre quelques décennies de plus pour être « résolu ».</p> <p>Le modèle des logiciels libres – et l'ordre dans lequel se sont effectués divers développements – paraît constituer un exemple intéressant d'une république particulière où connaissances et modes de décision sur les orientations à suivre se sont conjugués pour donner des résultats réellement impressionnants. Une véritable politique de développement des logiciels s'est ainsi exprimée sans pour autant passer par un jeu de pouvoirs structurés sur le modèle trop classique de la pyramide ou de la hiérarchie.</p> <p>Ce n'est pas ici le lieu de développer ces hypothèses ; simplement y faire allusion devra suffire. Mais ces quelques remarques démontrent combien les avantages d'une restauration de la République des sciences sont évidents tout en pointant dans la direction d'innovations illimitées qui pourront se développer dans les années et décennies à venir, au fur et à mesure que notre civilisation s'appropriera plus avant les possibilités ouvertes par la numérisation en réseau. Ces tendances ouvertes par le libre accès peuvent finalement se résumer très simplement : elles apparaissent rapidement comme les conditions de possibilité d'un renversement de l'oligarchie scientifique, actuellement dominante, en faveur d'une République des sciences où peut se déployer la grande conversation qui caractérise la société des verts dont Yochaï Benkler nous a révélé l'importance.</p></div> <hr /> <div class='rss_notes'><p>[<a href='#nh4-1' id='nb4-1' class='spip_note' title='Notes 4-1' rev='footnote'>1</a>] The Wealth of Networks (New Haven, Conn., Yale U. Press, 2005). Traduction française La richesse des réseaux : Marchés et libertés à l'heure du partage social, Yochaï Benkler, Presses de l'Université de Lyon, 2009, 603 p. (ISBN : 978-2729708047).</p> <p>[<a href='#nh4-2' id='nb4-2' class='spip_note' title='Notes 4-2' rev='footnote'>2</a>] The Wealth of Networks, p. 162.</p> <p>[<a href='#nh4-3' id='nb4-3' class='spip_note' title='Notes 4-3' rev='footnote'>3</a>] On trouvera quelques indications sur le concept de monade dans l'article de Wikipédia (version française) du même nom : <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Monade_(philosophie" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://fr.wikipedia.org/wiki/Monade...</a>). L'article « Monadology » de la version anglaise de Wikipedia complète utilement la première référence. Voir <a href="http://en.wikipedia.org/wiki/Monadology" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://en.wikipedia.org/wiki/Monadology</a></p> <p>[<a href='#nh4-4' id='nb4-4' class='spip_note' title='Notes 4-4' rev='footnote'>4</a>] On trouvera tout le texte de la pièce, The Virtuoso (1676) de Shadwell à l'URL suivant : <a href="http://www.letrs.indiana.edu/cgi-bin/eprosed/eprosed-idx?coll=eprosed" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://www.letrs.indiana.edu/cgi-bi...</a> ;idno=P2.0865</p> <p>[<a href='#nh4-5' id='nb4-5' class='spip_note' title='Notes 4-5' rev='footnote'>5</a>] La formule de Latour vise évidemment à marquer le fait que se déclarer apolitique ou au-delà de la politique ne constitue qu'une forme particulière de politique, mais exprimée sous la forme d'une dénégation. Par ailleurs, travailler à exclure la dimension politique de la recherche scientifique correspond clairement à une action politique. Voir Bruno Latour, « Socrates and Callicles' Settlement – or, the Invention of the impossible Body Politic », Configurations (1997), 5, 232. Quoted in H. Nowotny, Peter Scott and Michael Gibbons, Rethinking Science. Knowledge and the public in an Age of uncertainty (Cambridge, Polity Press, 2001), p. 2.</p> <p>[<a href='#nh4-6' id='nb4-6' class='spip_note' title='Notes 4-6' rev='footnote'>6</a>] <a href="http://www.scielo.org/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://www.scielo.org</a></p> <p>[<a href='#nh4-7' id='nb4-7' class='spip_note' title='Notes 4-7' rev='footnote'>7</a>] Le protocole OAI et ses usages en bibliothèques, François Nawrocki, janvier 2005. <a href="http://www.culture.gouv.fr/culture/dll/OAI-PMH.htm" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://www.culture.gouv.fr/culture/...</a></p></div> <div class='rss_ps'><p>***********************************************************************************</p> <p><span class='spip_document_1053 spip_documents spip_documents_left' style='float:left; width:150px;'> <img src='http://vecam.org/IMG/jpg/jc_guedon_opt150x208.jpg' width="150" height="208" alt="" /></span></p> <p><i>Jean-Claude Guédon, après avoir étudié la chimie s'est tourné vers l'histoire des sciences et a obtenu son Ph. D. dans cette discipline à l'Université du Wisconsin-Madison (USA) en 1974. Il étudie et enseigne les réseaux électroniques et diverses questions reliées à la publication électronique dans le département de littérature comparée de l'Université de Montréal. Il s'est fait connaître pour ses travaux sur l'Internet, sur la publication électronique et sur l'économie politique des publications savantes, créant notamment la revue Surfaces, première revue électronique universitaire du Canada.</p> <p>En 2001, il a participé à la réunion qui a donné naissance à la Déclaration de Budapest (février 2002), lieu de naissance du mouvement en faveur de l'accès libre. Il a également participé aux travaux du programme d'information de l'Open Society Institute. Ancien vice-président de la Fédération canadienne des Sciences humaines (2006-8), il a reçu divers prix pour ses travaux.</i></p> <p>***********************************************************************************</p></div> 7 - De l'accès libre à la science ouverte http://vecam.org/article1310.html http://vecam.org/article1310.html 2011-05-02T16:00:00Z text/html fr Philippe Aigrain Creative Commons Une version de ce texte a été présentée par Philippe Aigrain au titre d'une conférence invitée lors de la Berlin 6 Open Access Conference à Dusseldorf en novembre 2008. Il s'agit ici d'une version remaniée par l'auteur à partir de la présentation orale. Les publications scientifiques, entre propriété et bien commun Le mouvement pour l'accès libre aux publications scientifiques est né d'une révolte interne aux milieux scientifiques. La concentration croissante de l'édition de journaux scientifiques, l'envolée (...) - <a href="http://vecam.org/rubrique135.html" rel="directory">Libres savoirs, les biens communs de la connaissance</a> / <a href="http://vecam.org/mot17.html" rel="tag">Creative Commons</a> <div class='rss_chapo'><p><i>Une version de ce texte a été présentée par Philippe Aigrain au titre d'une conférence invitée lors de la Berlin 6 Open Access Conference à Dusseldorf en novembre 2008. Il s'agit ici d'une version remaniée par l'auteur à partir de la présentation orale.</i></p></div> <div class='rss_texte'><p><strong>Les publications scientifiques, entre propriété et bien commun</strong></p> <p>Le mouvement pour l'accès libre aux publications scientifiques est né d'une révolte interne aux milieux scientifiques. La concentration croissante de l'édition de journaux scientifiques, l'envolée des coûts des abonnements à la fin des années 80 les ont rendu inaccessibles aux pays en développement mais aussi aux bibliothèques universitaires de nombreux pays développés. Cela constituait de nouveaux obstacles mis à la diffusion rapide et générale des articles [<a href='#nb5-1' class='spip_note' rel='footnote' title='Pour une analyse de fond de l'histoire des publications scientifiques, voir (...)' id='nh5-1'>1</a>] qui éloignaient sans cesse la réalité de l'édition scientifique de l'idéal d'un partage du savoir. Cette évolution était d'autant plus paradoxale que la généralisation de l'accès à internet dans les institutions scientifiques rendait possible une diffusion rapide et universelle des publications. On retrouve ici une caractéristique commune à de nombreux domaines : le développement des Technologies d'Information et de Communication (TIC) conduit à des mouvements contradictoires [<a href='#nb5-2' class='spip_note' rel='footnote' title='Pour une analyse de ces effets contradictoires, voir les deux premiers (...)' id='nh5-2'>2</a>]. Pour ceux qui voient dans les TIC une occasion de maximiser les profits qu'ils tirent de l'information, il est naturel de mettre en place toujours plus de contrôles et de restrictions à l'accès, et lorsqu'on parvient à installer des monopoles ou oligopoles, de s'en servir pour fixer des prix arbitraires. Pour ceux qui voient dans les TIC un outil de partage des connaissances et de collaboration, les échanges libres hors marché s'imposent comme un choix naturel, pour peu que l'on rompe avec le dogme selon lequel seul ce qui a un prix aurait une valeur.</p> <p><strong>Des archives à la prise en main du devenir des publications scientifiques</strong></p> <p>Les premières actions de ce qui devint plus tard le mouvement pour l'accès libre se concentrèrent sur les besoins immédiats des scientifiques eux-mêmes : comment garantir aux scientifiques de chaque discipline un accès rapide aux publications ? C'est ainsi que se développèrent des « archives » dans lesquelles les scientifiques déposaient soit les versions avant publication de leurs travaux (preprints – prépublications) soit les articles publiés (reprints). Ces archives en libre accès pour tous, y compris en dehors de la discipline concernée, ont favorisé le développement de mécanismes d'indexation et de recherche des publications adaptés à l'internet. Le projet arXiv [<a href='#nb5-3' class='spip_note' rel='footnote' title='http://arxiv.org' id='nh5-3'>3</a>] mis en place à partir de 1991 par Paul Ginsparg, mobilisant essentiellement dans un premier temps les physiciens des hautes énergies, est typique de cette approche « archivage » de l'accès libre. Le but n'était pas de modifier l'organisation du système des journaux scientifiques, ni de concurrencer le modèle économique des éditeurs scientifiques. Compte tenu de la spécificité de cette discipline scientifique, qui vivait largement par l'échange de prépublications, l'archivage permettait simplement de garantir la rapidité d'accès aux publications. Un besoin essentiel pour les communautés scientifiques.</p> <p>Mais bien sûr, l'archivage ou encore la simple mise en ligne par les chercheurs sur leur propre site, parfois appelée auto-archivage, interagissent avec les politiques des éditeurs. Certains journaux n'autorisent pas la mise en ligne des articles, ou ne le tolèrent qu'après un très long délai. D'autres refusent de publier des articles dont les brouillons ont été mis en ligne avant publication. Ces tensions ont été au cœur de la première stratégie pour le libre accès – baptisée parfois Green road to open access – qui œuvrait pour que les chercheurs obtiennent le droit le plus large possible d'archivage de leurs propres publications. Ce mouvement demande également aux organismes de financement public de la recherche d'imposer systématiquement l'archivage en accès libre [<a href='#nb5-4' class='spip_note' rel='footnote' title='Le vote d'une loi aux États-Unis imposant un tel mandat d'archivage en accès (...)' id='nh5-4'>4</a>] (avec un délai plus ou moins bref après parution) des publications résultant des travaux qu'ils ont soutenus.</p> <p>D'autres chercheurs (ou les mêmes dans d'autres contextes) se sont fixés un objectif plus immédiatement ambitieux : créer des journaux scientifiques administrés par la communauté scientifique elle-même et développant des modèles économiques originaux pour assurer une diffusion en libre accès de versions numériques des publications. Cette seconde voie appelée Golden road to open access, part d'un constat simple : les scientifiques font déjà aujourd'hui l'essentiel du travail des revues : rédaction et mise en forme des articles, revue et sélection éditoriale, et bien sûr le travail scientifique lui-même. Ne peuvent-ils pas alors s'emparer de ce qui reste, à savoir la gestion du système de réputation et de la diffusion des revues ? Ne sont-ils pas pour cela aidés par la généralisation de l'internet ? Ce choix suppose l'invention de nouveaux modèles économiques – parmi lesquels certains sont en cours d'expérimentation.</p> <p>Ces deux voies du mouvement des scientifiques pour l'accès libre élargissent en permanence la quantité et la qualité des publications scientifiques accessibles directement par tous. Nous nous proposons de traiter ici les conséquences qui résultent de ce mouvement : que se passe-t-il au-delà de l'accès aux publications ? Celles-ci changent-elles quand leurs rédacteurs savent qu'elles vont être en accès libre ? Les communautés scientifiques se transforment-elles ? Que se passe-t-il pour les données et les outils de la recherche ? Y a-t-il un impact sur les objectifs de la recherche eux-mêmes ? Comment le rapport entre la science et la société se modifie-t-il lorsque de plus en plus de productions scientifiques sont placées sous le statut de bien commun ?</p> <p><strong>Publications informelles et articles lisibles par l'amateur cultivé</strong></p> <p>Alors que cela n'était pas leur but originel, les archives de publications sont devenues des moyens de communication directs au sein des communautés scientifiques concernées. Dans un site comme arXiv, on trouve un certain nombre de publications informelles, qui n'ont pas forcément vocation à devenir des publications classiques. Même si leur nombre reste limité en proportion des plus de 500 000 publications archivées dans arXiv, ces publications informelles n'ont pas fait l'objet de « revues par les pairs ». Seule une étude d'envergure permettrait d'évaluer leur qualité, mais un simple butinage dans des champs connus de l'auteur montre que certaines publications informelles sont d'une qualité significative [<a href='#nb5-5' class='spip_note' rel='footnote' title='Lors de mon exposé à la Berlin 6 Open Access Conference, j'ai attiré (...)' id='nh5-5'>5</a>]. Fait intéressant, ces publications semblent émaner souvent de chercheurs de pays émergents ou concerner des travaux interdisciplinaires.</p> <p>Les archives de publications n'ont pas été conçues pour cet usage, et l'immense majorité des publications informelles passe par d'autres canaux : sites web personnels des auteurs, sites fédérant des communautés de recherche [<a href='#nb5-6' class='spip_note' rel='footnote' title='Voir par exemple la Free / Open Source Research Community du MIT qui a joué (...)' id='nh5-6'>6</a>]. Il est encore trop tôt pour savoir si ce type d'exposition précoce de travaux à l'accès général modifiera en profondeur les pratiques scientifiques.</p> <p>De façon peut-être plus significative, l'étude des publications des journaux en libre accès montre des modifications dans le style même de rédaction des articles, en comparaison avec des publications propriétaires. Des champs comme la biologie et les biotechnologies se caractérisent par des structures d'articles normalisées qui facilitent la lecture pour le spécialiste [<a href='#nb5-7' class='spip_note' rel='footnote' title='On parle de la structure « IMRAD » : Introduction, Méthode, Résultats et (and) (...)' id='nh5-7'>7</a>], mais aussi par un jargon très hostile au lecteur qui n'est pas spécialiste de la discipline ou même de la micro-discipline concernée, même lorsqu'il est doté d'une bonne culture générale scientifique. C'est dans ce domaine de la recherche biologique et biomédicale que s'est développée l'une des initiatives emblématiques des publications en accès libre : la création de la Public Library of Science (PLoS) [<a href='#nb5-8' class='spip_note' rel='footnote' title='http://www.plos.org/' id='nh5-8'>8</a>]. PLoS édite des journaux en ligne mais aussi des versions imprimées de certains de ces journaux. On peut noter plusieurs tendances intéressantes dans les articles de PLoS Biology, PLoS Medicine ou PLoS Pathogens :</p> <p>— en complément au « résumé » (abstract) formel, souvent illisible pour le non-spécialiste, un résumé spécifique a été ajouté afin de présenter les résultats de l'article pour le lecteur non-spécialiste [<a href='#nb5-9' class='spip_note' rel='footnote' title='On retrouve ce choix dans certains journaux propriétaires, mais cette (...)' id='nh5-9'>9</a>] ;</p> <p>— plus généralement, les articles incluent plus d'éléments de contexte et de justification ;</p> <p>— les articles les plus lus sont ceux qui traitent de sujets intéressant aussi les lecteurs de disciplines voisines (par exemple épidémiologie, santé publique) ;</p> <p>— de façon liée, on voit apparaître un plus grand nombre d'articles multidisciplinaires, sans qu'il soit aisé de savoir s'il s'agit d'une ligne éditoriale ou si cela reflète une évolution des soumissions.</p> <p>Les processus qui entourent les publications évoluent également. Ainsi la Public Library of Science a-t-elle créé un journal expérimental – Plos-ONE [<a href='#nb5-10' class='spip_note' rel='footnote' title='http://www.plosone.org' id='nh5-10'>10</a>] – avec un processus de revue rapide (un mois ou un mois et demi). Les articles acceptés sont mis en ligne et ouverts aux commentaires du public. Un système d'annotation en ligne spécifique a été développé pour cela, dont les fonctionnalités se rapprochent de systèmes plus généralistes comme co-ment® [<a href='#nb5-11' class='spip_note' rel='footnote' title='http://www.co-ment.net' id='nh5-11'>11</a>]. Il s'agit d'un exemple parmi d'autres de l'évolution de l'édition vers un rôle d'animation des échanges des communautés scientifiques.</p> <p><strong>Des communautés scientifiques à champ plus large et plus ouvert</strong></p> <p>Les communautés scientifiques concrètes qui forment une micro-discipline se définissent autour d'une ou quelques revues et de quelques conférences. Les éditeurs de journaux propriétaires trouvent un intérêt à la multiplication sans fin des revues – un des facteurs [<a href='#nb5-12' class='spip_note' rel='footnote' title='Les intérêts propres des chercheurs et des institutions jouent également un (...)' id='nh5-12'>12</a>] qui contribue à un émiettement excessif des communautés scientifiques. À l'opposé, les publications en accès libre se créent généralement en couvrant un champ plus vaste, tout en se différenciant au fur et à mesure de leur succès. L'exemple de la Public Library of Science est parlant de ce point de vue : interdisciplinaire dans le domaine biologique, cette revue permet des échanges de savoirs au delà de communautés trop restreintes. Y aura-t-il convergence de ce processus vers un « idéal » qui couvrirait un champ suffisamment large et ouvert pour qu'une mise en correspondance soit possible, mais valorisant tout de même à un travail approfondi et spécifique au sein d'une communauté plus large qui partage des savoirs fondamentaux complexes ?</p> <p><strong>Science ouverte… ou pas de science du tout : les régimes de biens communs pour les données, les outils et les matériaux de recherche</strong></p> <p>L'expression « science ouverte » qui donne son titre à ce chapitre peut surprendre : que serait donc une science non ouverte ? Malheureusement, une grande part de la recherche scientifique et technique relève bel et bien d'une telle contradiction dans les termes. Dès 2000 dans une intervention à l'OECD Global Research Village [<a href='#nb5-13' class='spip_note' rel='footnote' title='Ph. Aigrain, Open Source Software for Research, OECD Global Research (...)' id='nh5-13'>13</a>], je soulignais que le simple fait qu'une part importante des résultats scientifiques soit aujourd'hui « enfermée » dans des logiciels propriétaires suffisait, pour de nombreux résultats, à réduire à néant la capacité de vérification par les pairs qui est au principe même de la science. Il n'est donc pas étonnant qu'au-delà des seules publications scientifiques, un vaste mouvement se soit développé pour (re)donner aux données, outils et matériaux scientifiques un statut de biens communs librement utilisables par tous.</p> <p>La définition de ces régimes de biens communs pose des problèmes importants : il ne suffit pas en effet de transposer l'approche des logiciels libres aux données ou aux matériaux scientifiques (lignées de cellules, variétés végétales, etc.). Plusieurs difficultés se présentent.</p> <p>Comme il n'existe pas encore de définition directe en droit d'un statut de biens communs volontaires [<a href='#nb5-14' class='spip_note' rel='footnote' title='oir mes propositions sur ce plan dans Ph. Aigrain, « Towards a positive (...)' id='nh5-14'>14</a>], la mise sous un tel statut passe par l'application de licences. Mais celles-ci doivent s'appuyer sur un droit exclusif (le droit d'auteur ou copyright dans le cas du logiciel et des autres expressions créatives, par exemple), dont elles sont une extension. Or un tel droit exclusif n'existe pas forcément, en particulier dans le cas des données scientifiques [<a href='#nb5-15' class='spip_note' rel='footnote' title='Si l'on fait exception de l'aberrante protection des bases de données établie (...)' id='nh5-15'>15</a>], pour lesquelles celui qui a constitué les données est simplement celui qui va décider de les rendre publiques ou non. Lorsqu'un droit exclusif existe, c'est sous des formes (brevets, certificats d'obtentions de variétés végétales) qui freinent trop l'utilisation pour que l'on puisse parler de création d'un bien commun. Ainsi les brevets ont une validité territoriale (ils s'appliquent pays par pays), et la garantie d'un droit d'usage à partir d'une licence de brevets est par nature fragile face à l'existence possible d'autres brevets. On pourrait penser à simplement dire : voilà mes données, voilà mes matériaux biologiques, faites-en ce que vous voulez. Mais certaines données, comme les variations du génome, ont un caractère très sensible (elles peuvent concerner des individus, des familles, des ethnies) et l'accès libre doit s'accompagner de l'adhésion à des principes de bon usage. Dans d'autres cas (variétés végétales), le bien commun doit être protégé contre la réappropriation par ceux qui n'apporteraient que des améliorations mineures sur des lignées ayant déjà une longue histoire de partage dans les communautés paysannes.</p> <p>Des expérimentations à grande échelle [<a href='#nb5-16' class='spip_note' rel='footnote' title='Pour un traitement plus approfondi, voir Ph. Aigrain, « Innovation partagée (...)' id='nh5-16'>16</a>] pour l'élaboration de statuts adaptés aux données scientifiques ont lieu dans des projets comme le Hapmap project [<a href='#nb5-17' class='spip_note' rel='footnote' title='http://www.hapmap.org/' id='nh5-17'>17</a>], Science Commons [<a href='#nb5-18' class='spip_note' rel='footnote' title='http://www.sciencecommons.org' id='nh5-18'>18</a>], Cambia / BiOS [<a href='#nb5-19' class='spip_note' rel='footnote' title='http://www.bios.net/daisy/bios/home.html' id='nh5-19'>19</a>], ou la BioBrick Foundation [<a href='#nb5-20' class='spip_note' rel='footnote' title='http://openwetware.org/wiki/The_Bio...' id='nh5-20'>20</a>].</p> <p><strong>De nouvelles interactions entre science et société</strong></p> <p>En rendant l'information scientifique plus accessible, plus lisible et plus débattue, l'accès libre a créé l'une des conditions pour qu'émergent de nouvelles interactions entre la recherche scientifique et technique, les citoyens et les organisations de la société civile.</p> <p>En ce qui concerne l'évolution des communautés scientifiques, l'une des tendances les plus prometteuses issues de l'accès libre est le fait qu'elles réfléchissent de façon plus poussée et ouverte à leur propre devenir. Cette réflexion se fait à travers des articles spécifiques baptisés « essais » mais aussi à travers des articles scientifiques proprement dits. Elles mobilisent les chercheurs spécialisés (par exemple en politique de recherche ou en bibliométrie) mais aussi les chercheurs des disciplines elles-mêmes. Cette tendance est particulièrement sensible dans les domaines liés à la santé publique [<a href='#nb5-21' class='spip_note' rel='footnote' title='Pour des exemples, voir : M. Ezzati, A. B. Freidman, S. C. Kulkrani, C. J. (...)' id='nh5-21'>21</a>].</p> <p>Pour que ces interactions se développent et qu'elles puissent avoir lieu y compris en amont des travaux scientifiques, lors du débat sur les orientations de la recherche et les incitations à innover, il faudra également une modification importante sur l'autre versant : que les citoyens s'approprient des niveaux suffisants de culture scientifique pour pouvoir participer à des dialogues constructifs. La promesse de l'accès libre est peut-être dans la création d'un cercle vertueux en la matière : en rendant la recherche plus accessible, moins étroitement spécialisée, plus réfléchie, on la rend aussi plus attirante, plus accueillante à la curiosité du public.</p></div> <hr /> <div class='rss_notes'><p>[<a href='#nh5-1' id='nb5-1' class='spip_note' title='Notes 5-1' rev='footnote'>1</a>] Pour une analyse de fond de l'histoire des publications scientifiques, voir Jean-Claude Guédon, A l'ombre d'Oldenburg : Bibliothécaires, chercheurs scientifiques, maisons d'édition et le contrôle des publications scientifiques ; Colloque ARL, Toronto, mai 2001. <a href="http://archives.univ-lyon2.fr/30/1/oldenburg-jcguedon.pdf" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://archives.univ-lyon2.fr/30/1/...</a></p> <p>[<a href='#nh5-2' id='nb5-2' class='spip_note' title='Notes 5-2' rev='footnote'>2</a>] Pour une analyse de ces effets contradictoires, voir les deux premiers chapitres de Cause commune : l'information entre bien commun et propriété, par Philippe Aigrain, Paris : Fayard, 2005. <a href="http://causecommune.org/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://causecommune.org</a></p> <p>[<a href='#nh5-3' id='nb5-3' class='spip_note' title='Notes 5-3' rev='footnote'>3</a>] <a href="http://arxiv.org/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://arxiv.org</a></p> <p>[<a href='#nh5-4' id='nb5-4' class='spip_note' title='Notes 5-4' rev='footnote'>4</a>] Le vote d'une loi aux États-Unis imposant un tel mandat d'archivage en accès libre des publications de travaux financés par le NIH (National Institutes of Health, agence de recherche médicale du gouvernement fédéral) a donné lieu à des oppositions très vives de la part des intérêts éditoriaux.</p> <p>[<a href='#nh5-5' id='nb5-5' class='spip_note' title='Notes 5-5' rev='footnote'>5</a>] Lors de mon exposé à la Berlin 6 Open Access Conference, j'ai attiré l'attention sur deux exemples : Chunxi Li et Changia Chen, Initial Offset Placement in P2P Live Streaming Systems, <a href="http://arXiv.org/abs/0810.2063v1" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://arXiv.org/abs/0810.2063v1</a> ; & Soubhik Chakraborty, Sandeep Singh Solanki, Sayan Roy, Shivee Chauhan Sanjaya Sharkar Tripathy and Kartik Mahto, A Statistical Approach to modeling Indian Classical Music Performance, <a href="http://arXiv.org/abs/0809.3214v2" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://arXiv.org/abs/0809.3214v2</a></p> <p>[<a href='#nh5-6' id='nb5-6' class='spip_note' title='Notes 5-6' rev='footnote'>6</a>] Voir par exemple la Free / Open Source Research Community du MIT qui a joué un rôle important dans la maturation d'une communauté de recherche sur les logiciels et l'information libres. <a href="http://freesoftware.mit.edu/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://freesoftware.mit.edu/</a></p> <p>[<a href='#nh5-7' id='nb5-7' class='spip_note' title='Notes 5-7' rev='footnote'>7</a>] On parle de la structure « IMRAD » : Introduction, Méthode, Résultats et (and) Discussion ; <a href="http://en.wikipedia.org/wiki/IMRAD" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://en.wikipedia.org/wiki/IMRAD</a></p> <p>[<a href='#nh5-8' id='nb5-8' class='spip_note' title='Notes 5-8' rev='footnote'>8</a>] <a href="http://www.plos.org/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://www.plos.org/</a></p> <p>[<a href='#nh5-9' id='nb5-9' class='spip_note' title='Notes 5-9' rev='footnote'>9</a>] On retrouve ce choix dans certains journaux propriétaires, mais cette innovation est cependant à porter au crédit des journaux en accès libre.</p> <p>[<a href='#nh5-10' id='nb5-10' class='spip_note' title='Notes 5-10' rev='footnote'>10</a>] <a href="http://www.plosone.org/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://www.plosone.org</a></p> <p>[<a href='#nh5-11' id='nb5-11' class='spip_note' title='Notes 5-11' rev='footnote'>11</a>] <a href="http://www.co-ment.net/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://www.co-ment.net</a></p> <p>[<a href='#nh5-12' id='nb5-12' class='spip_note' title='Notes 5-12' rev='footnote'>12</a>] Les intérêts propres des chercheurs et des institutions jouent également un rôle dans cet émiettement. Il n'est pas aisé de définir l'optimum en matière de taille d'une communauté de travail concrète.</p> <p>[<a href='#nh5-13' id='nb5-13' class='spip_note' title='Notes 5-13' rev='footnote'>13</a>] Ph. Aigrain, Open Source Software for Research, OECD Global Research Village Conference, Amsterdam, 2000, <a href="http://paigrain.debatpublic.net/docs/GRVproceedings.pdf" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://paigrain.debatpublic.net/doc...</a> (page 63-66).</p> <p>[<a href='#nh5-14' id='nb5-14' class='spip_note' title='Notes 5-14' rev='footnote'>14</a>] oir mes propositions sur ce plan dans Ph. Aigrain, « Towards a positive recognition of commons-based research and innovation in international norms », version développée d'un exposé au séminaire New Tools for the Dissemination and Knowledge and the Promotion of Innovation and Creativity : Global Developments and Regional Challenges, Alexandrie, Egypte, sept. 2006, <a href="http://paigrain.debatpublic.net/docs/Aigrain-Alexandria-080906.pdf" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://paigrain.debatpublic.net/doc...</a></p> <p>[<a href='#nh5-15' id='nb5-15' class='spip_note' title='Notes 5-15' rev='footnote'>15</a>] Si l'on fait exception de l'aberrante protection des bases de données établie dans l'Union européenne par la directive 96/9/CE, et aujourd'hui remise en cause notamment autour de la libre circulation des données publiques et scientifiques.</p> <p>[<a href='#nh5-16' id='nb5-16' class='spip_note' title='Notes 5-16' rev='footnote'>16</a>] Pour un traitement plus approfondi, voir Ph. Aigrain, « Innovation partagée et biens communs en biologie », in F. Bellivier et C. Noiville, La bioéquité : Batailles autour du partage du vivant, Éditions Autrement, mars 2009 (ISBN : 978-2746712669).</p> <p>[<a href='#nh5-17' id='nb5-17' class='spip_note' title='Notes 5-17' rev='footnote'>17</a>] <a href="http://www.hapmap.org/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://www.hapmap.org/</a></p> <p>[<a href='#nh5-18' id='nb5-18' class='spip_note' title='Notes 5-18' rev='footnote'>18</a>] <a href="http://www.sciencecommons.org/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://www.sciencecommons.org</a></p> <p>[<a href='#nh5-19' id='nb5-19' class='spip_note' title='Notes 5-19' rev='footnote'>19</a>] <a href="http://www.bios.net/daisy/bios/home.html" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://www.bios.net/daisy/bios/home.html</a></p> <p>[<a href='#nh5-20' id='nb5-20' class='spip_note' title='Notes 5-20' rev='footnote'>20</a>] <a href="http://openwetware.org/wiki/The_BioBricks_Foundation" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://openwetware.org/wiki/The_Bio...</a></p> <p>[<a href='#nh5-21' id='nb5-21' class='spip_note' title='Notes 5-21' rev='footnote'>21</a>] Pour des exemples, voir : M. Ezzati, A. B. Freidman, S. C. Kulkrani, C. J. L. Murray, « The Reversal of Fortunes : Trends in County Mortality Disparities in the United States », PLoS Medicine Vol. 5, No. 4, e66 doi:10.1371/journal.pmed.0050066 & D.A. Brand, M. Saisana, L.A. Lynn, F. Pennoni, A. B. Lowenfels, « Comparative Analysis of Alcohol Control Policies in 30 Countries », PLoS Medicine Vol. 4, No. 4, e151 doi:10.1371/journal.pmed.0040151</p></div> <div class='rss_ps'><p>***********************************************************************************</p> <p><span class='spip_document_1052 spip_documents spip_documents_left' style='float:left; width:150px;'> <img src='http://vecam.org/IMG/jpg/aigrain11_opt150x175.jpg' width="150" height="175" alt="" /></span></p> <p><i>Philippe Aigrain est informaticien et analyste des enjeux informationnels. Il dirige Sopinspace une société spécialisée dans les outils et services du débat public utilisant internet.</p> <p>Il est l'auteur en 2005 de Cause commune : l'information entre bien commun et propriété, Fayard/Transversales, qui fut le premier livre publié en français sur les biens communs de la connaissance. (<a href="http://causecommune.org/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://causecommune.org</a>), et de Internet & Création : comment reconnaître les échanges sur internet en finançant la création, (Éditions In Libro Veritas, 2008), un livre où il développe une approche globale permettant de repenser la rémunération de la création en s'appuyant sur le partage et les communs.</p> <p>Membre fondateur de l'association La quadrature du net (<a href="http://www.laquadrature.net/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://www.laquadrature.net</a>), Philippe Aigrain développe régulièrement ses idées sur son blog : <a href="http://paigrain.debatpublic.net/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://paigrain.debatpublic.net/</a></i></p> <p>***********************************************************************************</p></div> 8 - La chaîne de la communication dans les sciences de la santé : des chercheurs aux praticiens, l'impact du libre accès http://vecam.org/article1311.html http://vecam.org/article1311.html 2011-05-02T15:00:00Z text/html fr Barbara Kirsop, Leslie Chan, Subbiah Arunachalam Creative Commons Traduction de The chain of communication in health science : from researcher to health worker through open access, article publié dans la revue en ligne Open Medicine, 2009, 3 (3), p. 11-119. Les données chiffrées ont été actualisées par les auteurs en août 2010. Traduit de l'anglais par Samir Hachani La chaîne de la communication dans les sciences de la santé : des chercheurs aux praticiens, l'impact du libre accès Les secteurs privés et publics dépensent chaque année, à l'échelle du monde, des (...) - <a href="http://vecam.org/rubrique135.html" rel="directory">Libres savoirs, les biens communs de la connaissance</a> / <a href="http://vecam.org/mot17.html" rel="tag">Creative Commons</a> <div class='rss_chapo'><p><i>Traduction de The chain of communication in health science : from researcher to health worker through open access, article publié dans la revue en ligne Open Medicine, 2009, 3 (3), p. 11-119. Les données chiffrées ont été actualisées par les auteurs en août 2010. Traduit de l'anglais par Samir Hachani</i></p></div> <div class='rss_texte'><p><strong>La chaîne de la communication dans les sciences de la santé : des chercheurs aux praticiens, l'impact du libre accès </strong></p> <p>Les secteurs privés et publics dépensent chaque année, à l'échelle du monde, des milliards de dollars en recherche biomédicale et en recherche ayant un rapport avec la santé. Malgré cela, dans nombre de régions du monde, les systèmes de soins sont loin d'atteindre les résultats de santé fixés par les Objectifs du Millénaire pour le Développement des Nations-Unies. Les raisons de cet écart sont complexes, mais un des facteurs clés constamment cité est l'incapacité à concrétiser les résultats de la recherche en des pratiques et politiques effectives. Dès lors, il n'est pas surprenant que les organismes de santé et les organismes de financement dans le monde s'intéressent de plus en plus à la « traduction du savoir », développant des mécanismes qui « renforcent la communication entre les chercheurs en santé et les utilisateurs du savoir relatif à la santé, augmentent la capacité de transmission du savoir, et accélèrent la transcription du savoir en des applications de santé bénéfiques » [<a href='#nb6-1' class='spip_note' rel='footnote' title='Canadian Institutes of Health Research. Knowledge translation overview. (...)' id='nh6-1'>1</a>]. Simultanément, les agences de financement de la recherche reconnaissent qu'un composant essentiel du processus de traduction du savoir repose sur la distribution la plus large possible des résultats des recherches primaires qu'ils ont soutenues. Selon Robert Terry, un ancien haut conseiller au Wellcome Trust, la plus grande agence de financement médicale privée caritative en Grande Bretagne, « financer la recherche ne constitue que la première moitié du travail. Une partie fondamentale de notre mission est d'assurer la plus large dissémination possible et un accès sans restrictions aux fruits de cette recherche » [<a href='#nb6-2' class='spip_note' rel='footnote' title='Alma S. « Open access and the health sciences in the developing world : an (...)' id='nh6-2'>2</a>]. Le Wellcome Trust estime que maximiser l'accès aux recherches qu'il finance augmentera les applications de santé et les avantages susceptibles d'en être tirés. En conséquence, depuis 2005, le Trust assortit ses subventions d'une condition : le dépôt d'une copie électronique des articles scientifiques résultants du financement dans l'entrepôt en libre accès de PubMed Central UK et ce dans les 6 mois suivant la publication [<a href='#nb6-3' class='spip_note' rel='footnote' title='Wellcome Trust. Position statement in support of open and unrestricted (...)' id='nh6-3'>3</a>].</p> <p>Le Research Councils UK, dont le Medical Research Council est l'un des membres, fut un des premiers organismes à exiger le dépôt d'articles scientifiques dans les entrepôts institutionnels en accès libre. Plus récemment, le NIH (National Institutes of Health – États-Unis), la plus grande organisation de financement médical au monde, a imposé aux chercheurs de soumettre dans PubMed Central les manuscrits des articles de revues contrôlées par les pairs produits par les recherches ayant bénéficié du financement du NIH. Cette exigence a été renforcée par le vote du Public Access Policy (Consolidated Appropriation Act) par le Congrès des États-Unis en 2008 [<a href='#nb6-4' class='spip_note' rel='footnote' title='National Institutes of Health Public Access. Overview [http://publicaccess.nih.g' id='nh6-4'>4</a>]]. De la même manière, les Instituts de Recherche en Santé du Canada (IRSC – Canadian Institutes of Health Research, HICR) ont mis en place une politique de libre accès en imposant aux auteurs ayant reçu un financement de l'IRSC de rendre leurs publications disponibles librement au bout de six mois. De plus, ils exigent des bénéficiaires de ses subventions le dépôt des coordonnées bioinformatiques, atomiques et moléculaires, dans les bases de données publiques appropriées, immédiatement après la publication des résultats de la recherche (par exemple le dépôt des séquences d'acide nucléique dans GenBank) [<a href='#nb6-5' class='spip_note' rel='footnote' title='Canadian Institutes of Health Research. Policy on access to research (...)' id='nh6-5'>5</a>].</p> <p>Ces exemples sont représentatifs d'agences qui ont compris que « l'accès en temps opportun et sans restrictions aux résultats de la recherche est une caractéristique qui définit la science et qui est essentielle pour faire progresser notre connaissance et notre compréhension de la maladie et de la santé humaines » [<a href='#nb6-6' class='spip_note' rel='footnote' title='Canadian Institutes of Health Research. Open access to health research (...)' id='nh6-6'>6</a>]. Ce sont maintenant 252 grands organismes de recherche et structures de financement qui développent des politiques similaires et sont répertoriés dans la base de données du Registry of Open Access Repositories Material Archiving Policies (ROARMAP), et 20 autres pour lesquels ce genre de recommandations est en phase de mise en place [<a href='#nb6-7' class='spip_note' rel='footnote' title='Registry of Open Access Repository Material Archiving Policies (ROARMAP). (...)' id='nh6-7'>7</a>]. On sait pertinemment que les limites à l'accès aux publications de la recherche, imposées par le coût des revues et par les restrictions du copyright, conduisent à l'inefficacité. Elles engendrent des retards dans les découvertes et l'isolement des chercheurs. Par-dessus tout, elles détruisent le lien continu entre les chercheurs et les usagers de la recherche. Les organismes de financement demandent de plus en plus à ceux qui sollicitent des bourses de fournir les adresses des sites web institutionnels dans lesquels ils ont déposés les publications qu'ils citent, les experts scientifiques des financeurs ne disposant pas toujours d'un abonnement aux journaux cités [<a href='#nb6-8' class='spip_note' rel='footnote' title='Terry R. « Funding the way to open access » PLoS Biol 2005 ; 3 (3) : e97 (...)' id='nh6-8'>8</a>]. Bien au-delà des autres chercheurs, les utilisateurs des résultats scientifiques incluent aussi les décideurs et les acteurs politiques, les travailleurs de la santé, les organisations non gouvernementales et le grand public lui-même. Le libre accès pour tous devient un enjeu vital pour le succès du processus d'échange des connaissances. Il augmente considérablement les chances de traduire la recherche médicale en une réelle amélioration de la santé publique.</p> <p>Cet article traitera de l'impact de l'accès libre sur les publications dans le domaine de la recherche sur la santé publique, et détaillera les stratégies permettant de rendre les articles accessibles et réutilisables. Nous essaierons de fournir des exemples de réussites d'ores et déjà enregistrées, et nous conclurons avec quelques recommandations pour optimiser le retour sur investissement global de la recherche biomédicale.</p> <p><strong>Inadaptation à l'objectif</strong></p> <p>La chaîne de transfert du savoir en santé humaine débute au sein des laboratoires de recherche, dans les départements des universités, dans les instituts ou les entreprises spécialisées… tous lieux de production des nouvelles connaissances. Elle se poursuit ensuite jusqu'à la communauté en général au travers des publications contrôlées par les pairs. Cette chaîne peut être interrompue à n'importe quel chaînon en raison de problèmes techniques, légaux ou financiers. Si le lien primaire entre les chercheurs originaux et les utilisateurs est brisé, rien de nouveau ne peut émerger pour soutenir les services de santé dans le monde. L'investissement global placé dans la recherche est gaspillé [<a href='#nb6-9' class='spip_note' rel='footnote' title='Godlee F, Pakenham-Walsh N, Ncayiyana D, Cohen B, Packer A. « Can we achieve (...)' id='nh6-9'>9</a>].</p> <p>Traditionnellement, les chercheurs ont publiés leurs résultats dans des revues dont le contrôle par les pairs assure l'authenticité et la précision. De nos jours, cependant, les revues sont devenues des véhicules moins efficaces pour la dissémination du savoir parce que le prix de leurs abonnements a augmenté beaucoup plus que l'inflation, éliminant les lecteurs, notamment dans les nations les plus pauvres. Selon une étude de l'OMS, les instituts médicaux dans les pays aux revenus les plus bas ont perdu la capacité d'acheter ne serait-ce qu'une seule revue [<a href='#nb6-10' class='spip_note' rel='footnote' title='Aronson B. « Improving online access to medical information for low-income (...)' id='nh6-10'>10</a>], ce qui conduit leurs chercheurs à travailler dans une bulle, isolés des découvertes ayant lieu dans le reste du monde.</p> <p><strong>Inquiétudes mondiales pour la santé</strong></p> <p>Les inquiétudes liées aux difficultés d'accès à l'information issue des recherches ont débouché sur plusieurs initiatives. Pour que celles-ci réussissent, elles doivent se doter d'outils de publication électronique et conduire à l'indépendance de la recherche. En 1982, un rapport de l'Unesco, par la suite relayé par de nombreuses organisations internationales, déclara que « l'assimilation de l'information scientifique et technique est une condition préalable au développement des pays » [<a href='#nb6-11' class='spip_note' rel='footnote' title='United Nations Educational, Scientific and Cultural Organization. Draft (...)' id='nh6-11'>11</a>]. L'OMS (Organisation Mondiale de la Santé) et la FAO (Food and Agriculture Organization), qui appartiennent au système des Nations-Unies ont mis en place les programmes de soutien Access To Research Initiative (HINARI) et Access To Global Online Research in Agriculture (AGORA) au travers desquels des revues scientifiques commerciales partenaires fournissent un accès gratuit aux universités et bibliothèques des instituts membres dans les pays dont le PNB per capita est inférieur à 1000$ US. Même si ces programmes ont comblé des vides, leur influence demeure limitée et ils ne suffisent pas à consolider les savoirs essentiels d'un pays dans toutes les disciplines de recherche [<a href='#nb6-12' class='spip_note' rel='footnote' title='Notons que ces accords commerciaux sont fragiles, comme en témoigne le (...)' id='nh6-12'>12</a>].</p> <p>Partout les communautés scientifiques ont besoin de liberté, d'une part pour accéder à l'ensemble du savoir mondial au rythme des besoins imposés par leurs travaux, et d'autre part pour faire connaître leurs propres résultats de recherche auprès de la communauté scientifique internationale. C'est seulement lorsque les actuelles différences de savoir Nord-Sud, Sud-Nord et Sud-Sud seront éliminées que la recherche pourra s'amplifier afin de répondre aux besoins croissants, notamment dans le domaine de la santé. L'irruption de nouveaux foyers de maladies infectieuses inconnues, la menace de la grippe aviaire, le fléau du SIDA, l'actuelle mortalité enfantine due au paludisme et autres maladies négligées ne peuvent trouver de réponses que par une mobilisation des efforts coopératifs des chercheurs. L'urgence du changement climatique, les inquiétudes environnementales, de même que la nécessité d'intensifier la recherche agricole, montrent l'importance du partage des résultats de recherche avec ceux qui n'ont pas les moyens de faire face à l'inflation des abonnements aux revues et aux autres limitations à l'accès.</p> <p><strong>Conséquences sur la santé publique d'un accès réduit aux recherches en cours</strong></p> <p>Les conséquences de la privation de l'accès à l'information sont maintenant reconnues. Quelques exemples en soulignent le danger.</p> <p>Gavin Yamey en fournit plusieurs dans son article « Limiter l'accès des plus pauvres à l'information biomédicale : une violation des droits humains qui met en danger la santé mondiale » [<a href='#nb6-13' class='spip_note' rel='footnote' title='Yamey G. « Excluding the poor from accessing biomedical littérature : a (...)' id='nh6-13'>13</a>]. À l'image de ce médecin d'Afrique du Sud dont l'accès à l'information se résumait aux résumés des articles postés sur internet, et qui modifia un programme de prévention du SIDA périnatal à la suite de la simple lecture d'un résumé. Yamey insiste : si le médecin avait eu accès à l'article en texte intégral, il aurait sans aucun doute réalisé que les résultats étaient basés sur des données incomplètes, obtenues par le suivi à court terme d'un petit groupe de patients et qu'ils avaient peu de chances d'être applicables à la situation qu'il devait gérer. La décision de modifier le traitement basée seulement sur les conclusions du résumé pourrait avoir conduit à une augmentation de la transmission périnatale du virus du SIDA… mais ce médecin n'avait pas les moyens pour acheter le texte intégral de l'article. Des limitations similaires concernant l'accès à la recherche privèrent un professeur de l'Université Makerere, principale université en Ouganda de la capacité à répondre à une proposition de bourse afin d'entamer une recherche sur la « Maladie de nodding », une maladie dont le principal symptôme consiste en un profond et inconscient hochement de tête de la part des victimes, souvent des enfants, quand on leur présente de la nourriture. Or cette maladie est très répandue dans sa zone, et affecte de nombreux enfants du sud Soudan.</p> <p>Un autre exemple de rupture dans la chaîne de l'information a conduit Olayinka Ayankogbe, maître de conférences en médecine familiale au Départment of Community Health and Primary Care du Collège de Médecine de l'Université de Lagos au Nigéria, à écrire un message dans le Forum HIFA 2015 [<a href='#nb6-14' class='spip_note' rel='footnote' title='Le Forum HIFA 2015 (Health Information Forum) que l'on peut trouver à (...)' id='nh6-14'>14</a>] pour affirmer que « les progrès principaux dans le traitement des maladies endémiques faits au Nord sont ‘étrangers' à la plupart des docteurs praticiens ici même, à Lagos. Prenons l'exemple du SIDA. Les informations concernant les thérapies les plus récentes et les plus avancées sont, dans le meilleur des cas, limitées aux quelques professeurs spécialisés au sein des universités. La plupart des généralistes ne savent pas grand-chose. Le moins que l'on puisse dire est que cette différence d'information est terrible, si ce mot lui-même est assez fort » [<a href='#nb6-15' class='spip_note' rel='footnote' title='Ayankogbe OO. Response to : Report : Access to health information and (...)' id='nh6-15'>15</a>].</p> <p>Un autre cas démontrant l'importance du libre accès aux publications mais aussi aux données est apparu au cours de la Conférence Berlin 5 (Accès libre, de l'expérience à l'impact : conséquences de la dissémination des connaissances) qui s'est tenu à Padoue en Italie au mois de septembre 2007. Ilaria Capua y délivra une communication sur son travail concernant la grippe aviaire et la découverte par son laboratoire de séquences génétiques importantes pouvant conduire au confinement du virus. Mais elle perturba l'assistance en précisant qu'on l'avait initialement découragée de placer ses données dans la base de données gratuite et en libre accès GenBank [<a href='#nb6-16' class='spip_note' rel='footnote' title='Kirsop B. Berlin 5 : Open Access from practice to impact. Padua, September (...)' id='nh6-16'>16</a>]]. Parce qu'elle était pleinement convaincue de l'importance du partage des données, Ilaria Capua a lancé le projet global GISAID, The Global Initiative on Sharing Avian Influenza [<a href='#nb6-17' class='spip_note' rel='footnote' title='SeedMagazine.com. « Revolutionary minds : Ilaria Capua » [Video]. (accessed (...)' id='nh6-17'>17</a>] afin de partager largement l'information sur la grippe aviaire.</p> <p>En sens inverse, l'efficacité du partage de l'information scientifique d'une manière ouverte ne fut jamais aussi manifeste qu'au début de l'épidémie du SRAS en 2003. Au plus fort de cet épisode, il y eut une ouverture et une disponibilité sans précédent pour un partage immédiat de l'information scientifique critique. Grâce à la collaboration de 13 grands laboratoires et de 10 pays, le coronavirus responsable du déclenchement de l'épidémie fut rapidement identifié et son génome séquencé au bout de quelques semaines seulement [<a href='#nb6-18' class='spip_note' rel='footnote' title='WHO Regional Office for the Western Pacific. SARS : How a global epidemic (...)' id='nh6-18'>18</a>]. Dans un communiqué de l'OMS, le Dr. Klaus Stöhr, qui a coordonné le réseau collaboratif de recherche, confirma : « Dans ce monde globalisé, ce genre de collaboration est la seule manière d'avancer dans le combat contre les maladies émergentes » [<a href='#nb6-19' class='spip_note' rel='footnote' title='World Health Organization. Coronavirus never before seen in humans is the (...)' id='nh6-19'>19</a>].</p> <p><strong>Une solution à l'horizon</strong></p> <p>Depuis 2001, la communauté universitaire mondiale a commencé à prendre des mesures correctives. Elle est en train d'adopter largement les recommandations de l'Initiative pour l'Accès Ouvert de Budapest (BOAI – Budapest Open Access Initiative [<a href='#nb6-20' class='spip_note' rel='footnote' title='BOAI : Budapest Open Archive Initiative, Appel lancé le 14 février 2002. (...)' id='nh6-20'>20</a>]). Internet a rendu possible deux recommandations de cet appel qui ont le potentiel de libérer, au service de tous, l'information auparavant enfermée dans des publications onéreuses :</p> <p>— le dépôt par l'auteur lui-même de copies de l'article final accepté et contrôlé par les pairs dans son entrepôt institutionnel [<a href='#nb6-21' class='spip_note' rel='footnote' title='Le terme anglais est IR : Institutional repository.' id='nh6-21'>21</a>] interopérable (une recommandation connue sous le terme d'auto-archivage par l'auteur) ;</p> <p>— la publication dans les revues en accès libre.</p> <p>L'option de l'entrepôt institutionnel, ou auto-archivage, est de plus en plus adoptée par les organismes de financement et les universités dans le monde comme le montre la figure 1. L'auto-archivage peut être réalisé grâce à l'installation de logiciels libres conformes au protocole de moissonnage de métadonnées OAI-PMH, protocole largement adopté à l'échelle internationale. Ceci permet à tous les entrepôts institutionnels de faire l'objet de recherches documentaires par l'intermédiaire des moteurs généralistes comme Google ou Yahoo ! ou par des systèmes de recherche spécialisés tels que OAISTER, comme s'ils constituaient une seule et même ressource. Il est important de noter que 63 % des journaux enregistrés dans la base de données SHERPA/RoMEO [<a href='#nb6-22' class='spip_note' rel='footnote' title='http://www.sherpa.ac.uk/romeo/' id='nh6-22'>22</a>], base qui décrit les politiques de copyright des éditeurs, acceptent un tel auto-archivage [<a href='#nb6-23' class='spip_note' rel='footnote' title='Les lecteurs intéressés par le sujet de l'auto-archivage et les entrepôts (...)' id='nh6-23'>23</a>]. Cette option peu onéreuse est particulièrement adaptée aux pays à bas revenus [<a href='#nb6-24' class='spip_note' rel='footnote' title='Chan L, Kirsop B, Arunachalam S. « Open access archiving : the fast track to (...)' id='nh6-24'>24</a>].</p> <p>Le choix de diffuser un journal en libre accès nécessite le développement de nouveaux modèles de financement qui permettent l'accès gratuit à tous les lecteurs tout en assurant le recouvrement des coûts de publication par des mécanismes économiques alternatifs, tels</p> <p><span class='spip_document_1058 spip_documents spip_documents_center'> <img src='http://vecam.org/local/cache-vignettes/L500xH324/1_autoarchivage-21f66.png' width='500' height='324' alt="" style='height:324px;width:500px;' /></span></p> <p><strong>Figure 1 : L'augmentation des obligations d'auto-archivage décrétées par différentes institutions, de 2001 au début de 2010. </strong></p> <p>que le paiement par l'auteur, mécanisme par lequel les auteurs ou leurs organisations payent les coûts d'administration du document au moment de la publication, ou d'autres services payants, comme la publicité ou les soutiens institutionnels. Pas un des journaux en accès libre publiés dans les pays en voie de développement ne fait payer ni les auteurs ni les lecteurs. Tous recouvrent leurs coûts par des moyens alternatifs. Les méthodes pour quitter le modèle du paiement à l'acte de lecture ont été, à juste titre, largement débattues. Il a été démontré que le passage au modèle de l'auteur–payeur ne constitue pas réellement une aide aux chercheurs dans les pays aux bas revenus, mais se traduit par une simple permutation du fardeau du lecteur vers l'auteur.</p> <p><strong>Progrès dans le développement des revues et entrepôts institutionnels en accès libre</strong></p> <p>Le Directory of Open Access Journals [<a href='#nb6-25' class='spip_note' rel='footnote' title='http://www.doaj.org/' id='nh6-25'>25</a>] inventorie maintenant quelque 5252 journaux en accès libre, dont 26 % sont publiés dans les pays en voie de développement. Les plateformes de Bioline International [<a href='#nb6-26' class='spip_note' rel='footnote' title='http://www.bioline.org.br/' id='nh6-26'>26</a>] et de Scientific Electronic Library Online [<a href='#nb6-27' class='spip_note' rel='footnote' title='http://www.scielo.org/' id='nh6-27'>27</a>] (SciELO) sont des exemples de services fournissant la distribution en libre accès des publications scientifiques émanant de pays en voie de développement, fournissant ainsi à la recherche régionale une visibilité indispensable. SciELO est né au Brésil et a été étendu à d'autres pays. Bioline International est un partenariat Canada-Brésil qui met à disposition des éditeurs de 16 pays en voie de développement ou d'économies en transition un mécanisme de diffusion numérique. Dans le même ordre d'idées, la maison d'édition Medknow[(<a href="http://www.medknow.com/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://www.medknow.com/</a>]] à Mumbay, Inde, fournit un accès libre à quelque 128 revues biomédicales publiées principalement en Inde. Ces services, ainsi qu'un certain nombre de revues de sociétés savantes de pays en voie de développement, constituent environ 26 % de l'ensemble des journaux en accès libre. Contrairement à la majorité des éditeurs commerciaux des pays industrialisés, ces éditeurs n'ont aucune inquiétude quant aux préjudices qui pourraient être causés par le libre accès à leurs revues, bien au contraire. L'expérience confirme en effet qu'un gain en visibilité conduit à une amélioration de la qualité, une augmentation des soumissions d'articles, des citations et in fine à un accroissement des abonnements aux versions imprimées [<a href='#nb6-28' class='spip_note' rel='footnote' title='Basé sur des conversations personnelles par Leslie Chan avec des éditeurs (...)' id='nh6-28'>28</a>]. Autre expérience significative, celle du BMJ Group (British Medical Journal), qui avait d'abord expérimenté un libre accès complet avant de revenir à l'accès payant pour les articles autres que les articles de recherche de son journal phare. En 2008, le BMJ « a étendu son expérience d'accès libre en présentant BMJ Unlocked [<a href='#nb6-29' class='spip_note' rel='footnote' title='http://adc.bmj.com/info/unlocked.dtl' id='nh6-29'>29</a>], qui permet aux auteurs soumettant une communication scientifique à l'un des 19 journaux spécialisés du groupe de payer un forfait permettant de placer leur travail en libre accès » [<a href='#nb6-30' class='spip_note' rel='footnote' title='Godlee F « Open access to research » BMJ 2008 ; 337 : a1051 http://www.bmj.com/cgi' id='nh6-30'>30</a>].</p> <p>Le Registry of Open Access Repositories [<a href='#nb6-31' class='spip_note' rel='footnote' title='http://roar.eprints.org/' id='nh6-31'>31</a>] (ROAR) inventorie 1829 entrepôts en accès libre au 4 août 2010 (ce nombre augmente en moyenne d'un entrepôt chaque jour). Environ 17,5 % de ces entrepôts sont installés dans des instituts et des universités de pays en voie de développement. Le Directory of Open Access Repositories [<a href='#nb6-32' class='spip_note' rel='footnote' title='http://www.opendoar.org/' id='nh6-32'>32</a>] administre une liste similaire. Le coût relativement faible de la mise en place et de la maintenance des entrepôts institutionnels en font un moyen très adéquat de distribution des résultats de recherche locaux permettant de réduire les écarts en matière de transmission du savoir.</p> <p>Progrès du libre accès : quel impact ?</p> <p>Les chercheurs ne prennent le temps de télécharger un article que s'ils ont besoin de celui-ci pour leur propre recherche. Une preuve de la valeur du libre accès peut donc être déduite des statistiques d'utilisation. Bien qu'il soit toujours difficile de mesurer l'impact réel de chaque résultat de recherche spécifique sur le progrès général de la science, il est néanmoins démontré que le nombre de téléchargements d'une ressource d'information scientifique est un indicateur du nombre de citations à venir de cette même source et donc de son impact sur la communauté scientifique [<a href='#nb6-33' class='spip_note' rel='footnote' title='Brody T, Harnad S, Carr L. « Earlier web usage statistics as predictors of (...)' id='nh6-33'>33</a>].</p> <p> <span class='spip_document_1059 spip_documents spip_documents_center'> <img src='http://vecam.org/local/cache-vignettes/L500xH305/2_bioline-01f07.png' width='500' height='305' alt="" style='height:305px;width:500px;' /></span></p> <p><strong>Figure 2 : Usage des publications en accès libre émanant des pays en développement sur le site de Bioline International de 2002 à 2009.</strong></p> <p>L'utilisation des journaux en accès libre dans les pays en voie de développement a été significatif dès le début [<a href='#nb6-34' class='spip_note' rel='footnote' title='Kirsop B, Chan L. « Transforming access to research literature for (...)' id='nh6-34'>34</a>] et augmente régulièrement en proportion du nombre de documents rendus disponibles. Les statistiques de Bioline International montrent un volume croissant d'utilisations, y compris le téléchargement de textes intégraux, de 2002 à 2009 (Figure 2), pour dépasser les 4.4 millions cette dernière année, indiquant le besoin très significatif pour un type de recherches auparavant indisponible.</p> <p><span class='spip_document_1059 spip_documents spip_documents_left' style='float:left; width:500px;'> <img src='http://vecam.org/local/cache-vignettes/L500xH305/2_bioline-01f07.png' width='500' height='305' alt="" style='height:305px;width:500px;' /></span></p> <p><strong>Figure 3 : Carte des consultations et usages de journaux de Bioline, montrant la répartition des usagers entre le 27 mars 2010 et le 27 avril 2010.</strong></p> <p>La carte présentée en figure 3 montre l'origine des usagers de Bioline International. Elle indique une très large utilisation, évidement non exclusive, en provenance des régions en voie de développement, ce qui suggère la reprise des liens scientifiques interrompus entre pays en voie de développement voisins, qui font souvent face à des problèmes de santé et d'environnement similaires. Les revues de SciELO ont elles aussi connu une augmentation importante des usages. La figure 4 montre ainsi le nombre d'accès sur une période de dix ans au site chilien de SciELO.</p> <p>En Inde, les revues publiées par Medknow montrent des augmentations constantes de l'utilisation des versions en ligne en libre accès, améliorant régulièrement les facteurs d'impact, comme le montre la figure 5 pour le Journal of Postgraduate Medecine publié par cette</p> <p><span class='spip_document_1061 spip_documents spip_documents_center'> <img src='http://vecam.org/local/cache-vignettes/L500xH356/4_scielo-3295a.png' width='500' height='356' alt="" style='height:356px;width:500px;' /></span></p> <p>Figure 4 : Nombre de visiteurs uniques sur 10 ans (année 2010 incomplète) du site chilien de SciELO. On peut repérer l'accroissement très rapide lors du passage en accès libre.</p> <p>maison d'édition. Avant qu'une version en ligne ne soit disponible sur une base de données en libre accès en 2002, l'augmentation du facteur d'impact était faible, après 2002 elle devint beaucoup plus rapide, pour doubler entre 2003 et 2004.</p> <p><span class='spip_document_1061 spip_documents spip_documents_center'> <img src='http://vecam.org/local/cache-vignettes/L500xH356/4_scielo-3295a.png' width='500' height='356' alt="" style='height:356px;width:500px;' /></span></p> <p><strong>Figure 5 : Facteur d'impact des journaux publiés par MedKnow, 2000–2008.</strong></p> <p>Bien que certains éditeurs aient exprimé des doutes sur la stratégie de publication en accès libre, qui selon eux conduirait à une perte des revenus sur les abonnements, dangereuse pour la survie de leurs journaux, l'expérience montre que ce n'est pas le cas. Les principaux journaux de recherche en physique des hautes énergies n'ont pas vu d'effets négatifs suivre l'utilisation très répandue par la communauté des physiciens de l'archive en libre accès arXiv [<a href='#nb6-35' class='spip_note' rel='footnote' title='http://arxiv.org/ Gentil-Becco A, Mele S, Holtkamp A, O'Connell HB, Brooks (...)' id='nh6-35'>35</a>], créée en 1991. L'éditeur indien de revues biomédicales Medknow signale au contraire une augmentation des abonnements depuis que les versions en ligne sont disponibles en libre accès (Figure 6). Bien plus, la qualité des revues de dimension nationale s'est améliorée, résultat de la visibilité accrue. Les soumissions d'articles se sont multipliées, y compris par des contributeurs internationaux attirés par l'évolution du facteur d'impact. [<a href='#nb6-36' class='spip_note' rel='footnote' title='Sahu DK. « Eight facts and myths about open access journals : an experience (...)' id='nh6-36'>36</a>]</p> <p><span class='spip_document_1064 spip_documents spip_documents_center'> <img src='http://vecam.org/local/cache-vignettes/L500xH333/6_journaux_biomedicaux-3474f.png' width='500' height='333' alt="" style='height:333px;width:500px;' /></span></p> <p><strong>Figure 6 : Abonnements pour 8 journaux biomédicaux publiés par Medknow, 2003–2009.</strong></p> <p>Les entrepôts institutionnels intègrent des logiciels statistiques qui enregistrent les usages, et ceux-ci, comme dans le cas des journaux en libre accès, augmentent rapidement. Par exemple, l'entrepôt institutionnel de la Universidad de Los Andes [<a href='#nb6-37' class='spip_note' rel='footnote' title='http://www.saber.ula.ve/' id='nh6-37'>37</a>] au Vénézuéla avait enregistré 770 273 téléchargements en 2008, mais au cours des six premiers mois de 2009, ce chiffre avait déjà atteint 1 122 56 téléchargements. Les entrepôts institutionnels sont utilisés par des chercheurs des pays développés au même titre que ceux des pays en voie de développement. En dix-huit mois, de janvier 2008 à juin 2009, les téléchargements effectués sur l'entrepôt institutionnel de l'Universidad de Los Andes se répartissent en 55,6 % provenant du Vénézuéla ou de l'université elle-même, 30,4 % venant d'Amérique Latine et 7,3 %, soit plus de 138 000, provenant du reste du monde, y compris de pays en voie de développement lointains et de pays en Europe et en Amérique du Nord (l'origine de 6,7 % des téléchargements n'a pu être identifiée). Il y a clairement un besoin pressant pour ce genre d'informations qui étaient auparavant inaccessibles en raison de fortes contraintes économiques. De plus, cet entrepôt institutionnel a placé la Universidad de Los Andes « sur la carte », dans le champ de vision de la communauté de recherche internationale, et ce au plus grand bénéfice de cette Université.</p> <p>Ces statistiques indiquent en creux l'influence négative des anciens mécanismes de communication. Ceux-ci empêchaient nombre de chercheurs et de travailleurs de la santé d'accéder aux informations dont ils avaient besoin. Les bénéfices complémentaires découlant du rétablissement de liens entre chercheurs et utilisateurs ne sont pas facilement mesurables. Il est en effet impossible d'évaluer les conséquences de rencontres fortuites ou de partenariats, ni le sentiment d'encouragement qui surgit quand les acteurs ont le sentiment d'appartenir à un collectif.</p> <p><strong>Infrastructure</strong></p> <p>Il existe actuellement de nombreux projets d'infrastructure en libre accès à grande échelle. En Europe, The Digital Repository Infrastructure Vision for Europe [<a href='#nb6-38' class='spip_note' rel='footnote' title='http://www.driver-community.eu/' id='nh6-38'>38</a>] (DRIVER) a été établi pour aider et développer les entrepôts institutionnels. Un programme similaire, Online Research Collection Australia [<a href='#nb6-39' class='spip_note' rel='footnote' title='http://www.apsr.edu.au/orca/' id='nh6-39'>39</a>], a été mis au point en Australie. Plusieurs groupes travaillent sur de nouveaux outils logiciels pour améliorer les fonctionnalités du réseau d'entrepôts institutionnels, à l'image du protocole SWORD [<a href='#nb6-40' class='spip_note' rel='footnote' title='http://www.swordapp.org//' id='nh6-40'>40</a>] mis au point récemment pour faciliter le transfert de fichiers entre entrepôts. D'autres logiciels destinés à mesurer la valeur ajoutée pour les instituts, les auteurs et les éditeurs sont en cours de développement, notamment sous l'impulsion d'un programme global d'évaluation financé par le Joint Information Systems Commitee (JISC) en Grande-Bretagne.</p> <p><strong>Souder les divers chaînons de transmission de l'information scientifique</strong></p> <p>On peut conclure, sur la base des données statistiques d'utilisation et d'expériences individuelles maintenant disponibles, qu'un développement de l'accès libre améliore très rapidement la diffusion de la littérature de recherche biomédicale mondiale. Néanmoins, les opportunités du libre accès restent trop peu connues et sous-utilisées par les pays pauvres. Des efforts doivent être entrepris pour augmenter la prise de conscience de cet effet positif parmi les décideurs politiques, les responsables de la recherche et les praticiens des soins de santé.</p> <p>Les annonces du site web de l'Open Access Directory témoignent d'une activité mondiale soutenue, mais cependant limitée principalement au monde industrialisé. Des groupes dédiés tels que le réseau Electronic Information for Libraries [<a href='#nb6-41' class='spip_note' rel='footnote' title='http://www.eifl.net/' id='nh6-41'>41</a>], le Electronic Publishing Trust for Development [<a href='#nb6-42' class='spip_note' rel='footnote' title='http://www.epublishingtrust.org/' id='nh6-42'>42</a>], le tout récent Open Access Scholarly Information Sourcebook [<a href='#nb6-43' class='spip_note' rel='footnote' title='http://www.openoasis.org/' id='nh6-43'>43</a>] en coopération avec les agences pour le développement, et les éditeurs et administrateurs d'entrepôts dans les pays en voie de développement, font tous d'énormes efforts pour informer et former au libre accès. Mais ces efforts mériteraient d'être consolidés par le soutien des agences internationales. Dans le domaine de la santé, l'OMS a un rôle majeur à jouer afin d'encourager l'établissement de revues et d'entrepôts en libre accès. Il est dès lors très encourageant de noter que dans son document Stratégie et plan d'action pour la santé publique, l'innovation, et les droits de propriété intellectuelle, l'Assemblée Générale de l'OMS déclare parmi ses objectifs : « promouvoir l'accès public aux résultats des recherches financées par les gouvernements, encourager fortement tous les chercheurs financés par les gouvernements à soumettre une version électronique de leurs manuscrits finaux contrôlés par les pairs à une base de données en libre accès » [<a href='#nb6-44' class='spip_note' rel='footnote' title='Sixty-first World Health Assembly. Global strategy and plan of action on (...)' id='nh6-44'>44</a>].</p> <p>Certes, d'autres problèmes subsistent : améliorer la connectivité, étendre les liens en aval dans la chaîne de communication, développer l'enseignement et la formation, et traduire les contenus, aussi bien en terme de langue qu'en capacité d'adaptation aux situations locales. Nous pouvons toutefois souligner les efforts déployés pour aplanir les difficultés de communication. Comme l'ont montré les débats du HIFA 2015 Forum, les communications mobiles et les autres technologies émergentes commencent à avoir un impact significatif sur la transmission de l'information dans les zones isolées, et les infrastructures de communication constituent bel et bien une priorité constante dans le monde en voie de développement [<a href='#nb6-45' class='spip_note' rel='footnote' title='Voir les rapports du Balancing Act‘s newsletter News Update. (...)' id='nh6-45'>45</a>].</p> <p>Krishnan Ganapathy, neurochirurgien à Chennai, en Inde, ancien président de la Neurological Society of India et actuel président de Apollo Telemedicine Networking Foundation déclara dans une interview [<a href='#nb6-46' class='spip_note' rel='footnote' title='Sasaki D. Krishnan Ganapathy : Without India there is no mHealth. (...)' id='nh6-46'>46</a>] :</p> <p>« Nous n'avons vraiment commencé à utiliser les téléphones mobiles que très récemment. […] En Inde, par exemple, 750 millions d'indiens vivent dans des zones suburbaines et rurales où vous n'avez tout simplement pas de spécialistes. Maintenant moi, en tant que neurochirurgien, je peux, à défaut de soins, fournir des conseils à ces personnes. De même, tous les autres spécialistes sont capables de faire la même chose. C'est ce que nous avons fait ces neufs dernières années avec un certain succès. […] En Inde, la croissance des téléphones mobiles est exponentielle. […] Dans la ville où je vis [Chennai], entre 1998 et 2008, la pénétration du téléphone mobile a augmenté par un facteur de 133 ».</p> <p>Tous les efforts en cours, entrepris par les décideurs politiques, les chercheurs, les experts en informatique et les professionnels du développement, montrent clairement qu'au moins une voie a été trouvée pour améliorer les conditions de tous ceux qui ont besoin d'accéder à l'information de santé. Restaurer le lien entre la recherche fondamentale et ceux qui l'utilisent est essentiel pour conserver intacte la chaîne de la connaissance.</p></div> <hr /> <div class='rss_notes'><p>[<a href='#nh6-1' id='nb6-1' class='spip_note' title='Notes 6-1' rev='footnote'>1</a>] Canadian Institutes of Health Research. Knowledge translation overview. <a href="http://www.cihr-irsc.gc.ca/e/7518.html" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://www.cihr-irsc.gc.ca/e/7518.html</a></p> <p>[<a href='#nh6-2' id='nb6-2' class='spip_note' title='Notes 6-2' rev='footnote'>2</a>] Alma S. « Open access and the health sciences in the developing world : an overview » Making the eHealth Connection : Global Partnerships, Local Solutions conférence ; July 13 August 2008 ; Rockefeller Foundation's Bellagio Center, Bellagio, Italy. 2008. <a href="http://ehealth-connection.org/wiki/images/6/60/SwanAlma--2008.pdf" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://ehealth-connection.org/wiki/...</a></p> <p>[<a href='#nh6-3' id='nb6-3' class='spip_note' title='Notes 6-3' rev='footnote'>3</a>] Wellcome Trust. Position statement in support of open and unrestricted access to published research. <a href="http://www.wellcome.ac.uk/About-us/Policy/Policy-and-position-statements/WTD002766.htm" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://www.wellcome.ac.uk/About-us/...</a></p> <p>[<a href='#nh6-4' id='nb6-4' class='spip_note' title='Notes 6-4' rev='footnote'>4</a>] National Institutes of Health Public Access. Overview [<a href="http://publicaccess.nih.gov/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://publicaccess.nih.gov/</a></p> <p>[<a href='#nh6-5' id='nb6-5' class='spip_note' title='Notes 6-5' rev='footnote'>5</a>] Canadian Institutes of Health Research. Policy on access to research outputs. 2007 <a href="http://www.cihr-irsc.gc.ca/e/34846.html" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://www.cihr-irsc.gc.ca/e/34846.html</a> Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC). Politique sur l'accès aux résultats de la recherche, septembre 2007. <a href="http://www.cihr-irsc.gc.ca/f/34846.html" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://www.cihr-irsc.gc.ca/f/34846.html</a></p> <p>[<a href='#nh6-6' id='nb6-6' class='spip_note' title='Notes 6-6' rev='footnote'>6</a>] Canadian Institutes of Health Research. Open access to health research publications : CIHR unveils new policy [Media release]. 2007 <a href="http://www.cihr-irsc.gc.ca/e/34851.html" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://www.cihr-irsc.gc.ca/e/34851.html</a> : Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC). Libre accès aux publications sur les recherches en santé : Les IRSC lancent une nouvelle politique. <a href="http://www.cihr-irsc.gc.ca/f/34851.html" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://www.cihr-irsc.gc.ca/f/34851.html</a></p> <p>[<a href='#nh6-7' id='nb6-7' class='spip_note' title='Notes 6-7' rev='footnote'>7</a>] Registry of Open Access Repository Material Archiving Policies (ROARMAP). Policy register ; <a href="http://www.eprints.org/openaccess/policysignup/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://www.eprints.org/openaccess/p...</a></p> <p>[<a href='#nh6-8' id='nb6-8' class='spip_note' title='Notes 6-8' rev='footnote'>8</a>] Terry R. « Funding the way to open access » PLoS Biol 2005 ; 3 (3) : e97 <a href="http://www.plosbiology.org/article/info" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://www.plosbiology.org/article/info</a> %3Adoi %2F10.1371%2Fjournal.pbio.0030097</p> <p>[<a href='#nh6-9' id='nb6-9' class='spip_note' title='Notes 6-9' rev='footnote'>9</a>] Godlee F, Pakenham-Walsh N, Ncayiyana D, Cohen B, Packer A. « Can we achieve health information for all by 2015 ? » Lancet 2004 ; 364 (9430) : 295–300 <a href="http://image.thelancet.com/extras/04art6112web.pdf" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://image.thelancet.com/extras/0...</a></p> <p>[<a href='#nh6-10' id='nb6-10' class='spip_note' title='Notes 6-10' rev='footnote'>10</a>] Aronson B. « Improving online access to medical information for low-income countries » N Engl J Med 2004 ; 350 (10) : 966–968</p> <p>[<a href='#nh6-11' id='nb6-11' class='spip_note' title='Notes 6-11' rev='footnote'>11</a>] United Nations Educational, Scientific and Cultural Organization. Draft Medium-term Plan (1984–1989). Second part, VII : « Information systems and access to knowledge », General Conference Fourth Extraordinary Session ; Paris (1982).</p> <p>[<a href='#nh6-12' id='nb6-12' class='spip_note' title='Notes 6-12' rev='footnote'>12</a>] Notons que ces accords commerciaux sont fragiles, comme en témoigne le retrait en janvier 2011 des principaux éditeurs des revues médicales, notamment Elsevier et Springer du projet HINARI. L'événement est considéré par l'éditorial du Lancet, principale revue médicale, comme « un pas en arrière pour la science, la santé et le développement dans les pays les plus pauvres ». Voir : Publishers of medical journals are restricting free access to researchers in developing countries, qui offre des liens vers les principaux articles consacrés à ce recul : <a href="http://infojustice.org/archives/880" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://infojustice.org/archives/880</a></p> <p>[<a href='#nh6-13' id='nb6-13' class='spip_note' title='Notes 6-13' rev='footnote'>13</a>] Yamey G. « Excluding the poor from accessing biomedical littérature : a rights violation that impedes global health » Health and Human Rights 2008 ; 10 (1).</p> <p>[<a href='#nh6-14' id='nb6-14' class='spip_note' title='Notes 6-14' rev='footnote'>14</a>] Le Forum HIFA 2015 (Health Information Forum) que l'on peut trouver à <a href="http://www.hifa2015.org/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://www.hifa2015.org</a> est un groupe électronique de discussion mondial qui s'est fixé un but ambitieux mais réaliste : « En 2015 chaque habitant du monde aura accès à un soignant réellement informé ».</p> <p>[<a href='#nh6-15' id='nb6-15' class='spip_note' title='Notes 6-15' rev='footnote'>15</a>] Ayankogbe OO. Response to : Report : Access to health information and knowledge sharing. Health Information Forum 2015. 2008 Aug 6.</p> <p>[<a href='#nh6-16' id='nb6-16' class='spip_note' title='Notes 6-16' rev='footnote'>16</a>] Kirsop B. Berlin 5 : Open Access from practice to impact. Padua, September 19-21, 2007. Electronic Publishing Trust for Development. 2007 Sep 26. [Texte intégral</p> <p>[<a href='#nh6-17' id='nb6-17' class='spip_note' title='Notes 6-17' rev='footnote'>17</a>] SeedMagazine.com. « Revolutionary minds : Ilaria Capua » [Video]. (accessed 2009 Jun 25).</p> <p>[<a href='#nh6-18' id='nb6-18' class='spip_note' title='Notes 6-18' rev='footnote'>18</a>] WHO Regional Office for the Western Pacific. SARS : How a global epidemic was stopped. Geneva World Health Organization ; 2006.</p> <p>[<a href='#nh6-19' id='nb6-19' class='spip_note' title='Notes 6-19' rev='footnote'>19</a>] World Health Organization. Coronavirus never before seen in humans is the cause of SARS [Media release]. 2003.</p> <p>[<a href='#nh6-20' id='nb6-20' class='spip_note' title='Notes 6-20' rev='footnote'>20</a>] BOAI : Budapest Open Archive Initiative, Appel lancé le 14 février 2002. <a href="http://www.soros.org/openaccess/fr/index.shtml" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://www.soros.org/openaccess/fr/...</a></p> <p>[<a href='#nh6-21' id='nb6-21' class='spip_note' title='Notes 6-21' rev='footnote'>21</a>] Le terme anglais est IR : Institutional repository.</p> <p>[<a href='#nh6-22' id='nb6-22' class='spip_note' title='Notes 6-22' rev='footnote'>22</a>] <a href="http://www.sherpa.ac.uk/romeo/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://www.sherpa.ac.uk/romeo/</a></p> <p>[<a href='#nh6-23' id='nb6-23' class='spip_note' title='Notes 6-23' rev='footnote'>23</a>] Les lecteurs intéressés par le sujet de l'auto-archivage et les entrepôts ouverts pourront consulter avec intérêt le Southampton SelfArchiving FAQ (<a href="http://www.eprints.org/openaccess/self-faq/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://www.eprints.org/openaccess/s...</a>) sur le site web de Eprints, l'un de ces logiciels libres pour l'accès ouvert.</p> <p>[<a href='#nh6-24' id='nb6-24' class='spip_note' title='Notes 6-24' rev='footnote'>24</a>] Chan L, Kirsop B, Arunachalam S. « Open access archiving : the fast track to building research capacity in developing countries » SciDev.Net. 2005 Feb 11. <a href="http://www.scidev.net/en/features/open-access-archiving-the-fast-track-to-building-r.html" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://www.scidev.net/en/features/o...</a></p> <p>[<a href='#nh6-25' id='nb6-25' class='spip_note' title='Notes 6-25' rev='footnote'>25</a>] <a href="http://www.doaj.org/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://www.doaj.org/</a></p> <p>[<a href='#nh6-26' id='nb6-26' class='spip_note' title='Notes 6-26' rev='footnote'>26</a>] <a href="http://www.bioline.org.br/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://www.bioline.org.br/</a></p> <p>[<a href='#nh6-27' id='nb6-27' class='spip_note' title='Notes 6-27' rev='footnote'>27</a>] <a href="http://www.scielo.org/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://www.scielo.org/</a></p> <p>[<a href='#nh6-28' id='nb6-28' class='spip_note' title='Notes 6-28' rev='footnote'>28</a>] Basé sur des conversations personnelles par Leslie Chan avec des éditeurs dont les journaux sont sur Bioline International. Voir, par exemple, « Dr. Paul Nampala explain the benefits of Open Access for African Crop Science Journal » [Vidéo], 28 mai 2008. Voir aussi la présentation de D.K.Sahu « Eight facts and myths about open access journals : an experience of eight years and eighty journals » à Open Access to Sciences Publications : Policy Perspectives, Opportunities and Challenges, 24 mars 2009 à New Delhi, Inde.</p> <p>[<a href='#nh6-29' id='nb6-29' class='spip_note' title='Notes 6-29' rev='footnote'>29</a>] <a href="http://adc.bmj.com/info/unlocked.dtl" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://adc.bmj.com/info/unlocked.dtl</a></p> <p>[<a href='#nh6-30' id='nb6-30' class='spip_note' title='Notes 6-30' rev='footnote'>30</a>] Godlee F « Open access to research » BMJ 2008 ; 337 : a1051 <a href="http://www.bmj.com/cgi/content/full/337/jul31_1/a1051" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://www.bmj.com/cgi/content/full...</a> ?view=long&pmid=18669562</p> <p>[<a href='#nh6-31' id='nb6-31' class='spip_note' title='Notes 6-31' rev='footnote'>31</a>] <a href="http://roar.eprints.org/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://roar.eprints.org/</a></p> <p>[<a href='#nh6-32' id='nb6-32' class='spip_note' title='Notes 6-32' rev='footnote'>32</a>] <a href="http://www.opendoar.org/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://www.opendoar.org/</a></p> <p>[<a href='#nh6-33' id='nb6-33' class='spip_note' title='Notes 6-33' rev='footnote'>33</a>] Brody T, Harnad S, Carr L. « Earlier web usage statistics as predictors of later citation impact » Journal of the American Association for Information Science and Technology 2006 ; 57 (8) : 1060. <a href="http://eprints.ecs.soton.ac.uk/10713/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://eprints.ecs.soton.ac.uk/10713/</a>. Norris M, Oppenheim C, Rowland F. « The citation advantage of open-access articles » Journal of the American Society for Information Science and Technology 2008 ; 59 (12) : 1963–1972.</p> <p>[<a href='#nh6-34' id='nb6-34' class='spip_note' title='Notes 6-34' rev='footnote'>34</a>] Kirsop B, Chan L. « Transforming access to research literature for developing countries » Serials Review. 2005 ; 31 : 246 – 255. <a href="http://hdl.handle.net/1807/4416" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://hdl.handle.net/1807/4416</a></p> <p>[<a href='#nh6-35' id='nb6-35' class='spip_note' title='Notes 6-35' rev='footnote'>35</a>] <a href="http://arxiv.org/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://arxiv.org/</a> Gentil-Becco A, Mele S, Holtkamp A, O'Connell HB, Brooks TC. « Information resources in high-energy physics : surveying the present landscape and charting the future course » Journal of the American Society for Information Science and Technology. 2009 ; 60 (1) : 150–160.</p> <p>[<a href='#nh6-36' id='nb6-36' class='spip_note' title='Notes 6-36' rev='footnote'>36</a>] Sahu DK. « Eight facts and myths about open access journals : an experience of eight years and eighty journals » Open Access to Science Publications : Policy Perspective, Opportunities and Challenges ; March 24, 2009 ; New Delhi, India. 2009. <a href="http://openmed.nic.in/3240/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://openmed.nic.in/3240/</a></p> <p>[<a href='#nh6-37' id='nb6-37' class='spip_note' title='Notes 6-37' rev='footnote'>37</a>] <a href="http://www.saber.ula.ve/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://www.saber.ula.ve/</a></p> <p>[<a href='#nh6-38' id='nb6-38' class='spip_note' title='Notes 6-38' rev='footnote'>38</a>] <a href="http://www.driver-community.eu/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://www.driver-community.eu/</a></p> <p>[<a href='#nh6-39' id='nb6-39' class='spip_note' title='Notes 6-39' rev='footnote'>39</a>] <a href="http://www.apsr.edu.au/orca/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://www.apsr.edu.au/orca/</a></p> <p>[<a href='#nh6-40' id='nb6-40' class='spip_note' title='Notes 6-40' rev='footnote'>40</a>] <a href="http://www.swordapp.org/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://www.swordapp.org//</a></p> <p>[<a href='#nh6-41' id='nb6-41' class='spip_note' title='Notes 6-41' rev='footnote'>41</a>] <a href="http://www.eifl.net/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://www.eifl.net/</a></p> <p>[<a href='#nh6-42' id='nb6-42' class='spip_note' title='Notes 6-42' rev='footnote'>42</a>] <a href="http://www.epublishingtrust.org/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://www.epublishingtrust.org/</a></p> <p>[<a href='#nh6-43' id='nb6-43' class='spip_note' title='Notes 6-43' rev='footnote'>43</a>] <a href="http://www.openoasis.org/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://www.openoasis.org/</a></p> <p>[<a href='#nh6-44' id='nb6-44' class='spip_note' title='Notes 6-44' rev='footnote'>44</a>] Sixty-first World Health Assembly. Global strategy and plan of action on public health, innovation and intellectual property. Resolution 61.21, Annex (2.4) (b) ; May 24, 2008 ; <a href="http://apps.who.int/gb/ebwha/pdf_files/A61/A61_R21-en.pdf" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://apps.who.int/gb/ebwha/pdf_fi...</a></p> <p>[<a href='#nh6-45' id='nb6-45' class='spip_note' title='Notes 6-45' rev='footnote'>45</a>] Voir les rapports du Balancing Act‘s newsletter News Update. <a href="http://www.balancingact-africa.com/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://www.balancingact-africa.com/</a></p> <p>[<a href='#nh6-46' id='nb6-46' class='spip_note' title='Notes 6-46' rev='footnote'>46</a>] Sasaki D. Krishnan Ganapathy : Without India there is no mHealth. MobileActive.org. 2008 Jul 31. <a href="http://mobileactive.org/krishnan-ganapathy-without-india-there-no-mhealth" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://mobileactive.org/krishnan-ga...</a></p></div> <div class='rss_ps'><p>***********************************************************************************</p> <div> <span class='spip_document_1056 spip_documents spip_documents_left' style='float:left; width:150px;'> <img src='http://vecam.org/IMG/jpg/leslie_chan_opt150x145.jpg' width="150" height="145" alt="" /></span> <p><i>Leslie Chan est professeur au département des sciences sociales de l'Université de Toronto Scarborough. Sa recherche porte sur le rôle de l'ouverture sur l'extension mondiale des savoirs. À ce titre, il est un des fondateurs de Bioline International (<a href="http://www.bioline.org.br/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://www.bioline.org.br</a>) et de Open Access Scholarly Information Sourcebook (<a href="http://www.openoasis.org/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://www.openoasis.org</a>).</p> </div> <div style="clear: both"> <span class='spip_document_1054 spip_documents spip_documents_left' style='float:left; width:150px;'> <img src='http://vecam.org/IMG/jpg/subbiah_opt150x203.jpg' width="150" height="203" alt="" /></span> <p>Chercheur indien en sciences de l'information et scientométrie, Subbiah Arunachalam participe à la direction du Centre for Internet and Society de Bangalore et de l'Electronic Publishing Trust for Development (<a href="http://www.epublishingtrust.org/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://www.epublishingtrust.org</a>).</p> </div> <div style="clear: both"> <p><span class='spip_document_1055 spip_documents spip_documents_left' style='float:left; width:150px;'> <img src='http://vecam.org/IMG/jpg/barbara_kirsop_opt150x113.jpg' width="150" height="113" alt="" /></span></p> <p>Après des recherches en microbiologie, Barbara Kirsop est devenue la responsable du UK National Collection of Yeast Cultures (NCYC). De 1986 à 1994 elle fut présidente de la World Federation for Culture Collections. Membre fondatrice de Bioline International, et de l'Electronic Publishing Trust for Development.</i></p> </div> <p>***********************************************************************************</p></div> 9 - Accès à la santé ou renforcement des droits de propriété intellectuelle : enjeux des normes internationales http://vecam.org/article1312.html http://vecam.org/article1312.html 2011-05-02T14:00:00Z text/html fr Gaelle Krikorian Creative Commons Imposition de normes dans le cadre du commerce international Les industries dont l'économie repose sur la protection des droits de propriété intellectuelle, qu'il s'agisse de l'industrie pharmaceutique ou celle du divertissement, sont parvenues dans le courant des années 1980 à faire intégrer cet aspect aux négociations commerciales internationales. D'abord à la demande du gouvernement américain, puis de la plupart des pays industrialisés, la protection des droits de propriété intellectuelle est devenue (...) - <a href="http://vecam.org/rubrique135.html" rel="directory">Libres savoirs, les biens communs de la connaissance</a> / <a href="http://vecam.org/mot17.html" rel="tag">Creative Commons</a> <div class='rss_texte'><p><strong>Imposition de normes dans le cadre du commerce international</strong></p> <p>Les industries dont l'économie repose sur la protection des droits de propriété intellectuelle, qu'il s'agisse de l'industrie pharmaceutique ou celle du divertissement, sont parvenues dans le courant des années 1980 à faire intégrer cet aspect aux négociations commerciales internationales. D'abord à la demande du gouvernement américain, puis de la plupart des pays industrialisés, la protection des droits de propriété intellectuelle est devenue partie intégrante des négociations du Gatt qui ont conduit à la création de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) en 1994. C'est ainsi qu'a été négocié puis adopté l'accord sur les ADPIC (accord sur les Aspects des Droits de Propriété Intellectuelle qui touchent au Commerce). Pour la première fois dans les négociations internationales, une norme globale de protection des droits de propriété intellectuelle portant à la fois sur les brevets, les droits d'auteurs, les marques, les indications géographiques, les dessins et modèles industriels était établie. Et parce que l'accord sur les ADPIC fait partie intégrante des accords de l'OMC, sa mise en œuvre peut s'appuyer, et c'est là l'innovation majeure, sur un mécanisme de sanctions permettant d'imposer son respect. Pour la grande majorité des pays membres de l'OMC – notamment les pays en développement – ces standards ont représenté un important renforcement de la propriété intellectuelle, affectant d'innombrables aspects de la vie des individus et de l'organisation des sociétés.</p> <p>Durant leur colonisation, dès la fin du XIXe et au cours du XXe siècle, de nombreux pays ont été contraints d'intégrer à leurs législations des règles de propriété intellectuelle similaires à celles des pays colonisateurs. Avec la décolonisation, nombre d'entre eux ont modifié ces législations afin de les adapter à leurs besoins en matière d'éducation et de développement et favoriser le transfert de technologie à partir des pays développés. Par ailleurs, à partir des années 1960, un mouvement de pays en développement, mené par des pays comme l'Inde ou le Brésil, a entrepris des négociations au sein de l'OMPI (Organisation mondiale de la Propriété intellectuelle) ou d'autres forums multilatéraux (CNUCED – Conférence des Nations-Unies sur le Commerce et le Développement) dans l'objectif de réviser et d'assouplir les réglementations internationales fixées par les conventions de Paris (brevets) ou de Berne (droits d'auteur) pour tenir compte de leurs impératifs de développement.</p> <p>Pourtant, dès la fin des années 1970, ce courant s'est heurté à un mouvement inverse, insufflé par les industries détentrices de droits de propriété intellectuelle et qui a conduit à l'adoption de l'accord sur les ADPIC en 1994. Cette nouvelle norme a depuis été progressivement transposée dans les lois nationales des pays membres de l'OMC selon un calendrier variant en fonction de leur niveau de développement.</p> <p>Dans le domaine médical, on voit ainsi depuis quelques années se multiplier dans les pays en développement, de façon très significative, le nombre de brevets sur des médicaments ou d'autres produits de santé. Conscients des conséquences à en attendre, et dans le contexte d'une forte mobilisation internationale pour l'accès aux traitements contre le sida, ces pays ont souhaité s'assurer la possibilité réelle de pouvoir recourir aux flexibilités prévues par l'accord sur les ADPIC, notamment, d'émettre des licences obligatoires afin de suspendre les droits de propriété intellectuelle lorsque cela s'avère nécessaire. Leur mobilisation a conduit à l'adoption par l'OMC en novembre 2001 à Doha de la déclaration « ADPIC et Santé Publique ». Celle-ci reconnaît que « Chaque Membre a le droit d'accorder des licences obligatoires et la liberté de déterminer les motifs pour lesquels de telles licences sont accordées », et a par ailleurs étendu les délais accordés aux pays les moins avancés (PMA) pour appliquer les brevets aux produits pharmaceutiques.</p> <p>Cependant, cette victoire, si elle a vu l'infléchissement temporaire du pouvoir de l'industrie pharmaceutique, est à replacer dans un contexte plus large de progression du mouvement pro-propriété intellectuelle.</p> <p>Depuis les années 1990, et avec une énergie accrue à partir de la fin de cette décennie, les États-Unis se sont engagés dans une intense activité de négociations bilatérales intégrant systématiquement la protection de la propriété intellectuelle. L'accord de libre-échange nord-américain (ALENA) conclu en 1992 a constitué le premier accord majeur d'une série dont les chapitres sur la propriété intellectuelle se sont complexifiés et renforcés avec le temps. Des accords similaires ont ainsi été signés entre les États-Unis et le Vietnam, le Laos, Singapour, la Jordanie, le Chili, les pays d'Amérique centrale et la République Dominicaine, le Maroc, l'Australie, Bahreïn, Oman, les pays andins, Panama, la Corée du Sud. Certaines négociations ont été suspendues (Zone de Libre-échange des Amériques, l'accord avec l'Union douanière d'Afrique australe, l'accord de libre-échange avec la Thaïlande), mais d'autres sont en cours (Malaisie) ou pourraient débuter prochainement (Nouvelle-Zélande, les Émirats Arabes Unis, Qatar, Koweït).</p> <p>Ces accords bilatéraux ou régionaux représentent actuellement les exigences internationales les plus fortes en matière de propriété intellectuelle et risquent fort de préfigurer ce que les standards multilatéraux deviendront dans le futur. Ils imposent des niveaux de protection supérieurs à ce qui est requis par l'accord sur les APDIC. Ils le font au moyen de deux types de dispositions : certaines accroissent les protections et renforcent les monopoles, tandis que d'autres restreignent l'utilisation des flexibilités jusqu'ici laissées aux États pour limiter les droits exclusifs des détenteurs de brevets. Or, plus ces règles de protection se répandent et s'imposent à un nombre croissant de pays dans le cadre de négociations bilatérales, plus il sera aisé aux partisans d'un renforcement des normes internationales de les faire adopter dans un cadre multilatéral.</p> <p>Ces dispositions affectent les produits de santé de plusieurs façons. Pour partie, elles visent à renforcer et étendre l'exclusivité octroyée par les brevets : en élargissant les critères de brevetabilité (permettant ainsi de protéger les nouveaux usages de médicaments connus, des méthodes de traitements, des médicaments légèrement modifiés, des plantes, des cellules, etc.) ; en allongeant les durées de protection, au-delà des 20 années imposées par l'accord sur les ADPIC, au prétexte des délais administratifs lors de l'octroi du brevet ou de la procédure d'autorisation de mise sur le marché ; en interdisant les actions de contestation de brevets avant que ceux-ci ne soient accordés (permettant aux monopoles de s'imposer pour une période, quand bien même le brevet serait par la suite débouté). Les accords de libre-échange conduisent en outre à la création d'un lien entre l'existence d'un brevet et l'autorisation de mise sur le marché. Bien que le droit des brevets soit un droit privé, ces accords prévoient que les agences du médicament en charge de donner les autorisations de mise sur le marché assurent une vigilance vis-à-vis du respect des brevets, informant le cas échéant les détenteurs de droits de demandes de mise sur le marché d'un concurrent producteur de génériques et refusant éventuellement ces demandes. Ces accords interdisent par ailleurs aux agences nationales du médicament de s'appuyer sur les résultats d'essais cliniques attestant de l'efficacité et de l'innocuité de molécules déjà commercialisées pour autoriser la mise sur le marché de génériques. Les données cliniques fournies par le détenteur du brevet sont ainsi considérées comme exclusives et les producteurs de génériques contraints, s'ils souhaitent mettre leur produit sur le marché, de reproduire les essais cliniques – ce qui en plus d'être coûteux en temps et en argent, va à l'encontre de l'éthique et est contraire à la construction collective des connaissances. Dans les faits, les accords de libre-échange proscrivent ainsi l'introduction sur le marché de génériques concurrents, ce pour une durée de 5 à 8 ans selon les accords, que le produit le premier commercialisé soit protégé par un brevet ou non. Enfin, ils limitent dans ce cadre bilatéral l'usage de flexibilités autorisées par l'OMC telles que les licences obligatoires – en restreignant les motifs d'émission de ces licences ou en interdisant la commercialisation des produits fabriqués ou importés sous licence obligatoire – ou encore la possibilité d'importations parallèles, qui permettent l'achat à partir d'un pays tiers d'un médicament de marque dont le prix est inférieur à celui pratiqué sur le marché national.</p> <p><strong>Dispositif de production de ces normes et résistances</strong></p> <p>Dans les années 1980, une poignée de dirigeants de multinationales se sont alliés pour convaincre l'administration américaine et les gouvernements successifs, puis progressivement la communauté internationale des affaires et les autres pays développés, de la nécessité d'établir un lien entre commerce et propriété intellectuelle et de l'inclure dans les négociations du Gatt [<a href='#nb7-1' class='spip_note' rel='footnote' title='Peter Drahos with John Braithwaite, Information Feudalism : Who Owns the (...)' id='nh7-1'>1</a>]. De cette action collective porteuse d'un certain projet de société, depuis devenue politique d'État, a émergé une conception nouvelle de la propriété intellectuelle et de son rôle, reposant sur des normes de protection accrues. En particulier aux États-Unis, le lobbying conduit par l'industrie a contribué à brouiller la démarcation entre secteur privé et gouvernement. Les représentants du secteur privé se sont en effet progressivement rapprochés des décideurs politiques, ont pu établir des contacts et une collaboration régulière, se rendre indispensables et s'impliquer activement dans les processus d'élaboration de législations, créant ainsi une interdépendance. Pris dans cette dynamique, les décideurs politiques ont graduellement incorporé la logique et les objectifs du secteur privé qu'ils ont traduit en langage administratif et juridique. Les relations internationales sur la propriété intellectuelle fournissent de nombreuses illustrations de ce phénomène, qu'il s'agisse des positions tenues par les États-Unis lors du cycle de négociations de l'Uruguay (durant les années 1980 et 1990) ou des « Rapports 301 » publiés chaque année par le Département du commerce des États-Unis qui identifient les pays n'offrant pas aux intérêts américains des protections sur la propriété intellectuelle jugées suffisantes.</p> <p>Le capital reste implanté géographiquement et sa logique n'épuise pas la logique nationale. Pourtant les objectifs visés par le lobbying pro-propriété intellectuelle reflètent avant tout les intérêts de catégories d'industries, indépendamment de la localisation de leur siège ou de leurs unités de production. Cette logique peut être comparée à une logique de classe qui s'illustrerait par la capacité, tout d'abord, à définir des objectifs communs – en dépit des concurrences commerciales existant entre les firmes – puis à promouvoir ces dernières auprès de responsables politiques, et enfin à inspirer des réformes, ce qui revient à contribuer à structurer la société, au-delà des frontières nationales. La pratique de « revolving doors » qui décrit les va-et-vient d'employés de haut niveau du secteur public au secteur privé, et vice-versa, commune aux États-Unis et qui se développe partout dans le monde, fait partie intégrante de ce fonctionnement de classe. Elle contribue à homogénéiser la façon dont les décideurs se représentent la réalité et définissent leurs objectifs. Si des sommes d'argent peuvent changer de main à l'occasion ou des trafics d'influence intervenir, la plupart du temps cette interdépendance se manifeste avant tout par l'échange de services et le partage d'une communauté de vues et d'intérêts. Il s'est ainsi constitué un réseau plus ou moins lâche, d'individus, qui, en dépit de différences d'origine, d'expérience, de culture, d'orientation politique, partagent suffisamment, au regard de leur position vis-à-vis du marché et du pouvoir politique, pour nourrir un sentiment d'appartenance commune. L'efficacité d'un tel réseau repose sur le fait qu'il rassemble de façon informelle non seulement les membres de la communauté des affaires ou de corporations particulières mais aussi des décideurs politiques ou représentants d'institutions gouvernementales. En cela il tient plus du mouvement politique – faisant la promotion d'une vision pour la société – que d'une simple action corporatiste de défense des intérêts commerciaux. Ces membres qui œuvrent à « la création des conditions les plus favorables à l'expansion de leur propre classe » [<a href='#nb7-2' class='spip_note' rel='footnote' title='Antonio Gramsci, Selections from the Prison Notebooks, New York : (...)' id='nh7-2'>2</a>] trouvent fréquemment le soutien d'autres individus, désireux d'être assimilés à cette classe dirigeante, et qui ont ainsi tendance à en soutenir les politiques et les point de vue quel que soit leur pays d'origine. C'est ainsi que l'accroissement de la propriété intellectuelle est devenue une politique globale, soutenue par nombre de décideurs politiques ou simples citoyens dans des pays dans lesquels elle ne bénéficie pourtant qu'à une infime minorité.</p> <p>Mais ce phénomène observé dans le domaine de la propriété intellectuelle n'est pas seulement le fruit de l'action concertée d'une fraction d'industriels et de décideurs politiques. Il s'intègre à un changement plus large qui a affecté la gouvernance politico-économique mondiale depuis la fin des années 1970, l'émergence d'une « rationalité néolibérale ». Avec le néolibéralisme, la politique, mais aussi tous les domaines de la société (comme l'éducation, la santé, la recherche) sont devenus sujets de la logique économique, tandis que cette nouvelle rationalité politique était institutionnalisée et se propageait dans le monde [<a href='#nb7-3' class='spip_note' rel='footnote' title='Wendy Brown, Les habits neufs de la politique mondiale. Néolibéralisme et (...)' id='nh7-3'>3</a>]. L'État ainsi pris dans cette logique s'est redéfini de façon à suivre celle du marché, adoptant de nouveaux arbitrages dans le cadre des politiques publiques et usant de la loi comme d'un instrument au service de ces nouveaux objectifs. Le néolibéralisme a ainsi offert des conditions particulièrement favorables à l'imposition d'un nouveau système de gestion globale de la propriété intellectuelle : une nouvelle définition de l'État et de ses prérogatives, un nouveau type de relation et de fonctionnement entre sphères publiques et privées, ou encore l'extension du libre-échange et d'accords devenant les véhicules privilégiés de la promotion d'une conception jusqu'au-boutiste de la propriété intellectuelle. De son côté, ce cadre renforcé de protection de droits exclusifs favorise le maintien et la consolidation du pouvoir d'une classe dominante en lui assurant contrôle de la production et gestion des biens immatériels, indispensable à l'accumulation capitaliste dans le contexte de l'économie de la connaissance.</p> <p><strong>Conclusion</strong></p> <p>La gouvernance néolibérale et l'édiction des normes qu'elle impose soulèvent cependant un certain nombre de paradoxes. Les néolibéraux rejettent, en théorie tout au moins, les formes de monopoles institutionnalisés, qu'ils soient publics ou privés [<a href='#nb7-4' class='spip_note' rel='footnote' title='Michel Foucault, Naissance de la biopolitique, Cours au Collège de France, (...)' id='nh7-4'>4</a>]. Or, du fait de leur grand enthousiasme pour de forts droits de propriété intellectuelle, qui se traduisent par l'institutionnalisation de monopoles et la mise en œuvre de régulations biaisant la concurrence, ils se trouvent en porte-à-faux avec l'orthodoxie qu'ils défendent. L'inclusion de l'accord sur les ADPIC dans les accords de l'OMC – au motif que d'insuffisantes protections de la propriété intellectuelle menaceraient le libre-échange en introduisant des distorsions aux règles du commerce – peut ainsi être vu comme une contradiction entre la doctrine et les pratiques néolibérales.</p> <p>Tenir la connaissance hors du domaine public par le biais des règles de propriété intellectuelle, apparaît, par ailleurs, comme un fort paradoxe au sein du capitalisme « cognitif » [<a href='#nb7-5' class='spip_note' rel='footnote' title='Yann Moulier Boutang, Le Capitalisme Cognitif, Paris : Editions Amsterdam, (...)' id='nh7-5'>5</a>]. La création et l'innovation sont tributaires de la circulation et de l'échange d'informations et de connaissances. Ceci s'illustre clairement dans le domaine des nouvelles technologies de l'information qui permettent le développement de nouvelles formes de collaboration et de travail aussi fructueuses qu'elles peuvent être ouvertes. Pourtant, alors que ces pratiques se déploient, elles sont aussi menacées de plus en plus par le renforcement des droits de propriété intellectuelle. Les tenants du mouvement pro-propriété intellectuelle organisent ainsi le rationnement des ressources et énergies indispensables à l'alimentation et à la production du capitalisme de la connaissance – dont ils dépendent –, tandis qu'ils contribuent à écarter une grande partie de la population mondiale de la production de richesses tout comme de leurs accès. Ceci a des conséquences dramatiques sur de nombreux aspects de l'organisation sociale, et notamment dans le domaine de la santé publique. On voit ainsi des maladies que l'on sait soigner (le cytomégalovirus, une infection qui peut causer la perte de la vue et la mort) ou tout au moins traiter (le sida), pour lesquelles les règles de protection de la propriété intellectuelle imposent l'interdiction de fabriquer ou d'importer et commercialiser des médicaments à des prix accessibles aux populations affectées. D'autres maladies (dites « négligées ») sont délaissées par la recherche parce que la majorité de ceux qui en sont atteints ne représente pas un marché solvable. Dans le même temps, de nouvelles maladies émergent, évoluent ou mutent sans que les agents de santé publique ou les chercheurs puissent utiliser ou élaborer prophylaxies, traitements et vaccins faute de pouvoir partager des connaissances protégées par des brevets (tuberculose résistante, virus H5N1 ou SRAS). Les normes dictées par des accords bilatéraux de libre-échange priment ainsi sur celles assurant la protection et la défense des droits des individus, promulguées par différents organismes de Nations-Unies (OMS, Unesco, etc.) et inscrite dans les Objectifs du Millénaire pour le développement.</p> <p>Face au mouvement pro-propriété intellectuelle se développe cependant un autre mouvement, pour l'accès à la connaissance, qui revendique la mise en œuvre de formes nouvelles de gestion de l'information et de la connaissance, plus favorables à l'accès du plus grand nombre à leurs fruits, mais aussi au développement de conditions permettant véritablement de promouvoir la recherche et la création [<a href='#nb7-6' class='spip_note' rel='footnote' title='Access to Knowledge in the Age of Intellectual Property, Gaelle Krikorian (...)' id='nh7-6'>6</a>]. Ce mouvement cherche à recentrer le débat sur les droits des populations, inverser les hiérarchies et revoir les arbitrages qui déterminent la production des normes juridiques internationales.</p> <p>Ainsi, les mouvements sociaux qui se développent, notamment afin de s'opposer aux accords de libre-échange, montrent l'alliance de formes de mobilisation qui font feux de tout bois : tantôt contestant la privatisation de la connaissance, l'appauvrissement du domaine public et les aliénations et injustices qui en découlent, tantôt invoquant de nouvelles formes de gestion, de collaboration et de travail et mettant à profit les nouvelles technologies de l'information pour leur donner corps, ou encore, faisant de la liberté une pratique en exercice qu'il s'agit de répandre – on les taxe alors généralement de « pirates » pour mieux les discréditer. Cette opposition, en s'organisant comme force créatrice, pourrait en définitive contribuer à déborder les clôtures érigées au nom de conceptions extrémistes de la propriété intellectuelle et à bousculer les règles néolibérales d'appropriation et de contrôle de l'accès au savoir, à l'information et à ces fruits, jusqu'à présent dominantes dans le cadre du capitalisme cognitif. Le néolibéralisme, de part les inégalités et discriminations qu'il produit, favoriserait ainsi l'émergence d'une contestation qui lui est spécifique, sur le terrain même du savoir et de ses applications, redonnant importance et visibilité aux normes qui déterminent le bien-être des populations (santé, éducation, culture) et pourquoi pas proposant une nouvelle hiérarchie plus conforme aux intérêts de la société dans son ensemble.</p></div> <hr /> <div class='rss_notes'><p>[<a href='#nh7-1' id='nb7-1' class='spip_note' title='Notes 7-1' rev='footnote'>1</a>] Peter Drahos with John Braithwaite, Information Feudalism : Who Owns the Knowledge Economy ? London : Earthscan, (2002), et Susan K. Sell, Private power, public law. The globalization of intellectual property rights, Cambridge : Cambridge Univ. Press. (2003).</p> <p>[<a href='#nh7-2' id='nb7-2' class='spip_note' title='Notes 7-2' rev='footnote'>2</a>] Antonio Gramsci, Selections from the Prison Notebooks, New York : International Publishers (1971), p. 5.</p> <p>[<a href='#nh7-3' id='nb7-3' class='spip_note' title='Notes 7-3' rev='footnote'>3</a>] Wendy Brown, Les habits neufs de la politique mondiale. Néolibéralisme et néo-conservatisme, Les Prairies ordinaires (2007), p. 51.</p> <p>[<a href='#nh7-4' id='nb7-4' class='spip_note' title='Notes 7-4' rev='footnote'>4</a>] Michel Foucault, Naissance de la biopolitique, Cours au Collège de France, 1978-1979. Gallimard : Seuil (2004) pp. 142-143.</p> <p>[<a href='#nh7-5' id='nb7-5' class='spip_note' title='Notes 7-5' rev='footnote'>5</a>] Yann Moulier Boutang, Le Capitalisme Cognitif, Paris : Editions Amsterdam, (2007).</p> <p>[<a href='#nh7-6' id='nb7-6' class='spip_note' title='Notes 7-6' rev='footnote'>6</a>] Access to Knowledge in the Age of Intellectual Property, Gaelle Krikorian and Amy Kapzincski (Eds), Zone Books, 2010</p></div> <div class='rss_ps'><p><span class='spip_document_1057 spip_documents spip_documents_left' style='float:left; width:150px;'> <img src='http://vecam.org/IMG/jpg/gaelle_krikorian_opt150x180.jpg' width="150" height="225" alt="" /></span></p> <p><i>Gaëlle Krikorian est doctorante à l'École des Hautes Études en Sciences Sociales à Paris et membre de l'Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux : Sciences sociales, politique, santé (IRIS). Ses recherches en sociologie portent sur la prise en compte des enjeux de santé dans le cadre de négociations d'accords commerciaux de libre-échange.</p> <p>Elle a récemment coédité avec Amy Kapzincski le livre sur les mobilisations sociales autour de l'accès aux savoirs : Access to Knowledge in the Age of Intellectual Property (Zone Books Eds : New York, 2010).</i></p></div>