Vecam http://www.vecam.org/ Réflexion et action pour l'internet citoyen fr SPIP - www.spip.net Vecam http://vecam.org/local/cache-vignettes/L144xH41/siteon0-dd267.png http://www.vecam.org/ 41 144 Existe-t-il des alternatives aux logiques de l'industrie pharmaceutique ? http://vecam.org/article1028.html http://vecam.org/article1028.html 2008-04-16T14:13:21Z text/html fr Philippe Pignarre Philippe Pignarre est directeur des éditions Les Empêcheurs de penser en rond. Auteur de Le Grand secret de l'industrie pharmaceutique, La Découverte, Paris, 2003. Les brevets qui donnent un monopole d'exploitation aux industriels inventeurs d'un médicament pendant 20 ans (monopole maintenant étendu à 25 ans dans de nombreux pays) sont désormais l'objet d'importantes controverses. Le droit des brevets doit-il uniformément s'appliquer dans tous les pays et à tous les médicaments comme le préconisent les (...) - <a href="http://vecam.org/rubrique97.html" rel="directory">Pouvoir - Savoir (le livre)</a> <div class='rss_chapo'><p>Philippe Pignarre est directeur des éditions Les Empêcheurs de penser en rond. Auteur de Le Grand secret de l'industrie pharmaceutique, La Découverte, Paris, 2003.</p></div> <div class='rss_texte'><p>Les brevets qui donnent un monopole d'exploitation aux industriels inventeurs d'un médicament pendant 20 ans (monopole maintenant étendu à 25 ans dans de nombreux pays) sont désormais l'objet d'importantes controverses. Le droit des brevets doit-il uniformément s'appliquer dans tous les pays et à tous les médicaments comme le préconisent les accords de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) signés à Marrakech en 1994 ? Beaucoup de pays n'étaient pas d'accord. Ainsi l'Inde ne reconnaissait pas les brevets sur les médicaments : cela a permis à ce pays pauvre de développer une importante industrie pharmaceutique capable de mettre sur le marché à des prix très bas, pour sa propre population mais aussi pour d'autres pays pauvres, toutes les nouvelles molécules, sans devoir passer sous les fourches caudines des grands laboratoires pharmaceutiques américains, européens ou japonais. Depuis janvier 2005, l'Inde doit malheureusement appliquer la législation internationale en tant que membre de l'OMC et cela concerne rétroactivement tous les médicaments brevetés à partir de 1994. Des luttes importantes ont commencé en Inde autour de cette nouvelle législation.</p> <p>En fait, l'histoire nous apprend que les européens ont euxmêmes mis beaucoup de temps avant d'accepter que la législation sur les brevets s'applique aux médicaments. Il a fallu attendre 1967 en France et encore plus tard dans d'autres pays comme la Suisse. Ces pays ont attendu de disposer d'une industrie pharmaceutique significative, capable de participer aux processus d'innovation, avant d'accepter que cette législation s'applique chez eux. Dans l'intervalle les petits laboratoires français ont beaucoup copié les molécules inventées dans d'autres pays, ce qui leur a permis de s'initier aux méthodes de mise au point des médicaments. Ce que les pays riches se sont accordés à eux-mêmes, ils ne sont pas prêts à l'accorder aux autres !</p> <p>La question du sida a mis ce problème crucial sur la place publique. Comment les populations des pays les plus pauvres pourraient-elles disposer des trithérapies si les laboratoires inventeurs gardent le monopole de leur commercialisation et la liberté d'en fixer le prix ? Les plus gros laboratoires pharmaceutiques ont même intenté en 1999 un procès au gouvernement d'Afrique du Sud qui envisageait de commercialiser des génériques de médicaments encore protégés par un brevet. Devant le scandale international et la réaction des ONG, les laboratoires ont dû retirer leur plainte, mais ils se sont tournés plus discrètement vers les instances de régulation internationale et le gouvernement des États-Unis pour que leurs brevets ne soient pas mis en cause.</p> <p>Le résultat de cette politique est un désastre sanitaire : seulement 5 % des personnes qui dans le monde auraient besoin des trithérapies y ont accès. En revanche les pays, comme le Brésil, qui ont décidé de passer outre le droit des brevets et ont su résister aux menaces du gouvernement des États-Unis, ont pu fabriquer eux-mêmes les trithérapies à des prix extrêmement bas et prendre en charge un nombre de plus en plus considérable de patients. Dans ce pays, la décision de fabriquer des génériques des trithérapies dans le sida a permis de ramener le coût du traitement annuel de 12000 à 300 euros en moyenne par patient.</p> <p>Devant les protestations internationales et le combat de nombreuses ONG, des possibilités d'échapper à la stricte application du droit des brevets sont désormais reconnues en cas d'urgence sanitaire : un accord a été signé le 31 août 2003 qui permet la création de « licences obligatoires » gratuites pour les pays les plus pauvres. Il faut d'abord que les pays riches transposent cette possibilité dans leurs lois. Quant aux pays pauvres qui voudront suivre cette voie, ils devront lever de multiples obstacles et s'engager dans des demandes d'autorisation extrêmement complexes destinées à retarder et limiter le plus possible la possibilité de commercialiser des génériques. Ce sera particulièrement le cas pour les pays les plus pauvres qui n'ont pas les moyens technologiques de fabriquer localement ces médicaments et sont condamnés à les importer. Et de surcroit devront-ils régler la question de savoir d'où les importer puisque depuis janvier 2005 les pays comme l'Inde doivent aussi appliquer la législation sur les brevets de médicaments ? Ces pays devront aussi avoir les moyens de s'affronter aux États-Unis qui incorporent dans chacun de leurs accords commerciaux bilatéraux une clause complémentaire qui interdit le recours à cette possibilité de déroger au droit des brevets. Cette législation dite de la licence obligatoire est extrêmement contraignante : la demande doit être soumise à l'OMC, elle peut être contestée par un autre État, elle doit préciser la quantité de médicaments importés, le pays demandeur doit prouver que son système administratif et douanier empêchera toute ré-exportation, les circonstances doivent être « exceptionnelles », etc.</p> <p>L'industrie pharmaceutique a un autre problème : la plupart des molécules avec lesquelles elle gagne le plus d'argent (les nouveaux antidépresseurs antisérotoninergiques, les antimigraineux de la famille des triptan, les hypolipidémiants de la famille des statines, les nouveaux hypnotiques, etc.) tombent tous dans le domaine public avant 2007 alors qu'elle n'a rien inventé qui puisse venir avantageusement les remplacer. Ces molécules ne seront plus protégées par brevet et pourront faire l'objet de copies identiques ou quasi-identiques (génériques). Face à cette perspective de voir ses immenses profits mis en cause, l'industrie pharmaceutique multiplie les manoeuvres, les recours juridiques et les pressions pour obtenir un allongement de la durée de protection.</p> <p>Les gros laboratoires pharmaceutiques fabriquent et commercialisent parfois eux-mêmes leurs propres génériques pour intimider et décourager les laboratoires spécialisés dans les génériques, tout en espérant ne pas avoir à les promouvoir auprès des pharmaciens. Les brevets ont un autre effet pervers : ils poussent les laboratoires pharmaceutiques à limiter au maximum la durée et le nombre d'études cliniques afin de demander le plus vite possible une autorisation de mise sur le marché et profiter ainsi au mieux du temps durant lequel ils auront le monopole de l'exploitation (avant l'arrivée des génériques). Du coup, ce n'est qu'une fois un médicament sur le marché que l'on s'aperçoit d'effets secondaires pouvant être mortels et que le caractère trop limité des études cliniques n'ont pas permis de déceler avant la commercialisation. C'est ce qui s'est passé avec le Vioxx des laboratoires Merck qui provoque des accidents cérébraux ou cardiaques chez 15 patients sur 1 000 et qui a dû être retiré du marché 4 ans après sa commercialisation.</p> <p>Mais la question des brevets met en jeu une autre question : celle de l'organisation même de la recherche. Les États-Unis ont expérimenté ce que l'on peut appeler une « remontée » des brevets en amont, au sein de la recherche académique (Sheldon Krimsky, La recherche face aux intérêts privés, Les Empêcheurs de penser en rond). On pouvait autrefois distinguer la recherche publique et la recherche privée, non seulement en fonction de leurs modes de financement, mais aussi en fonction de leurs objectifs. Les chercheurs du public avaient pour vocation de publier leurs travaux dans de grandes revues scientifiques à comité de lecture (les plus célèbres sont Science et Nature) ou à communiquer leurs résultats lors de congrès de leurs disciplines : leur but était de répandre la connaissance sans restrictions, et d'enseigner. À l'inverse les chercheurs du privé sont soumis aux intérêts financiers de leurs employeurs : on exige d'eux le secret et on leur interdit fréquemment de publier leurs résultats. Leur seul objectif est de déposer des brevets avec tous les droits que cela induit. Les brevets étaient jusqu'à présent déposés sur des produits manufacturables.</p> <p>Tout cela est en train de changer. Les législateurs des États- Unis ont voté en 1980 une loi (qui porte le nom de ses initiateurs Bay-Dole) autorisant les universitaires à déposer des brevets, à créer des sociétés de biotechnologie, et à devenir actionnaires de groupes pharmaceutiques. Parallèlement, la Cour suprême de ce pays a décidé que les bactéries génétiquement modifiées étaient brevetables en tant que telles, indépendamment de leur intégration dans un processus d'exploitation. Désormais les lignées cellulaires, les gènes, les animaux et tous les organismes vivants modifiés par les humains peuvent être brevetés. Si on compare la recherche à une autoroute, on peut dire que les péages-brevets ne se situent pas seulement aux sorties des bretelles, mais qu'ils s'accumulent tout le long du chemin. Comme on le voit, la question des brevets est en train de devenir une des questions politiques les plus importantes : c'est elle qui cristallise désormais tous les abus possibles liés à la propriété privée.</p> <p>Cela doit nous amener à réfléchir à d'autres moyens pour inventer et développer des médicaments qui soient indépendants de l'industrie pharmaceutique et de sa logique des brevets.</p> <p>De ce point de vue, l'Afm (Association française contre les Myopathies), surtout connue par le Téléthon qu'elle organise chaque année, représente une expérience passionnante. Le premier message de l'Afm pourrait être résumé ainsi : on ne peut pas compter sur l'industrie pharmaceutique, ni sur l'État, pour mettre au point les thérapeutiques dont nous avons besoin. C'est pourquoi il n'est pas correct de leur dire : « c'est à l'État de le faire ». L'Afm sait bien que l'État ne le fait pas ! C'est justement tout le sens de ses initiatives !</p> <p>L'Afm est entrée dans des lieux jusque-là interdits : les laboratoires de recherche. Les chercheurs ont souvent détesté cela. La plupart d'entre eux préfèrent négocier avec les pouvoirs publics, ou avec les patrons, plutôt qu'avec le « public » quand il commence à apparaître sous la forme de ce type d'associations. Ils auraient voulu que l'argent n'aille pas à des projets mais à leurs laboratoires et ils auraient voulu gérer eux-mêmes cet argent sans que les associations s'en mêlent. C'est ce que l'Afm a justement toujours refusé. L'Afm est une des rares associations à ne pas avoir donné le pouvoir à son conseil scientifique. On peut désormais penser que l'on n'inventera rien de nouveau pour constituer les usagers en partenaires actifs sans apprendre de ce qu'a fait l'Afm. Cela concerne aussi bien les relations avec les chercheurs, la définition des appels d'offre, les modes de financement des travaux scientifiques, le type de contrôle sur les budgets alloués, la question des brevets sur les découvertes ainsi faites (pas de dépôts de brevets en général, mais nécessité de trouver les moyens qui permettent d'accélérer la recherche de traitements adéquats et d'être en bonne situation pour négocier avec des équipes du privé).</p> <p>Ainsi, l'Afm a un conseil d'administration composé exclusivement de membres des familles de malades et un comité scientifique séparé qui ne joue qu'un rôle consultatif. C'est le conseil d'administration qui prend les décisions, alloue les budgets, décide des grands projets. Cela ne s'est pas fait tout seul car les scientifiques auraient souvent aimé avoir plus de pouvoir, comme dans de nombreuses autres associations. Comme l'écrivent Vololona Rabeharisoa et Michel Callon dans leur livre sur l'Afm, contrairement aux interprétations selon lesquelles l'Afm agit contre le milieu scientifique, l'association cherche à travailler de concert avec lui, mais en tant que véritable partenaire et non seulement comme tiers-payant. La relation que l'Afm cherche en permanence à établir avec les chercheurs est une relation à la fois d'équité et d'altérité. Si les scientifiques ne savent pas coopérer, ce n'est pas une raison pour se passer d'eux : il faut les convaincre de le faire. S'ils ont tendance à privilégier leurs propres intérêts, ce n'est pas une raison pour baisser les bras : il suffit de les inciter à réorienter leurs programmes. Il n'existe aucune fatalité » (Vololona Rabeharisoa, Michel Callon, Le Pouvoir des malades. L'Association française contre les myopathies et la recherche, Presses de l'École des Mines). Cela ne se fera pas sans mal : ce sont toutes les habitudes de pensée des scientifiques et des hommes politiques qui sont bouleversées par ce qui constitue une véritable expérimentation sociale : « Les critiques proviennent d'abord des responsables des organismes publics de recherche qui se plaignent de voir leur propre action déviée, si ce n'est contrecarrée par des financements extérieurs sur lesquels ils n'ont aucun contrôle, et dont ils ne sont pas sûrs qu'ils aillent aux meilleures équipes sur les thèmes les plus pertinents. » Certains membres du comité scientifique, dont le rôle n'est que consultatif, tenteront bien de se révolter : l'Afm ne cèdera pas.</p> <p>L'État également aurait bien aimé se mêler de cette affaire et s'emparer des millions d'euros collectés (100 millions en 2004) grâce au Téléthon ! Les dirigeants de l'Afm ont heureusement toujours su résister à ce type de pressions, en particulier lorsque le ministère des handicapés prétendait nommer 50% des membres du conseil d'administration !</p> <p>L'exemple des médicaments montre qu'il n'y a pas « un marché » qui dicte des lois inexorables et face auquel nous serions impuissants. Le marché des médicaments est adossé à l'État et ne peut fonctionner que par un impressionnant appareil de lois et règlements. Sans ces lois et règlements, il n'y a pas de marché mais le chaos. Il est donc tout à fait possible d'intervenir pour que soient modifiés ces lois et règlements afin de ne pas laisser les industriels faire payer aux consommateurs le coût du déclin de l'innovation. Cela commence par la nécessité de s'opposer à l'allongement du temps de protection que donnent les brevets, la nécessité de s'opposer à l'autorisation de la publicité pour les médicaments de prescription en direction du grand public. Cela continue avec la nécessité de décourager les industriels d'investir dans la mise au point de me-too inutiles en annonçant des prix à la baisse pour ce type de nouveaux médicaments (les me-too sont des variations autour de molécules dont on connaît les propriétés. Ils ne peuvent être utiles que dans les maladies infectieuses à cause des variations des agents infectieux).</p> <p>Mais au-delà même de la nécessité d'intervenir sur les conditions de fonctionnement du marché des médicaments, nous devons privilégier tous les dispositifs qui permettent de faire proliférer les expertises, qui créent des publics intelligents et qui nous permettent de ne pas nous enfermer dans la seule logique des mesures administratives. C'est le chemin que nous ont montré, chacune à leur manière, les associations Act Up et Afm.</p> <p>Ainsi, s'il faut réfléchir aux moyens de financer des projets de recherche alternatifs, le plus important sera à cette occasion, de fabriquer de nouveaux liens entre les chercheurs, les associations de patients et les ONG. Des liens dans lesquels chacun ait envie d'apprendre de l'expérience des autres. C'est évidemment renoncer à l'idée que l'État pourrait retrouver sa fonction de bon père protecteur. Nous ne pouvons compter que sur notre intelligence collective. Nous pouvons reprendre la formule de Gilles Deleuze et Félix Guattari : « nous avons besoin que les gens pensent ».</p> <p><strong>Philippe Pignarre</strong></p></div> Relancer la recherche et développement de médicaments contre les maladies négligées http://vecam.org/article1033.html http://vecam.org/article1033.html 2008-04-16T14:13:15Z text/html fr Bernard Pecoul et Jean-François Alesandrini Bernard Pecoul est directeur de la Fondation DNDi Drug for Neglected Diseases Initiative. Jean-François Alesandrini est administrateur de la Fondation DNDi. Des millions de personnes dans les pays en développement, pauvres et victimes des maladies dites « négligées » meurent dans l'indifférence générale, isolées et ignorées de tous, sans médicaments et sans associations pour défendre leur droit de… vivre ! Certaines populations atteintes de paludisme ou de la tuberculose ont droit à un peu (...) - <a href="http://vecam.org/rubrique97.html" rel="directory">Pouvoir - Savoir (le livre)</a> <div class='rss_chapo'><p>Bernard Pecoul est directeur de la Fondation DNDi Drug for Neglected Diseases Initiative.</p> <p>Jean-François Alesandrini est administrateur de la Fondation DNDi.</p></div> <div class='rss_texte'><p>Des millions de personnes dans les pays en développement, pauvres et victimes des maladies dites « négligées » meurent dans l'indifférence générale, isolées et ignorées de tous, sans médicaments et sans associations pour défendre leur droit de… vivre !</p> <p>Certaines populations atteintes de paludisme ou de la tuberculose ont droit à un peu d'attention. Pour elles, la recherche et le développement de médicaments se sont lentement remis en marche parce qu'il existe un marché de consommation potentiel dans les pays riches. Pour les autres, le développement de médicaments a cessé depuis longtemps, en dépit de l'engagement de nombreux scientifiques qui n'ont jamais renoncé à étudier ces maladies. Pour les victimes des maladies « les plus négligées » comme la maladie du sommeil, la maladie de Chagas, la Leishmaniose, l'ulcère de Buruli, ou encore la Dengue, la plupart des médicaments encore utilisés sont très anciens, très mal tolérés, difficiles à produire, tandis que des résistances importantes sont apparues pour plusieurs d'entre eux.</p> <p>Moins de 10 % de la recherche médicale mondiale est aujourd'hui orientée vers les maladies majoritairement prévalentes dans les pays en développement qui affectent près de 90% de la population mondiale. C'est le gouffre communément appelé « 10/90 ». À peine 1% des 1400 nouveaux médicaments mis sur le marché ces 25 dernières années concerne ces maladies. 15 au total1 !</p> <p>Le bilan de la recherche de nouveaux médicaments pour des maladies est donc effroyablement maigre. Sans argent ni volonté politique, pas de médicaments !Telle est la triste réalité pour plusieurs millions de personnes atteintes par ces maladies négligées.</p> <p>À cet égard, il est intéressant de noter qu'aux États-Unis entre 1983 et 2003, et grâce à la mise en oeuvre de l'Orphan Drug Act qui offre des avantages fiscaux et une protection de marché pour les inventeurs de nouveaux médicaments destinés aux maladies orphelines, 231 médicaments nouveaux étaient enregistrés et près de 11 millions de malades en bénéficiaient. Ce seul bilan exprime d'une manière différente, le désintérêt pour le sujet des maladies transmissibles négligées et indique dans le même temps la capacité de mobilisation des pays du Nord lorsque les intérêts de leurs propres malades sont en jeu.</p> <p>Le constat étant posé, reste à savoir comment il est possible d'utiliser les avancées scientifiques actuelles pour progresser vers la découverte et la mise au point de molécules efficaces contre ces maladies dites « négligées » ? Comment imaginer des mécanismes adaptés pour le développement des médicaments destinés à des populations pauvres et non solvables ?</p> <p>Les mécanismes actuels d'aide au développement, d'incitations fiscales mis en place par les gouvernements et la communauté internationale ont largement montré leurs insuffisances. En 1994, 30 milliards de dollars étaient consacrés à la recherche médicale. Or, si les investissements s'élèvent aujourd'hui à 106 milliards, dont 44% proviennent du secteur public, les problèmes prioritaires de santé publique des pays en développement ne sont toujours pas traités à la hauteur des besoins.</p> <p>Selon la Commission MacroEconomie et Santé de l'OMS, 3 milliards de dollars seraient en effet chaque année nécessaires en Recherche et Développement pour réellement inverser la tendance. Or, les fonds supplémentaires additionnels, bien que substantiels, fournis ces dernières années par les grandes fondations caritatives comme Gates, Rockefeller ou Médecins Sans Frontières sont loin de pouvoir corriger le déséquilibre « 10/90 » existant, alors même que le contexte sanitaire est marqué par une croissance inquiétante des pandémies. De surcroît, est-il admissible que la responsabilité publique sur un enjeu aussi majeur de santé publique puisse ainsi durablement se défausser sur des organisations caritatives et la générosité publique ?</p> <p>Plus que jamais, faire émerger un système plus efficace exige un engagement politique réel des gouvernements des pays riches et l'élaboration indispensable de solutions et de règles du jeu nouvelles.</p> <p>L'émergence de nouveaux modèles.</p> <p>Des partenariats publics et privés offrent depuis quelques années des réponses nouvelles, originales, afin de relancer la recherche et développement pour les maladies négligées. Telle est l'ambition de la fondation Drugs for Neglected Diseases Initiative (DNDi) créée en 2003 par deux organisations privées Médecins Sans Frontières et l'Institut Pasteur, les quatre organisations de recherche bio-médicale publique du Brésil, d'Inde, de Malaisie et du Kenya2, avec le soutien du programme OMS/TDR pour concevoir et développer de nouveaux médicaments contre les maladies infectieuses affectant les populations les plus pauvres dans le monde. Le DNDi entend développer dans les dix prochaines années entre 6 et 8 nouveaux médicaments contre la Trypanosomiase Africaine, la Leishmaniose Viscérale, la maladie de Chagas et le paludisme. Dès 2006, deux médicaments contre la malaria seront mis à la disposition des patients en Afrique et en Asie.</p> <p>La fondation Drugs for Neglected Diseases initiative agit comme un laboratoire sans mur et construit ses priorités de recherche selon les besoins réels des populations oubliées. Son portefeuille de Recherche et Développement comprend en 2005 quinze projets, du stade initial de la recherche pour certains, au développement clinique pour les plus avancés d'entre eux. Le DNDi entend favoriser le transfert de connaissances généralement issues des laboratoires publics vers le développement effectif de médicaments dont le savoir-faire relève des entreprises pharmaceutiques. Ce modèle, à but non lucratif, pourrait raccourcir le long et périlleux processus de développement d'un médicament et en réduire substantiellement le coût. Dés 2006, le DNDi devrait apporter deux nouveaux médicaments pour la lutte contre la malaria répondant à deux conditions essentielles pour être efficaces, un protocole thérapeutique très simplifié et un prix bas.</p> <p>Comme le DNDi, le Global Alliance pour la Tuberculose, Medecine Malaria Venture pour le paludisme rassemblent des moyens significatifs pour relancer la recherche et le développement sur les maladies négligées. Structure souple et réactive, le DNDi entend également favoriser des transferts de technologies Nord/Sud grâce aux collaborations avec les pays du Sud affectés par ces maladies comme le Brésil, l'Inde, le Chine ou le Kenya. Ces nouveaux réseaux pourront ainsi solliciter les importantes capacités de recherche de ces pays, construire des plate- formes durables et délivrer des médicaments adaptés aux besoins.</p> <p>Toutefois ces nouveaux modèles innovants dans le domaine de la recherche et développement ne pourront faire leur preuve qu'à la condition de bénéficier d'un environnement plus favorable.</p> <p>1/ La volonté politique des pays riches est indispensable. Malgré les bonnes intentions affichées au cours des cinq derniers G8, les recherches restent très majoritaire- ment le fait de quelques pays (USA, Europe, Japon), là où précisément 80% du marché mondial du médicament se trouve concentré.</p> <p>La responsabilité politique consiste à ce que ces pays riches placent au premier rang de leurs priorités la relance de la Recherche et Développement de médicaments pour les maladies négligées - et notamment une Europe à la recherche de nouvelles initiatives. Le rapport de l'OMS, remis en novembre 2004 à la Présidence Hollandaise de l'Union Européenne3, le suggère explicitement. Si « seulement », 20% des 4 à 5 milliards que celle-ci entend investir dans sa recherche médicale jusqu'en 2010, étaient orientés vers les maladies négligées, le déséquilibre structurel commencerait à s'inverser.</p> <p>Il ne s'agit pas de créer ex nihilo un nouveau dispositif mais d'encourager la recherche publique européenne vers ces maladies et de soutenir durablement les initiatives qui voient le jour. Le prochain G8 organisé en Grande-Bretagne en juillet prochain pourrait être une opportunité pour l'Europe et la communauté internationale de concrétiser l'effort de solidarité envers les plus faibles qu'attendent les patients comme les pays du Sud.</p> <p>2/ De nouvelles règles du jeu s'imposent pour lever les principaux obstacles structurels qui ont nourris les échecs actuels. L'industrie pharmaceutique est souvent tenue pour responsable de l'absence de véritable recherche en faveur de ces maladies oubliées. Pourtant, son rôle n'est pas d'assurer la santé du monde dans une économie compétitive et dans laquelle la conquête des marchés reste la règle. En revanche, cette industrie est détentrice d'une expertise et de bibliothèques de molécules sous-utilisées pour ces maladies négligées. Mises à la disposition de la recherche en faveur des maladies négligées, ces molécules contribueraient à dessiner une dynamique de succès. Un cadre juridique qui inciterait les industriels à ouvrir une partie de leur savoir-faire non exploité dans le domaine des maladies négligées est indispensable.</p> <p>L'élaboration de nouvelles règles du jeu consiste aussi à s'interroger avec objectivité sur les conséquences des évolutions réglementaires promues par des agences telles que le FDA (Food and Drug Adminstration) aux États-Unis et l'EMEA (European Medicines Agency) en Europe. Dans la logique sécuritaire qui prévaut dans les pays riches, les standards qui règlent la recherche, le développement, la production et la diffusion des médicaments et des vaccins sont sans cesse relevés. Appliquées aveuglement aux maladies négligées, ces mêmes règles engendreraient des conséquences humaines dramatiques et éthiquement insupportables. Il faut revenir à la balance bénéfices/risques qui varie selon les maux et leur gravité. Ainsi, la maladie du sommeil tue à 100%. L'objectif des études actuelles est de remplacer l'usage des dérivés de l'arsenic qui, injectés aux patients traités, en tuent un sur vingt ! Le cas du sida est aussi exemplaire. Les associations de patients ont fait corps avec les laboratoires pour accélérer et assouplir les procédures d'autorisation. Il nous faut donc repenser les transactions éthiques entre les bénéfices individuels et les bénéfices collectifs, en fonction des besoins des patients dans leur contexte actuel. Si l'on avait appliqué les « règles » de précaution qui prévalent aujourd'hui dans les sociétés riches, il est fort probable que le vaccin contre la poliomyélite –qui fut pourtant l'une des grandes révolutions de la médecine– n'aurait pas été développé.</p> <p>Bernard Pecoul et et Jean-François Alesandrini</p></div> <div class='rss_ps'><p>1 Ce sont l'halofantrine, la mefloquine, l'artemether et l'atovaquone pour le paludisme, le benzdinazole et le nifurtimox pour la maladie de Chagas, l'albendazole pour les maladies helminthintiques, l'eflornithine pour la maladie du sommeil, l'ivermectine pour l'onchocercose, l'oxamniquine et le praziquentel pour le traitement des schisostomiases. À cela s'ajoutent deux formulations nouvelles de médicaments existants, l'isethionate de pentamidine et l'amphotericine B liposomale, enfin deux médicaments nouveaux pour la tuberculose, la pyrazinamide et la rifapentine.</p> <p>2 Institut Pasteur, Médecins Sans Frontières, Kenya Medical Research Institute (KEMRI), Indian Council for Medical Research (ICMR), Fondation Oswaldo Cruz (Brésil), Ministère de la Santé de Malaisie, Organisation Mondiale de la Santé/TDR.</p> <p>3 Priority medicines for Europe and the World (Les priorités médicales pour l'Europe et le Monde), Richard Laing et Warren Kaplan, nov. 2004, Ed. de l'OMS, 154 p. <a href="http://whqlibdoc.who.int/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://whqlibdoc.who.int/</a> hq/2004/WHO_EDM_PAR_2004.7.pdf.</p></div> Sida : comment rattraper le temps perdu ? http://vecam.org/article1035.html http://vecam.org/article1035.html 2008-04-16T14:13:11Z text/html fr Germán Velásquez Coordonnateur du Programme d'Action pour les Médicaments de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS), Genève (les opinions exprimées dans cet article n'engagent que l'auteur). Huit millions d'enfants pourraient être sauvés En plein XXIe siècle, un tiers de la population mondiale n'a pas régulièrement accès aux médicaments ; 75% de l'humanité vit dans les pays en développement mais n'achète que 8% des produits pharmaceutiques vendus dans le monde. Nous disposons pourtant, sans l'ombre d'un doute, des (...) - <a href="http://vecam.org/rubrique97.html" rel="directory">Pouvoir - Savoir (le livre)</a> <div class='rss_chapo'><p>Coordonnateur du Programme d'Action pour les Médicaments de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS), Genève (les opinions exprimées dans cet article n'engagent que l'auteur).</p></div> <div class='rss_texte'><p><strong>Huit millions d'enfants pourraient être sauvés</strong></p> <p>En plein XXIe siècle, un tiers de la population mondiale n'a pas régulièrement accès aux médicaments ; 75% de l'humanité vit dans les pays en développement mais n'achète que 8% des produits pharmaceutiques vendus dans le monde. Nous disposons pourtant, sans l'ombre d'un doute, des moyens techniques et financiers pour produire tous les médicaments dont le monde a besoin. Comment se fait-il alors, que sur les 30 millions de personnes vivant avec le VIH (rétrovirus du sida) en Afrique, seules 27000 sont traitées, et que 10 millions d'enfants de moins de 5 ans meurent chaque année dans le monde alors que, s'ils avaient régulièrement accès à quelques médicaments essentiels, 8 millions d'entre eux pourraient être sauvés ? Près de 10 ans après la mise sur le marché des premiers antirétroviraux, moins de 1 % des personnes qui en ont besoin dans les pays en développement y ont accès.</p> <p>L'OMS (Organisation mondiale de la Santé) estime que plus de 10 millions de morts par an pourraient être évitées d'ici 2015 si l'on améliorait les interventions dans le domaine des maladies contagieuses et non contagieuses, ainsi que dans le domaine de la santé maternelle et périnatale. La plupart de ces interventions dépendent des médicaments essentiels1.</p> <p>Nous vivons une époque pleine de contradictions. Une fillette née au Mozambique aujourd'hui a peu de chances d'atteindre l'âge de cinq ans, alors qu'une autre née en Suisse peut espérer vivre jusqu'à quatre-vingts ans. Un déséquilibre choquant qui pourrait être évité si seulement les États dits développés faisaient preuve d'une volonté - politique plus ferme et plus étendue en matière de santé. Malheureusement, intérêts et privilèges commerciaux des nations les plus développées priment face aux urgences sanitaires qui se présentent dans la majeure partie du monde : c'est le principe de « la liberté de commerce avant tout » que les États nantis invoquent pour justifier leur inertie. L'accès aux médicaments illustre de façon dramatique ce déséquilibre, il est un exemple précis de l'impact des impératifs commerciaux sur la vie et la mort de millions de citoyens et citoyennes dans le monde. Cet état de fait ne pourra être modifié que par l'intervention décidée des plus importants acteurs de la société internationale : États, organisations non-gouvernementales, compagnies pharmaceutiques devraient se sentir également concernés par le drame qui se déroule au Mozambique et ailleurs. C'est un défi global qui nous interpelle tous et la réponse internationale devrait être imaginative, vigoureuse et massive.</p> <p><strong>Quels sont les enjeux ?</strong></p> <p>D'où vient le débat qui a lieu depuis trois ou quatre ans à propos de l'impact des nouvelles règles sur la propriété intellectuelle et sur le droit des personnes à accéder aux médicaments dont elles ont besoin2 ? Quelles ont été les caractéristiques et les leçons de ce débat et des négociations entre commerce et accès à la santé ? Quelle est l'importance et la portée de ce problème ? Et enfin, quels en sont les enjeux ?</p> <p>En 1995, l'accord de Marrakech créé l'Organisation mondiale du Commerce (OMC). Elle est fondée sur une série d'accords multilatéraux à caractère obligatoire, parmi lesquels celui sur les ADPIC (connu aussi sous le sigle anglais - TRIPS) : Accord sur les Aspects des Droits de Propriété Intellectuelle qui touchent au Commerce. Trois ou quatre ans plus tard, le secteur de la santé « se réveille » et réalise les implications économiques, politiques et juridiques d'un tel accord à l'échelle nationale. De nombreux pays en développement expriment leurs inquiétudes et mandatent l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) pour réaliser une étude sur les possibles conséquences de l'Accord sur les ADPIC pour l'accès aux médicaments. Le rapport de l'OMS alerte la communauté internationale sur le fait que cet Accord est une initiative des pays industrialisés, qu'il reflète leurs points de vue et leurs intérêts, et que les besoins des pays en voie de développement n'ont pas été nécessairement pris en considération. L'OMS recommande aux pays en voie de développement de profiter au maximum des flexibilités offertes par le texte de l'Accord sur les ADPIC, pour éviter les très sérieuses conséquences sur les politiques de santé publique et préserver leur capacité de réponse devant les situations critiques.</p> <p>À ce travail et aux préoccupations des pays en développement, s'ajoutent rapidement les campagnes menées par des organisations non-gouvernementales, telles que MSF (Médecins sans Frontières) et Oxfam, mais aussi dans les universités. En quelques mois, cette question se transforme en sujet et objet d'attention et de débat dans la presse de nombreux pays.</p> <p>Entre 1998 et 2001, un procès fait couler beaucoup d'encre. Il oppose le gouvernement de la République d'Afrique du Sud aux 39 laboratoires pharmaceutiques qui ont tenté de s'opposer à l'application de la loi pharmaceutique (Medicines and Related Substances Control - Amendment Act de 1997) inspirée des recommandations de l'OMS3. Ce procès a considérablement accéléré et modifié la nature du débat. Quelques mois après la fin du procès, le 20 juin 2001, la question de l'accès aux médicaments fait irruption au sein même de l'OMC à l'initiative d'un groupe de pays africains. Les 144 délégations qui gèrent l'Accord sur les ADPIC à Genève décident d'aborder le problème. En novembre 2001 à Doha (Qatar), la Conférence ministérielle de l'OMC adopte la Déclaration « sur l'Accord sur les ADPIC et la santé publique »4. Ce texte demande aux pays membres de l'OMC d'appliquer cet accord d'une façon qui protège la santé publique et favorise l'accès aux médicaments. Il « accorde aux pays toute liberté dans le choix de motifs d'attribution de licences obligatoires et le droit de déterminer ce qui constitue une urgence nationale ou une situation d'urgence »5. « Même si cette étape a été importante,[…] la Déclaration de l'OMC laisse en suspens de nombreux problèmes, notamment la question des mesures destinées à aider les pays sans capacité de production à accéder aux médicaments génériques fabriqués hors de leurs frontières », déclare le Programme des Nations-Unies pour le Développement (PNUD).</p> <p>La réunion ministérielle de l'OMC à Doha, en novembre 2001, donne au Conseil des ADPIC6 la mission de trouver dans un délai d'un an, une solution pour ce que l'on appelle le « paragraphe 6 »7 : voir comment les pays qui n'ont pas les capacités de fabrication des médicaments peuvent avoir recours aux « licences obligatoires », un mécanisme juridique prévu dans l'Accord sur les ADPIC. Les licences obligatoires sont un dispositif destiné à surmonter les obstacles qui empêchent l'accès aux médicaments - lorsqu'ils font l'objet d'un monopole –en vertu de la généralisation à 20 ans de la durée des brevets.</p> <p>Après un an de dialogue de sourds sans la moindre solution concrète, les négociateurs n'ont réussi à montrer que leur inconscience face à la gravité et à l'urgence du problème. La décision proposée par le paragraphe 6 de la Déclaration de Doha, n'est en aucun cas la panacée à tous les maux de l'humanité ; on sait bien que le problème des prix, bien qu'il soit le principal obstacle à l'accès aux médicaments, n'est pas le seul. L'accessibilité dépend principalement de quatre facteurs : la sélection judicieuse des médicaments autorisés à être mis sur le marché dans un pays donné ; l'existence de dispositifs de financement ; la présence et l'entretien de systèmes et d'infrastructures de santé fiables, et des prix abordables pour les malades ou les systèmes de sécurité sociale. Sans être le seul facteur déterminant de l'accessibilité, le prix des médicaments joue sans le moindre doute un rôle essentiel. Il n'en reste pas moins qu'à l'OMC, les « administrateurs » d'un des principaux symboles du processus actuel de mondialisation que constitue l'Accord sur les ADPIC se sont fourvoyés : ils ont perdu l'occasion de délivrer un message clair de « bonne volonté » à ceux qui, bien que convaincus de la nécessité de développer et d'améliorer le commerce international, se voient dans l'obligation de lutter pour sauver des vies – les vies de ceux qui devront produire les objets de ce commerce et qui, en théorie, devraient aussi pouvoir en bénéficier.</p> <p><strong>La recherche de quoi, pour qui ?</strong></p> <p>Dans la logique du système actuel, si l'on peut appeler logique ce cercle sans issue, la généralisation du système - des brevets (d'une durée minimum de 20 ans), exigée par l'Accord sur les ADPIC, est indispensable pour permettre aux laboratoires pharmaceutiques privés de poursuivre leurs travaux de recherche. Celle-ci est en effet coûteuse et les brevets garantissent des prix élevés en raison du monopole qui en découle (contraire, selon certains, à la liberté du commerce). Si ces prix élevés alimentent bien la recherche, ils empêchent aussi la grande majorité de ceux qui ont besoin des nouveaux produits de pouvoir y accéder. Il faut bien évidemment sauver la Recherche et le Développement de nouveaux médicaments, à condition que ceux- ci puissent sauver des vies dès leur découverte. Continuer sur les bases actuelles du système nous conduira à perpétuer la situation absurde qui voit des millions de personnes mourir par manque de médicaments, alors que ces médicaments existent et que la société contemporaine pourrait les mettre à leur portée.</p> <p>La recherche et le développement de nouveaux médicaments, en grande partie entre les mains du secteur privé, dépendent du marché potentiel du produit et non des besoins de santé des populations, particulièrement les plus démunies. Au cours des vingt dernières années, pratiquement aucune étude n'a été entreprise pour développer des médicaments contre des maladies qui touchent des millions de personnes dans les pays en développement : maladie de Chagas, leishmaniose, schistosomiase ou maladie du sommeil par exemple.</p> <p>« Jusqu'à récemment, les patients souffrant de la maladie du sommeil n'avaient pas d'autre choix qu'un traitement douloureux à base d'arsenic faute de médicament plus efficace, et ce alors que la maladie touche 500000 personnes - et en menace 60 millions de plus en Afrique. La maladie de Chagas menace un quart de la population d'Amérique latine, et aucun des médicaments existants n'est suffisamment efficace pour traiter les malades chroniques, enfants et adultes. Il devrait pourtant être possible de réduire la souffrance humaine causée par ces maladies infectieuses : les milliards de dollars consacrés à la recherche et au développement en matière de santé devraient permettre de développer des traitements efficaces pour ces maladies. Or, très peu de nouveaux médicaments permettant de soigner les maladies courantes dans les pays en développement ont été mis sur le marché au cours de ces dernières années, simplement parce que très peu de Recherche & Développement est menée dans ce domaine. »</p> <p><strong>Les pays du Nord en danger ?</strong></p> <p>L'application aux médicaments des nouvelles règles juridiques de la propriété intellectuelle aura sans le moindre doute des conséquences sur l'accès aux traitements dans les dix, quinze, prochaines années. S'il est certain que les pays en développement en ressentiront les effets, il est aussi très probable que ce sera le cas pour les pays industrialisés où les populations, habituées depuis une cinquantaine d'années à avoir un accès régulier et gratuit aux médicaments, risquent de réagir fortement si ce droit venait à être remis en question. Jusqu'à quand les systèmes de santé des pays industrialisés pourront-ils supporter l'augmentation des coûts de remboursement, faire face la cherté de nouvelles spécialités contre les maladies cardiovasculaires ou le cancer, ou des thérapies liées au vieillissement de la population, ou des médicaments développés à partir de la recherche sur le génome humain (eux aussi - couverts par des brevets, alors que cette recherche a été très largement publique) ? Les pays du Nord attendront-ils, pour traiter à fond le problème des prix élevés des médicaments, qu'il devienne une « maladie contagieuse » risquant de les contaminer ?</p> <p>Aux États-Unis, selon les projections des centres « Medicare » et des « Medicaid Services »9, les dépenses nationales de santé vont doubler entre 2001 et 2011 (de 1400 à 2800 milliards de dollars. Ils estiment que les dépenses en produits pharmaceutiques tripleront entre 2001 et 2011, passant de 142 à 414 milliards de dollars10. En conséquence, les assureurs privés devront faire face à un dilemme : soit réduire leurs prestations, soit augmenter leurs primes.</p> <p>Dans de nombreux pays européens, la part des médicaments dans les dépenses de santé est beaucoup plus élevée qu'aux États-Unis, où elle n'est que de 10%, contre 17% en France, 16,3% en Belgique, 17,1% en Grèce et 12,8 % en Allemagne11. Les dépenses en médicaments sont un indicateur des problèmes auxquels font et devront faire face les systèmes de santé bâtis sur les principes de gratuité et de qualité pour toutes la population. Nombreux sont les pays européens, dont la France12 et la Suisse, qui envisagent déjà de réduire le nombre de médicaments qui seront remboursés ou couverts par l'administration publique. Les protestations sociales émergent déjà.</p> <p><strong>La lutte contre le sida : comment rattraper le temps perdu ?</strong></p> <p>Alors que la catastrophe annoncée du sida a semblé précipiter les choses, le débat sur l'accès aux médicaments - n'en finit plus de piétiner, comme si nous n'avions rien appris en dépit des milliers de malades qui continuent à mourir chaque jour. Halfdan Malher, ancien directeur de l'OMS, a reconnu, lors d'une conférence de presse en 1986, avoir perdu près de quatre ans dans la lutte contre le sida pour « ne pas s'être rendu compte » de la gravité de la situation. Son successeur, Hiroshi Nakajima, confronté à des enjeux complexes et des intrigues politiques internes, « perdit » le programme mondial de lutte contre le sida</p> <p>–Global Program on Aids– et s'est vu dans l'obligation de démanteler l'oeuvre entreprise par Jonathan Mann. Quelques années plus tard, Peter Piott, responsable d'ONUSIDA, déclarait que ce démantèlement avait fait perdre à nouveau quatre ou cinq ans à la lutte contre le sida, le temps que l'ONUSIDA devienne véritablement opérationnelle –au milieu des années quatre-vingt-dix. On peut dès lors se demander légitimement si les Nations-Unies ont été à la hauteur de la gravité et de l'urgence du problème. On pourrait même se demander jusqu'à quel point la communauté internationale (opinion publique, sociétés civile et académique incluses) fut complice de cette indifférence ? Insuffisance des moyens, insuffisance des mécanismes d'aide, insuffisance de retombées concrètes des grandes déclarations de principe caractérisent la communauté internationale. L'Initiative d'Accès accéléré (IAA) a représenté l'accord le plus important de ces dernières années pour la réduction des prix des antirétroviraux (ARV) dans les pays en développement (de 12000$ en 2000 à 420$ en 2003, par personne et par an). L'ONUSIDA a lancé cette initiative en mai 2000, avec d'autres institutions des Nations-Unies et cinq laboratoires pharmaceutiques (Boehringer Ingelheim, Bristol-Myers Squibb, Glaxo SmithKline, - Merck & Co et Hoffman La Roche). Fin 2001, la responsabilité de l'IAA a été transférée à l'OMS. En trois ans, 80 pays ont manifesté leur intérêt, 38 ont élaboré des plans d'action et 19 ont conclu des accords avec des sociétés pour participer à cette initiative13. Malgré l'intérêt général manifesté par les États concernés, le nombre des patients sous ARV dans les pays adhérant à l'initiative reste à ce jour encore largement insuffisant : moins de 1 %, soit 27000 patients, alors qu'il y a en Afrique 30 millions de personnes qui vivent avec le VIH14.</p> <p>En juin 2003, dix pays d'Amérique latine (Argentine, Bolivie, Chili, Colombie, Équateur, Mexique, Paraguay, Pérou, Uruguay et Vénézuela) ont refusé les propositions de l'Initiative d'Accès accéléré et ont conclu un accord beaucoup plus favorable, avec les fabricants indiens et argentins producteurs d'ARV pour réduire les prix de 37 médicaments, dont 15 ont un prix de référence plus bas que celui jamais enregistré auparavant dans ces pays. Pour les traitements de première intention (ZDV, LMDV, NVP) le prix est passé de 1100$ (prix précédent le plus bas) ou 5000$ (prix précédent le plus élevé) à 365$. « Si les économies réalisées sont utilisées pour se fournir en ARV de première intention, cela représente 150 000 patients supplémentaires sous traitement. Les négociations ont aussi porté sur les kits de test dont les prix ont chuté de 9 à 90%. »</p> <p>En juin 2001, le Fonds mondial pour lutter contre la Tuberculose, le Paludisme et le VIH/SIDA fut approuvé, à l'initiative du Secrétaire Général des Nations-Unies, lors de la première séance extraordinaire de l'Assemblée Générale des Nations-Unies consacrée à la pandémie du VIH/SIDA. L'idée originale du Fonds, lancée pendant une réunion du - G8 à Okinawa en juillet 2000, était de créer un partenariat public/privé qui permettrait de donner une réponse au niveau international à trois maladies qui chaque année prennent la vie de six millions de personnes, en particulier celles des citoyens des pays en voie de développement. Ainsi, les États les plus développés de la planète et les principaux acteurs économiques globaux se sont engagés à contribuer économiquement à la recherche d'une solution à cette situation intolérable au début du XXIe siècle. Malheureusement, les dons reçus à ce jour ne représentent que 20 % des sommes promises à l'origine. En d'autres termes, nous avons là une bonne initiative, mais manifestement pas les moyens de s'attaquer au défi qu'elle prétend relever. En Chine par exemple, où les autorités estiment à un million le nombre des habitants infectés, un laboratoire pharmaceutique occidental a offert gratuitement des ARV pendant 8 ans, à 200 patients !</p> <p>Ces initiatives, comme le Fonds mondial, la diminution des prix ou les dons, n'offrent par ailleurs pas de solutions durables si nous envisageons l'horizon 2020 –ni pour les pays en développement, ni pour les pays développés.</p> <p>Il existe d'autres initiatives intéressantes, comme par exemple l'Initiative internationale pour un Vaccin contre le Sida (International AIDS Vaccine Initiative, IAVI16), qui réunit des laboratoires pharmaceutiques parmi les plus prestigieux, des laboratoires publics et des organisations non- gouvernementales. L'un de ses principes fondamentaux est qu'après avoir trouvé un vaccin, ce dernier devra être mis à la disposition du plus grand nombre à un prix minimal et dans le laps de temps le plus bref possible. Une façon de contourner le système actuel des brevets. Comme l'a fait - remarquer l'inventeur du vaccin antipoliomyélitique, Jonas Salk, lorsqu'on lui a demandé à qui appartenait son brevet : « À tout le monde. Déposer un brevet pour un vaccin, c'est comme de vouloir déposer un brevet pour le soleil. »</p> <p>La toute dernière initiative, tout à fait prometteuse (créée en juin 2003 à Genève), est la création d'une nouvelle organisation à but non lucratif sur la recherche de médicaments pour lutter contre les maladies négligées qui affectent les populations les plus pauvres. Des institutions prestigieuses dans le domaine de la santé et de la recherche au Brésil, en France, en Inde, au Kenya et en Malaisie ont rejoint Médecins sans Frontières, pour lancer le DNDi, « Drugs for Neglected Diseases Initiative » (Initiative pour la lutte contre les maladies négligées).</p> <p>Les six partenaires sont le Conseil indien pour la recherche médicale, la Fondation Oswaldo Cruz (Brésil), l'Institut Pasteur (France), l'Institut de Recherche médicale du Kenya, Médecins sans Frontières et le ministère de la Santé de Malaisie. Le DNDi travaillera en étroite collaboration avec le Programme des Nations-Unies pour le Développement (PNUD), la Banque mondiale et le Programme spécial de Recherche et de Formation sur les maladies tropicales de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS/TDR). L'OMS/TDR par ailleurs, participera en observateur aux travaux du Conseil scientifique du DNDi, pour apporter son expertise scientifique et technique.</p> <p>À peine 10 % de la recherche médicale mondiale est aujourd'hui consacrée aux maladies qui concernent 90 % de la morbidité mondiale. « Les patients des pays en développement n'ont ainsi d'autre possibilité que de se - soigner avec des médicaments devenus inefficaces et aux effets secondaires importants » déclare Yves Champey, directeur par intérim du DNDi. « DNDi mobilisera les acteurs de l'innovation scientifique pour développer de nouveaux traitements pour les patients les plus démunis » ajoute-t-il.</p> <p>Le DNDi prévoit d'investir 250 millions de dollars sur douze ans afin de développer 6 à 7 médicaments pour combattre la maladie du sommeil, la leishmaniose et la maladie de Chagas, trois maladies mortelles qui menacent 350 millions de personnes chaque année.</p> <p>En plaçant le développement des médicaments en dehors du marché, en encourageant le secteur public à prendre davantage ses responsabilités dans le domaine de la santé, le DNDi sera la première organisation non lucrative à se concentrer sur les maladies les plus négligées.</p> <p><strong>Accès aux médicaments et Droits de l'Homme</strong></p> <p>L'avancée la plus importante de ces derniers mois est d'avoir dépassé le débat cantonné aux domaines commercial et juridique et d'en avoir fait un problème éthique lié aux Droits de l'Homme.</p> <p>Dans divers milieux, on commence à se demander si un médicament qui, à un moment donné, peut sauver une vie, n'est pas un bien public. Beaucoup trouvent sans doute étrange que la presse et les organisations gouvernementales répètent inlassablement que la « victoire » de Doha est d'avoir obtenu la confirmation du « droit des membres de l'OMC de protéger la santé publique, et en - particulier, de promouvoir l'accessibilité des médicaments pour tous », alors que cet énoncé est absolument évident. L'explication est pourtant simple bien qu'inquiétante : pendant deux ans, on a prétendu opposer la santé au commerce et de nombreuses discussions dans les réunions internationales ont cherché à établir lequel, de la santé ou du commerce, devait passer en premier. Grâce peut-être à ce faux débat, la question a pu être replacée en termes de Droits de l'Homme. C'est sous cette perspective qu'on peut comprendre les vrais enjeux et la réelle taille de ce défi.</p> <p>Le droit à la santé est une chose, la promotion et le développement du commerce en sont une autre. Ces deux notions ne sont pas contradictoires mais complémentaires, et les opposer ne peut aboutir à une solution. Les règles du commerce, et celles de l'économie en général, doivent avoir pour objectif de contribuer au bien-être social. Elles ne peuvent en aucun cas s'ériger en obstacle pour confisquer les richesses et la prospérité d'une part importante de la société. L'accès aux soins et aux systèmes de santé, perçu comme un droit fondamental de l'être humain20, doit être énergiquement protégé par les pouvoirs publics et leurs institutions. Il est désormais clair que si les médicaments sont considérés comme des simples marchandises, cela équivaut à accepter l'accès à la santé comme une marchandise à laquelle seuls ont accès ceux qui ont un pouvoir d'achat suffisant. La réflexion sur le médicament essentiel comme bien public, ou indissociablement lié à ce bien public qu'est l'accès à la santé, devrait être approfondie. « …Dans le cadre de la mondialisation, deux mouvements sont en train de transformer en grande partie la santé en bien public global. D'abord, les rapports croissants entre les flux de commerce, de migration - et d'information ont accéléré la transmission par delà les frontières des maladies et des risques de santé liés au comportement et à l'environnement. Ensuite, les pressions de plus en plus fortes sur les ressources globales communes en eau et en air ont provoqué des menaces environne- mentales partagées », avertissent des chercheurs. L'élimination proche de la polio, grâce au vaccin, est un exemple des efforts globaux entrepris pour la défense de la santé en tant que bien public et enjeu international.</p> <p>Le médicament essentiel, considéré comme un bien public mondial, imposera sans doute de nombreux changements au sein de la communauté internationale. Les pouvoirs publics seront contraints d'apporter des vraies réponses à ce nouveau défi : un bien public mondial peut-il faire l'objet d'un brevet, en d'autres termes être soumis à un monopole au détriment du plus grand nombre ? Un objet (médicament) qui rend possible l'exercice d'un droit fondamental de l'être humain, peut-il être soumis à des règles qui compliquent ou empêchent l'accessibilité universelle pendant vingt ans ? Ne s'agit-il pas là d'une remise en question flagrante d'un droit de l'être humain reconnu par la majeure partie de la communauté internationale ? Comment doivent s'organiser la recherche et le développement de nouveaux produits pharmaceutiques, de façon à ce que ceux-ci soient immédiatement disponibles et accessibles à tous ceux qui en ont besoin ? Comment orienter ou reconvertir l'industrie pharmaceutique vers des objectifs compatibles avec l'amélioration de la santé et la qualité de vie plutôt que vers la seule expansion économique et le profit immédiat ? Comment assurer dans la société de demain, la production et la distribution efficace de ces biens publics mondiaux que sont les médicaments essentiels ? - Il faudra résoudre toutes ces questions dans les dix à quinze prochaines années et le meilleur moyen de s'y préparer consiste à les formuler clairement dès maintenant. Il ne faut pas avoir peur de défier le statu quo, qu'il soit politique, économique ou social ; notamment lorsque, derrière ce statu quo, des enfants meurent et des patients souffrent alors qu'ils pourraient être guéris et soignés.</p> <p>Dans une lettre datant du 7 juillet 2003, adressée au directeur de l'Organisation mondiale de la Propriété Intellectuelle (l'OMPI), 61 experts, provenant de 14 pays développés et de 4 pays en voie de développement du monde entier, ont exprimé leurs préoccupations et demandé à l'OMPI de se pencher sur le problème : « Ces dernières années, il y a eu une explosion de projets avec un esprit d'ouverture et de collaboration pour créer des biens publics. Ces projets sont extrêmement importants et soulèvent des questions de fond concernant les politiques de propriété intellectuelle appropriées. Ils fournissent également la preuve que l'on peut obtenir un haut niveau d'innovation dans certains domaines de l'économie moderne sans protection de la propriété intellectuelle, et que des protections de propriété intellectuelle excessives, déséquilibrées et mal conçues peuvent être contre-productives. Nous demandons à l'OMPI d'organiser une réunion durant l'année 2004 afin d'examiner ces nouveaux modèles de développement ayant un esprit d'ouverture et de collaboration, et de discuter leur pertinence pour les futures politiques publiques. »</p> <p>Il s'agit d'une problématique particulièrement complexe impliquant de nombreux acteurs, intérêts et discours de nature et d'origine diverses. Elle demande une approche - globale et pluridisciplinaire devant concilier le droit international en vigueur et les systèmes juridiques particuliers afin d'aboutir à une pratique du commerce cohérente avec le respect des droits humains. La solution n'apparaîtra ni dans l'immédiat, ni à brève échéance, mais on commence à prendre conscience de la nécessité urgente d'en trouver une. Sinon, nous nous retrouverons dans la situation du Sida, pour lequel l'organisation tardive d'une réponse concertée au niveau international a eu pour conséquence qu'à l'heure actuelle, chaque pas en avant est plus un rattrapage du temps perdu qu'un véritable progrès.</p> <p>Certains, comme MSF, affirment que « l'Organisation mondiale de la Santé, en tant que seule institution gouvernementale internationale légalement responsable de la santé mondiale, doit travailler à l'établissement d'un agenda de Recherche et Développement prioritaire. »</p> <p>« Que ce soit par l'OMS ou par un consortium public international, le programme de recherche et de développement de nouveaux médicaments devrait être établi en fonction des priorités et des besoins réels de la santé et pas en fonction des possibilités du marché. »</p> <p>Comment financer cette grande entreprise ? En dehors des contributions et des investissements déjà consentis par de nombreux États, James Orbinsky, ex-président de MSF International, a lancé l'idée de créer un impôt sur les ventes mondiales de l'industrie pharmaceutique pour financer une institution publique chargée de la recherche. Une autre possibilité serait d'affecter une partie des taxes nationales sur le tabac à un fonds public international, ce qui permettrait aux pays en développement d'y participer et - garantirait ainsi la recherche dans le domaine des maladies tropicales.</p> <p>Rien ne sert d'attaquer l'industrie pharmaceutique ou ses opposants et d'essayer de diviser le monde entre « les bons et les méchants », mieux vaut tenter de formuler, de concevoir et même d'inventer pour l'avenir des solutions qui profiteraient à l'ensemble de la société. Des solutions qui peuvent facilement être mises en pratique si le sens d'urgence partagé par la communauté internationale, devant par exemple la pandémie du VIH/SIDA, se traduisait en volonté politique d'agir. Il faut oser transformer et affronter tous ces obstacles qui nous éloignent d'une possible solution.</p></div> <div class='rss_ps'><p>1 Cf. J. Quick, H. Hogerzeil, G. Velásquez, L. Rago, Twenty-five years of essential medicines, Bulletin of the World Health Organisation, 2002, 80 (11). <a href="http://www.who.int/medicines/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://www.who.int/medicines/</a> organization/par/EssMed_25thAnniversary/whobull.pdf</p> <p>2 Voir notamment la publication de G. Velásquez, P. Boulet, Globalization and access to drugs:perspectives on the WTO/TRIPS Agreement , Health Economics and Drugs DAP Series No. 7, WHO, pp.38-41. <a href="http://www.who.int/medicines/library/dap/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://www.who.int/medicines/librar...</a> who-dap-98-9-rev/who-dap-98-9.shtml</p> <p>3 L'OMS recommande aux pays membres de toujours privilégier la consommation des médicaments génériques beaucoup moins chers que ceux de marque. Pour plus d'information sur le procès : Victory in South Africa, But the Struggle continues, <a href="http://www.aidslaw.ca/Maincontent/issues/cts/updateSA.htm" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://www.aidslaw.ca/Maincontent/i...</a></p> <p>4 Mise en oeuvre du paragraphe 6 de la déclaration de Doha sur l'Accord sur les ADPIC et la santé publique. <a href="http://www.wto.org/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://www.wto.org/</a> french/tratop_f/trips_f/implem_para6_f.htm</p> <p>5 UNDP, Rapport mondial sur le Développement humain 2002, p.105. 6 Organe de l'OMC à Genève qui administre l'Accord sur les ADPIC et se compose de 144 membres. 7 Les discussions qui ont enlisé les pays membres de l'OMC autour de la mise en oeuvre du paragraphe 6 de la Déclaration de Doha ont abouti au mois d'août 2003 (alors que la date-butoir était décembre 2002). Ces discussions montrent très clairement l'opposition, concertée et appuyée par le secteur pharmaceutique, de certains pays développés dont les États-Unis.</p> <p>8 Médecins sans Frontières, Recherche médicale en panne, pour les maladies des plus pauvres, par Daniel Berman, Laurence Binet, Laure Bonnevie, Laura Hakokongas, Jennifer Meybaum, Suerie Moon, Diana Smith, Anastasia Warpinski, Genève, 2001. <a href="http://www.msf.fr/site/bibli.nsf/documents/rapp151001came1" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://www.msf.fr/site/bibli.nsf/do...</a></p> <p>9 Medicaid est le programme américain fédéral destiné aux personnes de plus de 65 ans, handicapées ou souffrant de maladies chroniques.</p> <p>10 S. Heffler, S. Smith, G. Won et al., Health Spending Projections for 2001-2011. The latest Outlook, Health Affairs (03-04/2002), pp. 207-218.</p> <p>11 Données de l'OCDE sur la santé 2002, 4e édition.</p> <p>12 Le Monde du 23/24 avril 2003 annonce la décision du gouvernement de faire passer le remboursement de 617 spécialités de 65 à 35% et de ne plus en rembourser 100 autres.</p> <p>13 Pour une analyse critique, cf. <a href="http://www.actupparis.org/pdf/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://www.actupparis.org/pdf/</a> nord_sud/02_05_15_Accele_Acc_ENG.pdf</p> <p>14 Cf. l'étude confiée par l'OMS à Cheri Grace, Genève, 2003. Publication en cours.</p> <p>15 Francisco Rossi, communication sur le réseau E-MED du 16 juin 2003.</p> <p>16 <a href="http://www.iavi.org/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://www.iavi.org</a></p> <p>17 <a href="http://www.dndi.org/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://www.dndi.org</a></p> <p>18 Communiqué de presse, 03/07/2003, Genève, « DNDi - Drugs for Neglected Diseases initiative ».</p> <p>19 Pour plus d'information, voir <a href="http://www.dndi.org/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://www.dndi.org</a></p> <p>20 « Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l'alimentation, l'habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires […] ». Article 25 de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme. La formulation n'est pas limpide : elle semble privilégier le fait que le malade paie pour se soigner. Mais il a droit à avoir assez d'argent pour le faire… Ce qui suppose des prestations compensatoires.</p> <p>21 Inge Kaul, Isabelle Grunberg, Marc A. Stern, Global public Goods, UNDP, New York, Oxford, Oxford University Press, 1999, p. 289.</p> <p>22 <a href="http://www.cptech.org/ip/wipo/kamil-idris-7july2003.pdf" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://www.cptech.org/ip/wipo/kamil...</a></p> <p>23 MSF, Fatal Imbalance. The crisis in Research and Development for Drugs for Neglected Diseases, Genève, septembre 2001.</p> <p>24 Ex-président de MSF International. Obligations versus charity in global research and development, Paris, octobre 1999 (présentation audiovisuelle).</p> <p>25 Cf. Velásquez, Germán, Le profit contre la santé. Hold-up sur le médicament in Le Monde Diplomatique, juillet 2003.</p></div> Semences paysannes en danger http://vecam.org/article1036.html http://vecam.org/article1036.html 2008-04-16T14:13:09Z text/html fr Jean-Marc Desfilhes et François Dufour Jean-Marc Desfilhes est responsable des relations internationales à la Confédération paysanne. François Dufour est membre de la direction de la Confédération paysanne et vice-président de Attac. « Si on avait fait du blé de notre race, du blé habitué à la fantaisie de notre terre et de notre saison, il aurait peut- être résisté. Tu sais l'orage couche le blé ; bon, une fois. Faut pas croire que la plante ça raisonne pas. Ca se dit : bon on va se renforcer, et, petit à petit, ça se durcit la tige et ça (...) - <a href="http://vecam.org/rubrique97.html" rel="directory">Pouvoir - Savoir (le livre)</a> <div class='rss_chapo'><p>Jean-Marc Desfilhes est responsable des relations internationales à la Confédération paysanne. François Dufour est membre de la direction de la Confédération paysanne et vice-président de Attac.</p></div> <div class='rss_texte'><p>« Si on avait fait du blé de notre race, du blé habitué à la fantaisie de notre terre et de notre saison, il aurait peut- être résisté. Tu sais l'orage couche le blé ; bon, une fois. Faut pas croire que la plante ça raisonne pas. Ca se dit : bon on va se renforcer, et, petit à petit, ça se durcit la tige et ça tient debout à la fin, malgré les orages. Ça s'est mis au pas. » Regain – Jean Giono – 1930.</p> <p>Les plantes cultivées qui nous entourent et qui constituent notre alimentation sont issues d'un long travail de sélection entrepris par des générations de paysans, et peut-être plus encore de paysannes, car les femmes ont joué un rôle essentiel dans la transmission des connaissances. Une fois connu le principe de base, à savoir qu'une graine mise en terre donnait une plante et des fruits qui à leur tour allaient donner des graines, le travail de sélection allait pouvoir commencer. Depuis le néolithique les paysannes et les paysans choisissaient les plus belles plantes de leur récolte. Ils en conservaient les semences qu'ils replantaient la saison suivante.</p> <p>Au fil des printemps, ce passage au crible a entraîné une différentiation des variétés en fonction des conditions pédo-climatiques locales. Des facteurs tels que la durée du jour, l'altitude, la teneur d'argile dans les sols, les précipitations moyennes, les jours de gels, avaient une influence sur la croissance des plantes. Certaines semences s'adaptaient mieux aux nouveaux terroirs et la sélection, telle que décrite par Darwin, aura une incidence rapide sur la création de variétés de plantes présentant parfois des différences de caractères extérieurs très marquées. Les goûts culinaires ont également joué un rôle dans ce patient travail de tri.</p> <p>Pendant près de 10000 ans, l'agriculture a existé et a prospéré sans qu'il n'y ait de marché des semences. Chaque famille paysanne produisait les semences dont elle avait besoin pour ses champs et pour son potager. Les échanges entre familles étaient néanmoins nombreux et indispensables. Ils permettaient la diffusion rapide d'une variété particulièrement intéressante qui pouvait être le fruit d'une mutation bénéfique. Ces réseaux informels d'échange créèrent les conditions indispensables pour la diffusion des nouvelles plantes, issues de l'émigration, telles que la tomate, la pomme de terre ou le maïs, qui nous viennent toutes des Amériques lors de la première phase de globalisation végétale.</p> <p>L'exemple du maïs (Zea mays) est à ce titre particulièrement révélateur. Christophe Colomb, impressionné par la fertilité de cette céréale, le ramène dans les soutes de sa caravelle dès son premier retour, et les paysans andalous des alentours de Séville en plantent dès le début de l'année 1494. En 1523, le maïs est signalé à proximité de Bayonne. En 1774, la France exporte 10000 quintaux de maïs vers le Royaume de Castille et en 1840 la France compte déjà 640000 hectares de maïs. La propagation de cette nouvelle plante est rapide. Elle montre que les agriculteurs sont capables de participer activement à la diffusion des semences des variétés qui leur paraissent avoir un intérêt agronomique évident, sans qu'aucun appareil technocratique de développement agricole et centralisé ne soit nécessaire. C'est au contraire sur la fluidité des communications entre paysans, leur caractère informel et gratuit que s'appuient ces espèces végétales exogènes pour conquérir de nouveaux territoires et influencer durablement les cultures locales. À tel point que les habitants - de la Bresse furent appelés « les ventres jaunes » parce que leur alimentation dépendaient fortement des bouillies de maïs, les « gaudes » et que dans le sud-ouest de la France, les personnes âgées se rappellent du « milla ».</p> <p>La sélection réalisée par des générations et des générations de paysannes et de paysans va entrainer la création d'un nombre extraordinaire de variétés de plantes, adaptées à des conditions spécifiques pédo-climatiques, de germination et de durée végétative, afin de pousser soit en zone de plaine soit dans les régions montagneuses. Ces tris et cette recherche de LA variété la mieux adaptée nous a offert une gamme impressionnante. On estime à près de 800 le nombre de variétés de pommiers en Europe occidentale. Une association, Kokopelli, offre près de 300 variétés différentes de tomate. La création de variétés de plantes et leur diffusion sur une vaste échelle étaient des phénomènes connus et maîtrisés bien avant que la première station de recherche agronomique ne voit le jour. Cette dissémination était basée sur des critères voisins de ceux qui régissent aujourd'hui la circulation de logiciels libres, à savoir : – la possibilité de planter librement une plante et de jouir de ses fruits (liberté 0) ; – la liberté d'étudier le fonctionnement de la plante et de l'adapter à ses besoins (liberté 1) ; – la liberté de redistribuer les semences, les graines ou les boutures et donc de participer à sa diffusion géographique (liberté 2) ; – la liberté d'améliorer la plante et de publier ses améliorations, pour en faire profiter toute la communauté (liberté 3).</p> <p>L'appropriation foncière commencée au début du XVIIe siècle en Angleterre avec le mouvement des enclosures va radicalement modifier la donne. Les clôtures érigées par les propriétaires sur les terres communales, souvent sous la protection de l'armée, entraînent une privatisation d'un bien jusque là considéré comme collectif. Les gentlemen farmers se piquent d'agronomie et commencent à rationaliser la recherche agricole. La propriété privée du sol se traduira très rapidement par une réduction de la circulation des plantes et de la divagation des animaux offrant les conditions nécessaires à la mise en place d'un travail de sélection individuel et non plus collectif. Les avancées de la connaissance scientifique, de Darwin (théorie de l'évolution) à Mendel (génétique), vont permettre une meilleure compréhension de la reproduction des espèces animales et végétales. Les agronomes vont se retrousser les manches et lancer les premières variétés « productivistes ».</p> <p>Aux États-Unis, Henri Wallace, qui mélange allègrement intérêts publics (il est ministre de l'agriculture) et intérêts privés (il est fondateur de Pioneer Hi-Bred), sera l'un des instigateurs du premier cadre juridique permettant d'imposer aux paysans les profits des industries des semences. En 1930, les États-Unis votent le Plant Patent Act qui autorise le dépôt de brevets pour certaines plantes. Cette loi a été étendue en 1970 avec le Plant Variety Protection Act qui s'applique aux graines et à plus de 350 espèces végétales alimentaires. Depuis, les lois se sont toujours renforcées dans l'intérêt des grandes multinationales des semences. Elles ont créé les conditions d'émergence d'un marché commercial qui n'existait pas auparavant et qui dépassait les 30 milliards de dollars en 2002, 4 fois plus qu'en 1970. Le marché mondial, c'est à dire les transactions - trans-frontalières entre pays s'élèvent maintenant à 4 milliards de dollars. L'importance de ces chiffres ne doit pas masquer le fait qu'à l'heure actuelle plus de 70 % des paysans de la planète n'achètent toujours aucune semence, et continuent à semer une partie de la récolte de l'année précédente, ce que nous appelons les semences de fermes. Ces récalcitrants au progrès, ces paysans pauvres, ces cul-terreux à développer, sont perçus comme une terre promise à conquérir par les multinationales (Pioneer, Syngenta, Monsanto, Limagrain) qui se sont déjà entendues pour créer un cadre juridique au sein de l'OMC, l'Accord sur les ADPIC, qui garantira leurs intérêts financiers sur le long terme.</p> <p>Comme des logiciels ou des machines, les nouvelles variétés hybrides ou transgéniques sont brevetées et l'appareil judiciaire est en ordre de route pour faire entrer les récalcitrants dans le rang. Monsanto dispose ainsi d'une équipe de 75 détectives privés qui parcourent les grandes plaines du Middle West à la chasse aux « pirates » des semences. Ils prélèvent des échantillons de plantes et vérifient si il y a des traces de gènes brevetés par Monsanto. Dans l'affirmative, et si le paysan n'a pas acheté de semences cette saison, il est traîné devant les tribunaux. Peu importe si son champ a été contaminé par du pollen provenant des cultures de ses voisins…</p> <p>Ces nouveaux chasseurs de primes ont déjà fait entrer plus de 15 millions de dollars dans les caisses de leur employeur. Paysan et pirate sans avoir jamais vu la mer et sans connaître le Peer-to-peer, c'est désormais possible. Personne n'est à l'abri de voir débouler dans son quotidien les gardiens de la soi-disant propriété intellectuelle.</p> <p><strong>En Europe, le système est légèrement moins brutal… pour l'instant.</strong></p> <p>Depuis le début des années 1960, les nouvelles variétés de plantes sont protégées par un système sui generis régit par l'UPOV (Union internationale pour la Protection des Obtentions Végétales), qui protège les intérêts des firmes semencières tout en permettant, sous certaines conditions, une poursuite de la recherche agronomique libre.</p> <p>Les paysans, qui ont été les sélectionneurs libres pendant 300 générations, se sont vu concéder dans un premier temps un « privilège » qui leur accorde l'autorisation de replanter leur semences de ferme en échange du paiement de royalties. Un privilège sur lequel les multinationales tentent de revenir par tous les moyens. Par contre, les paysans n'ont plus le droit de réaliser des échanges avec leurs voisins ce qui met en fait un terme définitif à cette chaîne de 10000 ans de solidarité entre agriculteurs et entre générations. Sans brassage génétique, leurs semences sont condamnées à brève échéance. Ils deviendront les clients obligatoires des multinationales.</p> <p>En 1989, histoire de fêter dignement le bicentenaire de la Révolution, le ministère de l'agriculture en France, les industriels de la semence et le syndicat des agrimanageurs, la FNSEA, passent un accord scélérat visant à interdire purement et simplement l'utilisation des semences de ferme. En vertu du nouveau texte, les paysans n'ont tout simplement plus le droit de posséder le matériel nécessaire à trier leurs propres semences. Face à cette trahison de la FNSEA, les trois autres syndicats agricoles, la Confédération paysanne, le MODEF et la Coordination Rurale, créent avec le syndicat des trieurs à façon, la « Coordination pour la Défense des Semences de Ferme » (CNDSF) qui lutte depuis sa création pour que les paysans puissent poursuivre leur travail de sélection.</p> <p>En 1991, la CNDSF s'oppose une nouvelle fois victorieusement aux obtenteurs (qui produisent et commercialisent les semences) et multiplicateurs (qui multiplient les semences) lors de la conférence diplomatique de l'Union internationale pour la Protection des Obtentions Végétales (UPOV) à Genève. Les obtenteurs, dans le cadre de l'UPOV, cherchent à interdire l'utilisation de semences fermières. Mais l'application du droit des paysans à replanter leurs semences est un chemin difficile. Le règlement européen sur les obtentions végétales de 1994 prévoit une taxe sur l'utilisation des semences de ferme à verser aux obtenteurs. Depuis 1994, la CNDSF est intervenue chaque année auprès du ministère de l'agriculture et du Parlement contre un projet de loi instaurant une taxe sur les semences fermières.</p> <p>Depuis 1994, un règlement européen donne la possibilité aux États membres d'assujettir les primes de la Politique agricole commune (Pac) sur les céréales à l'achat de semences certifiées. En France, ce règlement est appliqué pour le blé dur depuis 1998. Les prix du blé étant inférieurs au coût de production, les paysans, s'ils veulent poursuivre leur activité de production de céréales, ne peuvent pas se passer de ces subsides publiques, qui ne font que transiter dans leurs poches pour atterrir directement dans celles des actionnaires des firmes semencières. La ponction est importante car les semences certifiées coûtent en moyenne deux fois plus cher que les semences produites à la ferme. Pour compléter le dispositif, les - coopératives qui rachètent le grain exigent, elles aussi, des variétés « certifiées ». Les agriculteurs se retrouvent entre le marteau et l'enclume. S'ils refusent de jouer le jeu, ils n'ont pas d'aides et pas de débouchés. Il faut du courage pour se battre contre le courant.</p> <p><strong>Les OGM contre les droits des paysans à maîtriser leurs semences</strong></p> <p>Les groupes semenciers souhaitent bien entendu étendre ces dispositions à l'ensemble des céréales cultivées en France. Ces pratiques sont inacceptables. Par ailleurs, les Organismes génétiquement modifiés (OGM) représentent au niveau international un danger considérable pour les semences de ferme. La CNDSF, devant ces différentes menaces et le durcissement de la réglementation européenne, a jugé urgent de mobiliser les partenaires européens soucieux de protéger la libre utilisation des semences de ferme. Outre la lutte contre la taxe et la subordination des aides Pac à l'achat de semences certifiées, la Confédération paysanne compte consacrer ses efforts à la traçabilité des semences de ferme.</p> <p>Depuis 10 ans, les différentes actions syndicales que nous avons menées sur le terrain ont permis de faire comprendre aux agriculteurs les enjeux qui se cachent derrière les sigles barbares d'UPOV, de COV (Certificat d'Obtention végétale), d'ADPIC… Peu à peu les choses évoluent. La Confédération paysanne est à l'origine de la création du réseau des semences paysannes. Des paysans, chaque jour mieux formés et mieux informés, se rapproprient les semences en essayant de détricoter les semences hybrides dont ils disposent pour recréer des variétés stables.</p> <p>Nombre d'entre eux retrouvent une fierté et un plaisir dans ce travail d'observation, de création et d'écoute de la nature. Dans d'autres pays d'Europe, des réseaux d'échanges de semences oeuvrent également à la marge de l'illégalité. Qui aurait pu imaginer que le partage de graines pourrait un jour devenir condamnable ? Dans quel monde tyrannique vivons-nous pour que cette atteinte intolérable à notre liberté soit inconnue de nos concitoyens, de nos voisins ?</p> <p>Depuis une dizaine d'année, l'apparition des Organismes génétiquement modifiés est venue noircir le tableau. Les contaminations par le pollen OGM sont une évidence pour tout le monde… sauf pour ceux qui ne veulent pas les voir. L'ombre d'une agriculture transgénique totalitaire plane sur les campagnes. Mais la résistance est extraordinaire. La Confédération paysanne s'est engagée contre l'utilisation des OGM en agriculture, équivalente à un arrêt de mort pour l'agriculture paysanne qu'elle défend. Depuis 1997, il ne s'est pas passé une saison sans que nos militants détruisent des parcelles d'essais de plantes transgéniques menés en plein air en dépit des risques pour l'environnement. Certains de nos militants ont été lourdement condamnés, comme José Bové qui a passé deux étés derrière les barreaux. Mais malgré cette répression, malgré le fait que la puissance publique prenne partie de manière scandaleuse pour des intérêts privés, nous avons, grâce à notre détermination, réussi à empêcher jusqu'à aujourd'hui les cultures d'OGM sur notre territoire.</p> <p><strong>De nouvelles alliances pour la liberté</strong></p> <p>Face à toutes ces menaces, les paysans ont besoin de se tourner vers les autres secteurs qui remettent en cause les différents droits de propriété intellectuelle que les multinationales veulent nous imposer. Le premier secteur avec lequel nous pouvons échanger et travailler est celui des logiciels. La lutte des informaticiens contre les brevets sur les logiciels est très proche de la nôtre. La démonstration, faite par la communauté du logiciel libre qu'elle était en mesure de créer et de développer des applications informatiques performantes et de plus en plus souvent supérieures aux logiciels propriétaires, ne nous surprend pas. Nous connaissons, en tant que paysans, la richesse extraordinaire qui découle de la coopération et de l'entraide. Linux est une réussite ! Nous nous en félicitons ! Mais c'est encore un succès trop partiel quand près de 90 % des ordinateurs tournent sous des systèmes d'exploitation dont le code source est caché.</p> <p>Des liens doivent être construits entre les paysans et les informaticiens. À titre d'exemple, si nous souhaitons relancer la production de semences paysannes et entrer dans une phase de reconquête de notre liberté, nous avons besoin de créer des bases de données qui nous permettront de décrire précisément, avec nos mots, les semences dont nous disposons et qui permettront à d'autres paysans de rechercher, qui une variété de blé, qui une variété d'orge, adaptée à ses conditions locales (durée végétative, sols, ensoleillement…). Nous devons créer très rapidement cet outil tant que de vastes régions de notre planète ne sont pas encore sous le joug des multinationales et disposent de connaissances paysannes d'une valeur importante pour - notre avenir. Ce colloque nous permet donc de faire un appel du pied à la communauté des informaticiens libres pour une future collaboration concrète.</p> <p>Il nous amène également à remercier les artistes, de plus en plus nombreux à publier leurs oeuvres sous une licence Creative Commons, qui permet une protection de la création et une diffusion des idées et de la culture. Et l'on se prend à rêver d'une licence Creative Commons spécialement pensée pour les plantes. Une licence qui placerait les semences paysannes hors de portée de la Bande des Quatre (Pioneer, Syngenta, Monsanto, Limagrain).</p> <p>Les paysans du monde peuvent tirer profit des luttes et des avancées que d'autres ont arrachées dans leurs secteurs respectifs. Espérons que cette rencontre inaugure une nouvelle phase de collaboration entre ceux qui militent pour la liberté de la création, qu'elle soit informatique, artistique ou paysanne.</p></div> Le système des brevets n'est pas adapté au vivant et aux processus biologiques http://vecam.org/article1037.html http://vecam.org/article1037.html 2008-04-16T14:13:07Z text/html fr Tewolde Berhan Gebre Egziabher Le Docteur Tewolde Berhan Gebre Egziabher est un universitaire de Addis Abéba, Doyen de la Faculté des Sciences, et responsable de l'Herbarium national d'Éthiopie. Il a été négociateur représentant l'Ethiopie lors de plusieurs forums sur la biodiversité et la biosécurité. Il a obtenu la récompense du Right Livelihood Award en 2000 pour son rôle lors des négociations sur la biosécurité à Cartagène et Montréal. Il est actuellement Président de l'Autorité de Protection de l'Environnement d'Éthiopie.Le (...) - <a href="http://vecam.org/rubrique97.html" rel="directory">Pouvoir - Savoir (le livre)</a> <div class='rss_chapo'><p>Le Docteur Tewolde Berhan Gebre Egziabher est un universitaire de Addis Abéba, Doyen de la Faculté des Sciences, et responsable de l'Herbarium national d'Éthiopie. Il a été négociateur représentant l'Ethiopie lors de plusieurs forums sur la biodiversité et la biosécurité. Il a obtenu la récompense du Right Livelihood Award en 2000 pour son rôle lors des négociations sur la biosécurité à Cartagène et Montréal. Il est actuellement Président de l'Autorité de Protection de l'Environnement d'Éthiopie.Le texte de son article a été publié par Thirld World Network dans la collection « Biodiversité, savoir et droit ». Traduit et republié par autorisation de TWN.</p></div> <div class='rss_texte'><p><strong>Introduction</strong></p> <p>L'article 27.3(b) de l'Accord sur les ADPIC (Aspect des Droits de Propriété intellectuelle qui touchent au Commerce – TRIPS Trade-Related Aspects of Intellectual Property Rights) permet le brevetage de toutes les formes de vie et de tous les processus biologiques, et oblige plus particulièrement les États membres de l'OMC (Organisation Mondiale du Commerce) à adopter des législations portant sur les brevets concernant les micro-organismes et les procédés microbiologiques. Il les oblige également à breveter les variétés végétales, ou à les protéger par un « système sui generis efficace », ou encore à combiner les deux approches.</p> <p>L'Accord sur les ADPIC ne fournit absolument aucune raison expliquant pourquoi les interventions humaines utiles, tant sur les machines et sur le vivant, dont tout le monde sait que ce sont deux choses différentes, devraient être traitées par le même système de brevets.</p> <p>Un « brevet » n'est qu'un document autorisant le contrôle monopolistique d'un objet ou d'un procédé. Le problème n'est donc pas tant l'utilisation du terme « brevet », que le le fait que les critères pour l'obtention des brevets, qui ont été développés de façon appropriée pour les outils et les machines, soient étendus aveuglément au domaine du vivant.</p> <p>Tout ceci est rendu encore plus complexe par le fait que l'Accord sur les ADPIC utilisent un grand nombre de termes importants sans les définir. Les problèmes qui résultent des différences entre les machines et les organismes vivants sont de fait exacerbés par ce manque de précision dans les clauses de l'Accord.</p> <p><strong>Les critères de brevetabilité de l'Accord sur les ADPIC</strong></p> <p>L'article 27.1 de l'Accord sur les ADPIC dit : « …un brevet pourra être obtenu pour toute invention, de produit ou de procédé, dans tous les domaines technologiques, à condition qu'elle soit nouvelle, qu'elle implique une activité inventive et qu'elle soit susceptible d'application industrielle. »</p> <p>L'utilisation de l'expression « activité inventive » pour qualifier le terme « invention » frappe immédiatement par son côté tautologique. Cette tautologie est rectifiée par une note de bas de page qui dit que « activité inventive » signifie « non évident ». L'utilisation de l'expression « qui soit susceptible d'application industrielle » suggère également que seules les technologies qui peuvent être mises en application en usine peuvent être brevetées. Cette interprétation restrictive est également décodée par une note disant que « susceptible d'application industrielle » signifie « utile ».</p> <p>Dans cette clause de l'Accord sur les ADPIC sur « les objets brevetables », le terme « invention » et la distinction entre « produit » et « procédé » rendent le système de brevetage inapproprié pour le vivant et les procedés biologiques. Il faut évidemment étoffer cette affirmation. C'est ce que je vais essayer de faire.</p> <p><strong>Invention et découverte</strong></p> <p>L'article 27.1 de l'Accord sur les ADPIC dit que les inventions sont brevetables. Ce qui sous-entend que les - découvertes ne le sont pas. Le terme « inventer » n'est pas défini. Il nous faut donc recourir à la définition du dictionnaire.</p> <p>L'Oxford Shorter Dictionary donne comme sens possibles au mot « invention » le teme « découvrir » et l'expression « exposer à la vue ». Je ne pense pas que ce soit le sens pris en compte dans l'Accord sur les ADPIC. Sinon il y a un problème pour la totalité de l'accord. Pour illustrer, disons qu'un enfant naît avec un esprit vierge. Au fur et à mesure qu'il grandit, il « découvre » chaque chose. Chaque chose pourrait alors devenir un « objet brevetable » pour chacun. L'OMC n'a pas été créée pour faire appliquer une telle absurdité !</p> <p>Une autre définition donne « invention comme mensonge ». Ce qui ferait du brevetage un système de falsification. Je suis sûr que ce n'est pas le sens voulu par l'Accord sur les ADPIC.</p> <p>Une troisième signification est « fonder » ou « instituer ». Comme les institutions ne sont pas brevetables, et comme, même depuis la création de l'OMC, aucune action n'a été entreprise dans cette direction, je peux également écarter ce sens. Sinon, qui breveterait l'OMC ?</p> <p>Il y a également trois définitions liées : « élaborer au moyen de l'intellect ou de l'imagination », « créer, produire ou construire par une pensée originale ou de l'ingéniosité » et « concevoir ou être à l'origine d'un nouvel art, instrument, procédé, etc. ». Ces trois nuances d' « inventer » peuvent toutes être une exigence pour la brevetabilité. Toutes utilisent comme mot-clé « élaborer » ou « créer ». Et « élaborer » - comme « créer » impliquent tous deux la fabrication de quelque chose qui n'existait pas, et dans le contexte de l'article 27.1, « quelque chose » signifie la technologie. Ils excluent donc les sens de « découvrir », même si ce qui est découvert, c'est une technologie, par exemple un outil enterré avec un pharaon égyptien il y a 7000 ans.</p> <p><strong>Est-ce qu'on invente la vie ?</strong></p> <p>Le vivant est fait de seulement quelques uns des éléments qui constituent le monde non vivant. Il est donc possible que la vie ait été « inventée ». Que nous croyions cela possible ou non n'est pas l'objet de la présente discussion. Il est cependant important de noter qu'aucune chose vivante n'a été obtenue par action humaine en se basant uniquement sur des éléments du monde non vivant. Si quelqu'un(e) avait inventé un organisme vivant de cette manière, il ou elle aurait définitivement le droit de breveter l'invention, et même de révéler qu'il-elle est un Dieu.</p> <p><strong>Alors quels sont les revendications que l'on peut déposer pour avoir inventé la vie ?</strong></p> <p>Le fait de trouver des spécificités individuelles inconnues jusqu'ici fait partie des technologies brevetables dans certains pays. « Inconnu » se réfère ici au monde « moderne », ces propriétés pouvant par ailleurs être déjà connues des communautés indigènes. Visiblement ces pays acceptent la « découverte » comme une « invention ».</p> <p>Le fait de déterminer la séquence d'acides nucléiques d'un gène est également considéré comme brevetable. Que la séquence d'acides nucléiques soit connue de tous ou de - chacun ou de personne ne changera pas la moindre chose aux caractères spécifiques de l'organisme en question. Ce genre de séquençage est donc simplement une découverte. Cela ne devrait pas être brevetable.</p> <p>Dans tous les cas, un grand nombre de gènes sont identiques par delà la diversité des espèces. Un gène donné est donc le même pour de nombreuses espèces. Si je détermine la séquence d'acides nucléiques d'un gène d'une bactérie et la brevète pour ça, que se passera-t-il si quelqu'un d'autre détermine la séquence d'acides nucléiques du même gène issu d'un arbre ? Lequel des deux brevets protègera le gène ? Si je devais déterminer la séquence d'acides nucléiques du même gène pour deux espèces différentes, devrais-je déposer deux brevets pour le même gène ? Ou bien le premier brevet empêchera-t-il le dépôt de brevets supplémentaires ?</p> <p>Et même en supposant que j'ai séquencé un gène d'une bactérie qui n'a été séquencé dans aucune autre espèce, cela le rend-il unique ? Non. Parce que pour affirmer ça, il faut que toutes les autres formes de vies soient examinées, et que les données soient à ma disposition. Jusqu'ici, les scientifiques connaissent toutes les séquences d'acides nucléiques pour la bacterie Escherischia coli. Le séquençage du riz semble aussi en bonne voie, et on avance à grand pas dans la connaissance du génome humain. Toutefois, les estimations du nombre d'espèces de la biosphère varient de 10 à 60 millions. Sera-t-on jamais certain qu'un gène est unique ?</p> <p>Quand un gène spécifique (une séquence d'acides nucléiques) est introduit dans un organisme, celui-ci peut être - exprimé (c'est-à-dire conduire à un trait spécifique dans l'organisme receveur). Mais si ce gène existe aussi dans un autre organisme, il est probable que son expression ait déjà pu conduire dans celui-ci à l'existence de ce même trait spécifique. Évidemment, la technique qu'utilise celui qui sait introduire un gène dans un autre organisme mérite d'être protégée. L'invention de la technique doit être brevetable, mais ni le gène qui est introduit, ni le trait qui est exprimé ne sont des inventions et de ce fait ne peuvent être brevetés.</p> <p>Mais évidemment, l'effort nécessaire pour déposer un brevet ne peut être rentable que si la technique est employée souvent, comme par exemple le canon à gènes, qui peut fonctionner avec différents gènes et différentes cibles. Si la technique n'est utile que pour un cas particulier, personne ne se préoccupera de la breveter.</p> <p>L'expression d'un gène introduit dans un organisme ne se réalise pas toujours comme prédit a priori. Son expression dans l'organisme où il a été introduit peut s'avérer différente de celle de l'organisme dans lequel il a été pris. Peut- on alors breveter ? En d'autres mots, s'agit-il d'une découverte ou d'une invention ? Je maintiens que cela doit être considéré comme une découverte.</p> <p>Une comparaison avec le comportement de l'eau nous aidera à clarifier ce point. L'eau, comme toutes les substances, réduit de volume en refroidissant. Cependant, quand elle se transforme en glace, elle augmente de volume brusquement. C'est pourquoi une bouteille de vin oubliée dans le congélateur explose. Peut-on dire que, puisque l'eau se comporte différemment à la température de la pièce ou - quand on la congèle, elle est dans un « état naturel » dans le premier cas et que nous avons « inventé » un second état pour l'eau congelée ? Évidement non. En congelant l'eau, nous avons simplement découvert une propriété différente de l'eau.</p> <p>De la même façon, le fait qu'un gène donné, dans un environnement cellulaire d'un certain type d'organisme, se comporte différemment que dans les cellules d'un autre type d'organisme ne fait pas de ce comportement une « invention », mais simplement la découverte d'une propriété complémentaire. De surcroît, que le gène s'exprime différemment de ce qui avait été attendu a priori démontre simplement une faiblesse dans la prédiction, pas une invention. Je ne pense pas que le système des brevets ait été fait pour récompenser les faiblesses.</p> <p><strong>De quelques problèmes associés au brevetage du vivant</strong></p> <p>Si nous laissons de côté les objections biologiques qui nous interdisent de penser à ce qui est maintenant réalisé par la biologie moléculaire et le génie génétique comme des « inventions », et si de ce fait nous nous mettions à soutenir l'article 27.3 de l'Accord sur les ADPIC, nous ccréerions alors des problèmes pour l'ensemble du système des brevets. Jetons un regard sur ces problèmes.</p> <p><strong>a – produit ou procédé ?</strong></p> <p><strong>Comment distinguer un produit d'un processus dans un organisme vivant ?</strong></p> <p>Le fait d'introduire un gène dans un organisme est un procédé. Si je souhaite fabriquer un carburateur, j'utilise un ensemble de travail humain, d'outils et de machines. C'est analogue au fait d'introduire un gène dans un organisme qui ne le possédait pas auparavant. Ainsi, l'organisme transgénique et le carburateur sont tous les deux des produits.</p> <p>Mon projet, en inventant le carburateur, est de mettre en oeuvre un autre processus : celui de brûler l'essence de façon efficace. De même, en produisant le produit qu'est l'organisme transgénique, mon but est de mettre en oeuvre un autre processus, par exemple de produire un vaccin contre la rougeole dans du blé.</p> <p>Maintenant, le processus de la vie existe toujours dans l'organisme transgénique et lui fait donc produire d'autres organismes transgéniques par la reproduction. Ce processus n'a aucune contrepartie ou analogie dans le domaine mécanique. L'introduction de gènes étrangers n'y est pour rien. C'est un processus qui existe dans tout le règne vivant, qui n'est pas influencé par mon génie génétique. Ce processus se substitue à la main, l'outil et la machine qui sont utiles pour fabriquer des carburateurs.</p> <p>Si l'introduction d'un gène est une invention, alors chaque génération ultérieure devient une « auto-invention ». Est-il alors logique ou équitable, même si nous laisson de - côté la distinction entre l'invention et la découverte, de dire que « j'invente » chaque génération qui succède à un individu particulier dans lequel j'ai introduit un gène allogène ? Si j'avais aussi inventé le processus de la reproduction, alors évidemment, toutes les générations ultérieures auraient aussi été mon invention. La reproduction, qui est nécessaire pour produire chacun des individus transgéniques mis sur le marché qui découlent de l'unique parent ayant été génétiquement modifié, élimine l'« invention » pour chaque organisme disponible.</p> <p>Si je m'entête et que j'ai le droit d'exproprier la biosphère et de proclammer que cette « auto-invention » de mon organisme transgénique est aussi ma création, je dois dans ce cas être aussi responsable de tout ce qui peut arriver dans ce processus. Par exemple, je dois être responsable pour : – la perte de qualité qui se produit à chaque fois qu'une génération comporte de plus en plus d'invididus ne possédant pas le gène que j'ai introduit ; – les changements qui ont eu lieu sur des individus qui n'étaient pas la cible de mon « invention », mais qui l'ont croisée au cours de leur processus habituel de reproduction ; – tous les comportements imprévus de la variété transgénique ; – et tous les impacts, fussent-ils positifs ou négatifs, et devenir ainsi condamnable pour tous les dommages ou manifestations de traits ou de comportement accidentels qui pourraient en découler. Le système des brevets n'est pas adapté au vivant et aux processus biologiques</p> <p>On voit souvent breveter l'usage de biomolécules spécifiques, qui sont les résultats de processus biologiques. Par exemple, si l'aspirine avait été découverte récemment, elle aurait été brevetée.</p> <p>Il y a actuellement des milliers de biomolécules brevetées. L'extraction de biomolécules des organismes vivants est d'évidence une découverte et non une invention, puisque les biomolécules existaient avant d'avoir été extraites. La méthode d'extraction peut cependant être une invention, et de ce fait être brevetable.</p> <p>Mais comme les biomolécules existaient avant leur extraction, leurs propriétés existaient aussi avant l'extraction. Le processus d'extraction n'ajoute rien, ou n'enlève rien à leurs propriétés. L'usage d'une biomolécule est le résultat de notre capacité à reconnaître et utiliser une propriété utile de cette biomolécule.</p> <p>Breveter cet usage est dès lors inconsistant avec le critère d'inventivité. Quand l'article 28 de l'Accord sur les ADPIC donne un monopole pour « fabriquer, utiliser, offrir la vente, vendre ou importer » un produit, une telle règle peut s'appliquer aux molécules qui auraient été contruites par les humains, pas à celles qui sont extraites.</p> <p>De même, une biomolécule qui aurait été « construite » ne pourrait devenir une invention uniquement si elle n'existe pas dans un organisme ou une partie de cet organisme, qu'il soit vivant ou mort. Sinon, cela devient la synthèse d'une molécule qui existe déjà. Bien sûr la technique pour effectuer une telle synthèse devrait être inventée, et pourrait à ce titre être brevetée.</p> <p><strong>b – la recherche de la justice</strong></p> <p>L'usage que l'on peut faire d'une biomolécule est souvent le même que celui que faisaient auparavant les communautés indigènes avec l'organisme complet ou ses parties. Serait-il équitable de breveter une telle biomolécule principalement parce qu'on connaît son usage, alors que ceux qui connaissaient cet usage auparavant l'ont cédé gratuitement, et n'ont conçu aucun bénéfice pour cela ?</p> <p>Admettons que l'usage soit entièrement nouveau, est-il équitable que ceux qui découvrent des vérités scientifiques, par exemple la nature des quarks, ne puissent pas le breveter, alors que celui qui découvre un usage pour un enzyme naturel le pourrait ?</p> <p>Si je brevète un gène dans un organisme, est-il équitable que ce seul gène me permette d'interdire à tous d'utiliser les milliers d'autres gènes qui sont dans cet organisme ? En notre ère de destruction de la biodiversité, l'organisme breveté pourrait s'évérer être la seule source de ces gènes. Et même si l'extinction n'était pas un problème, pourrais-je étendre mes droits sur tous ces autres gènes ? J'ai le droit de chasser quelqu'un de chez moi… je n'ai pas celui de l'exclure de toute la ville dans laquelle je vis.</p> <p><strong>Conclusion</strong></p> <p>Il me semble que la société connaît très bien la distinction entre l'invention et la découverte. Seul l'appât du gain conduit des personnes à distordre cette distinction pour monopoliser des découvertes en les nommant inventions.</p> <p>Mais les découvertes doivent aussi mériter reconnaissance. Un système permettant une telle reconnaissance doit être mis en place. Cependant, distordre le sens du brevetage pour le faire s'appliquer au vivant ne peut produire qu'un rejet de tout le système. Qui se préoccupait de la légitimité des brevets avant les années quatre-vingt-dix ? Mais maintenant une opposition grandit continuellement. Une opposition qui met en cause non seulement à la légitimité du brevetage, mais aussi à sa légalité.</p></div> Ressources phytogénétiques : la fin du libre-accès ? http://vecam.org/article1038.html http://vecam.org/article1038.html 2008-04-16T14:13:05Z text/html fr Anne Chetaille Anne Chetaille est représentante du GRET, Groupe de recherches et d'échanges technologiques. L'essor des biotechnologies dans les années 80 a cristallisé les conflits sur les ressources génétiques, devenues le nouvel « or vert ». Il a favorisé l'émergence de plusieurs traités internationaux portant sur la conservation, l'utilisation et l'échange des ressources génétiques. Le Traité international de la FAO sur les ressources phytogénétiques pour l'agriculture et l'alimentation (TI), la Convention sur la (...) - <a href="http://vecam.org/rubrique97.html" rel="directory">Pouvoir - Savoir (le livre)</a> <div class='rss_chapo'><p>Anne Chetaille est représentante du GRET, Groupe de recherches et d'échanges technologiques.</p></div> <div class='rss_texte'><p>L'essor des biotechnologies dans les années 80 a cristallisé les conflits sur les ressources génétiques, devenues le nouvel « or vert ». Il a favorisé l'émergence de plusieurs traités internationaux portant sur la conservation, l'utilisation et l'échange des ressources génétiques. Le Traité international de la FAO [<a href='#nb1' class='spip_note' rel='footnote' title='FAO : Organisation des Nations unies pour l'agriculture et l'alimentation' id='nh1'>1</a>] sur les ressources phytogénétiques pour l'agriculture et l'alimentation (TI), la Convention sur la Diversité biologique (CDB) et l'Accord de l'OMC sur les Aspects des Droits de Propriété Intellectuelle qui touchent au Commerce (ADPIC) constituent les accords majeurs signés dans ce domaine. À l'exception du Traité international de la FAO, ces accords sont basés sur une approche bilatérale et sur l'appropriation privée des ressources génétiques, longtemps considérées comme patrimoine commun de l'humanité. Ils tendent ainsi à restreindre l'accès aux ressources génétiques. Aucune distinction claire n'est faite dans la CDB entre les ressources génétiques qui peuvent être utilisées à des fins industrielles et celles utilisées à des fins agricoles. Or la nature de l'utilisation finale est un déterminant important quant à la régulation de l'accès et du partage des avantages. En effet, le patrimoine génétique végétal constitue le premier maillon de la production agricole et de la chaîne alimentaire. Depuis des centaines d'années, le libre-accès aux ressources phytogénétiques a permis la création de nouvelles variétés pour l'agriculture et l'alimentation.</p> <p>Étant donné la spécificité des ressources phytogénétiques, la transposition de ces accords au niveau national soulève des enjeux importants pour la sécurité alimentaire et la préservation de la diversité biologique.</p> <p><strong>l'architecture juridique internationale</strong></p> <p>En vingt ans, le paysage juridique international sur les ressources génétiques a radicalement changé. L'avènement des biotechnologies en est une des raisons majeures. La Convention sur la Diversité biologique (1992) ainsi que l'Accord sur les ADPIC de l'OMC (1994) viennent remettre en cause le principe du libre-accès aux ressources génétiques acquis dans le cadre de l'Engagement international de la FAO adopté en 1983 et transformé en Traité en 2001.</p> <p><strong>Le Traité international de la FAO sur les ressources phytogénétiques pour l'alimentation et l'agriculture</strong></p> <p>En novembre 2001, les États ont adopté le TI2. Ce Traité remplace l'Engagement international de la FAO adopté en 1983. Il est entré en vigueur en septembre 2003. Un de ses objectifs est de faciliter l'accès aux semences et de sauvegarder les collections mondiales de semences (banques de gènes gérées par le Groupe consultatif des Centres internationaux de Recherche agricole). Les millions d'échantillons donnés aux agriculteurs du monde entier constituent la base actuelle des échanges agricoles. Garantir que ce patrimoine reste dans le domaine public face à une privatisation rampante est l'enjeu majeur du Traité international.</p> <p>En effet, ce Traité a pour objectif « la conservation et l'utilisation durable des ressources phytogénétiques pour l'agriculture et l'alimentation et le partage juste et équitable des bénéfices liés à leur exploitation ». À travers l'article 12, les États conviennent d'établir un système multilatéral pour faciliter l'accès aux ressources génétiques et le partage des - avantages pour une liste de 64 espèces cultivées et plantes fourragères importantes. Cependant cette liste pourra être élargie dans le futur. Les conditions d'accès et de partage seront fixées dans le cadre d'un accord de transfert de matériel. Des ressources génétiques pourront être obtenues auprès du système multilatéral en vue d'être conservées et utilisées à des fins de recherche, de sélection et de formation. Le principe sous-jacent est que l'ensemble des agriculteurs du monde entier puissent bénéficier des avancées en recherche en sélection variétale sans être contraints par le paiement de licences de droits de propriété intellectuelle.</p> <p>En outre, le TI souligne la contribution ancestrale des agriculteurs et des communautés locales à la conservation et à la mise en valeur des ressources phytogénétiques. Ainsi, il invite les États à prendre des mesures pour « protéger et promouvoir le droit des agriculteurs, y compris la protection des connaissances traditionnelles, le droit de participer au partage des avantages, et le droit de participer à la prise de décisions sur les questions relatives aux ressources phytogénétiques » (article 9, TI).</p> <p>De cette façon, le TI reconnaît le statut de patrimoine commun de l'humanité pour ces ressources et donc le libre- accès : les ressources phytogénétiques ne peuvent faire l'objet d'un monopole ; au contraire elles doivent pouvoir circuler et être utilisées librement afin d'éviter l'érosion de la diversité génétique agricole.</p> <p><strong>La Convention sur la Diversité biologique</strong></p> <p>L'essor des biotechnologies va contribuer à la remise en cause du libre-accès aux ressources génétiques, défendu - dans l'Engagement international de la FAO. Grâce aux progrès réalisés en biologie moléculaire, le monde industriel prend conscience de la valeur des gènes, éléments de base de la biodiversité. Les gènes, véritable support d'informations génétiques représentent un « capital vert » appréciable pour l'industrie des biotechnologies. Dès lors, les activités de bioprospection se multiplient. On assiste à une vague importante d'innovations biotechnologiques en matière d'agriculture et de santé. Cependant les innovations biotechnologiques restent l'apanage des pays à haute technologie. Les pays en développement, principaux fournisseurs de ressources génétiques, dénoncent les pratiques de biopiratage menées par les pays industrialisés : ceux-ci exploitent les ressources librement sans leur verser de contreparties. Les pays en développement revendiquent le contrôle de l'accès aux ressources génétiques et le partage équitable des avantagés tirés de l'exploitation des ressources génétiques. Ils utilisent alors les négociations de la Convention sur la Diversité biologique qui se déroulent à la fin des années 80 sous l'égide du Programme des Nations Unies afin de l'Environnement pour défendre le principe de souveraineté nationale.</p> <p>Prenant acte des revendications des pays en développement, la CDB signée en 1992 reconnaît le droit souverain des États sur leurs ressources. Afin de rétablir de l'équité entre les pays fournisseurs et utilisateurs de matériel génétique, la CDB prévoit des modalités relatives à l'accès et au partage des avantages issus de l'exploitation des ressources génétiques (article 15.2). L'accès doit se faire désormais dans le cadre des législations nationales. Les États peuvent désormais négocier directement avec les utilisateurs. Les Parties s'engagent alors à définir un type de contrat dans - lequel le consentement préalable informé3 et la reconnaissance mutuelle des termes de l'accord sont les deux principes fondamentaux. Le partage des avantages peut ensuite s'effectuer soit par des transferts financiers dans des cadres contractuels bi- ou multilatéraux entre pays fournisseurs (ou communautés locales) et utilisateurs de ressources (entreprises ou instituts de recherche), soit par un accès préférentiel aux technologies, en particulier aux biotechnologies. Cet accès aux technologies est régulé par l'article 16 de la Convention. C'est une condition essentielle du partage des avantages. Cependant la Convention sur la diversité biologique n'établit pas de distinction claire entre les ressources génétiques utilisées à des fins pharmaceutiques et celles utilisées à des fins agricoles. Or le type d'utilisation va être un élément déterminant dans le choix des outils à mettre en oeuvre en termes d'accès et de partage des avantages. La Convention reconnaît également l'apport des communautés locales en matière de conservation et d'utilisation durable de la biodiversité. Leurs pratiques et savoirs traditionnels doivent être préservés.</p> <p>En avril 2002, lors de la 6e conférence des Parties à la CDB, les États adoptent des lignes directrices volontaires sur l'accès aux ressources génétiques et le partage définissant les droits et obligations des fournisseurs et utilisateurs de ressources génétiques. Ces lignes directrices doivent être mises en oeuvre de façon cohérente avec les autres instruments internationaux, y compris le TI, et dans le cadre d'une stratégie nationale globale. En février 2005, des discussions ont été lancées en vue de l'élaboration d'un régime international devant régir l'accès aux ressources génétiques et le partage des avantages. Il convient de souligner que la CDB porte également sur les ressources - phytogénétiques car elle couvre l'ensemble des collections internationales de gènes (détenues par les Centres internationaux de Recherche agricole) acquises après 1994 – date de l'entrée en vigueur de la Convention.</p> <p>Si le Traité international de la FAO et la CDB sont supposées être compatibles, des questions pratiques se posent lorsqu'il s'agit de les transposer au niveau national. En outre, l'Accord de l'OMC sur les ADPIC ajoute une touche de complexité.</p> <p><strong>La Convention UPOV</strong></p> <p>La convention de l'Union internationale pour la Protection des Obtentions végétales (UPOV) a été signée en 1961 et modifiée deux fois, en 1978 et 1991. L'objectif initial de ce système était de protéger le travail de l'obtenteur, tout en laissant libre l'accès à la variété. La Convention UPOV instaure pour la protection des obtentions végétales, des certificats d'obtention végétale (COV). Dans la version de 1978, une variété peut être protégée par un COV à condition qu'elle soit distincte, homogène et stable. Une fois ces critères pris en compte, une variété reçoit une dénomination qui garantit sa désignation. Le titulaire bénéficie d'un droit d'exploitation exclusif de sa variété. Tout utilisateur doit verser un droit d'utilisation (royalties) à l'obtenteur, à deux exceptions près : – L'utilisation à des fins de recherche : tout sélectionneur peut utiliser librement une variété protégée par un COV pour créer une nouvelle variété, sans verser de royalties. – Le « privilège de l'agriculteur » : un agriculteur peut utiliser une partie de sa récolte pour ré-ensemencer ses propres champs.</p> <p>La durée de protection varie selon les espèces (20 ans pour les espèces annuelles et 25 ans pour les espèces ligneuses). Le COV n'est valable que sur les territoires désignés dans le dossier de demande. Le titulaire du titre a le droit de vendre ce matériel produit, identifié, étiqueté et purifié. En couplant l'approche de qualité (catalogue de certification, organisation des circuits de collecte et de distribution) et les opérations de sélection-traitement des semences, les obtenteurs maîtrisent l'ensemble de la chaîne.</p> <p>Dans la Convention UPOV de 1978, le « privilège de l'agriculteur » était obligatoire ; dans la version de 1991, il devient facultatif (au choix des pays signataires) et doit être exercé « dans la sauvegarde des intérêts légitimes de l'obtenteur ». Les termes « intérêts légitimes » peuvent être interprétés de façon très variable. Ainsi les pays sont libres d'appliquer cette exception. En théorie, le privilège de l'agriculteur permet donc à un agriculteur de faire ses propres semences de ferme sans restriction (la seule obligation étant de ne pas les vendre). Mais en pratique, lorsque cette exception est appliquée, l'agriculteur doit souvent verser des redevances sur les semences de ferme.</p> <p>La dernière version (1991) introduit un nouveau critère pour qu'une plante puisse bénéficier d'une protection par COV. En plus d'être distincte, stable et homogène, la variété doit être nouvelle. Cette version conduit également à rémunérer l'obtenteur si sa variété est utilisée pour créer une variété « essentiellement dérivée ». Elle implique que pour créer une nouvelle variété à partir d'une variété protégée par un COV, un obtenteur doit verser une partie des royalties à l'obtenteur initial. Plus proches des licences de dépendance qui caractérisent le brevet, ce système - répond aux besoins des semenciers positionnés sur le marché mais s'éloigne des besoins des petits et moyens sélectionneurs. Jusqu'à présent, cette disposition n'a jamais été appliquée. Enfin, l'UPOV 91, contrairement aux précédentes versions, permet la double protection (brevet et COV). Il légitime ainsi les pratiques des États- Unis en matière de protection variétale.</p> <p>En 2002, cinquante pays sont signataires de l'UPOV. Il s'agit surtout des pays industrialisés européens et américains et des pays émergents d'Amérique latine tournés vers l'exportation (Argentine, Brésil…).</p> <p><strong>Le certificat d'obtention végétale, le brevet et le libre accès.</strong></p> <p>Tout en étant compatible avec le brevet, le Certificat d'Obtention végétale est fondé sur le principe du libre-accès. Il ne s'applique qu'aux variétés végétales et confère un droit exclusif à produire, introduire ou vendre tout ou partie de la plante. Toute variété protégée reste librement utilisable comme source de variation génétique pour la création de nouvelles variétés. Les variétés doivent pouvoir se multiplier sans liens déterministes. La clause du libre-accès, connue comme exemption de recherche, stipule que l'autorisation de l'obtenteur n'est pas nécessaire pour l'emploi de la variété en vue de la création d'autres variétés. Cet élément différencie fondamentalement le COV du brevet. Plus particulièrement, la possibilité de déposer des brevets sur les variétés végétales est préoccupante pour les pays dépendant des ressources génétiques pour leur agriculture et leur alimentation. La généralisation des brevets sur les variétés pourrait remettre en cause le libre-accès et la - circulation des ressources génétiques au détriment du maintien de la diversité génétique agricole et de la sécurité alimentaire.</p> <p><strong>L'accord de l'OMC sur les ADPIC</strong></p> <p>Étant donnée l'importance des moyens financiers en Recherche et Développement qu'impliquent les innovations biotechnologiques, le recours au brevet, qui apporte une protection forte, se répand. Dans le domaine agricole, les brevets cohabitent avec les Certificats d'Obtention végétale (COV) comme aux États-Unis. Cette multiplication de droits pose des problèmes de commerce international. Les États-Unis, via le secteur privé, font alors pression pour que les négociations commerciales du GATT4, engagées en 1986, incluent un Accord sur les Aspect des Droits de Propriété intellectuelle qui touchent au Commerce, qui permettrait une harmonisation des régimes de protection des inventions biotechnologiques, en particulier des brevets.</p> <p>En 1994, la signature de l'Accord sur les ADPIC constitue le point de rencontre entre le champ de la biodiversité et celui les droits de propriété intellectuelle. L'article 27.3 (b) impose la brevetabilité des micro-organismes et rend optionnelle celle des plantes et des animaux. Il offre néanmoins la possibilité pour les États de mettre en place un système sui generis5 pour la protection des obtentions végétales. Bien qu'il ne soit pas explicitement mentionné comme tel dans l'article 27.3 (b), le système l'Union internationale pour la Protection des Obtentions végétales (UPOV) qui instaure des certificats d'obtention végétale, est souvent considéré comme système sui generis au sens de l'Accord sur les ADPIC.</p> <p>Les États membres de l'OMC doivent définir ce qui est protégé et les conditions dans lesquelles la protection est accordée, notamment pour les variétés végétales. Les informations et fragments d'information portant sur tout type de matériau, quelle que soit la technique employée, doivent ainsi être protégées. Les variétés et les espèces ne sont pas brevetables en tant que telles, mais leurs composants le sont. D'ici 2006, tous les pays, sauf dérogation, devront appliquer l'Accord sur les ADPIC.</p> <p>Depuis la signature de l'Accord sur les ADPIC, les pays en développement, en particulier les pays africains, ne cessent de souligner l'ambiguïté du langage adopté dans l'article 27.3 (b). Selon ces pays, l'article 27.3 (b), tel que formulé, remet en cause les principes et dispositions fondamentales de la Convention sur le Diversité biologique et du Traité international de la FAO concernant l'accès aux ressources génétiques et le partage des avantages, notamment le principe de souveraineté nationale et le droit des agriculteurs.</p> <p><strong>Enjeux pour la sécurité alimentaire et la préservation de la diversité biologique</strong></p> <p>Le patrimoine génétique végétal est le premier maillon de la chaîne alimentaire. Depuis des millénaires, les hommes ont conservé, utilisé et échangé les ressources phytogénétiques pour l'agriculture et l'alimentation. Aujourd'hui, l'agriculture de la majeure partie des pays, même pour ceux qui sont les plus riches en biodiversité, repose sur l'apport en ressources génétiques d'autres parties du monde. En d'autres termes, aucun pays n'est indépendant en termes de ressources phytogénétiques. De nombreux - pays cultivent des plantes dont le centre d'origine se trouve sur d'autres continents (par exemple, le maïs, le riz). La dépendance est sensiblement plus élevée pour les pays riches que pour les pays en développement. Cependant, on estime par exemple, que l'Afrique Sub-saharienne dépend à 87% des ressources venant d'autres régions pour satisfaire ses besoins.</p> <p>Le libre-accès aux ressources phytogénétiques est fondamental aussi bien pour les programmes d'amélioration variétale nationaux et internationaux, que pour les paysans qui conservent, utilisent et multiplient leurs propres semences ou qui utilisent les variétés améliorées. D'après la FAO, environ 1,5 milliard de personnes vivant dans des familles agricoles s'approvisionnent elles-mêmes en semences. Aujourd'hui, deux types de semences coexistent dans le monde : les semences de ferme et les semences certifiées.</p> <p>Préserver l'autonomie des agriculteurs en semence et en matériel végétal est indispensable pour la sécurité alimentaire, c'est-à-dire l'accès de tous à une alimentation saine et suffisante.</p> <p>La plupart des lois nationales existantes sur l'accès aux ressources génétiques et le partage des avantages sont basées sur une approche bilatérale, sans aucune disposition spécifique concernant les ressources phytogénétiques. L'expérience montre que ces lois, et de façon générale les incertitudes actuelles sur les dispositions à appliquer sur l'accès aux ressources génétiques, ont ralenti le taux d'utilisation des ressources phytogénétiques venant des collections des Centres internationaux de Recherche agricole6.</p> <p>Cela souligne la nécessité de règles sur l'accès aux ressources génétiques impliquant des coûts de transaction faibles afin de ne pas ralentir les programmes d'amélioration variétale.</p> <p>De même, les droits de propriété intellectuelle sur les variétés végétales tels qu'encouragés par l'Accord sur les ADPIC ont des conséquences en termes d'accès aux semences puisqu'ils restreignent la possibilité pour les agriculteurs de faire leurs propres semences. Les redevances ou royalties versées en contrepartie de l'utilisation d'une variété protégée par un COV ou un brevet, représentent un certain coût économique et peuvent dans certains cas dissuader l'agriculteur de faire ses propres semences. Ce type de protection renforce la dépendance du paysan vis-à-vis des firmes multinationales. En outre, les brevets et COV remettent ainsi en cause le droit des agriculteurs tel que le reconnaît la FAO. Cependant la protection par les brevets reste la forme de propriété intellectuelle la plus contraignante dans ce domaine : elle interdit le recours aux semences de ferme, puisqu'avec les brevets on ne peut reproduire une variété librement.</p> <p><strong>Conclusion</strong></p> <p>En l'espace d'une vingtaine d'années, l'architecture juridique internationale portant sur les ressources génétiques a profondément changé. L'abandon de la notion de patrimoine commun de l'humanité au profit du principe de souveraineté nationale en atteste. L'essor des biotechnologies a joué un rôle majeur dans cette évolution, démultipliant les revendications de contrôle et de propriété sur le matériel génétique. Aujourd'hui, l'accès aux ressources - phytogénétiques tend à être limité par certaines dispositions de la CDB et de l'Accord sur les ADPIC, ce qui soulève des enjeux majeurs en termes de sécurité alimentaire et de préservation de la biodiversité. Dès lors, comment concilier ces objectifs et dispositions parfois contradictoires ? Des pistes de conciliation peuvent être envisagées, au niveau international et national.</p> <p><strong>Au niveau international, plusieurs leviers d'action sont possibles :</strong></p> <p><strong>Dans le cadre de l'OMC.</strong></p> <p>Dans le cadre du réexamen de l'article 27.3 (b) prévu dans l'Accord sur les ADPIC, de nombreux pays, essentiellement les pays en développement, souhaitent aborder les dispositions de fond de l'article afin de lever certaines ambiguïtés, notamment en ce qui concerne la protection par système sui generis. Les systèmes sui generis se constituent par défaut en tant qu'alternative au brevet. Comme tels, ils sont au croisement des questions de rémunération des innovations (objectif de l'Accord sur les ADPIC), d'accès aux ressources génétiques et de protection des savoirs traditionnels et du droit de l'agriculteur (objectifs de la Convention sur la Diversité biologique et du Traité international de la FAO). Il s'agit d'un cadre de protection des variétés qui, tel qu'il est formulé dans l'Accord sur les ADPIC donne une certaine latitude pour la reconnaissance des savoirs et savoir-faire existants et pour la mise en place de réglementations les protégeant. Cette flexibilité témoigne de la reconnaissance par les États membres de l'OMC de la diversité des situations et donc d'une pluralité de solutions. Pratiquement, la Convention sur la - Diversité biologique comme le Traité international de la FAO inspirent l'élaboration de systèmes sui generis, en reconnaissant les droits des communautés autochtones et des agriculteurs sur leurs ressources génétiques et le savoir- faire de ces communautés.</p> <p><strong>Dans le cadre de la CDB.</strong></p> <p>Le plus souvent, les négociateurs de la CDB viennent d'autres ministères que ceux représentés dans le cadre du Traité international de la FAO. Ils revendiquent généralement une approche bilatérale restrictive indépendamment de l'utilisation finale des ressources génétiques. Ils ne sont pas forcément conscients des implications en termes d'environnement, de développement et de sécurité alimentaire lorsqu'ils optent en faveur d'une approche bilatérale. Par conséquent, il est important d'informer les négociateurs sur la spécificité des ressources phytogénétiques pour l'agriculture et l'alimentation, notamment dans la perspective des discussions sur l'élaboration d'un régime sur l'accès aux ressources génétiques et le partage des avantages lancées récemment dans le cadre de la Convention. En outre, on pourrait imaginer que les ressources phytogénétiques soient spécifiquement couvertes par le Traité international de la FAO et exclues de du régime de la CDB.</p> <p>Au niveau national, l'enjeu repose sur la définition de stratégies cohérentes sur les droits de propriété intellectuelle et les biotechnologies d'une part, et sur l'accès et le partage des ressources génétiques, d'autre part. De nombreux pays en développement sont contraints d'adopter des régimes sur les droits de propriété intellectuelle, notamment pour la protection des obtentions végétales, sans avoir au - préalable pu définir des stratégies sur les biotechnologies et l'accès aux ressources génétiques. En outre, la définition de stratégie nationale sur l'accès aux ressources génétiques et le partage des avantages nécessite de pouvoir évaluer les enjeux économiques, environnementaux et sociaux d'une option politique et juridique (approche bilatérale ou multilatérale) en fonction de l'utilisation finale des ressources génétiques (industrielle, pharmaceutique, agricole, etc.).</p></div> <hr /> <div class='rss_notes'><p>[<a href='#nh1' id='nb1' class='spip_note' title='Notes 1' rev='footnote'>1</a>] FAO : Organisation des Nations unies pour l'agriculture et l'alimentation</p></div> <div class='rss_ps'><p>1 FAO : Organisation des Nations unies pour l'agriculture et l'alimentation</p> <p>2 Nous noterons ce Traité TI. Son intitulé complet est en français : Traité International sur les Ressources Phytogénétique pour l'Alimentation et l'Agriculture. Il est souvent représenté par son acronyme en anglais : ITPGR International Treaty on Plant Genetic Resources for Food and Agriculture.</p> <p>3 L'accord du fournisseur de ressources génétiques doit être obtenu par l'utilisateur avant toute exploitation de ces ressources.</p> <p>4 GATT : Accord général sur les Tarifs douanier et le Commerce</p> <p>5 Un droit est dit sui generis quand il repose sur un système original efficace, adapté à un domaine et à un contexte particulier</p> <p>6 Cf., Fowler, Smale and Gaiji, Germplasm flows between developing countries and the CGIAR : an initial assessment, <a href="http://www.egfar.org/special/grfa_def.htm" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://www.egfar.org/special/grfa_d...</a>.</p></div> Propriété intellectuelle et biotechnologies : quels enjeux pour le développement des PVD ? http://vecam.org/article1039.html http://vecam.org/article1039.html 2008-04-16T14:13:03Z text/html fr Michel Trommetter UMR GAEL, INRA et Université P. Mendès France de Grenoble et Chercheur Associé au Laboratoire d'Économétrie de l'École polytechnique de Paris. La mise en oeuvre de la propriété intellectuelle dans les biotechnologies est controversée quant à ses effets sur les incitations à la recherche et au développement, et à ses impacts sur le bien-être social. Par exemple, avec Claude Henry et Laurence Tubiana en 2003, nous avons montré que la mise en oeuvre actuelle, des brevets sur les séquences de gènes ne (...) - <a href="http://vecam.org/rubrique97.html" rel="directory">Pouvoir - Savoir (le livre)</a> <div class='rss_chapo'><p>UMR GAEL, INRA et Université P. Mendès France de Grenoble et Chercheur Associé au Laboratoire d'Économétrie de l'École polytechnique de Paris.</p></div> <div class='rss_texte'><p>La mise en oeuvre de la propriété intellectuelle dans les biotechnologies est controversée quant à ses effets sur les incitations à la recherche et au développement, et à ses impacts sur le bien-être social. Par exemple, avec Claude Henry et Laurence Tubiana en 2003, nous avons montré que la mise en oeuvre actuelle, des brevets sur les séquences de gènes ne correspondait pas à une situation économiquement optimale.</p> <p>Les effets pervers identifiés sont multiples, tant pour les pays industrialisés que pour les pays en développement : – Dans l'organisation de la recherche dans les pays industrialisés, les laboratoires publics et les entreprises privées font face à des situations de « buissons de brevets » (Shapiro, 2000) et de « hold-up » (dépendance à des brevets dont l'innovateur ignorait l'existence). Cette situation conduit à ce que Heller et Eisenberg (1998) ont qualifié de « tragédie des anti-commons ». Cette tragédie a des impacts sur la valeur sociale des innovations pour les consommateurs du Nord, mais également du Sud, en limitant les possibilités de développement, au sein des instituts publics de recherche du Nord, de recherches et d'innovations spécifiques en faveur des pays en développement ; – Dans les pays en développement, l'accès aux innovations du Nord est délicat, tant pour les innovations technologiques (transfert de technologies) que pour les innovations de produits (accès aux médicaments et aux variétés végétales les plus performants). Or, aujourd'hui, au niveau institutionnel, l'Accord sur les ADPIC, signés au sein de l'OMC, préconise la mise en place d'un système de propriété intellectuelle dans les - pays en développement pour y faciliter la diffusion des innovations.</p> <p>Dans cette présentation, notre objectif est de montrer quelles sont les conditions de mise en oeuvre d'une propriété intellectuelle dans les pays en développement qui garantissent une efficacité économique et sociale des résultats des recherches en biotechnologie dans les pays en développement. Pour ce faire, nous allons regarder les conséquences pour deux types de pays : Les PVD actifs en recherche et développement et les PVD peu actifs en recherche et développement.</p> <p><strong>Quels accès pour les pays en développement ayant construit des capacités de R&D</strong></p> <p>L'accès aux innovations a une importance extrême pour contribuer au développement. Cet accès est à deux niveaux : d'une part un accès aux produits issus des biotechnologies – médicaments, semences, etc. – et d'autre part un accès aux techniques de production, voire aux technologies favorisant la R&D dans les biotechnologies. Ces deux niveaux d'accès sont nécessaires du fait de l'urgence alimentaire et sanitaire dans beaucoup de pays en développement.</p> <p><strong>Organisation de la recherche et propriété intellectuelle dans les pays en développement</strong></p> <p>Les enjeux pour la recherche dans les pays en développement vont dépendre des types de droits de propriété qui seront retenus au niveau de chaque pays, des interactions croisées entre les PVD et les pays industrialisés (PI) et de - leurs impacts prévisibles sur la croissance des pays impliqués selon les opportunités retenues (transferts de produits finaux, transferts de technologies, partenariats de recherche…). Dans ce contexte, les brevets, ou tout autre système de protection intellectuelle, reposent sur les pays dans lesquels ils ont été déposés, sous la condition qu'ils respectent le niveau d'harmonisation minimal négocié dans le cadre d'institutions internationales comme l'Accord sur les ADPIC au sein de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC).</p> <p>Le choix du type de propriété intellectuelle, pour les pays en développement, mais également dans les pays industrialisés, doit s'analyser de manière stratégique. Il s'agit de choisir le système de protection qui va maximiser le surplus social du pays et sa croissance, c'est-à-dire prendre en compte les caractéristiques spécifiques de son système de recherche et de développement (tableau 1). Ces systèmes de droits de propriété intellectuelle, dans le contexte de la Convention sur la Diversité biologique (CDB), devraient favoriser les transferts de technologies des PI et des PVD les plus avancés dans les biotechnologies vers les autres pays en développement par l'octroi facilité de licences, qu'elles soient gratuites ou à coûts réduits pour le PVD (fonction par exemple d'un indicateur macro-économique). Ces systèmes de droits devraient également favoriser la mise en place d'activités de recherche avec, notamment, des opérations de recherche en coopération (Ramani, 2000), voire des recherches en partenariat avec les pays en développement les plus avancés dans les biotechnologies comme l'Inde ou la Chine.</p> <p><strong>Tableau 1 : Niveau de recherche en biotechnologies et droits de propriété</strong></p> <p>Accès au matériel Propriété intellectuelle Recherche Accès faible et très Faible car pouvoir avancée réglementé pour favoriser la recherche interne. d'imitation fort Recherche Accès large et très Fort pour attirer les peu avancée réglementé (royalties, transferts technologiques, etc.) pour favoriser les transferts de produits et de technologies qui sont issus des biotechnologies, voire le développement des biotechnologies dans le pays concerné (participation au bien-être social et à la croissance). investissements extérieurs (transferts de technologie), car pouvoir d'imitation faible.</p> <p><strong>Source : Henry, Trommetter et Tubiana (2003)</strong></p> <p><strong>L'exemple de la Pharmacie</strong></p> <p>Ces deux niveaux d'accès (aux produits puis aux technologies) sont nécessaires du fait que face à l'urgence sanitaire dans beaucoup de pays en développement, en particulier dans le cas du SIDA, une approche séquentielle paraît nécessaire (Henry, Trommetter et Tubiana, 2003) :</p> <p>Dans un premier temps la diffusion des médicaments et dans un second temps le transfert des technologies de production et de recherche. Des exemples montrent que le coût de la trithérapie est différencié selon les pays et qu'il est très difficile d'avoir des informations sur la formation des prix des médicaments :</p> <p>– Le coût de la trithérapie est d'environ 750 euros par mois dans les pays industrialisés, où les entreprises pharmaceutiques intègrent dans la formation du prix le retour sur les investissements en R&D et les coûts de production, faute de quoi l'entreprise ne réaliserait pas le médicament ;</p> <p>– Dans les pays en développement, ce prix peut être ramené après accord avec les grands groupes entre 10 et 25% des tarifs pratiqués dans les pays industrialisés (par exemple en Côte d'Ivoire, ou au Sénégal), voire moins aujourd'hui selon la Fondation Clinton. Ces prix correspondent selon les grands groupes pharmaceutiques au moins aux coûts de production ;</p> <p>– Enfin, il pourrait être encore inférieur en utilisant des génériques fabriqués dans d'autres pays en développement où l'industrie pharmaceutique est présente (Inde, Brésil, etc.) et où les coûts de production sont plus faibles. Aujourd'hui ce coût peut tomber à moins de 200 dollars par an (MSF 2002).</p> <p>Dans un second temps, on peut envisager un transfert de technologie pour la production de médicaments dans les pays en développement, et leur permettre d'exporter vers les pays qui n'ont pas la possibilité de supporter le coût du médicament fabriqué par l'entreprise détentrice du brevet. Cela devrait conduire à une baisse des coûts de production - importante, donc augmenter le nombre de malades des pays en développement qui auraient accès à ces trithérapies dans des conditions compatibles avec leur niveau de vie. Cela participerait aussi à la croissance des pays en développement. Ce transfert de technologies de production et de recherche peut être réalisé au niveau national mais également au niveau régional pour coordonner la production et les recherches de différents pays et garantir une masse critique suffisante en termes de chercheurs.</p> <p><strong>Synthèse</strong></p> <p>Pour qu'un tel modèle de transfert de technologies de production et de recherche puisse se mettre en place on doit créer un contexte de « concurrence douce » sur le marché des produits (Tirole, 1992), c'est-à-dire s'assurer qu'il existe une différenciation des produits suffisante pour rassurer l'entreprise détentrice du brevet. S'il y a différenciation, l'entreprise qui possède le brevet est alors peu affectée par l'entreprise à qui elle cède la licence. Ces conditions de différenciation peuvent être de différents types : marchés géographiquement distincts, produits distincts… Cette différenciation peut être institutionnellement créée : la licence est limitée à des zones géographiques bien déterminées et son respect dépend de la mise en oeuvre des droits de propriété sur la zone géographique concernée. Dans le cas d'une différenciation institutionnelle pas suffisamment crédible (situation souvent reprochée aux pays en développement par les entreprises du Nord), cette différenciation peut être physique : modification de l'aspect du produit pour éviter des importations parallèles illégales.</p> <p><strong>Quels accès pour les pays en développement les moins avancés en capacité de R&D</strong></p> <p>Les transferts de technologies proposés dans la section précédente supposent que les pays aient la capacité de développer des activités de production et/ou de R&D tant dans le domaine semencier, que dans le domaine pharmaceutique ou biotechnologique. Or peu de pays ont de telles capacités (Trommetter, 2005). Il faut alors favoriser (faciliter) d'une part la diffusion de produits innovants dans ces pays et d'autre part le développement de recherches, pour les pays en développement, par les instituts publics de recherche des pays industrialisés ou des instituts de recherche internationaux, dans le cadre de leur mission de service public.</p> <p><strong>Accéder aux produits innovants</strong></p> <p>La mise en oeuvre d'une propriété intellectuelle dans les pays en développement a pour objectif de favoriser la diffusion des innovations biotechnologiques. Dans des pays à faible recherche, nous avons vu que pour favoriser la diffusion de ces innovations, il faut des droits de propriété forts. Mais quels seront les effets de ces droits ?</p> <p>Aujourd'hui, un pays en développement qui n'a pas de système de propriété intellectuelle peut s'approvisionner en médicaments génériques provenant de pays dans lesquels il n'y a pas de propriété intellectuelle. Ces médicaments ne sont généralement pas de la dernière génération, mais ils garantissent un accès aux soins à des coûts acceptables pour le patient. L'absence de l'accès pour ces pays aux médicaments les plus efficaces est, généralement, - « justifié » par l'absence de propriété intellectuelle, donc le risque de voir des importations parallèles illégales se mettre en place entre ces pays et les pays industrialisés, donc au détriment des firmes du Nord et de leurs recherches.</p> <p>Les pays en développement de ce type sont aujourd'hui fortement incités à mettre en place, à la fois, des droits de propriété intellectuelle forts et les moyens de les faire respecter. S'ils le font, il faut absolument les aider à crédibiliser ces droits de propriété car sinon : ils n'auront légalement plus accès aux médicaments génériques et ils n'auront aucune garantie d'accès aux médicaments du Nord (les firmes pouvant toujours craindre d'être copiées et donc renoncer à diffuser leurs innovations dans ces pays). Cette situation est économiquement et socialement la pire dans laquelle peut se retrouver un pays en développement.</p> <p>Parallèlement, les accords de Doha permettent à ces pays de mettre en place des licences obligatoire pour produire eux-mêmes les médicaments. Mais comment faire quand on a pas de structure de production nationale et qu'il n'est pas encore acquis de pouvoir s'approvisionner à un niveau régional (considéré comme un cartel de licences obligatoires) ?</p> <p>On pourrait alors penser à un autre système pour favoriser le transfert de produits et de technologies de production vers les pays en développement : le rachat de licences de « brevets essentiels » par la Banque Mondiale ou l'ONU. La production de produits innovants diffusée dans les pays en développement se ferait alors sous la responsabilité (la crédibilité) d'une instance internationale reconnue (avec si - possible des différenciations des produits). Les outils de financement de ce modèle restent à construire pour fonctionner. Ce dernier modèle a l'avantage de ne pas avoir besoin de généraliser des droits de propriétés dans des pays qui n'ont pas les moyens (financiers et institutionnels) de les mettre en oeuvre et de les faire respecter.</p> <p><strong>Le développement d'innovations pour les pays en développement</strong></p> <p>Pour développer des recherches en faveur des PVD, il existe un problème d'accès, pour les laboratoires publics, aux licences des brevets protégeant les innovations des entreprises. Les universités américaines se sont rendu compte que, pour réaliser leurs recherches, elles peuvent dépendre de nombreux brevets dont la négociation de licences peut conduire, selon Henry-Trommetter et Tubiana (2003), à : « des coûts de transactions qui peuvent devenir dissuasifs du fait de l'existence de trop d'“ayantdroit”, avec des inventions en amont qui peuvent bloquer les innovations ultérieures. » La situation actuelle conduit à des barrières à la commercialisation y compris dans des secteurs où l'entreprise détentrice du brevet incriminé n'est pas. Dans ce contexte, il y a des risques pour une université ou une petite entreprise d'enfreindre des droits dont elle ignorait l'existence (situation de Hold-up, Shapiro 2000). Ainsi, dans le cas du riz doré, beaucoup de temps et d'efforts ont été nécessaires pour enlever (éliminer) les barrières qui existaient.</p> <p>Dans l'exemple des États-Unis, la mise en oeuvre d'un clearing house mechanism, pour la gestion des brevets publics, repose sur la recherche de complémentarités et - d'enchevêtrements de brevets, pour proposer des paniers de brevets attractifs, pour réaliser sa mission de service public en créant des innovations (espèces orphelines ou en faveur des PVD) et pour présenter un pouvoir de marché plus important face aux grandes multinationales de biotechnologies (Atkinson et al., 2003 et Graff et al., 2003). Il faut éviter que les laboratoires publics se retrouvent en concurrence pour accéder à des licences de brevets détenus par une entreprise privée. Cela revient à donner aux pays en développement l'accès aux technologies des pays industrialisés par le biais de la recherche publique de ces derniers ou d'institutions internationales tels que les Centres internationaux de Recherche agronomique (CIRA).</p> <p><strong>Conclusion</strong></p> <p>La mise en oeuvre, par les pays en développement, d'un système de propriété intellectuelle dans les biotechnologies doit s'envisager de manière stratégique : économique et sociale.</p> <p>Dans les biotechnologies, la différenciation des marchés est primordiale pour garantir et assurer la diffusion des innovations du Nord vers le Sud. Cette différenciation pour être crédible sera soit institutionnelle (nécessitant la crédibilité de la propriété intellectuelle au Sud) soit physique (modification du processus de production, du design de l'innovation). Cette différenciation ne doit pas conduire à des coûts rédhibitoires tant pour les industriels du Nord que du Sud.</p> <p>Pour les pays les moins avancés, la propriété intellectuelle ne sera un outil efficace que si elle est complétée par la - garantie (contractuelle ?, accord international contraignant ?) d'un accès effectif aux produits innovants du Nord. En effet, un pays qui met en oeuvre une propriété intellectuelle se prive de la possibilité d'accéder librement aux médicaments génériques des molécules brevetées. En l'absence d'une telle garantie, nous pensons qu'une coordination au niveau d'une instance internationale (ONU, Banque Mondiale…) serait, économiquement et socialement, la plus efficace.</p> <p>Enfin des recherches spécifiques pour les pays en développement doivent être développées, les barrières à la réalisation de ces recherches pouvant être liées à la propriété intellectuelle. Il faut réfléchir aux extensions des brevets mais également aux extensions liées par exemple aux licences exclusives de brevets (par exemple mondiales) empêchant ainsi des développements de produits pour des PVD non visés par le licencieur.</p></div> <div class='rss_ps'><p><strong>Bibliographie</strong></p> <p>Atkinson R.C. and al., 2003. Public sector collaboration for agricultural Intellectual Property management, Science, vol. 301, pp. 174-75.</p> <p>Graff G.D. and al., 2003. The public-private structure of intellectual property ownership in agricultural biotechnology, Nature biotechnology, vol. 21, issue 9, pp. 989</p> <p>Heller M. and R. Eisenberg, 1998. Can Patents Deter Innovation ? The Anticommons in biomedical Research. Science, vol. 280, may, pp. 698-701.</p> <p>Henry C., M. Trommetter and L. Tubiana, 2003. Innovation et droits de propriété intellectuelle : quels enjeux pour les biotechnologies ?. In J. Tirole and al. (eds), Propriété intellectuelle, Rapport du « Conseil d'Analyse Economique », nº41. Paris, La Documentation Française, pp.49-112.</p> <p>Ramani, S., 2000. Technology cooperation between firms of developed and less-developed countries. Economic Letters, vol. 68 , issue 2, pp. 203-9.</p> <p>Shapiro C., 2000. Navigating the patent thicket : cross licenses, patent pools, and standardsetting. In : A.B. Joffe and J. Lerner (eds), Innovation Policy and the Economy, MIT Press, Cambridge (Mass), pp. 119-50.</p> <p>Tirole J., 1992. Theory of industrial organisation. MIT Press, Cambridge, USA, 475 pages.</p> <p>Trommetter M. (2005).– Biodiversity and international stakes : a question of access, Ecological Economics,à paraître.</p></div> Science, pouvoir et société dans les pays du Sud http://vecam.org/article1040.html http://vecam.org/article1040.html 2008-04-16T14:13:01Z text/html fr Mohamed Larbi Bouguerra Mohamed Larbi Bouguerra est ancien directeur de l'Institut National de la recherche Scientifique et Technique de Tunisie. Ancien directeur de recherche associé au CNRS. Professeur associé à l'Université Internationale Senghor d'Alexandrie. Consultant à l'OMS. « Cette Terre qui est la nôtre est habitée par deux types distincts d'êtres humains... Ce qui les distingue, ce sont l'ambition, la puissance et l'élan qui découlent fondamentalement de leur maîtrise et de leur utilisation différentes de la (...) - <a href="http://vecam.org/rubrique97.html" rel="directory">Pouvoir - Savoir (le livre)</a> <div class='rss_chapo'><p>Mohamed Larbi Bouguerra est ancien directeur de l'Institut National de la recherche Scientifique et Technique de Tunisie. Ancien directeur de recherche associé au CNRS. Professeur associé à l'Université Internationale Senghor d'Alexandrie. Consultant à l'OMS.</p></div> <div class='rss_texte'><p>« Cette Terre qui est la nôtre est habitée par deux types distincts d'êtres humains... Ce qui les distingue, ce sont l'ambition, la puissance et l'élan qui découlent fondamentalement de leur maîtrise et de leur utilisation différentes de la Science et de la Technologie d'aujourd'hui. Ceux qui décident (principalement dans le Sud) des destinées de l'Humanité devraient se prononcer pour prendre graduellement des mesures permettant aux Misérables* (mustazeffins) de créer, de maîtriser et d'utiliser la Science et la Technologie modernes : il s'agit là, de leur part, d'une décision politique** ».</p> <p>(Abdus Salam, Prix Nobel de Physique 1979).</p> <p>* en français dans le texte, **c'est l'auteur qui souligne.</p> <p>Dans les pays du Sud et spécialement dans le monde arabo-musulman, l'obsesssion et la propension insensées à la possession des produits de la technologie (armes et avions sophistiqués1, voitures rutilantes, téléphones portables, DVD…) et l'absolue confiance accordée à la science occidentale –et la médecine notamment– n'ont d'égal que le quasi désert scientifique dans lequel vivent et la société et les États de cette partie du monde. Dans le même temps, comme pour prouver que « la Science et ses applications sont la forme ultime du pouvoir », ces États ont doté leur police, avec la bienveillante coopération technique de l'étranger, des moyens les plus évolués pour contrôler illégalement la population (écoutes téléphoniques, contrôle d'Internet, vaste réseau de télécommunication aux mains de la sécurité et des organes officiels2, fichage informatique de la population…). La technologie et les progrès scientifiques pour contrôler les gens, oui mais peu est fait en faveur d'un enseignement efficient des sciences ou pour - la promotion d'une culture scientifique de bon aloi, d'où les attitudes aberrantes qui ont accompagné, par exemple, dans certains de nos pays comme la Tunisie et l'Egypte, l'éclipse solaire de Juillet 1999.</p> <p>Demeure le fait qu'il existe une dépendance nette et totale vis-à-vis de l'étranger de la part d'États qui n'ont –ad nauseum – que la souveraineté nationale et l'indépendance à la bouche et qui apparaissent tellement chatouilleux sur ce chapitre qu'on les brocarde volontiers dans les médias étrangers en montant en épingle le fait que si l'Egypte ne recevait plus de blé américain, il y aurait des disettes ou que si l'Arabie Saoudite ou le Koweît manquaient de médicaments allemands ou suisses, la santé des gens serait gravement menacée et on pourrait multiplier les exemples.</p> <p>Pourtant, les scientifiques de ces pays, dès qu'on leur offre les conditions de travail adéquates sont capables du meilleur. Preuve entre mille : le prix Nobel de chimie raflé en 1999, par l'Américain d'origine égyptienne Ahmed Zuwaïl qui travaille au California Institute of Technology (Caltech).</p> <p>Analyser les causes de cette dépendance et l'absence d'une culture arabo-musulmane contemporaine capable de faire progresser les peuples, de leur permettre de faire irruption dans la modernité et de se mesurer aux défis de l'heure avec –et sur un pied d'égalité – le reste de l'humanité est présentement une tâche qui doit mobiliser les penseurs.</p> <p>Ainsi, Salama Ahmed Salama3, évoquant précisément le Prix Nobel de Zuwaïl, après avoir déploré « l'absence du primat de l'esprit scientifique tant dans les affaires générales que privées dans nos sociétés » et « l'absence de la pensée - scientifique dans les niveaux les plus élévés de la société », écrit : « Nous voilà faisant la cour à nos compatriotes dont nous nous sommes si peu occupés dans le passé et que nous avions contraints à l'exil dans des sociétés et des cultures autres qui leur ont largement ouvert les bras et offert toutes les opportunités pour faire de la recherche, remporter des succès et exceller dans le champ scientifique… en Occident… Et quand nous leur demandons de revenir au bercail, nous oublions que la patrie, dans le monde contemporain, est, comme l'a dit Bernard Shaw, l'endroit où s'affirme la dignité et où sont respectés les Droits de l'Homme… Hormis cela, vaste est la Terre ! »</p> <p>Un autre commentateur, Abdallah Hilal, s'exprime quasiment dans les mêmes termes quand il écrit : « Nous sommes d'avis que notre pays est riche en esprits novateurs mais ils sont enchaînés et humiliés, incapables de prendre leur envol et assiégés par tout ce qui a contraint Zuwaïl et ses semblables à exporter leur cerveau vers une société étrangère autre. Là, ils ont joui de la liberté et du respect car cette société ne lésine pas sur les moyens de nature à permettre l'affirmation de soi et du génie4 ». On ne peut s'empêcher de noter, concernant Zuwaïl, que ce chimiste –chaud partisan de la normalisation avec l'État hébreu– a accepté le Grand Prix Scientifique d'Israël et qu'il a passé une année, dans ce pays, pour initier les spécialistes à la femtochimie, branche de la chimie qu'il a développée ; de plus, il s'est s'adressé aux députés israéliens à la Knesset5. Dans ces conditions, on peut difficilement élever cet homme au rang de parangon du scientifique arabo-musulman quoique puissent dire les médias officiels, Rabelais ne disait-il pas : « Science sans conscience n'est que ruine de l'âme » ?</p> <p>Absence de liberté, contrôle des esprits, moyens matériels insuffisants6 voire inexistants dans certains cas, dédain du Politique pour les questions de la Science, tels semblent être, à première vue, les handicaps sur la route du progrès scientifiques au Sud. Il faut aussi que les scientifiques, de leur côté, admettent la nécesité d'une orientation de la science par la société et ses besoins. Il faut qu'ils mettent fin à l'illusion que la recherche est simplement guidée par le désir de savoir et qu'il n'y a pas de priorités sociales dans cette quête, car la Science doit s'adresser d'abord aux maux qui pèsent sur les gens : l'âge de « l'Art pour l'Art » des Parnassiens est bel et bien révolu et faut-il rappeler ce hadîth de nos lointains exercices de calligraphie arabe : « Maudite soit la Science qui n'est pas utile aux hommes » ? Ou les propos d'Ibn El Moukaffa sur les « Deux Sciences7 » ?</p> <p>Disant ceci, nous ne voulons nullement occulter le fait que la Science est connaissance et recherche vivante issue, en dernière instance, de l'activité libre de l'esprit humain ; la dimension utilitaire et les retombées pratiques de la somme des connaissances recueillies grâce à l'activité scientifique, pour importantes qu'elles soient pour sortir du sous-développement, ne seraient que de bien piètres remèdes si en même temps, les esprits n'intégraient pas les réalisations intellectuelles de la Science, qui est création et invention. Il est tout aussi clair que la technologie, donc les applications de la Science, agit à l'intérieur d'un système économique axé sur la production, lié au profit et à la compétition commerciale8. De même, nous ne voulons nullement occulter le fait que la Science est comme la langue d'Esope. Elle est ce que les hommes en font : aux antibiotiques répondent les armes chimiques et à la radiothérapie les retombées de césium de Tchernobyl9. Ou bien - l'eau « potable » qui tue à profusion hélas ! en Inde et au Pakistan versus la bombe atomique réalisée par chacun de ces deux pays du Sud qui ont démenti un ancien ministre français – ancien polytechnicien de surcroît – qui tenait pour vrai que les pays où les chasses (des toilettes) fuient ne sauraient faire des recherches sophistiquées !</p> <p><strong>La Science est la mère du développement</strong></p> <p>Quand, en 1979, s'est tenue à Vienne une conférence mondiale sur la politique scientifique pour venir en aide aux pays en développement et y encourager la Science et la Technologie, Internet, la Toile, les autoroutes de l'information ou le génie génétique faisaient alors leurs premiers pas. Or, en Juin 1999, s'est tenue à Budapest, une conférence mondiale sur la Science. Mais, entre ces deux manifestations, en vingt ans, le monde a terriblement changé tant sur le plan politique que sur le plan scientifique puisque la brebis Dolly est parmi nous et a inauguré « l'âge du génome » via le clonage, que la médecine régénératrice, le génie génétique, les nanotechnologies et la robotique (regroupés sous le sigle GNR) sont des réalités et que la Toile relie des millions de personnes à travers le globe.</p> <p>Hélas, les choses n'ont guère changé pour les pays pauvres et Mohamed Hassan, mathématicien soudanais et Président de l'Académie Africaine des Sciences affirme : « Depuis 1979, le fossé s'est creusé dans le domaine de la recherche entre pays en développement et pays industrialisés… La qualité de la recherche et le soutien qu'on lui consent dans les pays en développement demeurent loin derrière, comparativement à ce qui se passe dans les pays riches... Les frontières de la Science ont si vite avancé et les - coûts de la recherche ont tellement cru ces dernières années qu'il est devenu difficile pour certains pays de maintenir leurs efforts10 ». Et de fait, l'UNESCO rapporte qu'en 1998, les PVD n'ont dépensé que 50 millions de dollars pour la R&D soit à peine le dixième des sommes investies dans cette activité par les pays industrialisés.</p> <p>Conséquence « naturelle » : les scientifiques de la triade Europe Occidentale, États-Unis et Japon ont signé, en 1995, 84% de toutes les publications parues dans des journaux à comité de lecture (referees). À l'exception de la Chine, du Brésil, de la Corée du Sud dont les économies se sont bien développées, en phase avec une recherche scientifique bien active qui en est souvent le catalyseur de choix, la plupart des pays en développement sont à la traîne dans ce domaine, y compris l'Inde qui a des centres réputés et des scientifiques de premier plan tel Chandrasekhara Raman (Prix Nobel de Physique, 1930) et à l'origine de l'actuel et prestigieux Nehru Center for Advanced Scientific Research de Bangalore. Pour ce qui est des pays arabes, la Conférence de Budapest a confirmé l'aggravation de la situation puisque la production scientifique y a baissé de 10% comparativement à 199011. Outre le mépris des politiques pour la Science et ses hommes, la fuite des cerveaux commence à se faire sentir sans que les États ne lèvent le petit doigt, trop heureux peut-être qu'une classe de scientifiques compétents n'émerge pas at home et ne constitue un bien « mauvais exemple » : dans des pays où le clanisme, le régionalisme, la langue de bois et les génuflexions devant le chef sont le meilleur sinon l'unique moyen de « réussir », se faire une place au soleil par son savoir et sa compétence est passablement subversif aux yeux de l'establishment.</p> <p>Jean-Jacques Salomon soutient que l'État contemporain se trouve dans une situation de dépendance à l'égard des scientifiques et dit « Aucun État ne peut aujourd'hui se dispenser ni de l'avis ni du concours ni des contributions des scientifiques12 ». À notre avis, cette constatation ne s'applique pas à la majorité des pays en développement, qui sont pour la plupart sous la dépendance technologique du Nord. On doit les considérer comme des États pré-industriels préoccupés surtout par l'affirmation de leur autorité vis-à-vis de leurs ressortissants essentiellement. Et, de fait, le pouvoir politique, pour se maintenir en place, n'a pas grand besoin des scientifiques car les armes et les munitions de l'armée et de la police, les moyens de télécommunication, de transport et l'informatique proviennent de l'étranger et des instructeurs des pays fournisseurs les accompagnent. David Dickson, ancien correspondant à Washington de Nature, la plus vielle revue scientifique du monde, montre que la Science et ses applications sont en fait devenues une marchandise et un instrument de l'impérialisme13.</p> <p>On ne peut que déplorer, bien évidemment, cet état de chose et se remémorer toutes les occasions perdues. La Révolution Industrielle a été ratée, tous les pays producteurs de pétrole étant alors colonisés. Mais elle a permis l'essor de la Ruhr, de la sidérurgie et de la chimie allemandes (colorants, gaz de synthèse, médicaments, explosifs…) pour ne citer que cet exemple. Cependant, l'essor scientifique et économique majeur que le monde a vécu après la Deuxième Guerre Mondiale était essentiellement bâti sur le pétrole, qui a détrôné la houille par ses qualités intrinsèques : exploitation et transport plus aisés, extrême versatilité chimique et applications innombrables de l'éthylène - qui en dérive et a avantageusement remplacé l'acétylène provenant du coke… Résultats : le pétrole extrait des pays arabes leur revient, avec une énorme valeur ajoutée, sous forme de plastiques divers, de voitures, de médicaments, de téléviseurs, de textiles (nylon, polyesters, dacron, polyuréthanes…) grèvant lourdement les budgets et contribuant ainsi à l'essor d'économies dont le pétrole est le moteur dans toutes les acceptions du terme. Ce ne sont pas les tardives réalisations pétrochimiques de la SABIC au nord de Jeddah qui donneront le change, puisque les procédés qui y sont utilisés sont protégés par des brevets appartenant aux multinationales et qu'aucune structure de recherche ne les accompagne et qu'aucune planification à long terme n'est faite pour la formation de cadres locaux.</p> <p>Il est grand temps de réaliser que « le savoir est un facteur critique du développement » comme a fini par l'admettre aujourd'hui la Banque Mondiale elle-même qui, il n'y a pas si longtemps, incitait à la construction de routes et de barrages en vue d'aider les pays en développement à acquérir les moyens nécessaires à leur croissance.</p> <p><strong>Mettre fin au vide social dans les Universités</strong></p> <p>Dans bien des pays du Sud, les universités ne sont pas des centres de recherche. Bien entendu, on trouve de-ci, de-là quelques groupes de recherche créatifs, mais ils opèrent dans un vide social quasi total : leurs résultats et leurs activités n'intéressent personne dans le pays, même s'il arrive qu'elles soient utiles ailleurs. Souvent du reste, ces groupes ne travaillent qu'en vue de la « reproduction » des universitaires si bien décrite par Bourdieu : afin d'accéder à tel ou tel grade, il faut justifier de travaux et de publications - devant des commisssions ad hoc. Une fois la publication parue ou le parchemin en poche, la recherche est rarement poursuivie.</p> <p>Dans les pays du Maghreb, il arrive de plus en plus que le chercheur parte à l'étranger et s'investisse dans un travail qui n'a d'intérêt que pour son patron de thèse et qu'il est impossible de poursuivre en Tunisie ou au Maroc par exemple. Mais l'essentiel pour l'expatrié est de rentrer avec le parchemin pour décrocher un poste à l'Université nationale. Souvent du reste, le travail de recherche accompli n'a pas d'attrait pour les thésards autochtones, français, belges ou canadiens, car il n'ouvre pas de perspectives de recherche stimulantes ou parce que, confié par une entreprise, son financement a une durée limitée dans le temps. Le chercheur maghrébin aura fourni sa force de travail pour l'essentiel.</p> <p>Dans de nombreuses universités du Sud, arabes notamment, l'accent est mis sur le conformisme, la mémoire et la docilité. Ainsi, la revue égyptienne Littérature et Critique rapporte, dans un article signé du Dr Chabl Badran, paru dans son numéro 80 d'avril 1992 (p. 140-143), les tribulations de la thèse de Saïd El Chérihi, de la Faculté de langue arabe de l'Université Om El Khoura en Arabie Saoudite14, thèse qui portait sur « Le renouveau linguistique de la poésie à l'époque abbasside » mais comme son directeur de thèse, le Pr Lotfi Abd-el-Badi est étiqueté « structuraliste et réaliste », le rapporteur a jugé que le travail d'El Chérihi constituait « un danger autrement plus grave, pour l'islam, que le marxisme, le communisme et la laïcité » et y a relevé « des idées et des expressions obscures, non conformes avec les principes et l'enseignement de - la religion musulmane ». Après s'être étonné que l'on puisse affirmer que « des idées obscures » soient conformes ou non à la religion, le Dr Chabl Badran de s'exclamer : « Y a-t-il une méthode scientifique musulmane et une autre chrétienne ou juive ou bouddhiste ou américaine ? » Mais rien n'y fit ! Le Conseil de l'Université demanda à El Chérihi de « faire amende honorable et de revenir à Dieu » et, magnanime, lui accorda, à titre exceptionnel, d'aborder une nouvelle voie de recherche avec un directeur dont « les idées, les méthodes et la science » soient orthodoxes et conformes à l'islam.</p> <p>La discrimination et l'ostracisme politiques, la perte des libertés académiques affaiblissent les universités du Sud. En Tunisie, dans les années 60, un centre de recherches économiques et sociales a été menacé et marginalisé parce que ses travaux n'avaient pas l'heur de plaire à un tout puissant ministre dont ils démontraient les erreurs. De même, et plus récemment, un poète a été écarté, par le Recteur, d'un colloque parce qu'il était l'intime d'un Premier ministre tombé en disgrâce.</p> <p>Evoquant la situation de l'enseignement supérieur algérien face à la montée de l'intolérance, le regretté Rachid Mimouni écrivait : « Les sciences humaines restent globalement suspectes […] et sont transformées en cours de propagande islamique. Les étudiants […] n'entendent jamais parler de Darwin, Freud, Auguste Comte et encore moins Marx […] Ibn Khaldoun lui-même n'y est guère en odeur de sainteté. La biologie, la médecine et surtout la chirurgie suscitent des réticences [pour leur matérialisme][…]Restent les sciences exactes supposées neutres […] L'informatique est très prisée. Lorsqu'ils voient sur l'écran de l'ordinateur - s'inscrire nos lettres arabes, ils sont convaincus que la langue du Coran est entrée dans la modernité, ignorant que ce n'est que l'effet du logiciel conçu aux États-Unis avec la collaboration d'émigrés libanais15. » Puis Mimouni évoque la sanction des études : « Dans certaines facultés, les islamistes sont assurés de leur réussite aux examens quelles que soient les notes obtenues. Tout enseignant qui s'aviserait de les recaler se verrait aussitôt taxé de mécréant, car il aurait fait prévaloir les calculs de résistance des matériaux sur l'omnipotence divine qui peut faire tenir un immeuble dont les piliers ont été sous-dimensionnés ou provoquer l'écroulement d'un pont construit selon les normes requises ». Et notre auteur de conclure : « La religion a fini par investir tous les lieux de l'espace social, du culturel au scientifique. En ce cas, la barbarie n'est jamais loin. Ni l'Inquisition et les bûchers. Les hommes de culture auraient été les premières victimes de ses souffles ravageurs16 ». Mohamed Arkoun renchérit de son côté : « L'avènement d'une “raison ” des Lumières demeure jusqu'à nos jours l'impensé de la pensée islamique17 ».</p> <p>La crise de la Science et celle des Universités dans les pays du Sud sont indissociables de la situation politique et sociale. Impérialisme et multinationales ont leur part de responsabilité dans cette situation, mais l'autoritarisme et la mainmise de l'État sur la culture et l'information ont favorisé le nanisme scientifique actuel du Sud.</p> <p>Cependant, ici comme ailleurs, la démocratie, le dialogue et la participation de citoyens libres et informés à la prise de décision, leur implication dans les affaires de la Cité, sont seuls en mesure d'améliorer les choses. Nos pays, nos peuples et notre intelligentia devraient méditer ces paroles - d'Alfred North Whitehead que cite Abdus Salam en ouverture à un de ses livres18 :« Dans les conditions de la vie moderne, la règle est absolue : la race qui ne donne pas son dû à l'intelligence est perdue. […] Demain, la Science fera encore un nouveau pas, il n'y aura aucune possibilité d'appel au jugement qui sera prononcé […] contre les non- instruits et les ignorants. »</p></div> <div class='rss_ps'><p>1 L'Arabie Saoudite consacre 36% de son budget –soit 13,8 milliards de dollars– aux forces armées (Libération, 11 août 1990) Voir aussi notre ouvrage La recherche contre le Tiers Monde. Multinationales et illusions du développement, Presses Universitaires de France, Paris, 1993.</p> <p>2 Constrastant avec l'indigence du réseau famélique à la disposition des citoyens ordinaires, de Beyrouth à Casablanca et de Caire à Nouakchott, les agents de police arborent avec ostentation des talkies-walkies dernier cri.</p> <p>3 Salama Ahmed Salama, Weghat Nazar (Le Caire), nº10, Novembre 1999, p. 82. On notera aussi que le journal gouvernemental « La Presse de Tunisie » (21 mars 1999) consacre un supplément aux « chercheurs tunisiens en France » et après en avoir fait le décompte affiche sa satisfaction : « C'est dire que le nombre de chercheurs tunisiens dans le secteur de la vie est vraiment très satisfaisant ». Le journal note que tous ces chercheurs travaillant en France « ont effectué leurs études primaires et secondaires en Tunisie. » mais ne se donne pas la peine de s'interroger sur les raisons de leur départ et de leur succès de l'autre côté de la Méditerranée.</p> <p>4 Abdallah Hilal, Al Châab (Le Caire), 08 février 2000.</p> <p>5 Jalèl Amin, El Ahali (Le Caire), nº 949, 24 novembre 1999, p. 7. Pour cet auteur, le pouvoir en Egypte a instrumentalisé Zuwaïl - pour donner une respectabilité à ses efforts de rapprochement avec Israël. Zuwaïl, par exemple, n'a pas hésité à parrainer Madame Moubarak nommée docteur honoris causa par l'Université américaine du Caire (Voir la première page du « Le Progrès d'Égypte » du 05 février 2000).</p> <p>6 Au cours d'un colloque consacré à l'enseignement de la chimie dans le monde arabe à Rabat dans les années 80, un ministre a demandé la suppression des travaux pratiques de chimie ! Manque de moyens ou peur d'un savoir dangereux à ne pas mettre entre les mains d'une jeunesse contestataire ? Le même ministre n'a jamais mesuré les moyens de l'État chérifien à la police !</p> <p>7 Ibn El Moukaffa, El adabou essaghir wa'l adabou elkabir, Dar Sadar, Beyrouth (année d'édition non indiquée), p. 111.</p> <p>8 Michel Paty, L'Aventure Humaine, nº 10, 2000.</p> <p>9 Mohamed Larbi Bouguerra, La pollution invisible, Pressses Universitaires de France, Paris, 1997.</p> <p>10 Robert Koenig, Science (Washington), vol. 284, p. 1760- 61, 11 Juin 1999.</p> <p>11 Réf. 9.</p> <p>12 Jean-jacques Salomon, Le destin technologique, Ed. Balland, Paris, 1992.</p> <p>13 David Dickson, The new politics of Science, University of Chicago Press, Chicago, 1988.</p> <p>14 Cette même Université rompit le contrat du Pr Mahmoud Abou Zeïd coupable d'avoir traduit le livre de Paulo Freire Pédagogie des opprimés.</p> <p>15 Rachid Mimouni, De la barbarie en général et de l'intégrisme en particulier, Le Pré-aux-Clercs édit, Paris, 1992.</p> <p>16 Ce que dit Mimouni dépasse largement le cadre de son pays et se voit –hélas !– ailleurs aussi voir M. L. Bouguerra Indépendances. Souvenirs d'un scientifique tunisien, Descartes & Cie, édit, Paris, 1998.</p> <p>17 Le Monde, 05 mai 1992.</p> <p>18 Abdus Salam, Notes on Science, Technology and Science education in the development of the South, The Third World Academy of Sciences, Trieste, 1988.</p></div> L'expérience des C3LD est confrontée à la menace des brevets de logiciel http://vecam.org/article1041.html http://vecam.org/article1041.html 2008-04-16T14:12:59Z text/html fr Cheick Oumar Sagara Cheick Oumar Sagara est chef de projet C3LD-Mali à l'Université de Bamako. Les C3LD (Centres Linux et Logiciels libres pour le Développement) sont une intiative de l'AUF (Agence Universitaire de la Francophonie). L'Université de Bamako, que je représente ici, a choisi de mettre en place un tel centre en son sein, et de promouvoir dans notre pays et plus largement dans toute l'Afrique l'usage des logiciels libres. Politique de l'Université de Bamako en matière de logiciels libres Pour mesurer (...) - <a href="http://vecam.org/rubrique97.html" rel="directory">Pouvoir - Savoir (le livre)</a> <div class='rss_chapo'><p>Cheick Oumar Sagara est chef de projet C3LD-Mali à l'Université de Bamako.</p></div> <div class='rss_texte'><p>Les C3LD (Centres Linux et Logiciels libres pour le Développement) sont une intiative de l'AUF (Agence Universitaire de la Francophonie). L'Université de Bamako, que je représente ici, a choisi de mettre en place un tel centre en son sein, et de promouvoir dans notre pays et plus largement dans toute l'Afrique l'usage des logiciels libres.</p> <p><strong>Politique de l'Université de Bamako en matière de logiciels libres</strong></p> <p>Pour mesurer l'enjeu financier du choix vers des logiciels libres, il faut concevoir que le budget à la recherche de l'université de Bamako est de moins de 70000 dollars en 2004.</p> <p>Celui-ci est largement grévé par les frais de logiciels et d'infrastructure réseau. Le réseau intranet de l'Université de Bamako comprend dix sites. Les principaux programmes ou logiciels installés sur les ordinateurs de l'université sont des systèmes propriétaires essentiellement constitué de produits Microsoft (Windows 2000 serveur, Exchange2000, MS Office), Norton Ghosh, McAfee… Les équipements d'inter-connection, constitué essentiellement de matériels propriétaires, qui nécessitent des licences à renouvellement périodique pour la mise à jour du système d'exploitation.</p> <p>Or notre université a besoin d'investir plus particulièrement dans les ressources humaines. C'est par ce biais que la culture informatique va pouvoir s'étendre dans notre pays. Nous proposons ainsi pour aider les étudiants et les enseignants 20 administrateurs de réseau locaux, 3 administrateurs principaux et des gestionnaires de salles. Cet investissement humain nous paraît essentiel.</p> <p><strong>Atelier de planification stratégique</strong></p> <p>Le basculement de la plateforme logicielle du réseau intranet de l'Université de Bamako vers les solutions libres a été l'une des recommandations fondamentales de l'atelier de planification stratégique. Cet atelier, qui s'est tenu du 17 au 19 septembre 2003, a regroupé les représentants des structures de l'Université de Bamako : le comité de pilotage (grandes orientations en matière de NTICs ), les administrateurs principaux, le comité technique, l'administration, les webmestres, les enseignants, les étudiants, les partenaires (Campus Numérique de Bamako, Schoolnet, Peacecorps).</p> <p>Un comité de gestion des NTIC, présidé par le Recteur, a été mis en place pour la mise en oeuvre des recommandations issues de cet atelier.</p> <p>C'est dans cette dynamique que l'Université de Bamako a saisi l'appel à candidature lancé par l'AUF (Agence Universitaire de la Francophonie) dans le cadre de son programme « TIC et appropriation des savoirs » pour la création d'un « Centre Linux et Logiciels Libres pour le Développement » (C3LD).</p> <p><strong>Présentation du C3LD</strong></p> <p>Les C3LD (Centre Linux et Logiciels Libres pour le Développement) sont nés suite à un appel d'offre international lancé par l'Agence Universitaire de la Francophonie (AUF). Le dossier de candidature de l'Université de Bamako a été retenu par le comité scientifique de l'AUF et par la suite - une convention cadre a été signée du côté de notre Université par notre Recteur.</p> <p>Les objectifs de cette convention conclue entre les Parties sont de :</p> <p>– SENSIBILISER : fédérer les utilisateurs de solutions informatiques sous Linux issus de l'espace international universitaire francophone et valoriser leurs expériences dans le domaine des TIC, notamment afin de promouvoir les alternatives aux logiciels dont les sources sont protégées, ainsi qu'aux licences d'utilisation et contrats de maintenance coûteux ;</p> <p>– FORMER : accompagner par la formation prioritairement des personnels d'encadrement des Universités dans la maîtrise de systèmes de communication et de productions logicielles, et, plus particulièrement, dans l'obtention d'une certification internationale à Linux, et ce afin d'assurer progressivement un transfert de compétences vers, et une appropriation des démarches scientifiques et pédagogiques afférentes par l'Université ;</p> <p>– DEVELOPPER : communiquer, concevoir et adapter des solutions (bureautiques, pédagogiques, ou proprement technologiques) via la création, en relation avec les CAI/CNF, d'un environnement informatique (laboratoire) dédié à l'utilisation et au développement local de logiciels libres par les personnes formées, enrichis du travail équivalent fourni par les autres C3LD que fédère l'AUF, et de tout autre centre partenaire.</p> <p><strong>Pourquoi le choix des logiciels libres ?</strong></p> <p>Les critères qui nous poussent à choisir les logiciels libres pour la formation dans les pays en développement sont multiples :</p> <p>– coût ;</p> <p>– accès au code source, donc possibilité d'innover à partir d'un existant. Il ne sert à rien de réinventer la roue ;</p> <p>– pas de problèmes de licences ;</p> <p>– pas de brevets sur les logiciels.</p> <p><strong>Brevetabilité des logiciels : vers une menace pour les C3LD ?</strong></p> <p>Comme vous l'avez constaté plus haut toute l'activité des C3LD est basée sur les logiciels libres des sensibilisations au développement, en passant par la formation. Cela explique en grande partie notre implication et notre inquiétude face à la menace de brevetabilité des logiciels.</p> <p><strong>Quels impacts sur la vie des C3LD</strong></p> <p>La conclusion de la Commission de la Culture, de la Jeunesse, de l'Éducation, des Médias et des Sports au Parlement de Strasbourg, souligne, je cite :</p> <p>–« La brevetabilité risque d'instaurer une instabilité génératrice d'une explosion de litiges. Seules les très grandes entreprises pourraient maîtriser une telle situation. »</p> <p>–« 97% des brevets appartiennent aux pays développés et 3% à ceux du Sud. Rendre brevetable cette nouvelle forme du savoir humain que sont les logiciels risque fort - d'aggraver les difficultés d'accès des pays du Sud et de poser un problème politique grave. »</p> <p>Pour prétendre à faire breveter une invention, il faudrait d'abord avoir un budget conséquent et solide, et malheureusement ce n'est pas le cas dans nos pays. Donc ça veut dire tout simplement que nos pays ne pourront pas faire passer de brevet car manquant crucialement d'investissement de départ pour encourager la recherche qui est la clé de l'invention. Et je ne sais pas quand nous aurons enfin la chance d'avoir suffisamment d'argent à mettre à dispositions de nos chercheurs pour encourager et avoir suffisamment d'inventions, donc prétendre à des brevets. Ce sera pour quand ?</p> <p>Même si aujourd'hui les pays émergents disposaient de suffisamment de ressources pour financer leur recherche et développement, je pense que dans un monde frappé par les brevets, dans le sens mercantiliste du terme, il serait toujours difficile voir impossible, pour nos pays, d'innover. Pour innover dans un monde marqué par un maquis de brevets, il nous faut nous appuyer sur des inventions déjà protégées. Négocier les droits pour des innovations complémentaires, des améliorations et une exploitation adaptée à nos pays coûterait particulièrement cher. Cela est encore plus marqué dans le cas des logiciels, qui sont de la connaissance enregistrée. Cela aurait des conséquences immédiates sur nos capacités à utiliser, améliorer et adapter les logiciels libres à nos projets et aux conditions de nos pays.</p> <p>Les logiciels libres sont des logiciels dont le code source est ouvert et accessible. Le code source sert de base à toute - la communauté pour développer de nouvelles innovations dans l'intérêt plus large de toute la communauté mondiale. Cela permet aussi de créer de nouveaux emplois dans nos propres pays, et permet aux jeunes de stimuler leurs capacités créatives de façon générale. Un des avantages du libre est aussi que le nouveau développeur peut se servir du code source existant sans frais qu'il peut l'améliorer et l'adapter à de nouvelles situations.</p> <p>Et si on brevète les logiciels demain, cela va entraîner du coup l'augmentation du coût de production des logiciels, décourageant ainsi de nouvelles initiatives dans le sens de l'innovation. Selon le Monde Informatique, l'estimation du coût de dépôt d'un brevet pour 8 pays européens est en moyenne de : dépôt et recherche 1 342 euros, examen 1431 euros, délivrance 715 euros, entretien 16790 euros, traduction 12600 euros, mandataire 17000 euros, soit, au total, environ 50000 euros.</p> <p>De quoi décourager les petits inventeurs et renforcer du coup la position dominante des grandes société comme Microsoft.</p> <p>C'est comme l'a dit Ha-Joon Chang, « enlever aux pays du Sud l'échelle » qui leur avait permis de commencer à se développer.</p> <p>Il reste clair que la brevetabilité des logiciels nuira sans nul doute aux efforts entrepris par-ci par-là pour la promotion du libre, et par delà, pourrait compromettre dangereusement les efforts de développement des pays émergents comme le Mali.</p> <p><strong>Recommandations</strong></p> <p>En partant de notre expérience à l'Université de Bamako, et des réflexions qui sont exposées ci-dessus, nous pourrions établir quelques recommendations pour que les pays en développement puissent pleinement bénéficier de l'innovation technologique en matière de logiciels.</p> <p>Nous devons sensibiliser les pouvoirs politiques pour leurs faire comprendre les enjeux autour du libre et particulièrement sur les conséquences néfastes qu'aurait la brevetabilité des logiciels. Comme à l'image de la France, où les partisans du libre ont su saisir Jacques Chirac pour qu'il étudie le dossier sur la brevetabilité des logiciels, les C3LD doivent susciter l'intérêt national des pays du Sud sur les menaces de brevetabilité des logiciels. La réponse de Président Chirac à la question sur la brevetabilité de logiciel est : « le projet de directive européenne sur la brevetabilité des logiciels n'est pas acceptable ». Il faut que les C3LD, par des efforts de sensibilisation arrivent à convaincre et à faire adopter par les pouvoirs politiques de nos pays une position ferme dans les négociations internationales.</p> <p>Il faut que les C3LD arrivent à regrouper les développeurs de logiciels ainsi que les PME travaillant sur le développement et à les sensibiliser pour qu'ils puissent percevoir le danger de la brevetabilité des logiciels. Ceci leur permettrait de prendre position pour se faire entendre auprès des pouvoirs politiques. Le tissu même de l'industrie logicielle de nos pays en dépend.</p> <p>Nous pouvons promouvoir et faire apppliquer les Recommandations de Bamako 2002 (Conférence régionale - Afrique préparatoire au Sommet mondial sur la Société de l'Information ; Bamako, 27 au 30 Mai 2002). Parmi ces recommandations, deux me paraissent très intéressantes en ce qui concerne la brevetabilité des logiciels ; il s'agit :</p> <p>– Du rejet de la brevetabilité des logiciels par les pays africains ;</p> <p>– le contrôle accru des offices de brevets d'Afrique et les représentants africain au sein des organismes internationaux de propriété intellectuelle afin qu'ils ne puissent, de leur propre chef, décider d'élargir les champs de la brevetabilité, en particulier aux logiciels, sans l'accord explicite des gouvernements et parlements.</p> <p>– Il faut encourager la création de Centres Linux dans tous les pays, particulièrement dans les pays émergents comme le Mali.</p> <p>– Il faut soutenir les actions des C3LD ;</p> <p>– inscrire les logiciels libres dans les programmes de formation dans le milieu universitaire ;</p> <p>– mettre en place une mutualisation des pratiques entre les C3LD. Les concevoir comme des espaces d'échange de connaissance et de savoir.</p> <p>Les pouvoirs publics dans les pays d'Afrique doivent tenir compte des recommandations issues de la première édition des Rencontres africaines des Utilisateurs de Logiciels libres qui s'est tenue à Ouagadougou du 4 au 7 octobre 2004. parmi celles-ci, on peut citer :</p> <p>– La mise en place une stratégie nationale pour les logiciels libres ;</p> <p>– l'adaptation des mesures législatives et réglementaires sur l'utilisation des logiciels libres et des formats libres dans les administrations publiques africaines. Nous allons travailler au succès des C3LD pour inciter d'autres pays, qui ne font pas partie de l'AUF, à s'inspirer des C3LD pour participer plus activement au développement de leur pays.</p> <p>La majorité de l'économie des logiciels est détenue par les grandes firmes des technologies de l'information et de la communication, ou les fabricants d'électronique. C'est une menace pour l'indépendance et les capacités de développement de nos pays.</p> <p>Pour éviter que notre avenir ne soit hypothéqué, levons- nous pour défendre la logique de partage qui est celle des logiciels libres. Le premier pas de cette démarche est de faire barrière commune pour éviter la mise en place dans le monde de brevets de logiciels, qui détruiraient les capacités d'innovation et de développement des logiciels libres.</p></div> Rendre les médicaments abordables : un Traité « R&D+ » pour remplacer les « ADPIC+ » http://vecam.org/article1042.html http://vecam.org/article1042.html 2008-04-16T14:12:56Z text/html fr James Love et Tim Hubbard James Love est directeur du Consumer Project on Technology (CPTech), une fondation basée à Washington. Tim Hubbard est le responsable du projet de décryptage du génome humain au Wellcome Trust Sanger Institute de Hinxton, Cambridgeshire en Grande-Bretagne. Le mécanisme global de financement des médicaments par le marché est en faillite. Il doit changer. Si nous voulons l'innovation, l'équité et l'efficacité, nous avons besoin d'inventer un nouveau modèle économique pour la santé. En novembre (...) - <a href="http://vecam.org/rubrique97.html" rel="directory">Pouvoir - Savoir (le livre)</a> <div class='rss_chapo'><p>James Love est directeur du Consumer Project on Technology (CPTech), une fondation basée à Washington. Tim Hubbard est le responsable du projet de décryptage du génome humain au Wellcome Trust Sanger Institute de Hinxton, Cambridgeshire en Grande-Bretagne.</p></div> <div class='rss_texte'><p>Le mécanisme global de financement des médicaments par le marché est en faillite. Il doit changer. Si nous voulons l'innovation, l'équité et l'efficacité, nous avons besoin d'inventer un nouveau modèle économique pour la santé.</p> <p>En novembre 2001, les États membres de l'OMC ont adopté à Doha la « Déclaration sur l'Accord sur les ADPIC et la Santé Publique » qui précise que l'Accord sur les ADPIC doit être interprété et implémenté de façon à soutenir le droit des États membres à protéger la santé publique et à permettre l'accès pour tous aux médicaments. C'était un pas très important vers l'équité. Mais dans les mois qui ont suivi, le gouvernement des États-Unis a mis en place une série de négociations commerciales bilatérales qui comprenaient des mesures1 dites « ADPIC+ » qui rendent caduques la Déclaration de Doha.</p> <p>L'Union européenne, les États-Unis et le Japon ont soulevé des objections concernant le prix des médicaments dans diverses discussions bilatérales. En 1999, la Commission européenne2 et les États-Unis3 ont imposé à la Corée du Sud des prix élevés pour les médicaments brevetés. La Commission européenne a soulevé un cas similaire contre la Turquie en 20034. Les États-Unis ont derrière eux une longue histoire de démantèlement des politiques de contrôle des prix par les pays pauvres, et ont récemment mené campagne pour torpiller de même les négociations de prix menées par les autres pays développés5.</p> <p>L'intégration des prix de médicaments et de la propriété intellectuelle dans les négociations commerciales sont défendues au nom de la valorisation de la Recherche & Développement. Pour nous, et pour tout ceux qui souhaitent - disposer de médicaments plus accessibles, il est nécessaire de se confronter à ce problème central, afin de répondre simultanément aux besoins de financement de la R&D pour les nouvelles molécules et à la mise en place d'un accès large et équitable aux médicaments.</p> <p>L'Accord sur les ADPIC et le nombre croissant des accords « ADPIC + » sont biaisés. Il ne connaissent qu'une seule méthode pour financer les investissements dans la R&D : augmenter les prix. Or plus ces accords réussissent à augmenter les prix et moins les médicaments sont abordables. La contradiction est encore plus claire dans les pays en développement, où les propriétaires de brevets ne cherchent à vendre leurs produits qu'aux franges supérieures de la population afin de maximiser leurs profits6. Les pays développés eux-mêmes doivent rationner les médicaments. Par exemple « Singular », un médicament contre l'asthme chronique n'est remboursé que dans quelques pays seulement. Les traitements pour les maladies graves ont des tarifs astronomiques. Si l'on écoute le Dr Robert Wittes, chercheur qui était auparavant cadre dirigeant de BMS (Bristol-Myers Squibb), les compagnies d'assurance ne veulent plus payer pour des traitements anti-cancéreux comme Erbitux, qui est proposé à 10000 $ par mois7. Wittes remarque : « Les plans de financement partagés et le plafonnement des remboursements vont conduire à faire supporter une charge de plus en plus intenable à ceux qui seront décidés à suivre des traitements lourds ». De surcroît, les tiers-payants peuvent décider à tout moment que les médicaments ne méritent pas le prix demandé, ou limiter les usages « hors-protocole », ce qui est particulièrement handicapant pour les traitements anti-cancéreux dans lesquels les médicaments sont généralement utilisés - « sur un spectre beaucoup plus large que les indications précisément adoptées par la FDA ».</p> <p>Les monopoles de marchés sont inefficaces. Seule une petite fraction des prix pourtant si élevés est réellement ré- investie dans la Recherche et Développement, et dans la majeure partie des cas pour des produits non innovants de type « me too » pour des maladies chroniques qui affectent principalement des patients aisés. Il y a très peu d'investissement de la R&D privée qui va à la recherche fondamentale, à des biens publics comme le Projet Génome humain (HGP) ou Medline, à la mise au point de vaccins ou d'autres traitements prioritaires, comme ceux pour le paludisme. Une protection trop élévée des droits de propriété intellectuelle sur les molécules conduit aussi vers d'autres problèmes, comme un secret excessif ou des barrières anti-compétitives sur les innovations secondaires8.</p> <p>Les investissements massifs dans le marché des médicaments protégés par des brevets ou d'autres droits exclusifs ne sont pas seulement du gaspillage, ils conduisent aussi à des usages inadaptés qui découlent de pratiques frauduleuses ou non éthiques de promotion de ces produits auprès des prescripteurs9.</p> <p>Un schéma de financement de la recherche pharmaceutique qui repose uniquement sur l'instauration de monopoles de marché est moralement condamnable, économiquement inefficace et entaîne la corruption. Nous pouvons et nous devons trouver mieux.</p> <p><strong>« R&D + »</strong></p> <p> Nous voulons proposer un nouveau schéma pour le financement des médicaments, qui serait dirigé directement vers la R&D et non sur l'instauration de monopoles par brevet et prix élevés, les mécanismes actuels10. Notre idée est de basculer le contexte du commerce vers la santé. Nous ne disons pas que l'argent importe peu. Le développement de nouveaux médicaments est un processus très onéreux. Nous souhaitons simplement mettre en place un modèle qui fasse que le fardeau de ce financement soit équitablement réparti.</p> <p>Il peut exister d'autres modèles économiques que le financement par des prix de médicaments élevés. Par exemple, les pays peuvent imposer aux firmes pharmaceutiques qu'un pourcentage des ventes de médicaments ou des assurances santé soient réellement investis en R&D. Un mécanisme comme celui des « crédits sur les maladies orphelines » existant aux États-Unis peut aussi offrir un moyen décentralisé de financer les essais thérapeutiques. Il en est de même des déductions fiscales qui peuvent accompagner les dons aux fondations, comme celles de Gates, Ford ou Rockfeller. Il reste aussi l'option d'un financement direct de la R&D par la puissance publique, du type des 100$ par tête qu'acquittent les contribuables des États-Unis pour le National Institute of Health (NIH). Certains économistes ou leaders politiques préconisent aussi la multiplication de « bourses et prix » publics ou privés pour récompenser des découvertes pharmaceutiques.</p> <p>En résumé, ce qui se fait aux États-Unis peut se faire aussi dans d'autres pays. Toutes ces méthodes renforcent - l'alternative au financement de la R&D en mettant en place des partenariats innovants entre le secteur public et le privé, les incitations fiscales, les projets de recherche... Cet ensemble d'incitations coûte en réalité très peu d'argent.</p> <p>Un schéma de financement qui ne reconnaît que la propriété intellectuelle néglige les investissements globaux et nous oblige à des prix élevés pour financer les nouveaux médicaments. Il ne résoud rien de ce qui concerne la large diffusion des biens publics de la connaissance.</p> <p>Une approche « R&D + » devrait considérer autant les dépenses publiques que celles du privé, et permettre à chaque pays de choisir la répartition entre ces deux modes. Il permettrait aussi une plus grande flexibilité dans les mécanismes de financement. Il encouragerait chaque pays à mettre en place une politique de financement de la recherche médicale adaptée au niveau de protection souhaité. Une véritable compétition vertueuse entre mécanismes de financement serait ainsi engagée.</p> <p>Dans un projet multilatéral ambitieux, l'approche « R&D + » permettrait de fixer des cibles à la recherche médicale qui seraient raisonnablement adaptées aux revenus et aux niveaux de développement de chaque pays, comme par exemple dix à quinze pour cent du Produit intérieur brut. Cet argent pourrait être utilisé pour acheter des produits à haut prix auprès des firmes pharmaceutiques… Il pourrait aussi servir à développer les universités ou les entreprises nationales, utilisant les ressources locales pour créer des compétences locales, du savoir-faire et du travail.</p> <p>Dans les négociations bilatérales ou régionales, l'approche « R&D + » pourrait remplacer ou complémenter les accords sur la propriété intellectuelle. Par exemple, dans ses négociations de libéralisation des marchés avec les États-Unis, la Thaïlande pourrait proposer d'augmenter ses investissements locaux dans la recherche et le développement sur le SRAS, la Grippe aviaire ou le SIDA en échange d'un chapitre sur les droits de propriété intellectuelle plus souple que celui qui est proposé généralement.</p> <p>Un tel investissement supplémentaire de la Thaïlande serait bien vu par nombres de membre du Congrès des États- Unis qui souhaitent élargir la base de financement de la recherche médicale. Ce serait aussi une proposition plus attractive pour la Thaïlande que de payer des prix trop élevés pour des médicaments contre le cancer ou les maladies cardio-vasculaires. Le résultat global d'une approche « R&D+ » serait plus profitable que les « ADPIC+ », tant pour la Thaïlande que pour les États-Unis.</p> <p>Pour différentes raisons, « R&D+ » conduirait à une infrastructure R&D plus décentralisée, avec un accroissement des transferts de technologie et le développement de compétences locales que ne le ferait l'approche « ADPIC + ».</p> <p><strong>« R&D + », santé et objectifs de développement</strong></p> <p>Avec les « ADPIC + », nous aurons trop d'investissements dans des copies serviles de médicaments sans innovation et trop peu d'investissements dans les biens publics, les recherches innovantes, les vaccins et les autres priorités sanitaires.</p> <p>Comment « R&D + » pourrait-il faire mieux ? Une fois le contexte des accords d'échange modifié, pour passer du « commerce » à la « santé », il devient plus aisé de prendre en compte l'agenda social. Un des mécanismes serait de pondérer les contributions par le niveau social des pays. Les débats sur les traités de R&D se focaliseraient sur trois secteurs prioritaires :</p> <p>– le transfert de technologie, au travers de collaborations entre les pays développés et les pays en voie de développement ;</p> <p>– l'ouverture, telle qu'elle est mise en oeuvre dans le Projet du Génome Humain ou les médicaments génériques ;</p> <p>– la priorité à la santé publique, par des recherches sur des maladies comme le paludisme ou d'autres maladies négligées, ou des vaccins contre le SIDA et le SRAS. Quelques remarques pour conclure</p> <p>Dans ce court article, nous avons présenté un schéma de négociation qui ne tranche pas sur le choix cornélien entre l'accès et l'innovation. Il ne tranche pas non plus entre une approche publique ou privée. Les deux sont utiles. « R&D + » est flexible et permet des décisions décentralisées.</p> <p>Les négociateurs choississent des niveaux plancher pour le financement de la R&D. Les objectifs sociaux sont pris en compte au travers d'une pondération pour la mesure des contributions de chaque partie prenante. Chaque pays indique les moyens qu'il va mettre en oeuvre pour atteindre les objectifs négociés. Certains vont choisir une protection accentuée des droits de propriété intellectuelle, - d'autres préféreronts une approche d'ouverture. Certains préfèreront les investissement dans le secteur public quand d'autre privilégieront une approche entrepreneuriale. À court terme, une approche plus incrémentale de type « R&D + » permettra de contourner les effets les plus dangereux des accords « ADPIC + ».</p> <p>Nous croyons fortement que « R&D + » est un projet crédible. Le présent modèle ne fonctionne plus, ni pour les pays en voie de développement, ni même pour les pays industrialisés. Les modèles économiques uniquement basés sur une propriété intellectuelle verrouillée sont en train d'exploser, même aux États-Unis et en Europe. Nous devons trouver des moyen d'éviter les politiques malthusiennes de rationnement, qui conduisent à l'inefficacité et la corruption des professions médicales et scientifiques, pour au contraire promouvoir une science ouverte, source de plus grande innovation.</p> <p>« R&D+ » est notre futur, mais nous en avons besoin dès maintenant.</p></div> <div class='rss_ps'><p>1 Pour les brevets : limitation sur les licences légales, extension de la durée, élargissement de la couverture et baisse de l'exigence de nouveauté et de lien avec l'enregistrement des médicaments.</p> <p>2 1999/C 218/03. Rambau Garikipati, EU companies frustrated with drug pricing guidelines ; Korea Herald, 12 juin 2004.</p> <p>3 Le gouvernement coréen a accepté en 1999 d'établir le prix des nouveaux médicaments en fonction du prix moyen aux États- Unis, en Grande-Bretagne, en France, en Allemagne, en Suisse, en Italie et au Japon. 2002 National Trade Estimate Report on Foreign Trade Barriers, USTR.</p> <p>4 2003/C 311/04.</p> <p>5 International Trade Administration, Drug Pricing Study Federal Register : 1er juin 2004, Volume 69, Number 105, page 3088230883.</p> <p>6 En république dominicaine, le prix du Plavix, médicament pour les maladies cardiaques correspond à 60% du salaire d'un travailleur.</p> <p>7 Robert E. Wittes, Cancer Weapons, Out of Reach ; Washington Post, 15 juin 2004.</p> <p>8 Keeping science open : the effects of intellectual property policy on the conduct of science ; Royal Society. Avril 2003.</p> <p>9 Richard Smith, Medical journals and pharmaceutical companies : uneasy bedfellows, BMJ 2003 ;326:1202-1205 (31 mai).</p> <p>10 TJ Hubbard and J Love. A New Trade Framework for Global Healthcare R&D; PLoS Biology, 2004. 2(2) : p147-150.</p></div>