L’avènement d’Internet apporta dans son sillage des possibilités jusqu’alors insoupçonnées de créativité humaine, d’accès à l’information et de communication avec le monde entier. Il est difficile de déterminer précisément quand ces possibilités se sont véritablement traduites en un accès public à Internet largement répandu, mais il est possible d’identifier quelques évènements marquants, et quelques acteurs essentiels à l’origine de ceux-ci.

Bien avant l’apparition d’Internet, le mouvement de la contre-culture - guerre du Vietnam, technologies alternatives, etc. - donna naissance au début des années soixante au premier réseau communautaire, avec la création du système Community Memory par un groupe de passionnés d’informatique de San Francisco. En 1986, l’expérience Free-Net de Cleveland, dans l’Ohio, marqua le début d’une nouvelle génération de réseaux communautaires. Les réseaux Free-Net attirèrent bientôt des milliers de nouveaux utilisateurs, et de nouveaux systèmes firent leur apparition dans des dizaines de villes, notamment dans la région du Midwest américain. Ces réseaux informatiques avec un accès public libre ne permettaient pas seulement d’échanger et d’accéder aux informations, mais ils investissaient les utilisateurs d’un nouveau pouvoir.

1971 fut marquée par deux développements fondamenaux : d’une part, l’invention par Raymond Tomlinson d’un programme de courrier électronique [1] pour ARPANET, le réseau de scientifiques travaillant pour la Défense, changea définitivement la manière dont les personnes considéraient les ordinateurs et la communication humaine [2] ; et d’autre part, le Projet Gutenberg de Michael Hart, qui mettait gratuitement à disposition les livres sans copyright [3], permit la création d’importants volumes de contenus électroniques pouvant être partagés par le monde entier. Deux autres évènements importants se produisirent en 1973 : Vinton Cerf et Robert Kahn jetèrent les fondements d’Internet en s’inspirant du protocole Transmission Control Protocol (TCP, qui deviendrait plus tard le TCP/IP) au cours d’une conférence à l’Université du Sussex [4] ; et ARPANET établit sa première connexion intercontinentale, avec l’University College de Londres. Au début des années quatre-vingts, de nombreux organismes ne travaillant pas pour le secteur de la défense rejoignirent le réseau, portant le nombre d’utilisateurs à plusieurs centaines de milliers. En 1985, Internet était déjà bien implanté en tant que plate-forme technologique au service d’une large communauté de chercheurs et de développeurs, et il commençait à attirer de nouvelles communautés. Le courrier électronique était largement utilisé au sein de plusieurs communautés, souvent avec des systèmes différents.

PSI et AlterNet furent les pionniers des services Internet commerciaux au début de 1990. En août 1991, le CERN lança le World Wide Web, un évènement déterminant dans l’histoire de l’accès public à Internet. Le 15 septembre 1993, aux États-Unis, le gouvernement Clinton donna le coup d’envoi officiel du programme National Information Infrastructure, dont le Vice-Président Al Gore était l’instigateur. Le navigateur Mosaic version 1.0 sortit ensuite en 1993, et en 1996, le terme « Internet » était couramment utilisé par le grand public, mais il désignait presque toujours le World Wide Web.

Bien que cette nouvelle avancée ait été comparée aux autoroutes qui, en leur temps, avaient révolutionné les transports, il apparut rapidement évident qu’Internet était bien plus qu’une « autoroute de l’information » et qu’il avait la capacité de donner accès à des niveaux supérieurs d’information, classés de manière intelligente et enrichis de manière fonctionnelle. C’est à cet égard qu’Internet se démarque radicalement d’une bibliothèque classique, où les gens allaient chercher des informations.

La popularité croissante d’Internet souleva des débats sur de nombreux aspects fondamentaux de l’interaction sociale, dont le respect de la vie privée, la notion de communauté, les échanges culturels, la propriété du savoir, et le contrôle de l’information par le gouvernement - des sujets tous en rapport avec l’accès public.

Qu’est-ce que l’accès public?

Par « accès public », il faut entendre l’accès à toute la technologie (ordinateur, connectivité, bande passante, etc.) et l’accès à tous les contenus stockés dans le plus grand réseau artificiel du monde - comme Newsweek décrit Internet. De ces deux éléments, le second est hiérarchiquement supérieur au premier, étant donné que la technologie est secondaire face au contenu (savoir) qu’elle peut transmettre. On peut comparer cela à l’alimentation en eau d’un village au moyen d’un aqueduc : l’eau est de toute évidence plus importante que les tuyaux. L’accès à la technologie et l’accès au contenu peuvent être l’un et l’autre soit gratuits, soit payants. Le contenu peut consister en données textuelles, sonores, visuelles ou multimédias. La connectivité peut se faire par le biais de technologies différentes, allant d’un accès par ligne commutée utilisant un téléphone fixe et un modem jusqu’aux réseaux wifi et aux appareils de poche (téléphones intelligents, consoles de jeux...)

Le public peut se servir de l’accès à Internet pour envoyer et recevoir du courrier électronique, participer à des listes de diffusion et des groupes de discussion, et chercher des informations. Les scientifiques l’utilisent à des fins de recherche collaborative, et le grand public pour parler avec d’autres personnes au moyen soit du clavardage, soit de la technique de voix sur IP. Depuis peu, l’accès à Internet permet aussi les échanges de données par les technologies P2P, le partage de musique, le blogage, le blogage vidéo (vlogging), le journalisme citoyen, la réception d’informations au format RSS envoyées par différentes sources, et la ¬baladodiffusion (podcasting).

Les personnes peuvent accéder à Internet depuis leur domicile et leur bureau, mais aussi depuis des bibliothèques publiques et des cybercafés. Dans une certaine mesure, l’accès à Internet peut aussi se faire depuis des institutions éducatives, des télécentres qui sont en ¬pleine expansion, ou encore des halls d’hôtel et des salles d’attente d’aéroports équipés d’un accès wifi.

Les énormes quantités d’information auxquelles n’importe qui peut avoir accès, n’importe où, n’importe quand, et pour un coût nul, peuvent être appelées « biens communs de l’information ». L’accès public à Internet se fonde sur le principe que même dans des économies de marché dominées par le profit, la propriété et le contrôle communs des ressources informatives peuvent s’avérer efficaces [5].

Vers un accès universel à l’échelle mondiale

Le plus grand débat actuel porte sur l’« universalisation » de l’accès. Pourquoi l’universalisation est-elle si importante? Des chercheurs comme Ernest Wilson s’inquiètent qu’en l’absence d’un accès universel, la diffusion rapide d’Internet dans les organisations, les cultures, et les sociétés des nations industrialisées, ne vienne creuser encore plus le fossé pluridimensionnel les séparant des pays en développement, exacerbant ainsi un problème moral et pratique déjà important [6]. Larry Press estime que la souplesse et le faible coût des communications par Internet peuvent aider à améliorer la productivité économique, l’éducation, les soins médicaux, les loisirs, la connaissance du reste du monde et la qualité de la vie dans les pays en développement et les foyers de pauvreté à l’intérieur des pays, réduisant de cette manière les disparités [7]. Toutefois, l’accès universel se heurte à de nombreux obstacles. Si dans la majeure partie de l’Amérique du Nord et de l’Europe occidentale, la pénétration d’Internet est très élevée et quasiment tous les citoyens qui souhaitent accéder à Internet le peuvent, il y a de nombreux endroits du monde en développement, et notamment en Afrique Sub-saharienne, où Internet demeure réservé à seulement un infime pourcentage de la population, avec une largeur de bande épouvantablement lente et pour un coût représentant une partie substantielle du revenu. Le nombre d’ordinateurs, de téléphones et autres équipements pour mille habitants reste très faible par rapport aux pays industrialisés et leur distribution est inégale. [8] C’est pour répondre à cette « fracture ¬numérique » que les pays en développement plaident pour la création d’un Fonds de Solidarité Numérique [9].

Dans de nombreux pays en développement, des efforts sont faits pour réduire la fracture numérique ou le manque de technologie en installant des télécentres communautaires, qui réunissent et fournissent les informations dont la population locale a besoin.

Le développement des télécentres

Le télécentre, aussi appelé Point d’Accès Public (France) ou Centre communautaire numérique (Mexique), par exemple, se différencie du cybercafé par ses usages. Les cybercafés visent essentiellement à procurer aux personnes qui les fréquentent une connexion à Internet, le cas échéant accompagné par une initiation minimale aux outils. C’est la logique du self-service. Le télécentre, pour sa part, est destiné à accompagner l’utilisation communautaire d’Internet (éducation, santé, micro-commerce...). Il est généralement ouvert dans un quartier où il n’existe pas de cybercafé et s’adresse à une population a priori exclue de la société de l’information. Le télécentre, outre la mise à disposition de matériel et la connexion, offre des formations et des accompagnements aux usages (aider les habitants à développer des applications communautaires...).

Dans la pratique, la différence entre télécentre et cybercafé n’est pas toujours aussi tranchée et les deux modèles s’imprègnent mutuellement en fonction des objectifs des animateurs de ces lieux et du modèle de développement choisi.

Il existe en effet trois modèles principaux de création des télécentres :

- Les télécentres portés par les pouvoirs publics locaux ou nationaux. Ainsi une ville comme Brest [10], en France, a équipé systématiquement son territoire de manière à ce que chaque habitant dispose d’un point d’accès public à moins de 300 mètres de son domicile. L’Argentine a conduit entre 1999 et 2001 un vaste programme d’équipement de son territoire, mettant en place 1 350 Centres technologiques communautaires (CTC) [11]. C’est également la démarche portée par le gouvernement indien dans les états du nord [12] et la majorité des plans nationaux pour la société de l’information comportent maintenant, sous le chapitre « inclusion sociale  », des projets de télécentres.

- Les télécentres initiés par un groupe d’habitants, une association locale, une école. Ils obtiennent souvent au démarrage un appui d’ONG [13] ou d’agences d’aide internationales. Ainsi l’IDRC, agence de développement canadienne, ou l’IICD, agence néerlandaise, ont-elles mis en place de vastes plans d’appui aux télécentres au début des années 2000. L’UNESCO a aussi apporté son soutien à de nombreux Centres Multimédia Communautaires (CMC) pour promouvoir le rôle des communautés et réagir à la fracture numérique en associant la diffusion communautaire avec Internet et les technologies en rapport. [14]

- Les télécentres conçus comme des entreprises privées avec un véritable « businesss plan », qui ne peuvent exister que dans des zones où les besoins sont solvables a minima. Si ces derniers se rapprochent des cybercafés par leur activité rentable, ils n’en demeurent pas moins dédiés aux besoins des communautés.

Ces modèles sont en réalité souvent mixtes. Les premières expériences remontant à la fin des années quatre-vingt-dix, et de nombreux télécentres ayant fermé leurs portes entre temps, les bilans permettent de dessiner certaines des conditions indispensables (et certainement non suffisantes) pour le succès de ces télécentres :

- Le lancement d’un télécentre doit répondre réellement aux besoins des habitants, ces besoins variant considérablement non seulement d’un pays à l’autre, mais d’un village ou d’un quartier à l’autre ;

- Le financement doit tenir compte de la formation des formateurs et non pas uniquement des équipements ;

- Il faut équiper les ordinateurs de logiciels libres permettant une autonomie technologique et évitant des réinvestissements périodiques dans les applications ou leurs mises à jour ;

- Il faut prévoir la présence d’une infrastructure minimale assurant le fonctionnement technique (énergie, viabilité du local...) ;

- Les espaces d’implantation doivent répondre à des besoins des habitants autres que la simple connectivité (centre de santé, centre social, bibliothèque, école...)

- Il faut établir un modèle de développement permettant une autonomisation financière progressive par rapport aux bailleurs de fonds d’origine. De nombreux échecs sont liés au tarissement des subventions externes.

Les points d’accès publics ou télécentres se sont beaucoup développés en Amérique latine et dans les Caraïbes, et grand nombre d’entre eux se fédèrent dans le réseau d’échange [15].

L’Afrique est certainement le continent où ces centres ont rencontré les plus grandes difficultés à se pérenniser. Faible densité de population, taux d’alphabétisation faible, culture orale, mauvaise qualité de l’offre des opérateurs rendent le développement d’Internet en général difficile. En plus de ces obstacles génériques, les télécentres se sont aussi heurtés à l’impossibilité structurelle de trouver des revenus autonomes : dans les zones solvables, les cybercafés se sont répandus à grande vitesse, interdisant aux télécentres des revenus mixtes ; dans les zones non solvables, les bailleurs internationaux se sont souvent lassés de financer des projets souvent surdimensionnés au départ (l’Afrique est certainement le continent où les visions nordistes de la société de l’information ont été calquées, sans réelle prise en compte des besoins locaux, condamnant les projets à tomber en désuétude) [16]

En Inde, en revanche, les télécentres se sont multipliés en adoptant plusieurs modèles, dont le modèle de télécentre communautaire, le modèle commercial et le modèle subventionné par le gouvernement.

Les « centres de savoir villageois » (village knowledge centres) mis en place par la MS Swaminathan Research Foundation (MSSRF) dans plusieurs villages d’Inde du sud [17] [18] constituent un bon exemple de télécentres communautaires. L’utilisation la mieux connue d’Internet dans ces centres consiste en la diffusion, au moyen d’un système d’annonce publique, des prévisions sur la hauteur des vagues sur la côte de Pondichéry téléchargées depuis un site Web de la marine des États-Unis. Les pêcheurs des villages côtiers peuvent ainsi juger s’il est prudent ou non de s’aventurer en haute mer, et depuis que ce service a commencé d’émettre en 1999, aucune mort en mer n’a été déplorée parmi les villageois. En collaboration avec OneWorld International, MSSRF a mis en place l’Open Knowledge Network (OKN), un réseau qui relie des communautés rurales en Asie et en Afrique pour échanger des contenus locaux, des savoirs autochtones et des pratiques traditionnelles [19]. Outre Internet, OKN emploie la téléphonie cellulaire et la radio pour communiquer.

Les eChoupals d’ITC sont un bon exemple de modèle commercial [20]. Le Centre National d’Informatique du Gouvernement indien a ouvert de nombreux centres dans les états du nord-est [21]. Grâce à une initiative de MSSRF, le projet National Alliance a pu voir le jour. Certainement le plus important partenariat à parties prenantes multiples à ce jour, il vise à apporter la révolution du savoir à chacun des 638 000 villages indiens avant le 60e anniversaire de l’indépendance de l’Inde [22]. Le Gouvernement indien a proposé de prendre à sa charge la plus grande partie des coûts, à hauteur de 1 500 millions USD.

Alors qu’en général les technologies tendent à creuser les inégalités et favoriser les premiers arrivés au détriment des suivants, Internet est par essence une technologie qui participe à la démocratisation grâce à la circulation libre et sans obstacle des informations. Tout le monde bénéficie d’un accès égal à l’information. Comment transposer ce potentiel intrinsèque dans la réalité? C’est là que s’affirme la grande valeur de la notion de « biens communs » pour le partage de l’information.

Biens communs et partage de l’information

Voyons comment la notion de biens communs dans la diffusion du savoir scientifique influence la recherche scientifique mondiale. Cet exemple, parvenu à maturité, démontre l’impact de la notion de biens communs pour généraliser l’accès public mondial aux contenus d’information.

Il y a une quinzaine d’années environ, Paul Ginsparg, qui travaillait alors au Laboratoire National de Los Alamos, eut l’idée d’archives centrales pour conserver les articles des physiciens. Aujourd’hui, « arXiv », hébergé par l’université de Cornell, ne cesse de se développer et compte plus de 15 sites miroirs (dont très peu dans les pays en développement) [23]. Steve Lawrence, alors au NEC Research Institute de l’université de Princeton, mit en place CiteSeer qui a pour particularité de ne pas attendre que les auteurs soumettent ou déposent leurs articles, mais qui explore Internet et recueille tous les articles disponibles traitant d’informatique et des domaines connexes [24] . Stevan Harnad, à Southampton, créa Cogprint, un système d’archives sur les sciences cognitives [25]. Il a aussi écrit quelques articles provocateurs sur ce qu’il qualifie de « proposition subversive » pour élargir le « scholarly skywriting » c’est-à-dire l’écriture d’articles scientifiques visibles par tous, comme s’ils étaient écrits dans le ciel d’Internet [26]. Dans son sillage, les scientifiques ont commencé au cours de ces dernières années à déposer leurs comptes rendus de recherche - en plus de les publier dans des publications spécialisées de leur choix - dans des archives institutionnelles en libre-accès et interopérables. Les logiciels pour la création de ces archives d’articles en texte intégral sont complètement gratuits. Le protocole d’interopérabilité (OAI-PMH [27]) et les logiciels associés permettent à un utilisateur de retrouver tous les articles traitant d’un sujet précis ou écrits par un auteur donné à partir de n’importe quel ordinateur du système d’archives (situé n’importe où dans le monde) comme si les articles étaient tous conservés dans une seule et unique archive (universelle) - et tout cela est entièrement gratuit.

Il existe aujourd’hui plus de 400 archives institutionnelles interopérables de ce type, offrant un accès à plusieurs milliers de comptes rendus de recherche en texte intégral, et qui sont particulièrement utiles pour les scientifiques des pays en développement. Peter Suber tient un blog [Open Access News] et rend compte de manière exhaustive des évolutions du mouvement des archives en libre-accès dans le monde [28].

En plus des archives en libre-accès, il existe aussi des publications en libre-accès, pour lesquelles les lecteurs et les bibliothèques n’ont à payer aucun abonnement. Plusieurs centaines de publications - dont une partie provenant des pays en développement - sont maintenant en libre-accès, ou OA (pour open access). [29]

L’accès au savoir dans le monde entier

Comme on le voit, on peut établir un parallèle entre les télécentres et les archives ouvertes. Ces deux pratiques s’appuient sur les progrès de la technologie pour inclure les exclus et mettre à disposition à un coût réduit des informations essentielles en s’inspirant de la notion de « biens communs ». Toutes deux répondent à un problème grave en mariant de manière intelligente la technologie et la notion de biens communs. Toutes deux se fondent sur le partage et l’attention aux autres. Toutes deux sont éminemment indiquées pour augmenter la productivité globale du monde en tant que tout et conduire vers un plus grand bonheur collectif. Tout cela semble presque utopique.

Il faut toutefois signaler que de nombreux éditeurs, dont certaines sociétés scientifiques, s’efforcent de ralentir le développement du mouvement du libre-accès, qu’ils considèrent comme une menace potentielle pour leurs intérêts commerciaux. Face à eux, de nombreux organismes donateurs, comme le Wellcome Trust qui finance la recherche scientifique, sont d’ardents supporters de ce mouvement.

Dans le domaine des données scientifiques, différentes des comptes rendus de recherche en texte intégral, des organisations comme ICSU (et CODATA) font la promotion de la culture du libre-accès. Même Celera Genomics Corp., une entreprise à but lucratif qui a séquencé le génome humain en même temps que le Projet Génome Humain financé par des fonds publics, a cessé de vendre des abonnements pour accéder à ses séquences/données. Elle serait même disposée à faire don de ses informations au National Center for Biotechnology Information, aux États-Unis. Comme le dit Francis Collins du National Human Genome Research Institute : « Les données ne demandent qu’à être rendues publiques ».

Les scientifiques des pays en développement méritent une attention particulière, affirme Bruce Alberts, ancien président de l’Académie Nationale des Sciences des États-Unis. Dans son discours de 1999 en tant que président de cette institution [30], il suggéra de « connecter tous les scientifiques au World Wide Web, si nécessaire en leur fournissant un accès Internet subventionné utilisant les réseaux de satellites commerciaux » et de « s’engager à créer un vaste choix de ressources de savoir validé par les scientifiques, les rendre gratuitement disponibles sur le Web, en prévision du moment où les scientifiques bénéficieront d’un accès universel à Internet à la fois dans les pays en développement et dans les pays industrialisés. »

Du cyberespace au monde réel

Au tout début d’Internet, nous avions le sentiment que celui-ci nous avait apporté la liberté d’agir indépendamment des gouvernements et des lois nationales. En effet, en février 1996, John Perry Barlow, un défenseur d’Internet, publia une « Déclaration de l’Indépendance du Cyberespace » [31] : « Gouvernements du Monde Industrialisé, au nom du futur, je vous demande, créatures du passé, de nous laisser en paix. Vous n’êtes pas les bienvenus parmi nous. Vous n’avez aucune souveraineté là où nous nous rassemblons. Vous n’avez aucun droit moral à nous gouverner, ni aucune manière d’imposer votre loi que nous ayons quelque véritable raison de craindre. Le Cyberespace ne se trouve pas à l’intérieur de vos frontières. » Et Internet est devenu l’un des outils de plaidoyer citoyen les plus utilisés pour la recherche, l’enseignement public, l’organisation, les débats politiques, la coordination, et bien plus encore.

Malheureusement, la technologie numérique a aussi apporté son lot de nouveaux espaces réservés d’information qui portent atteinte au droit du public à utiliser, partager et reproduire les informations, et menacent de saper le discours politique, la liberté d’expression et la créativité nécessaires à une démocratie saine. En réalité, les gouvernements peuvent exercer et exercent un contrôle considérable sur les informations circulant sur Internet. Comme le faisait remarquer The Economist, « Internet fait partie du monde réel. Comme tous les eldorados, il a connu des débuts un peu sauvages, mais la police finit toujours par arriver. » [32]

Le caractère démocratique d’Internet et sa capacité à tendre vers une base de savoir « presque infinie », ont été remis en question. Si le coût élevé, la mauvaise qualité et la rareté d’un accès à Internet se combinent pour constituer le premier obstacle à l’accès dans les pays pauvres, les politiques et les attitudes des institutions et des gouvernements représentent un second type ¬d’obstacle. Comme l’explique le Carnegie Endowment for International Peace (CEIP), les gouvernements peuvent empêcher leurs citoyens de visiter certains sites qu’ils considèrent préjudiciables à l’intérêt national, contrôler l’accès à des sites étrangers, surveiller les messages envoyés par leurs citoyens, et ils peuvent isoler, au sens propre, leurs citoyens du reste du réseau [33]. Les écoles et les parents peuvent installer des filtres pour protéger les enfants des sites à caractère pornographique, de plus en plus nombreux sur le Net. Comment, autrement, nous protéger et protéger nos enfants de tous ces sites mettant en avant la nudité, les actes sexuels, les drogues, l’alcool, le tabac, la violence et la profanation, les sectes, le racisme, les groupes racistes, extrémistes et intolérants, le jeu illégal et les affaires frauduleuses? Le défi consiste à trouver un équilibre entre notre quête de liberté et d’ouverture, et le besoin de freiner la pornographie, les obscénités et l’intolérance.

C’est là le plus grand dilemme auquel les bibliothèques proposant un accès public à Internet se trouvent confrontées. Alors que presque toutes les bibliothèques publiques américaines offrent un accès gratuit à Internet à leurs visiteurs, la situation est catastrophique dans presque tous les pays en développement.

Comme l’a déclaré Nancy Kranich, l’accès public à Internet est essentiel pour réveiller la participation des citoyens, et pour se réapproprier l’espace public et susciter l’intérêt public pour l’ère numérique.
L’accès public à Internet doit être considéré sous une double approche :

- Permettre aux citoyens, dans le monde entier, d’utiliser les outils du réseau informatique non seulement pour accéder aux informations disponibles, mais aussi pour créer leurs propres informations et faire circuler leur savoir-faire ;

- Garantir le libre-accès aux informations essentielles, pour que les opportunités offertes par Internet servent réellement à étendre dans le monde entier l’accès de toutes et de tous au savoir.

26 janvier 2006

couverture du livre enjeux de mots Ce texte est extrait du livre Enjeux de mots : regards multiculturels sur les sociétés de l’information. Ce livre, coordonné par Alain Ambrosi, Valérie Peugeot et Daniel Pimienta a été publié le 5 novembre 2005 par C & F Éditions.

Le texte est sous licence Creative Commons paternité, pas d’utilisation commerciale.

La connaissance doit être offerte en libre-accès... Mais auteurs et éditeurs ont besoin d’une économie pour poursuive leur travail. Si vos moyens vous le permettent, n’hésitez pas à commander le livre en ligne (39 €)

Vendredi 23 mars2007 à 14.00 à l’UMLV-IFIS

Mots clés : conduite de projet – réseaux – technologies – travail collaboratif

Intervenants :Aurélie Nicolas, Anthony Delvigne, Guillaume Fabre,Benjamin Clavreul

Discutants :
- Christophe Freihuber, Développeur chez Pixmania, Créateur de la plateforme collaborative www.cyber-espace.net ;
- Arnaud Fontanes, Consultant senior, Associé chez Ethikonsulting, Spécialisé dans l’assistance à maîtrise d’ouvrage SIRH, dans la conduite du changement et l’animation d’équipe ;
- Patricia Rougeaux, chargée de mission TIC - Mairie de croissy /seine.

Si vous souhaitez y participer, envoyez vos coordonnées (nom, prénom, e-mail) à communication_mitic@yahoo.fr

Pour plus d’information, n’hésitez pas à consulter notre blog : http://mitic2006collter.over-blog.com/