Internet et enjeux culturels en Afrique

Ce texte est le résumé d’un mémoire de DESSIC soutenu en 2002 à l’Université Cheikh Anta DIOP de DAKAR à l’Ecole des Bibliothécaires, Archivistes et Documentatlistes (EBAD)sous la direction de Dr Ahmeth NDIAYE Nous essayons à travers cet article de peser les enjeux culturels de l’Internet en Afrique. Il s’est plus particulièrement agi de voir si L’Internet, une nouvelle forme d’acculturation ou d’impérialisme ? Ou s’il faut bien au contraire, en lui une chance réelle pour l’Afrique de montrer sa vraie culture, son vrai visage. L’article souligne d’abord quelques dangers de l’Internet pour la culture africaine, puis il en présente les avantages en s’appuyant sur des cas pratiques d’usages culturels de l’Internet en Afrique. Il tente également de mettre en évidence les influences ou les changements induits par l’Internet sur la culture africaine. Résumé du mémoire de DSSIC : Internet et enjeux culturels en Afrique Présenté et soutenu en 2002 à l’Ecole des Bibliothécaires Archiviste et Documentalistes - EBAD Université Cheikh Anta Diop de Dakar Par Moustapha MBENGUE Sous la Direction du Docteur Ahmeth NDIAYE

Introduction :

La culture africaine est-elle juste un accessoire ou un simple amas de choses “folkloriques” et insignifiantes par rapport à la rigueur des normes de la macro-économie ? Que non !

Il est maintenant démontré que le développement ne peut être articulé aux seuls paramètres économiques. Au-delà, il y’a d’autres paramètres liés, des paramètres culturels. Et cette culture, pour éclore et atteindre sa parfaite efficience a besoin d’un outil de promotion et de vulgarisation qui dépasse toutes les frontières afin de donner à l’Afrique sa place dans cette mondialisation. Cet outil, c’est l’Internet.

Largement tributaire de l’aide internationale, et face aux questions sociales, culturelles, économiques et politiques les plus élémentaires à régler, l’Afrique a-t-elle seulement les moyens et le temps de penser à se protéger d’un nouvel impérialisme culturel ? Doit-elle seulement cautionner un transfert de technologies qui l’expose au risque de perdre sa culture ? A t-elle à gagner à se soumettre à cette nouvelle culture de l’Internet ? L’Internet ne devrait-il pas venir seulement après que les besoins cruciaux des pays africains soient satisfaits ? Quelles solutions et quelle place pour la culture africaine sur l’Internet ?

Si la progression de l’Internet est spectaculaire dans les pays développés, elle ne l’est pas moins en Afrique. Malgré les immenses difficultés et craintes dues notamment à la faiblesse du réseau téléphonique mais également à la crainte d’une acculturation, l’Afrique cherche à se saisir de l’Internet pour rompre l’isolement, notamment en matière culturelle. Encore faut-il que l’Internet ne soit pas pour l’Afrique une trouvaille de plus dont il faut juste se servir sans servir, consommer sans produire

Les enjeux culturels de l’Internet en Afrique se posent alors en deux termes : L’Internet, une nouvelle forme d’acculturation ou d’impérialisme ? Ou au contraire, faudrait-il voir en l’Internet une chance réelle pour l’Afrique de montrer sa vraie culture, son vrai visage.

Nous tenterons dans la première partie de notre réflexion de présenter quelques dangers de l’Internet pour la culture. Ensuite nous présenterons des avantages en nous servant de cas pratiques d’usages culturels de l’Internet en Afrique. Pour finir nous étudierons les changements induits ou influences de l’Internet sur la culture africaine.

Définition du concept de culture

Vouloir cerner un concept aussi lourd de sens que celui de la culture, c’est prendre son parti de la complexité. Peut-on en effet tenir sur ce sujet un discours objectif, qui échappe à toute catégorie préétablie, alors que la culture est, par essence, moins déterminée que déterminante, et que le mot recouvre des réalités bien ondoyantes et diverses selon les époques, s’étendant sur des champs éloignés, découvrant les domaines nouveaux ou se repliant sur des valeurs fondamentales.

Nous retiendrons juste dans le cadre de ce travaille une conception ethnologique de la culture que nous partageons d’ailleurs avec l’ethnologue britannique E. B. Taylor qui avançait en 1871 que La culture [...] est cet ensemble complexe qui inclut la connaissance, la croyance, l’art, la morale le droit, la coutume et toutes autres capacités et habitudes acquises par l’homme en tant que membre de la société 1 . Dans cette optique, le champ culturel embrasse pratiquement tout ce qui fait de l’individu un être social.

Cette conception de la culture nous permet de mesurer et d’appréhender les enjeux réels puisque la culture définit en quelque sorte l’identité de l’individu d’où un intérêt pour tous les peuples à conserver et à promouvoir ses valeurs culturelles. L’Afrique plus que tout autre continent a besoin de retrouver, de restaurer et de promouvoir sa culture longtemps bafouée par des siècles d’esclavage suivis de la colonisation.

I - L’INTERNET, UNE MENACE POUR LA CULTURE EN AFRIQUE ?

Après quarante quatre ans d’indépendance et des décennies d’assistance, les anciennes métropoles proposent à l’Afrique, à l’aube du troisième millénaire, un nouveau type de coopération : L’intégration de l’Afrique au « village global » Les nouvelles technologies de l’information particulièrement l’Internet suscitent la crainte d’offrir l’Afrique comme un plateau ouvert à une occupation d’un genre nouveau.

Les Institutions internationales, les centres de recherches scientifiques et universitaires, les grandes entreprises de production manifestent un nouvel intérêt pour le continent noir où s’initient divers projets d’installation et de développement d’Internet. A la suite de la France, la Grande-Bretagne déclare aujourd’hui son intention d’asseoir et d’intensifier sa politique africaine, ouvrant même la voie à un nouveau type d’alliance que les voix autorisées ont baptisé « politique franco-britannique en Afrique » Par ailleurs il existe un lobby en faveur d’une politique africaine des Etats-Unis. Elle est sociale et culturelle. Mais dans un pays où on laisse à la libre entreprise le rôle d’assurer le développement des NTIC, elle ne peut se définir que comme une nouvelle avancée de l’économie de marché, avec à la clef, l’abolition ou l’absorption des frontières idéologiques et culturelles, l’uniformisation des comportements et des idées. Ainsi que le souligne Nelson THALL, disciple de Marshal MacLUHAN, le projet inavouable de l’Internet est d’amener le monde entier à penser et à écrire comme les Nord-américains. C’est à dire une globalisation de l’ « Américan way of life » qui s’érigerait en modèle culturel. Il ne s’agit dés lors plus d’intégration mais d’assimilation culturelle.

Il convient d’ajouter à cela que l’Internet est également un « lieu » ou sévissent malheureusement des réseaux pervers de prostitués, de pédophiles, de terroristes et autres idéologies sectaires qui peuvent causer des dérapages au sein d’une jeunesse africaine avide de modèles sociaux. Le parent ne pouvant pas contrôler sa progéniture, il est à craindre une perversion de la jeunesse africaine qui s’expose au risque de perdre ses repères culturels. L’absence ou la faiblesse de la régulation autorise ainsi des dérives préjudiciables au bien être social et le problème des dérapages reste entier. La liberté de l’information qui est un principe de base de l’Internet pourrait donc entraîner au libertinage.

Une attitude protectionniste ne résistera certainement pas au vent de l’histoire ni au désir de la jeunesse africaine de prendre sa place dans le village planétaire. Il appartient donc aux africains de faire de l’Internet un outil de promotion et d’affirmation de l’identité culturelle africaine. L’Internet n’est et ne sera juste qu’un outil de communication au même titre que le téléphone, le Fax, le journal, le livre etc. Il serait donc vain de voir en lui une forme d’acculturation. Malgré le spectre de la mondialisation et de l’impérialisme américain eu égard à la forte présence de la langue anglaise force est de constater avec J-C GUEDEON que Le cyberspace ne constitue jamais un jeu à solution nulle. En d’autres mots, l’espace occupé par les sites de langue anglaise n’enlève nullement de place aux autres langues1. Promu de la sorte, l’Internet cesse d’être une menace pour la culture africaine. En est-il pour autant un terreau d’expression fertile ?

II- L’INTERNET UNE CHANCE POUR LA CULTURE AFRICAINE ?

S’il est vrai qu’en apparence l’Internet, porte en lui des signes d’acculturation, il est aussi un puissant outil de promotion de la culture. Appréhendé à son sens primaire d’outil et de réseau, l’Internet ne fait pas courir le risque d’une acculturation. C’est l’argument majeur de beaucoup d’auteurs qui considèrent que l’Internet n’est qu’un médium, certes polymorphe, mais simple médium tout de même. C’est ce que soutient Jean Claude GUEDEON en affirmant : Internet, rappelons-le une fois de plus, ne crée rien par lui-même. Porteur d’une nouvelle donne, il conduit les granularités humaines à se reconstituer au détour de courses, de concurrences, mais aussi de nouvelles formes de collaboration qui vont traverser pays, institutions et comportements individuels

C’est dire que l’Internet est un outil qui peut influencer les différentes formes de culture qui préexistent off line. Et si on pose le débat en terme d’acculturation, la première chose à remarquer est que l’Internet n’est pas un espace unifié. On peut considérer, finalement, qu’il n’y a pas de notion de « public » sur Internet et donc, sous sa forme informationnelle, l’Internet ressemble plus à une bibliothèque qu’a une station de télévision. Ceci à moins de l’écarter, réduit fort bien les risques d’une acculturation par le biais de l’Internet.

Cela ne suffit pas pour autant pour faire de l’Internet un outil de promotion de la culture africaine. Il appartient dés lors au Africains de donner un corps à cette coquille vide qu’est l’Internet et d’en faire usage de façon rationnelle pour jouir de toutes les chances que l’Internet offre à la promotion et à la conservation de la culture.

II.1 - Les Usages de l’Internet au Service de la culture en Afrique

Les usages de l’Internet à des fins culturelles sont nombreux, nous les scinderons alors en trois grandes catégories en fonction des résultats ou des effets qu’ils produisent. Il s’agit surtout, pour nous, de la promotion de la culture, de sa conservation mais également un outils d’échange sur la culture africaine. Il est également à noter que l’Internet a entraîné de nouvelles pratiques, une nouvelle façon de vivre qui influence les pratiques culturelles

II.1.1- Promouvoir et diffuser la culture africaine

L’Internet met au même niveau de visibilité les petites structures culturelles et les grandes ce qui constitue en soi un terrain de compétition loyale. C’est donc une chance pour les petites entreprises culturelles qui n’ont pas forcément la chance de participer aux foires, rencontres et autres expositions qui nécessitent des moyens énormes. Il s’est agit pour les Africains de mettre en place des sites Web de promotion culturelle qui sont la vitrine culturelle de l’Afrique. Ces sites Web sont pour l’essentiel, des portails. Ils ouvrent l’Afrique à l’extérieur et lui permettent d’exporter sa culture, la mener à la rencontre d’autres sensibilités et d’autres cultures. Ils présentent également une valeur ajoutée en ce sens qu’ils peuvent valoir aux pays africains un marché touristique à grande échelle. Ils sont pour l’essentiel constitués de sites de vente de produits culturels, de sites d’artistes africains, d’exposition et de galeries culturelles, de sites de centres culturels nationaux ou bilatéraux.

L’Internet permet aujourd’hui à tous les Africains du monde de rester en contact avec les cultures de l’Afrique. Nous pouvons tous, aujourd’hui, nous informer, sur les manifestations culturelles (festivals, folklore, et expositions), les sorties littéraires de nos pays. Nous pouvons nous informer sur les micro-cultures (géographique) et les peuples dits indigènes, des choses qui étaient jadis inimaginables.

Exemple :

Le site taf taf http://www.tataftaf.com Ce site Web initié par un couple d’expatriés français installés au Sénégal, présente 300 produits artisanaux sénégalais sur la toile et constitue un lieu d’échange culturel qui propose à la fois des bijoux ; des vases, des tableaux d’art, des modèles de couture qu’il est possible de commander en ligne. Le portail refuse de n’être qu’un catalogue d’artiste et affiche selon les initiateurs la volonté de pourvoir une juste rémunération du travail de leur contractant avec des prix fixés au départ et d’accord parti, mais également un préfinancement des matériaux nécessaires à la fabrication des articles. La livraison des produits commandés en ligne est assurée par DHL. Les initiateurs du site sont souvent invités à des foires et des rencontres internationales pour présenter leur trouvaille.

II.1.2 - Sauvegarder la culture africaine

II.I.2.2 - Les sites de monuments et vestiges historiques

L’Internet est en effet un outil de conservation du patrimoine culturel en ce sens qu’il présente à l’humanité la richesse des vestiges culturels de l’Afrique. C’est ainsi qu’il est possible maintenant à partir de n’importe quel point du monde de tout savoir sur les pyramides d’Egypte, l’île de Gorée, les Mosquées de Tombouctou et tous les grands sites qui ont marqué l’histoire du continent et qui étaient peu connus du grand public. Les musées africains sont aujourd’hui connus de tous et de plus en plus on assiste à des regroupements régionaux de promotion et de conservation des musées d’Afrique. C’est le cas du WAMP (West African Museums Programme) qui a mis en place une base de données sur les archives photographiques de l’Afrique de l’Ouest qu’il compte mettre en ligne.

Il n’est aujourd’hui point besoin d’aller au Bénin pour visiter le musée d’Abomey, de partir au Mali pour voir les mosquées de Djenné et de Tombouctou ou de se rendre en Egypte pour admirer la beauté des pyramides.

II.I.2.3 - Les Sites Web de langues africaines

Ils sont de deux sortes. Il y’a tout d’abord les sites en langues africaines et ensuite, les sites d’apprentissage des langues africaines.

Les sites en langues africaines ont pour objectif d’impliquer les populations d’un niveau d’instruction faible à comprendre et à s’intéresser à l’Internet et à leur culture quel que soit l’endroit ou elles se trouvent. Ces types de site ne sont pas encore nombreux.

Les sites d’apprentissage des langues africaines suscitent de plus en plus un intérêt chez les Africains de la Diaspora. Ces derniers sont aujourd’hui animés d’une certaine fierté d’appartenir à un peuple au passé glorieux et qui a su conserver ses langues malgré une histoire assombrie par la traite des noirs suivie de la colonisation. On trouve ainsi sur l’Internet des dictionnaires français Wolof, des sites Web en Swahili, des sites Web pour apprendre le Fon etc. Nous pouvons donc lire aujourd’hui sur le Web du Swahili du Xosa, de l’Ikan à côté du Français et de l’Anglais. De plus en plus les langues africaines sont enseignées dans les grandes Universités américaines et européennes et l’Internet y est grandement pour quelque chose.

Ces sites Web sont pour l’essentiel des textes écrits, le plus souvent sans images ni son. Ils restent cependant, encore peu connus de bon nombre d’africains. La civilisation africaine étant fortement ancrée dans l’oralité, le contenu des sites de langues gagnerait à exister en version sonore et avec plus d’images pour atteindre le maximum d’africains.

Exemples : ARCHIVES OF POPULAR SWAHILI : http://www.pscw.uva.nl/lpca/aps/toc.html PAJOL [Bambara ; Soninke ; Wolof] : http://www.bok.net/pajol

II.I.2.4 - Les sites sur les Peuples et les pratiques culturelles

L’Internet nous permet aujourd’hui de mieux nous connaître en tant qu’individu membre d’une société. A l’école primaire il revenait à grand-père de répondre à nos enquêtes sur nos villes et nos coutumes. Il est aujourd’hui possible à tout jeune africain de savoir le rôle d’un Jaraf (chef coutumier) dans la société Lébou (peuple du Sénégal) Il est possible par une simple interrogation de connaître le mode d’administration de la société Dogon, de comprendre l’héritage chez les Bassaris, l’initiation chez les Diolas. Une expérience personnelle nous conforte dans cette idée.

Nous n’avons jamais accordé un intérêt particulier aux pratiques culturelles lébou telles que le « NDEUP1 », le « TOUROU2 » le « GOUMBE 3 » Un jour, il nous a été demandé dans le cadre d’un concours de création de site web de décrire une expérience spécifique à notre pays, à notre culture. C’est alors que nous avons commencé à faire des enquêtes sur ces phénomènes, à interroger des pratiquants de NDEUP, et finalement à croire à la réalité de l’ "éthnothérapie" chez le lébou. Ce travail accompli avec des jeunes sénégalais nous a valu la récompense du meilleur site web de ce concours. Nous avons alors compris trois choses de cette expérience :

· Ce qui intéresse les autres en nous c’est ce qui nous différencie d’eux et c’est cela notre culture. C’est dans le même temps cette culture qui nous rapproche des autres puisqu’en la comprenant ils nous comprennent et nous respectent malgré nos différences.

· Nous nous sommes réellement intéressés à ce que nous sommes à partir du moment où nous avons compris que cela pouvait intéresser les autres.

· Nous avons alors compris que toutes les cultures se valent et il y’en a pas une qui soit supérieure ou inférieure à l’autre.

L’Internet nous a pour ainsi dire, rapproché des nôtres, de notre culture et de celle des autres. Sans l’Internet nous continuerions peut être à parler de NDEUP comme d’un simple Folklore, nous en aurions encore eu la vision étriquée d’un simple étudiant de faculté qui n’en saurait pas plus que les deux paragraphes qu’il aurait lus dans un roman. Nous regarderions encore les guérisseuses de notre quartier traditionnel comme de simples comédiennes qui se servent d’une parodie de connaissance mystique pour arnaquer des gens à coup de tam tam, de bœufs immolés à la plage et de lait caillé. Aujourd’hui nous croyons à ce phénomène tout comme nous croyons à une formule mathématique et cela nous le devons bien à l’Internet.

La perception que nous avions de ce phénomène et qui a changé grâce à notre intérêt pour le Web a changé notre vision sur d’autres pratiques culturelles telles que le sacre du masque Dzangbeton (Bénin), la vénération du Moro Naba chez les Mossis. D’autres jeunes de ces pays ont présenté des sites Web sur leurs particularités culturelles ce qui nous a permis aujourd’hui de mieux comprendre ces peuples et d’accepter leur altérité culturelle.

Exemples :

Le NDEUP  : http://www.cresp.sn/EcoYoff/Ecomuse...

II.1.3 -Echanger sur la culture africaine

Le web est le service d’Internet le plus connu, c’est pourquoi il est souvent assimilé au réseau Internet lui-même alors qu’il n’en est qu’une application. La messagerie électronique est cependant devenue l’outil de communication par essence sur l’Internet, l’Afrique n’est pas exempte à ce phénomène.

Du point de vue purement culturel, toutes les associations de promotion culturelle possédent une boite à lettres ou utilisent celle d’un de leurs membres basés dans les grandes villes. C’est le cas de l’Association des ressortissants de NDEFLENG1 qui arrive à maintenir le contact avec les Sérères de la diaspora. Il convient de souligner par ailleurs le fait que les artistes et artisans africains disposent à titre individuel ou associatif de boites électroniques qui leur permettent d’entretenir des relations à la fois commerciales et culturelles avec des partenaires nationaux ou étrangers. Il en est de même pour les musées, galeries d’art, troupes et compagnies théâtrales, ballets, groupes musicaux, cinéastes etc.

L’email est pour ainsi dire devenu un attribut social de compétence : posséder un e-mail signifie qu’on appartient à la classe des intellectuels avertis.

En plus du mail des listes de diffusion et des foras spécifiques permettent d’échanger et de partager des expériences sur la culture africaine. C’est également le cas des journaux « webzine » sur la culture.

III - L’INFLUENCE DE L’INTERNET SUR LA CULTURE AFRICAINE

L’avènement des NTIC et de l’Internet en particulier a fortement modifié ou influencé les habitudes de vie chez beaucoup d’Africains. L’influence de l’Internet sur la culture n’est pas toujours positive, même si par ailleurs l’outil présente pour l’Afrique des atouts de taille.

III.1 - Les langues africaines et la civilisation de l’oralité

La particularité de la civilisation africaine est qu’elle est fondée sur le verbe, l’oralité. Ce facteur a été un fondement de la culture africaine mais la colonisation et la civilisation de l’écrit ont grandement affaibli la communication orale pour imposer à l’Afrique une autre culture, celle de l’écrit. L’Internet, pour peu que les Africains y prennent garde, peut entraîner une seconde révolution de la communication qui de l’oral à l’écrit passera finalement à l’hypertexte ou l’hypermédia.

Quel jeune africain n’a jamais envoyé un mail à un ami pour lui souhaiter un joyeux anniversaire (avec une carte virtuelle), une bonne fête ou même un simple bonjour ? Toute cette sympathie se manifestait autrefois par un déplacement chez les parents ou l’ami à qui l’on présentait de vive voix ses vœux pour tous les événements de la vie. Qui parmi nous n’a pas encore participé à une discussion en ligne en direct, parfois juste pour dire bonjour, même à sa femme avec qui on partage la même maison ? Cette communication plus qu’un besoin d’informer est une façon de montrer à quelle catégorie on appartient. Nous voulons tous montrer que nous sommes des « cybercitoyens » que nous appartenons à la « cyberculture » que nous ne sommes pas de « cyberanalphabètes »

Nous constatons déjà que les plus farouches défenseurs des langues africaines et même européennes empruntent des termes anglais pour véhiculer leurs messages.

III.2 - La Démocratisation de l’ordre socioculturel

La gérontocratie a pendant longtemps été le mode de gouvernement des sociétés africaines. Même dans les sociétés africaines les plus démocratiques le respect de l’ancien demeure une vertu. La gérontocratie repose sur le respect de l’ancien, ou plutôt celui de l’âge. Le pouvoir pour ce mode d’administration étant entre les mains du plus âgé à qui revient le droit de décider au nom de la communauté.

Le fondement de cette organisation sociale est le fait que la personne âgée, de par son vécu et les expériences acquises soit détentrice d’un capital de savoirs et de connaissances que tout le monde ne possède pas. Tout comme on respecte son maître d’école par ce qu’il a des connaissances, on respecte également la personne âgée à cause de son savoir et de sa sagesse. Ce que Amadou Hampathé Bâ traduit par sa célèbre pensée un vieillard qui meurt est une bibliothèque qui brûle. Cet adage, n’est-il pas à relativiser aujourd’hui ? Le vieillard en sait t-il davantage que son petit-fils ? L’âge est-elle toujours synonyme de savoir et de pouvoir ?

Avec l’Internet la transmission verticale du savoir tend à disparaître en Afrique. Autrefois les connaissances se transmettaient de père en fils, avec l’Internet la transmission des connaissances devient transversale. Les jeunes ont la possibilité de voyager sans quitter leur pays. L’Internet nous fait visiter le monde, découvrir, des paysages et d’autres contrés qui n’existaient que dans l’imaginaire et les récits des anciens aux soirs de veillée. Le réflexe du jeune écolier aujourd’hui, n’est plus d’interroger grand-père pour répondre à des enquêtes sur l’histoire de sa ville. Il pense d’abord à interroger son ordinateur. Grand-père si savant, si puissant qu’il soit, n’est consulté que pour de brefs compléments de l’information livrée par le serveur. Il y’a donc lieu de se demander si en perdant son savoir, grand-père ne perd-il pas en même temps son pouvoir qui lui a valu tout le respect de la communauté ?

L’Internet a donc quelque peu modifié l’ordre social établi, le savoir étant synonyme de pouvoir, la gérontocratie tend à devenir « cybercratie » La force le pouvoir revient donc à celui qui est à même de fournir une information, un savoir à travers l’internet.

III.3 - Une nouvelle façon de communiquer et de communier

En Afrique comme partout dans le monde, la messagerie électronique demeure le service le plus usité de l’Internet. Il est cependant impossible de déterminer avec exactitude le nombre d’abonnés ou de personnes qui possèdent une adresse électronique en Afrique. La particularité de l’Afrique est que les boîtes à lettre électronique sont souvent partagées et que certains usagers possèdent plusieurs boîtes. L’Internet renforce le partage, et la solidarité qui sont jusqu’ici reconnus comme une vertu africaine.

On évalue aujourd’hui à plusieurs milliers le nombre d’Africains détenteurs d’une adresse électronique. Le profil de l’Internaute africain est le suivant : sexe masculin, intellectuel, citadin. Les utilisateurs sont surtout des étudiants, des employés d’organisations internationales, des ONG. Les jeunes étudiants délaissent aujourd’hui les bureaux, et autres services de renseignement pour trouver des adresses d’Universités et des formulaires de demande de pré-inscription dans des universités américaines ou françaises. Les jeunes Africains qui parcouraient des revues à la recherche de correspondants se tournent vers des sites webs spécialisés qui leur offrent en même temps des boites de messagerie pour échanger des correspondances.

Ces jeunes n’ont plus besoin de chercher des modèles occidentaux. Ils sont aujourd’hui fans de footballeurs africains, des musiciens, des animateurs de radio avec qui ils peuvent converser en directe par l’intermédiaire d’un clavier d’ordinateur. Ces jeunes ont jusqu’ici eu pour modèles des boxeurs américains, des acteurs de cinéma Hindous, des footballeurs français...Parce que les stars africaines leur étaient inaccessibles.

Nous ne sommes plus obligés d’avoir pour confident un frère, une sœur, un père ou une mère. Avec l’Internet les jeunes n’éprouvent aucune gêne à se confier à un ami inconnu. A celui que l’on a jamais vu, que l’on a juste connu dans un forum et qui peut donner des conseils sans aucun risque de révéler un secret. Ainsi des relations amicales se tissent sous des pseudonymes, certaines relations peuvent aboutir à des séjours chez l’ami, des vacances et plus souvent à des mariages.

Conclusion :

Le sommet africain de l’Internet, AFRINET plus connu sous le nom de BAMAKO 2000, a suggéré aux gouvernements des pays africains l‘introduction de cours sur l’Internet dans les programmes scolaires pour une meilleure appropriation des NTIC de même que la création de centre d’excellence en matière de NTIC. Cette recommandation avant-gardiste, au demeurant, trouve son explication dans l’influence de l’Internet sur les populations africaines. L’Afrique ne peut donc pas échapper à cette nouvelle culture de l’universel que nous avant tantôt appelé « cyberculture ».

L’Afrique se trouve ainsi à la croisée des chemins, obligée de choisir entre un conservatisme de ses valeurs culturelles, c’est à dire une vie en autarcie qui la priverait d’une place dans ce monde, ’’le cyberespace’’ et, une ouverture vers le nouveau village planétaire au risque de s’exposer à une nouvelle forme d’impérialisme qui ne dit pas encore son nom.

Entre la menace d’une acculturation et la chance de réaliser le saut technologique grâce à l’appropriation de nouveaux moyens d’agir, l’Internet doit permettre aux communautés africaines de tirer parti des possibilités qu’il offre et de prendre en compte les besoins locaux en vue de produire des contenus de qualité. L’Internet est aussi un moyen de libérer la recherche et l’enseignement africain de la tutelle occidentale dans la mesure où les Africains peuvent diffuser des contenus africains à moindre frais et sans passer par les grands éditeurs ou les diffuseurs occidentaux.

La culture africaine est encore fortement dominée par l’oralité et gagnerait à disposer de messagerie électronique et d’autres applications de l’Internet qui exploitent davantage l’oral et le visuel. Les écrans tactiles, les logiciels de reconnaissance vocale, les sites de traduction et la téléphonie sur Internet à moindre frais en augmentent les enjeux pour l’Afrique.

Pour ce faire, les Etats africains doivent mettre en place les infrastructures qui permettent aux populations de disposer des NTIC, réduire les coûts de communication pour briser la fracture numérique, sensibiliser et former les populations à l’usage des NTIC, enfin, encourager les initiatives populaires d’appropriation de ces NTIC.

Il appartient cependant aux populations de montrer une volonté réelle de se servir de NTIC, à la fois pour préserver et valoriser l’héritage culturel de l’Afrique. C’est également aux populations de faire de ces NTIC un outil de développement durable qui pourrait à la fois améliorer l’image de l’Afrique dans ce monde et lutter contre la pauvreté en générant des revenus pour les communautés.

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Posté le 20 décembre 2004

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