Télécentres au Brésil : Rencontre avec RITS, ONG de l’internet citoyen.
Entretien avec Luiz Antônio Carvalho
À l’occasion d’une réunion de travail au Brésil avec RITS - Red de Informacao para el tercer sector -, partenaire de Vecam dans les i-jumelages, nous avons pu prendre le temps de mieux connaître cet acteur central de l’internet citoyen au Brésil et de comprendre leur action en matière d’accès public.
L’ONG RITS est née en 1998. À l’époque Ruth Cardoso, épouse de l’ancien président brésilien, avait lancé un programme d’action « Comunidade Solidaria », doté de moyens relativement importants, autour du développement local, de la formation, de la solidarité... C’est dans ce contexte que RITS va naître porté par un petit groupe de fondateurs, dont Carlos Alfonso, et Sergio Goes qui fut le premier directeur. Son président actuel est Silvio Meira.
RITS a été créé avec la volonté de permettre aux mouvements sociaux, aux organisations de la société civile de mieux travailler ensemble en s’appuyant sur les technologies de l’information. Son objectif fondamental est le renforcement de la société civile en s’appuyant sur un usage stratégique des TIC.
Le travail de RITS a longtemps été organisé autour des 5 axes suivants :
identification et cartographie des organisations de la société civile
réalisation d’une revue électronique du tiers secteur,
un site comportant des conseils juridiques, une base de donnée de contacts, des informations sur les financements...
surveillance des politiques publiques en matière de société de l’information pour le tiers secteur (participation au SMSI, interaction avec les politiques gouvernementales...)
services aux membres (hébergements, listes de discussion...)
Aujourd’hui RITS compte 300 membres qui cotisent à raison d’une moyenne de 300 reals (100 euros) par mois et héberge 500 sites dont ceux du Forum social mondial.
Au Brésil, une loi de 2000 a institué l’obligation de verser 1% du revenu généré par les communications téléphoniques à un fonds destiné à équiper les régions non couvertes par les opérateurs. Ce fonds dispose aujourd’hui d’un Milliard de dollars et le débat bat son plein pour savoir comment cet argent va être utilisé.RITS a créé une plateforme de discussion de ces questions.
Depuis peu, RITS s’est lancé dans la création de Télécentres (appellation des points d’accès publics en Amérique Latine). Une première série de 10 télécentres avait été mise en place à Sao Paulo avant l’arrivée de la maire PT Maria Suplici (celle-ci vient de perdre son mandat). La maire a repris et amplifié cette action avec l’installation de 130 télécentres à Sao Paulo, tous dans des zones périphériques et désavantagées. Aujourd’hui ces télécentres comptent une moyenne de 3000 utilisateurs par mois. Chaque télécentre est équipé d’un serveur, de 20 ordinateurs et est animé par une équipe de deux personnes, un coordinateur et un formateur. Les temps d’ouverture alternent usage libre et formations.
Avec l’arrivée de Lula au pouvoir, la question de la lutte contre la fracture numérique est devenue centrale et plusieurs institutions publiques travaillent sur le sujet, sous la coordination d’un comité national pour l’inclusion numérique.Parmi ces différentes instances, l’ITI - Institut national de technologies de l’information, dirigé par Sergio Amadeu, jour un rôle central.
RITS vient de signer une convention de deux ans avec l’ITI et Petrobras pour la mise en place de 50 télécentres dans différentes régions du Brésil, aussi bien en zones rurales qu’en périphérie de grandes villes. Petrobras qui fournit l’intégralité du financement est une très grande entreprise publique, acteur majeur de l’industrie pétrolière. Elle finance également des activités dans le secteur de l’environnement, du développement local... L’ITI fournit la connexion satellitaire à haut débit.
Chaque création de télécentre est précédée de la création d’un contrat local qui associe, non seulement la municipalité mais également les acteurs locaux désireux de s’impliquer, un peu à la manière des « community networks » canadiens. Il peut s’agir d’une radio locale, d’une association travaillant sur la petite enfance, d’un centre culturel, d’une compagnie de danse hip hop... L’essentiel est de créer une dynamique collective autour du projet. Ces acteurs sont réunis au sein du « conseil de gestion ». Le conseil va jouer un rôle essentiel pour déterminer les contenus des formations qui seront dispensés dans le télécentre, de manière à ce que ceux-ci soient toujours adaptés aux besoins des populations, des publics qui fréquenteront le télécentre. Les besoins ne sont évidemment pas les mêmes s’il s’agit plutôt d’un public de retraités, de jeunes qui s’orientent vers des contenus culturels, d’immigré qui va avoir une forte demande en matière de langues etc. Cette « co-gestion » des contenus peut parfois poser problème. Par exemple, les parents ont tendance à refuser tout contenu à caractère de divertissement pour leurs enfants, leur demande allant à la professionnalisation des enfants, qui doivent pouvoir travailler le plus tôt possible dans ces milieux très défavorisés.
Dans ce montage, RITS joue un rôle à la fois pour le montage du projet, la gestion financière, et l’animation du conseil...
De cette expérience en plein développement, RITS espère deux choses :
un effet démultiplicateur : ils espèrent que les municipalités qui ne bénéficient pas des télécentres vont vouloir imiter l’expérience, et lancer leur propre plan d’inclusion digitale, à l’image de la diffusion qui s’est faite dans la conurbation de Sao Paulo.
L’émergence de véritables mouvements sociaux avec les jeunes qui fréquentent majoritairement ces télécentres et qui s’emparent des logiciels libres, comme objet politique. (on voit déjà fleurir des graphes de pingouins dans certains quartiers).
Au final, RITS se positionne comme une OSCIP, organisation de la société civile d’intérêt public. Elle défend l’idée que les politiques de services publics sont aussi aux mains des acteurs de la société civile.
